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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 11 septembre 2014, n° 12-20376

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Abrinoval (SARL)

Défendeur :

Sésame (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Michel-Amsellem, M. Olivier Douvreleur

Avocats :

Mes Lugosi, Burgaud, Herscovici, Baratte

T. com. Paris, 16e ch., du 28 sept. 2012

28 septembre 2012

Faits et procédure

La société Piscine Conseils, devenue société Sésame, qui fabrique et commercialise, notamment, des abris de piscine sous l'enseigne Sésame, s'est aperçue au mois d'avril 2011 que l'une de ses concurrentes, la société Abrinoval, utilisait sur son site Internet une vidéo de démonstration de l'un de ses produits, désigné sous l'appellation " Discrétion ", ainsi qu'une autre vidéo de présentation. Par une lettre recommandée avec avis de réception du 4 mai 2011, elle a mis en demeure la société Abrinoval de supprimer de son site Internet toutes références à l'enseigne Sésame, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la réception de la lettre.

Soutenant que cette mise en demeure était restée sans effet et que la pratique de la société Abrinoval était constitutive d'une pratique commerciale trompeuse, ainsi que de concurrence déloyale, la société Piscine Conseils l'a fait assigner en réparation devant le Tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 28 septembre 2012, assorti de l'exécution provisoire le Tribunal de commerce de Paris a :

condamné la société Abrinoval à verser à la société Piscine Conseils la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour actes de concurrence déloyale ;

condamné la société Abrinoval à payer à la société Piscine Conseils la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

ordonné l'exécution provisoire du présent jugement ;

débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires ;

Vu l'appel interjeté par la société Abrinoval le 13 novembre 2012 contre cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Abrinoval le 14 mars 2014, par lesquelles il est demandé à la cour de :

recevoir la société Abrinoval dans sa déclaration d'appel et la déclarer bien fondée.

confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 28 septembre 2012 en ce qu'il a débouté la société Piscine Conseils de sa demande de publication du jugement sur le site Internet de la société Abrinoval et d'affichage du jugement sur le stand de la société Abrinoval à la foire de Nantes.

réformer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 28 septembre 2012 pour le surplus.

Statuer à nouveau

débouter la société Piscine Conseils de sa demande de condamnation de la société Abrinoval à lui verser 50 000 € de dommages et intérêts en l'absence de préjudice avéré et compte tenu de la période limitée de publication.

ramener à de plus justes proportions l'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile allouée par le Tribunal de commerce de Paris à la société Piscine Conseils.

Reconventionnellement

condamner la société Piscine Conseils à supprimer de son site Internet www.sesamecover.com toute référence à une quelconque condamnation prononcée par le Tribunal de commerce de Paris pour concurrence déloyale à l'encontre de la société Abrinoval et ce sous astreinte de 500 € par jour de retard 8 jours après l'arrêt.

condamner la société Piscine Conseils à verser à la société Abrinoval 15 000 € à titre de dommages et intérêts pour publication malveillante d'une décision de justice sans autorisation et ce depuis plus de trois mois en violation de la décision de justice.

condamner la société Piscine Conseils à verser à la société Abrinoval une somme de 3 000,00 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Abrinoval ne nie pas avoir installé sur son site Internet les vidéos représentant des produits commercialisés par la société Piscine Conseils, mais soutient qu'elle n'a pas eu conscience de commettre une faute vis-à-vis de son concurrent et qu'elle n'a pas mis en œuvre une pratique commerciale trompeuse. Elle précise qu'elle a immédiatement réagi à réception de la mise en demeure et qu'elle en rapporte la preuve.

Elle fait valoir que la société Sésame ne rapporte pas la preuve d'un dommage matériel. Elle précise ne pas prospecter la même zone géographique que la société Sésame, que le délai de diffusion de la vidéo incriminée a été très court et ne peut expliquer la baisse du chiffre d'affaires alléguée par celle-ci.

La société Abrinoval demande en revanche la confirmation du jugement du Tribunal de Paris en ce qu'il a rejeté la demande de publication du dispositif sur la page d'accueil de son site Internet et son affichage sur le stand exploité par elle à la prochaine foire de Nantes. Elle fait valoir que ces mesures seraient disproportionnées au regard des faits qui lui sont reprochés.

Elle fait par ailleurs valoir que la société Sésame a publié le jugement dans son intégralité sur son site Internet en dépit du rejet de sa demande de publication par le tribunal et elle réclame que celle-ci soit condamnée à réparer le préjudice que cette publication lui a causé.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Sésame le 20 mars 2014, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Dire et juger recevables et fondées les demandes formulées par la société Sésame ;

Y faisant droit,

- Sur les fautes civiles délictuelles de la société Abrinoval :

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que la diffusion sur le site Internet des vidéos tournées par Sésame constitue un acte de parasitisme ;

infirmer le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas considéré que la diffusion sur le site Internet de la société Abrinoval des vidéos tournées par la société Sésame caractérise une pratique commerciale déloyale au sens des articles L. 120-1 et L. 121-1 du Code de la consommation ;

Sur les préjudices générés par les fautes de la société Abrinoval :

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que ces pratiques génèrent pour Piscine Conseils un grave trouble commercial dont cette dernière est fondée à solliciter la réparation ; infirmer le jugement entrepris en ce qui concerne les sanctions prononcées ;

En conséquence :

condamner Abrinoval à s'acquitter entre les mains de Sésame d'une somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

ordonner la publication du dispositif de la décision à intervenir sur la page d'accueil du site Internet www.abrinoval.com, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte provisoire de 5 000 euros par jour de retard, ainsi que dans trois journaux spécialisés au choix de la société Sésame ;

ordonner l'affichage du dispositif de la décision à intervenir sur le stand que la société Abrinoval exploitera sur la prochaine foire de Nantes ;

Sur la demande reconventionnelle formulée par la société Abrinoval :

dire et juger que la société Abrinoval ne rapporte pas la preuve d'une faute de la société Sésame ;

la débouter de sa demande reconventionnelle ;

débouter la société Abrinoval de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires ;

condamner la société Abrinoval à s'acquitter entre les mains de la société Sésame d'une somme de 7 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Sésame expose que la diffusion de la vidéo litigieuse par la société Abrinoval constitue une pratique de parasitisme et de concurrence déloyale. Elle ajoute que le comportement de la société Abrinoval constitue une pratique commerciale déloyale au sens de l'article L. 120-1 du Code de commerce.

L'intimée fait aussi valoir que la faute commise par la société appelante est en parfaite relation avec son préjudice qui consiste en une perte de chiffre d'affaires.

Elle conteste le bien-fondé de la demande de dommages et intérêts présentée par la société Abrinoval et précise qu'elle n'a pas commis de faute en publiant le jugement sur son site comme elle était en droit de le faire. Elle objecte que cette publication n'est pas constitutive d'un acte de dénigrement.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée, ainsi qu'aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Motifs

La société Abrinoval ne conteste pas avoir mis en ligne sur son site Internet et à son propre bénéfice la vidéo de présentation de l'abri de piscine de la société Sésame, par son président, tournée de surcroît chez un de ses clients, ainsi qu'un autre film, présentant un autre produit de cette société. Quand bien même l'appelante ait pu ne pas avoir, ainsi qu'elle l'indique, l'intention de nuire à sa concurrente, il n'en demeure pas moins qu'elle a ainsi détourné à son profit les produits créés par la société Sésame, ainsi que son travail publicitaire et s'est placée dans son sillage pour tirer profit, sans rien débourser, de son savoir-faire, de ses efforts et de ses investissements, ce qui caractérise un comportement parasitaire. Le fait que la société Abrinoval ait très rapidement, à la suite de la mise en demeure que lui a adressée la société Sésame, supprimé la vidéo en cause de son site Internet, est par ailleurs inopérant dans le cadre de la caractérisation de la pratique et ne peut avoir d'influence que dans le cadre de l'appréciation de l'étendue du dommage causé.

En revanche, la société Sésame qui émet de simples supputations à ce sujet ne rapporte pas la preuve de ce que cette pratique aurait altéré de façon substantielle le comportement économique de consommateurs et, dans ces conditions, le comportement de la société Abrinoval ne peut être qualifié de pratique commerciale déloyale au sens de l'article L. 120-1 du Code de la consommation.

Sur le préjudice de la société Sésame

Il n'est pas établi que les vidéos litigieuses aient été mises en ligne avant la date du 14 avril 2011, ce dont la société Abrinoval justifie par la production d'une attestation du chef de projet de la société Francecom, gestionnaire du fonctionnement de son site Internet, qui n'est pas sérieusement contestée par la société Sésame. L'appelante verse, de plus, aux débats une attestation de la directrice marketing de sa gestionnaire de site, qui confirme que le dirigeant de la société Abrinoval l'a appelée le 6 mai 2011 pour lui demander de retirer en urgence la vidéo du site et que ceci a été fait immédiatement. Il résulte d'un échange de courriers électroniques entre les sociétés Abrinoval et Francecom que le retrait de l'autre vidéo a été confirmé le 20 mai 2011. La période durant laquelle la diffusion litigieuse a été effectuée est donc celle écoulée entre le 14 avril et le 6 mai 2011, pour la première vidéo, et entre le 14 avril et le 20 mai 2011, pour la seconde, c'est à dire moins d'un mois pour la première et un peu plus pour la seconde.

Ainsi que le soutient la société Sésame un préjudice commercial s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale, comme le parasitisme dont elle a été victime. Il lui appartient toutefois de rapporter la preuve de l'étendue de ce préjudice. Elle fait valoir qu'il résulte de la comparaison des chiffres d'affaires qu'elle a réalisés pour les périodes du 1er janvier au 30 avril 2010 et du 1er janvier au 30 avril 2011, qu'elle a perdu un chiffre d'affaires de 143 598 euros et soutient que son préjudice résultant de la perte de marge brute pour cette dernière période est de 50 000 euros. Elle produit à ce sujet une attestation de son expert-comptable faisant état d'une perte de marge commerciale de 157 355 euros pendant les mois d'avril, mai et juin de 2011 par rapport aux mêmes mois en 2010.

La société Abrinoval ne rapporte pas la preuve de ce qu'elle n'opère pas, au moins pour partie, sur la même zone de chalandise que la société Sésame. Par ailleurs, s'il résulte des comptes de cette dernière qu'elle connaissait des pertes de chiffre d'affaires relatives à une diminution des commandes des abris de piscine pour les mois de janvier et février 2011, par rapport aux mêmes mois de l'année précédente, cette tendance a commencé à s'inverser en mars 2011 par la vente d'un abri supplémentaire, pour diminuer à nouveau en avril et mai, période des faits litigieux, laquelle est, compte tenu de l'arrivée de la saison d'été, particulièrement propice à la vente de telles installations. Cette baisse des commandes se constate aussi en juin 2011, bien que pour ce mois le chiffre d'affaires réalisé ait été supérieur au chiffre d'affaires du même mois de l'année précédente.

S'il convient de prendre en considération le fait que la société Sésame connaissait depuis 2009 une baisse générale de chiffre d'affaires qui conduit à estimer que les faits de parasitisme ne sont pas la seule cause de la baisse des commandes d'abris de piscine, il apparaît néanmoins que ses activités, y compris sur ce secteur, ont connu une croissance à partir du mois de juillet de l'année 2011, alors que les pratiques avaient cessé. Il est donc établi que la conduite parasitaire de la société Abrinoval a causé une perte de marge à la société Sésame. Par ailleurs, la société Abrinoval ne peut soutenir que la pratique ne lui a pas permis d'augmenter son chiffre d'affaires, puisque durant les mois d'avril et mai, elle a augmenté ses ventes d'abris, qui ont diminué dès qu'elle a mis fin à la diffusion des vidéos de la société Sésame. Compte tenu de l'ensemble des observations qui précèdent et sans qu'importe le fait que le dirigeant de la société Sésame ait obtenu 1 500 euros de dommages-intérêts en réparation de la violation de son droit à l'image, il convient de confirmer la juste appréciation du préjudice à 30 000 euros par le tribunal.

Sur les mesures de publications demandées

La pratique litigieuse est désormais ancienne et les éléments versés aux débats permettent de considérer que la société Abrinoval a fait preuve de bonne foi en retirant, dès que cela a été possible techniquement, les vidéos détournées. Par ailleurs, la qualification de pratique commerciale trompeuse n'étant pas constituée et les dommages subis par la société Sésame étant suffisamment réparés par l'octroi de dommages-intérêts ci-dessus fixés, ainsi que par la publication par ses soins du jugement sur son propre site, ainsi qu'il sera examiné ci-dessous, il serait disproportionné d'ordonner la publication du présent arrêt sur la page d'accueil du site Internet de la société Abrinoval, ainsi que son affichage sur le stand qu'elle exploitera sur la prochaine foire de Nantes.

Sur la demande de dommages-intérêts de la société Abrinoval

Victime de pratiques parasitaires, la société Sésame était en droit de publier le jugement reconnaissant ses droits sur son propre site, la demande de publication rejetée par le tribunal portant seulement sur le site de la société Abrinoval, auteur des pratiques. Celle-ci ne saurait, dans ces conditions, soutenir que la publication à laquelle a procédé la société Sésame avait pour seule intention de lui nuire et a constitué une faute qui lui a causé un préjudice. Sa demande de dommages-intérêts doit en conséquence être rejetée, de même que sa demande de retrait.

Sur les frais irrépétibles

Compte tenu de l'ensemble des éléments qui précèdent, il est justifié de ne pas laisser à la charge de la société Sésame l'intégralité des frais, non compris dans les dépens, qu'elle a été contrainte d'exposer pour la défense de ses droits et la société Abrinoval doit être condamnée à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : la Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Statuant au surplus, Rejette la demande de dommages-intérêts de la société Abrinoval ; Condamne la société Abrinoval à verser à la société Sésame la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes demandes autres, plus amples ou contraires des parties ; Condamne la société Abrinoval aux dépens qui seront recouvrés dans les conditions prévues par l'article 699 du Code de procédure civile.