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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 19 septembre 2014, n° 12-00352

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Guyapat (SARL)

Défendeur :

Rolex France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jacomet

Conseillers :

M. Richard, Mme Prigent

Avocats :

Mes de Maria, Testu, Fajgenbaum

T. com. Paris, du 9 déc. 2011

9 décembre 2011

Vu le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 9 décembre 2011 aux termes duquel :

- la société Guyapat a été déboutée de l'ensemble de ses demandes ;

- la société Rolex France a été déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

- la SARL Guyapat a été condamnée aux dépens et à payer à la société Rolex France 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Guyapat a interjeté appel de cette décision le 6 janvier 2012.

Vu les dernières conclusions signifiées le 16 janvier 2014 par la société Guyapat qui demande à la cour sur le fondement des articles 1382 du Code civil, L. 420-1 et L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, de :

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :

- jugé que Rolex France n'a pas rompu de façon brutale le contrat de distribution sélective qui la liait à la société Guyapat, déboutant celle-ci de sa demande de dommages-intérêts ;

- jugé que Rolex France n'a pas rompu de manière abusive ledit contrat, déboutant la société Guyapat de sa demande de dommages-intérêts pour la rupture abusive dont la société Rolex France avait eu l'initiative ;

- jugé que Rolex France ne s'est pas livrée à des pratiques anticoncurrentielles dont serait victime la société Guyapat, déboutant celle-ci de sa demande tendant à voir ses commandes honorées ;

- condamné la société Guyapat au paiement des frais irrépétibles et dépens de l'instance.

Et statuant à nouveau :

- dire que la société Rolex France a pris l'initiative d'une rupture brutale de la relation commerciale établie ;

- condamner en conséquence la société Rolex France à lui payer des dommages-intérêts pour un montant de 178 500,24 euro, hors taxes ;

- subsidiairement, ordonner une expertise, avec mission donnée à l'expert de chiffrer le préjudice subi par la société Guyapat du fait d'un préavis de rupture d'une durée insuffisante ;

- dire que la société Rolex France a rompu de manière abusive le contrat de distribution sélective ;

- condamner en conséquence la société Rolex France à lui payer des dommages-intérêts pour un montant de 3 131 418 euro hors taxes ;

- dire que Rolex France ne peut refuser d'exécuter les commandes passées par la société Guyapat, qui satisfait aux critères d'agrément prévus par le contrat de distribution sélective Rolex appliqués de manière objective ;

- enjoindre en conséquence à la société Rolex France, sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard, d'exécuter les commandes du 2 septembre 2008 et du 22 avril 2009 que lui a adressées la société Guyapat ;

- condamner la société Rolex France à verser à la société Guyapat des dommages-intérêts pour un montant de 10 000 euro hors taxes pour réparer le préjudice commercial occasionné par le refus prolongé d'exécuter les commandes susvisées ;

- donner acte à la société Guyapat qu'elle demande à être intégrée au réseau Rolex en sa qualité de distributeur agréé pour la Guyane française ;

- condamner la société Rolex France à lui payer la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Rolex France aux dépens ;

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a débouté la société Rolex France de sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 50 000 euro pour procédure abusive ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 11 mai 2014 par la société Rolex France qui demande à la cour sur le fondement des articles 1134 et 1382 du Code civil, de l'article L. 442-6, I 5° du Code de commerce, et des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

- dit que c'est à bon droit qu'elle a résilié le contrat de distribution sélective régularisé le 4 mars 2004 par la société Guyapat ;

- dit que la durée de la relation commerciale entre les sociétés Rolex France et Guyapat était de 4 ans et 2 mois ;

- dit qu'elle n'a pas rompu de façon brutale le contrat de distribution sélective qui la liait à la société Guyapat ;

- dit qu'elle n'a pas rompu de manière abusive le contrat de distribution sélective qui la liait a la société Guyapat ;

- dit qu'elle ne s'est livrée à aucune pratique anticoncurrentielle au préjudice de la société Guyapat ;

- condamné la société Guyapat à lui verser la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la société Guyapat au paiement des frais irrépétibles et dépens de première instance;

En conséquence,

- débouter la société Guyapat de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société Guyapat à lui verser la somme de 50 000 euro, à titre de dommages intérêts, pour l'exercice abusif des voies de droit à son encontre, ainsi que pour le préjudice moral en résultant et la somme de 30 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Guyapat aux entiers dépens.

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 15 mai 2014.

SUR CE

Considérant que la société Rolex France commercialise des produits d'horlogerie et d'horlogerie-joaillerie de prestige, fabriqués par sa maison mère, la société suisse Montres Rolex SA (Geneva), sous la marque Rolex ; que les montres sont commercialisées en France par le biais d'un réseau de distribution sélective ;

Considérant que la société Guyapat, anciennement société Buirette (ci-après la "Bijouterie Buirette") possède trois points de vente en Guyane française, dont deux situés à Cayenne et un situé à Kourou ; que la Bijouterie Buirette est devenue le distributeur agréé des produits Rolex pour la Guyane française ; qu'elle était à cette fin contractuellement rattachée à la société Rolex de Genève, entité suisse auprès de laquelle la Bijouterie Buirette passait l'intégralité de ses commandes pour les produits de la marque ; que les sociétés Rolex France et Guyapat étaient liées par un contrat de distribution sélective signé le 4 mars 2004 pour un point de vente situé 2 rue de Rémiré, à Cayenne ; que par courrier recommandé avec accusé de réception du 22 mai 2008, la société Rolex France a résilié le contrat de distribution qui la liait à la société Guyapat ; que le 23 mai 2008, la société Rolex France rappelait à la société Guyapat, par courrier recommandé avec accusé de réception, les obligations à sa charge lors de l'expiration du délai de préavis de 6 mois ; que la société Guyapat adressait deux nouveaux courriers à la société Rolex France, les 23 juillet et 25 août 2003, afin d'obtenir le réexamen de sa situation et sollicitait un rendez-vous qui a eu lieu au mois de septembre suivant au cours duquel la société Rolex France renouvelait sa volonté de cesser la relation commerciale ; que la société Guyapat, contestant la rupture des relations commerciales a, le 16 octobre 2009, fait assigner la société Rolex France devant le Tribunal de commerce de Paris ce qui a donné lieu au jugement déféré ;

Sur la rupture brutale des relations commerciales

Considérant que la société Guyapat fait valoir que :

- un accord de distribution sélective peut exister en dehors de tout écrit et en l'espèce, il existait depuis 1979 avec la société Montres Rolex Suisse et à partir de 2004 avec la société Rolex France, à la suite d'un transfert de compte intervenu le 1er mars 2004, lors de la signature du contrat de distribution, cette dernière ayant repris les engagements passés avec la société suisse,

- lors de la reprise de la relation commerciale avec Rolex SA Genève et de la signature du contrat de distribution de 2004, Rolex France était détenue à 99 % par la Holding suisse Rolex SA et aujourd'hui Rolex Holding SA est l'associé unique de Rolex France, détenant la totalité du capital de cette société,

- la relation commerciale s'est poursuivie de 1979 à 2004,

- l'apport partiel d'actifs a eu lieu antérieurement à la signature du contrat de distribution avec la société Rolex France ;

Considérant que la société Rolex France réplique que :

- les parties au contrat n'ont pas à fournir de motif pour résilier, sauf en cas de résiliation sans préavis,

- la société Guyapat ne peut produire aucun contrat ou échange d'accords avec la société Montres Rolex SA (Geneva),

- la société Rolex France n'a jamais manifesté la volonté de se substituer à la société Montres Rolex SA (Geneva), et il n'y a pas eu novation par changement de débiteur,

- la société Rolex France est une tête de réseau autonome et il n'y a pas eu de transfert de compte opéré entre les deux sociétés Rolex,

- la société Guyapat ne démontre pas qu'elle entretient une relation commerciale avec la société Montres Rolex SA (Geneva) depuis 1979,

- le transfert par la SA Buirette, distributeur agréé, du contrat de distribution à la société Guyapat, société tierce, devait être soumis à l'accord express et préalable du fournisseur,

Considérant que l'article L. 442-6 du Code de commerce dispose que :

"I.- Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

(...) 5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. (...) ;

Considérant que la société Rolex France commercialise, des produits d'horlogerie et d'horlogerie-joaillerie de prestige, fabriqués par sa maison mère, la société suisse Montres Rolex SA (Geneva), sous la marque Rolex ; que la société Guyapat verse aux débats les pièces suivantes pour déterminer la nature du contrat liant la société Buirette à la société suisse Montres Rolex SA (Geneva) : par télécopie adressée à la société Buirette, le 30 septembre 1993 faisant suite à une lettre du 1er septembre 1993 envoyée par la société Buirette pour signaler la vente de produits Rolex en Guyane par un distributeur non-agréé, la société "Trésor Nature", Rolex Genève indique "nous avons prié nos amis de Rolex Paris de prendre toutes les mesures nécessaires afin d'arrêter le réseau de vente parallèle de vente en Guyane Française" ; et aussi : "il nous serait utile de connaître les numéros de série des 10 Rolex qui sont proposées à la vente par le magasin qui n'est pas distributeur officiel Rolex, la maison "Trésor Nature" ; que la société Guyapat verse au débat une enveloppe Rolex adressée à la Bijouterie Buirette en date du 2 juillet 1991 ainsi que plusieurs factures Rolex en date de 1992 d'outillage et de marchandises, ainsi qu'un extrait de coupure de presse du journal quotidien "la presse de Guyane" en date du 20 juillet 1982, dont l'authenticité est attestée par la directrice des archives départementales et dans lequel apparaît une publicité pour les montres Rolex avec l'indication du distributeur pour la Guyane, à savoir "Buirette"

;

Considérant que si l'absence d'écrit ne permet pas d'emblée de déterminer la nature du contrat liant la société Guyapat et la société suisse Montres Rolex SA (Geneva), celle-ci ne peut contester commercialiser ses produits de manière sélective dans un réseau de distribution choisi par elle et répondant aux critères qu'elle a définis ce qui est corroboré par les pièces versées par la société Guyapat ; qu'il est ainsi démontré que ces produits sont commercialisés par le biais d'un réseau de distribution sélective contrairement à ce qu'a retenu le tribunal ; que les relations commerciales entre la société Buirette devenue la société Guyapat et la société suisse Montres Rolex SA (Geneva), existaient dès 1982, sans contrat écrit, au vu de la publicité parue dans le quotidien "la presse de Guyane" ; qu'il y a lieu de constater que si la société Rolex France a signé un contrat de distribution sélective avec la société Guyapat au vu des garanties qu'elle présentait quant à la commercialisation des montres de la marque Rolex, la signature du contrat de distribution par la société Rolex France repose sur l'accord des parties et ne s'est pas effectuée dans le cadre d'une transmission automatique du fait de l'appartenance de la société Guyapat au réseau de distribution Rolex ; que le changement de cocontractant ne peut être assimilé à un simple transfert de comptes entre sociétés ;

Considérant que par courrier du 3 février 2004 la société Rolex France, a rappelé à la société Guyapat les points principaux relatifs à le son entrée en relation d'affaires évoquée lors de leur entrevue à Paris le 9 septembre 2003 et a adressé un exemplaire de son propre contrat de distribution sélective à la société Guyapat en lui demandant de bien vouloir lui retourner un extrait K-bis, un relevé d'identité bancaire ainsi que la liste de son stock

- de lui faire parvenir ses propres conditions générales de vente ;

- de lui adresser également ses propres tarifs ;

- de préciser que "seul le point de vente situé 2, rue Rémire, à Cayenne, est agréé" ;

- d'indiquer à la société Guyapat qu'un stage de formation de son horloger devrait être effectué, courant 2004 ;

- de lui préciser "qu'une campagne qualitative biannuelle devrait être élaborée" ;

- de lui indiquer que différents décors fabriqués, de même que plusieurs éléments de PLV lui seraient adressés dès réception du plan de l'ensemble de ses vitrines (extérieures et intérieures) ;

Que ces pièces et démarches à effectuer étaient nécessaires à l'exécution du contrat sans que l'on puisse en déduire une indépendance totale du lien commercial ; qu'il y a lieu de souligner que lors de la reprise de la relation commerciale avec Rolex SA Genève et de la signature du contrat de distribution de 2004, Rolex France était détenue à 99 % par la Holding suisse Rolex SA et qu'actuellement Rolex Holding SA est l'associé unique de Rolex France, détenant la totalité du capital de cette société comme le démontrent l'extrait des comptes sociaux de Rolex France pour l'année 2004 et le procès-verbal des décisions de l'associé unique Rolex France du 20 juin 2011 versés aux débats ;

Considérant qu'avant de résilier son contrat avec la société suisse Montres Rolex SA (Geneva), la société Guyapat a sollicité son admission auprès de la société Rolex France pour la distribution de ses produits et que celle-ci a signé un contrat de distribution sélective poursuivant ainsi la relation existant entre les deux premières sociétés, en bénéficiant de l'expérience acquise par la société Guyapat auprès de la société suisse Montres Rolex SA (Geneva) ; que les produits vendus sont similaires et en qualité de fabricant de ceux-ci, cette dernière retire un bénéficie de leur commercialisation par la société Rolex France par l'intermédiaire de la société Guyapat ; que le fait d'introduire un intermédiaire ne supprime pas l'existence de la relation commerciale existant nécessairement entre le fabricant et le détaillant ; que l'indépendance commerciale, juridique et financière invoquée par la société Rolex France par rapport à la société suisse Montres Rolex SA (Geneva) outre qu'elle n'est pas démontrée ne peut être opposée à la société Guyapat pour réduire la durée de la relation commerciale alors que le flux commercial relatif à la vente de produits similaires s'est poursuivi sur une période d'au moins 22 ans ;

Qu'enfin, sur la cession partielle d'actif, la société suisse Montres Rolex SA a continué à livrer la Bijouterie Buirette postérieurement à la modification juridique de celle-ci, sans formuler aucune observation bien qu'elle ait eu connaissance de cette transformation, la SARL Guyapat ayant succédé à la société Buirette ; que le magasin géré par la SARL Guyapat, point de vente agréé Rolex est resté dans les mêmes locaux que ceux de la précédente enseigne "Buirette" avec le même personnel ; que cet apport partiel d'actifs réalisé pour des motifs d'ordre familial et patrimonial, selon les dires de la société Guyapat, n'a pas modifié les relations commerciales existantes ; que cette modification juridique est intervenue antérieurement à la signature du contrat de distribution et n'a pas constitué un obstacle à la poursuite des relations avec la société Rolex France ;

Considérant que justifiant d'une relation commerciale établie depuis au moins 1982 soit 22 ans, la durée du préavis de 7 mois accordée à la société Guyapat était insuffisante ce qui caractérise la brutalité de la rupture et justifie une indemnisation ; qu'une durée de préavis de 20 mois était nécessaire pour lui permettre de réorienter ses activités ou retrouver un réseau de distribution équivalent s'agissant de produits d'horlogerie de prestige ; que la société Guyapat pouvait donc prétendre à cette durée de préavis sans que la société Rolex France puisse lui opposer l'absence de préjudice aux motifs qu'elle n'avait pas à réorganiser son activité et qu'elle avait d'autres fournisseurs ;

Considérant que le préjudice de la société Guyapat sera indemnisé sur la base de la marge brute calculée sur le chiffre d'affaires des deux derniers années, l'augmentation du chiffre d'affaires ne justifiant pas que soient retenus les résultats de la seule dernière année d'exercice ; que le montant du chiffre d'affaire s'élève à la somme de 137 091 euro pour l'année 2007 et à la somme de 194 022 euro pour l'année 2008 au vu des propres pièces produites par la société Rolex France qui ne peut donc les contester ; que l'expert-comptable de la société Guyapat atteste le 25 juillet 2012 que le taux de marge brute pour la commercialisation des montres Rolex s'élève à 46,40 % qui sera arrondie à 46 % ; que la société Guyapat ayant bénéficié d'un préavis de 7 mois, l'indemnisation sera équivalente à 13 mois de préavis ;

Que le préjudice de la société Guyapat doit être évaluée ainsi à 137 091 euro (année 2007) + 194 022 euro (année 2008)= 331 113 euro X 46 % (marge brute) = 152 311,98 euro pour 24 mois soit 6 346,33 euro pour un mois, 6 346,33 euro X 13 mois = 82 502,29 euro ;

Considérant que le jugement sera réformé en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Guyapat au titre de la rupture brutale des relations commerciales et la société Rolex France sera condamnée à verser à celle-ci la somme de 82 502,29 euro en réparation de son préjudice ; que s'agissant d'une indemnisation, il n'y a pas lieu à application à TVA ;

Sur le caractère abusif de la rupture

Considérant que la société Guyapat fait valoir que :

- elle n'a été informée de la proposition de la société Rolex France de reporter le terme du préavis au 31 décembre 2008 qu'aux termes d'un courrier du 4 mai 2009, soit plusieurs mois après l'expiration du terme du préavis contractuel prenant fin le 22 novembre 2008 ; le report du terme du préavis, sans que le distributeur en soit informé au préalable, s'analyse en une reconduction tacite du contrat, de sorte qu'une nouvelle résiliation aurait dû intervenir, avec un nouveau préavis ;

- la société Rolex France a fondé sa décision de rompre le contrat sur une inexécution imaginaire dont la Bijouterie Buirette se serait rendue coupable, à savoir l'insuffisance du chiffre d'affaires réalisé par cette dernière ; les motifs de la rupture du contrat ont leur importance dès lors qu'ils participent à l'appréciation du caractère abusif de la rupture de la relation commerciale ;

- elle a procédé au réaménagement complet de son magasin et à la création d'un mobilier spécifique, et ne peut recueillir les fruits de ses investissements ce qui caractérise une rupture de contrat abusive ;

Considérant que la société Rolex France réplique que :

- aucune reconduction tacite du contrat n'a été consentie à la société Guyapat ;

- la société Guyapat avait connaissance du terme in fine pour son préavis et le contrat n'avait pas été renouvelé ;

- la résiliation du contrat de distribution pouvait être prononcée sans motif ;

- aucune demande de travaux n'a été formée par elle et les factures produites par la société Guyapat sont relatives pour la plupart à un autre point de vente ;

Considérant que le fournisseur peut résilier à tout moment un contrat de distribution à durée indéterminée sous réserve de respecter un préavis suffisant, l'abus pouvant provenir des circonstances qui entourent la rupture ; que si la société Rolex France a évoqué une insuffisance du chiffre d'affaires liée à la vente des montres Rolex aux termes de sa lettre de résiliation, cet élément ne peut en l'espèce caractériser une rupture abusive, un même montant du chiffre d'affaires n'ayant pas la même incidence pour le distributeur et le fournisseur, qui est libre d'organiser son réseau de distribution en fonction de ses objectifs ;

Considérant que le courrier adressé par le conseil de la société Guyapat à la société Rolex France le 25 mars 2009 n'évoque pas une tacite reconduction du contrat ; que le 4 mai 2009, la société Rolex France rappelait la notification de la résiliation du contrat en date du 22 mai 2008 et la prorogation de délai accordé jusqu'au 31 décembre 2008 ; qu'un entretien avait eu lieu à Paris au mois de septembre 2008 entre les parties et l'absence d'échanges quant à cette prolongation de préavis démontre qu'il a été consenti pour préserver les ventes de fin d'année comme le soutient la société Rolex France sans qu'aucune conséquence puisse en être retirée quant à une reconduction du contrat et qu'il puisse être retenu une méconnaissance de la société Guyapat de la prolongation du préavis puisqu'il a été effectué sans observation ;

Considérant que si la société Guyapat a connu une perte de chiffre d'affaires en relation avec la résiliation du contrat, l'indemnisation de la rupture brutale a compensé cette perte et a eu pour objet de permettre à celle-ci de réorienter ses activités ;

Considérant que par courrier du 9 octobre 2007, la société Rolex France a refusé à la société Guyapat l'ouverture d'un "corner" Rolex dans son magasin en raison du nombre insuffisant de vente de montres et non en raison de critères d'aménagement ; qu'il n'est établi aucune demande de travaux de réaménagement du magasin émanant de la société Rolex France ; qu'il est versé aux débats une attestation rédigée le 5 juillet 2010 par le gérant du cabinet d'architecte ayant réalisé les prestations de transformation que deux points de vente avaient été réaménagés et il évoque la bijouterie "La Palme d'Or" qui a été entièrement repensée à la demande du gérant, M. Damien Buirette, afin de réaliser une boutique haut de gamme mais ne donne pas de détails sur les travaux réalisés dans la bijouterie Buirette, distributeur Rolex ; que les factures produites ne permettent pas de distinguer les travaux réalisés dans chaque boutique et sont pour nombre d'entre elles postérieures à la résiliation du contrat ; que la société Guyapat ne rapporte pas la preuve que les travaux ont été réalisés dans l'intérêt exclusif du partenariat avec la société Rolex France ;

Considérant que la société Guyapat ne démontrant pas le caractère abusif de la résiliation du contrat sera déboutée de sa demande d'indemnisation de ce chef ;

Considérant que la société Guyapat ne démontre ni l'existence d'actes déloyaux ni de dénigrement, lors de la rupture du contrat, de la part de la société Rolex France portant atteinte à l'image de l'appelante qui ne rapporte pas la preuve d'un préjudice de cette nature ; que le jugement sera confirmé sur ce point ;

Sur l'existence d'une discrimination

Considérant que la société Guyapat expose qu'exclue du réseau de distribution Rolex, elle a, par courrier du 3 juin 2009 demandé à la société Rolex France son intégration dans le réseau de distribution sélective ; que la société Rolex France n'a pas jugé utile de répondre à cette demande et ce, bien que le promoteur du réseau soit tenu de faire connaître les motifs concrets de son refus d'agrément, l'égalité de traitement entre les distributeurs étant une condition de licéité du réseau de distribution sélective au regard de l'interdiction des ententes ; que lorsque la société Rolex France a mis fin au contrat de distribution avec la société Guyapat en 2008, le fait que la société Guyapat n'aurait plus satisfait à un ou plusieurs des critères d'agrément du réseau n'a jamais été évoqué ; que le fournisseur est dans l'obligation de continuer à approvisionner le distributeur si ce dernier répond aux conditions d'agrément sinon il adopte un comportement discriminatoire à l'égard d'un opérateur économique, et par le fait même transforme son réseau en entente illicite ;

Considérant que la société Rolex France répond que le refus de vente ne constitue plus une faute depuis la loi du 1er juillet 1996 sauf s'il résulte d'une entente, d'un abus de position dominante, d'un abus de droit ou de la mise en œuvre d'une pratique restrictive visée à l'article L. 442-6 du Code de commerce ; que la loi du 4 août 2008 dite de modernisation de l'économie a mis fin à l'interdiction des discriminations en tant que pratique restrictive de concurrence ; que les distributeurs agréés remplissent tous les mêmes critères, appliqués de façon identique ; que compte tenu de sa part de marché, elle n'est pas en mesure de pouvoir fournir tous les candidats à son réseau de distribution sous peine de le désorganiser ; qu'elle conserve la prérogative d'accorder ou non des agréments sans que ses motivations puissent être contestées ;

Considérant que la société Guyapat ne conteste pas la régularité du contrat de distribution mais dénonce une pratique discriminatoire à son égard ; que cependant, la loi du 4 août 2008 a supprimé l'interdiction des pratiques discriminatoires à compter de son entrée en vigueur soit le 4 août 2008 ; qu'outre le fait que la discrimination, n'est plus interdite en droit commercial, la société Rolex qui a une part de marché inférieure à 30 % bénéficie en conséquence de l'exemption automatique du règlement n° 330-2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3 du traité de fonctionnement du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées ;

Considérant que la société Rolex France a résilié le contrat sans avoir à donner de motifs et qu'elle a été sanctionnée uniquement pour ne pas avoir respecté un préavis suffisant ; qu'elle n'a jamais invoqué que la société Guyapat ne remplissait pas les conditions pour obtenir l'agrément ; que la résiliation résulte de sa volonté de réorganiser son réseau de distribution ce qui relève de son choix personnel dès lors qu'il n'est pas démontré que cette pratique nuit au bon fonctionnement du marché et a pour conséquence de porter atteinte de manière sensible à la concurrence ; que la société Guyapat demeure libre de vendre des produits concurrents de ceux de la marque Rolex ; que le nombre de marques fabriquant de l'horlogerie de luxe et de prestige est conséquent ; que l'appelante ne rapporte pas la preuve d'une entente de nature à affecter le fonctionnement concurrentiel du marché de l'horlogerie de luxe et de prestige au vu des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ; qu'en raison de sa part de marché inférieure à 30 %, la société Rolex France n'avait pas l'obligation de répondre à la nouvelle demande d'agrément de la société Guyapat ni à sa demande de fourniture de montres alors même qu'elle venait de mettre fin au contrat de distribution sélective et qu'elle était fondée à limiter voire à réduire le nombre de ses distributeurs sans avoir à se justifier ; que la société Guyapat sera déboutée de sa demande de réparation à ce titre ;

Considérant que le jugement sera confirmé sur ce point ;

Considérant qu'une demande de donné acte ne constitue pas une demande en justice ; qu'il n'y a donc pas lieu d'examiner la demande de la société Guyapat qui sollicite qu'il lui soit donné acte qu'elle demande à être intégrée au réseau Rolex en sa qualité de distributeur agréé pour la Guyane française ;

Sur la demande reconventionnelle de la société Rolex France

Considérant qu'il a été partiellement fait droit aux demandes de la société Guyapat ce qui exclut que soit retenue à son encontre l'existence d'une procédure abusive ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de la société Rolex France pour procédure abusive ;

Considérant qu'il y a lieu de condamner la société Guyapat à verser à la société Rolex France la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, cette dernière étant déboutée de sa demande de ce chef ;

Considérant que la société Rolex France assumera la charge des dépens de première instance et d'appel ;

Par ces motifs LA COUR, Réforme le jugement en ce qu'il a rejeté les demande de la société Guyapat au titre de la rupture brutale des relations commerciales, les frais irrépétibles et les dépens, Le confirme pour le surplus, Statuant à nouveau, Dit que la société Rolex France a rompu brutalement les relations commerciales qu'elle entretenait avec la société Guyapat, Condamne la société Rolex France à payer à la société Guyapat la somme de 82 502,29 euro à titre de dommages et intérêts, Condamne la société Rolex France à payer à la société Guyapat la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toute autre demande, Condamne la société Rolex France aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.