CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 18 septembre 2014, n° 12-20289
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Rivlyn (SARL)
Défendeur :
V Fortuna (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
M. Douvreleur, Mme Michel-Amsellem
Avocats :
Mes Bitan, Guizard, Falte
Faits et procédure
La société V Fortuna est fabricante de prêt-à-porter et distribue ses collections auprès de différentes enseignes.
En 2008 elle a engagé des relations commerciales avec la société Rivlyn à l'occasion de la distribution de ses articles.
La société Rivlyn affirme que la société V Fortuna ne lui a pas réglé une facture de 10 370, 34 euro correspondant à ses services d'agent commercial au cours du 1er trimestre 2010 et qu'elle a avisé sa clientèle de l'arrêt de leurs relations commerciales sans l'en avoir préalablement informée.
Après avoir adressé une mise en demeure à la société V Fortuna demeurée sans réponse, la société Rivlyn a fait assigner la société V Fortuna le 7 juillet 2010 en paiement de sa facture et en réparation de la rupture de son contrat d'agent commercial.
Par jugement du 2 juillet 2012, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a :
- condamne la société V Fortuna à verser à la société Rivlyn la somme de 4 328 euro à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
- condamné la société V Fortuna à payer à la société Rivlyn la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'appel interjeté le 12 novembre 2012 par la société Rivlyn contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées le 8 mai 2014 par la société Rivlyn, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Paris, 13e chambre, en date du 2 juillet 2012,
- constater la nature de l'activité de l'appelante et dire qu'un contrat d'agent commercial a lié les parties,
- constater la rupture du contrat d'agent commercial et la dire imputable à l'intimée
- dire cette rupture illégitime,
- dire cette rupture abusive,
- statuer ce que de droit sur les demandes, indemnités et dommages-intérêts sollicités par l'appelante et notamment,
Avant dire droit,
- faire injonction à la société V Fortuna, de produire toutes pièces et livres comptables dûment certifiés par un expert-comptable permettant au tribunal et au requérant de prendre connaissance de la réalité des chiffres en cause et des commissions dues,
- condamner la société V Fortuna à régler à l'appelante le montant des commissions dues à ce dernier,
Dès à présent,
- condamner la société V Fortuna à régler à l'appelante la somme de 9 346,54 euro à titre d'indemnité de préavis,
- condamner la société V Fortuna à régler à l'appelante la somme de 10 370,34 euro au titre des commissions connues et dues à ce jour,
- dire que cette condamnation sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 juin 2010, date de sa mise en demeure de régler cette somme,
- condamner la société V Fortuna à régler à l'appelante la somme de 74 772,24 euro à titre d'indemnité de clientèle,
- condamner la société V Fortuna à régler à l'appelante la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts au titre de son préjudice moral,
- condamner la société V Fortuna à payer à la société Rivlyn, la somme de 4 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure de première instance,
- condamner la société V Fortuna à payer à la société Rivlyn, la somme de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de présente instance.
L'appelante soutient qu'elle avait bien la qualité d'agence commerciale puisqu'elle a rempli les missions qui sont celles de l'agent commercial, intervenant dès le début de la relation avec le client et tout au long de celle-ci en lui présentant notamment les nouveaux modèles de collection, en négociant les prix, en recevant les commandes et en assurant la bonne livraison des marchandises.
Elle fait également valoir qu'elle a apporté ses nouveaux clients à la société V Fortuna et que certaines des sociétés démarchées par elles n'avaient jamais travaillé avec V Fortuna ou que d'autres avaient travaillé dans le passé avec cette dernière, mais ne travaillaient plus depuis plusieurs années et n'avaient plus de lien avec elle.
Elle expose que la rupture de la société V Fortuna était illicite, abusive et brutale, et qu'elle est ainsi la cause d'un préjudice important pour elle dans la mesure où elle n'a bénéficié d'aucun préavis et qu'elle doit être indemnisée, ajoutant que la dernière facture qu'elle a établie au titre de ses commissions ne lui a pas été réglée.
Elle affirme enfin que le comportement de la société V Fortuna ayant été particulièrement déloyale, elle lui causé un préjudice moral ouvrant droit à réparation.
Vu les dernières conclusions signifiées le 8 avril 2014 par la société V Fortuna, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- dire et juger que Rivlyn ne justifie pas être en mesure de baser ses prétentions sur les prestations ponctuelles ayant pu être accomplies par le passé par M. Benais pour le compte de V Fortuna et, par conséquent, la débouter de ses demandes, fins et conclusions ; dire et juger que Rivlyn est défaillante dans la preuve qui lui incombe de justifier de la réalité et de la nature de la prestation d'agent commercial qu'elle invoque, puisqu'elle ne communique aucun document de nature à étayer ses prétentions.
En conséquence,
- confirmer le jugement rendu le 2 juillet 2012 par la 13e chambre du Tribunal de commerce de paris, sauf en ce qu'il a condamné V Fortuna à verser à la SARL Rivlyn la somme de 4 328 euro à titre de dommages et intérêts et la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Et statuant à nouveau sur ces points,
- débouter Rivlyn de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions et notamment de dommages et intérêts à titre d'indemnité de préavis et aux frais irrépétibles.
En tout état de cause,
- condamner Rivlyn à payer à V Fortuna une somme de 10 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'intimée soutient que la société Rivlyn n'apporte aucune preuve de sa qualité d'agence commerciale dès lors qu'elle ne justifie pas que M. Benais qui intervenait auprès des clients avait effectivement qualité pour la représenter et qu'en toute hypothèse il avait des tâches ponctuelles qui présentaient un caractère technique.
Elle conteste enfin sa condamnation à payer des dommages et intérêts à titre d'indemnité de préavis dans la mesure où elle pouvait y mettre fin, le versement des dernières commissions versées ayant tenu lieu d'indemnité de préavis.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la qualité de la société Rivlyn :
Considérant que la société Rivlyn soutient qu'elle avait bien la qualité d'agence commerciale puisque d'une part, elle a rempli les missions de l'agent commercial et que d'autre part, elle intervenait dès le départ de la relation, en présentant notamment les nouveaux modèles de collection, en négociant le prix de vente, en assurant le suivi de la relation avec le client, en recevant les commandes et en assurant le suivi de la bonne livraison des marchandises ; qu'elle ajoute avoir apporté de nouveaux clients à la société V Fortuna et rétabli des relations avec deux clients qui avaient cessé de s'approvisionner auprès d'elle.
Considérant que la société Fortuna soutient que la société Rivlyn formule sa demande en la justifiant par des prestations qui ont été accomplies exclusivement par M. Benais qui n'était pas son gérant et alors qu'elle ne justifie d'aucun lien qui aurait permis à celui-ci d'intervenir pour son compte.
Considérant qu'il résulte du Kbis de la société Rivlyn que celle-ci exerce entre autres une activité d'agent commercial ; qu'il résulte des pièces produites qu'elle a été rémunérée par la société Fortuna selon une commission forfaitaire basée sur le chiffre d'affaires qu'elle réalisait ; que la société Fortuna a réglé ses factures sans contestation.
Considérant qu'il résulte de ces éléments que ni la société Rivlyn, ni la société Fortuna ne remettent en cause l'intervention de M. Benais, ni la rémunération versée à ce titre par la société Fortuna à la société Rivlyn ; que dès lors, si la situation juridique de M. Benais au sein de la société Rivlyn n'est pas justifiée, il n'en demeure pas moins que la société Fortuna ne conteste pas avoir eu une relation commerciale avec la société Rivlyn et avoir bénéficié des prestations réalisées par M. Benais, indiquant que celui-ci s'était présenté comme le gérant de fait de la société Rivlyn dont Mme Benais est la gérante de droit ; qu'il résulte de ces éléments que la société Fortuna a entretenu des relations commerciales avec la société Rivlyn sous le couvert de son dirigeant de fait M. Benais, relations que la société Rivlyn qualifie comme étant des prestations d'agent commercial.
Considérant que la société Fortuna le conteste faisant valoir que M. Benais n'intervenait que sur des aspects techniques des éléments de prêt-à-porter vendus à ses clients.
Considérant que l'article L. 134-1 du Code de commerce définit l'agent commercial comme "un mandataire qui, à titre de profession indépendante sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé de façon permanente, de négocier et éventuellement de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale".
Considérant que peu importe que l'agent n'ait pas le pouvoir de signer les contrats conclus dès lors qu'il a pouvoir de les négocier.
Considérant que la société Rivlyn ne conteste pas que M. Benais a eu un rôle technique en ce qu'il était amené à présenter aux clients des échantillons et à faire réaliser des modifications de ceux-ci avant de parvenir à l'obtention d'une commande ; qu'elle affirme aussi qu'il intervenait à tous les stades de la relation avec le client dont celui de la négociation des prix des produits ; qu'elle verse des échanges de correspondances avec les clients démontrant son implication dans les différentes phases de la relation avec le client à savoir :
- la présentation de nouveaux modèles,
- le suivi de la relation avec le client,
- la réception des observations et demandes des clients,
- la négociation des prix,
- la réception des commandes,
- le suivi de la livraison.
Considérant que si les bons de commande produits ne comportent pas la mention de M. Benais, les nombreuses correspondances produites par la société Rivlyn mettent en évidence que les clients ont confirmé directement à celui-ci des commandes en termes de prix, de quantité et de date de livraison.
Considérant que la société Rivlyn affirme avoir apporté de nouveaux clients à la société Fortuna ; que celle-ci soutient seulement que pour deux clients, la société Armand Thiery et la société Bréal, celles-ci étaient ses clientes avant août 2008, date du début des activités de M. Benais ; que la société Rivlyn ne conteste pas qu'il s'agissait d'anciens clients de la société Fortuna mais soutient que ceux-ci avaient cessé de lui passer commande et qu'elle a réussi à rétablir des relations commerciales ; que les échanges de courriels avec ces deux clients démontrent une relation suivie avec M. Benais portant sur des négociations en terme de prix et de quantité, quand bien même la société Fortuna produit une attestation de la société Armand Thiery faisant état d'une relation nouée en 2004 par M. Benesty ; qu'en toute hypothèse le statut d'agent commercial n'exige pas que celui-ci travaille exclusivement avec de nouveaux clients dont il aurait fait l'apport.
Considérant que la société Rivlyn verse aux débats une attestation de Mme Coy, styliste au sein de la société Multiples d'août 2008 à décembre 2010 qui indique avoir eu affaire à M. Benais "représentant commercialement la société V Fortuna", précisant "Il nous a présenté pour la première fois cette société en 2008 avec des modèles de robes, jupes, pantalons, tee-shirts... Je précise que nous n'avions jamais travaillé avec la société V Fortuna avant que M. Benais nous la fasse connaître" ; que, si la société Fortuna critique cette attestation en ce que Mme Coy n'avait ni pouvoir décisionnel, ni connaissance de l'historique des relations ayant existé entre les deux sociétés, elle n'apporte aucun élément permettant de la remettre en cause ; qu'elle démontre l'activité de prospection de M. Benais.
Considérant qu'il résulte de ces éléments que la société Rivlyn a eu, à travers son représentant de fait, M. Benais, une activité d'agent commercial, laquelle était connue et acceptée par la société Fortuna ; qu'il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris.
Sur le préavis
Considérant que la société V Fortuna a mis fin sans aucun préavis à l'activité de son agent, indiquant seulement à ses clients qu'elle cessait ses relations avec celui-ci, commerçant dès lors directement avec eux, alors même qu'à aucun moment elle n'avait adressé le moindre grief à son agent.
Considérant qu'aux termes de l'article L. 134-11 "La durée du préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée et de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes".
Considérant que la relation entre les parties a débuté en 2008 et a été rompue à la fin de l'année 2009 ; que, si à la fin de l'année 2009, la société V Fortuna a avisé les clients de la rupture de ses relations avec son agent, elle n'a adressé aucune notification à ce dernier.
Qu'il résulte de ces éléments que la société V Fortuna aurait dû donner un préavis de deux mois à son agent.
Considérant que la société Rivlyn fait état d'un chiffre d'affaires de :
- 15 125,07 euro en 2008,
- 36 814,8 euro en 2009,
- 10 370 euro en 2010 pour les trois premiers mois.
Qu'il s'ensuit un chiffre d'affaires mensuel moyen de 3 115,51 euro et qu'il y a lieu de chiffrer le préjudice subi au titre du préavis non exécuté à la somme de 6 231,02 euro.
Sur les commissions
Considérant que la société Rivlyn fait valoir qu'elle est créancière d'une somme de 10 370,34 euro au titre de sa facture du 30 mars 2010.
Considérant qu'elle ne conteste pas que la société V Fortuna avait rompu la relation les liant et qu'elle en avait avisé ses clients ; que dans ces conditions la société Rivlyn ne démontre pas avoir pu poursuivre avec ces clients son mandat d'agent commercial et avoir reçu des commandes pour le compte de son mandant ; que dès lors elle ne saurait demander paiement d'une facture correspondant au premier trimestre 2010 puisqu'elle n'avait plus de mandat.
Considérant que c'est à juste titre que les premiers juges ont débouté la société Rivlyn de sa demande de paiement de sa facture.
Considérant que la société Rivlyn affirme que d'autres commissions pourraient lui être dues sans pour autant prétendre avoir exécuté des prestations de nature à lui ouvrir droit à des commissions ; que dès lors à défaut de justifier de prestations réalisées entrainant droit à commissions, elle ne saurait justifier d'une demande de production de documents comptables internes à la société V Fortuna pour en vérifier le calcul.
Sur l'indemnité de clientèle :
Considérant que l'article L. 134-12 du Code de commerce dispose que "En cas de cessation de ses relations avec son mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi".
Considérant que la société Rivlyn créée en 2001 a des activités très diversifiées, à savoir la prestation de service en textile, bijouterie fantaisie, maroquinerie, achat, vente, export, fabrication de prêt-à-porter et enfin celle d'agent commercial de sorte que cette dernière activité qui s'est déroulée avec la société Fortuna sur une période d'un peu plus de deux ans apparaît résiduelle.
Considérant que l'indemnité compensatrice a pour objet de réparer le préjudice que subit l'agent commercial du fait de la rupture en ce qu'il ne bénéficie plus du revenu créé par le réseau de la clientèle ; que toutefois le kbis de la société Rivlyn démontre qu'elle était implantée dans le domaine du prêt-à-porter, exerçant des activités diverses ; qu'elle ne justifie pas qu'elle aurait été totalement privée du réseau de clients auprès desquels elle est intervenue pour distribuer les produits de la société Fortuna ; qu'il y a lieu de lui allouer une indemnité compensatrice de 3 mois soit la somme de 9 346,54 euro.
Sur le préjudice moral ;
Considérant que la société Rivlyn fait valoir qu'elle a subi un préjudice moral en ce que la société V Fortuna a avisé ses clients sans l'avoir au préalable avisée.
Considérant que cette attitude a créé une confusion chez les clients préjudiciable à M. Benais et à sa société ; qu'il y a lieu de retenir un préjudice moral et de fixer son indemnisation à la somme de 1 000 euro.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que la société Rivlyn a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif.
Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement déféré, Condamne la société V Fortuna à payer à la société Rivlyn la somme de 6 231,02 euro au titre de l'indemnité de préavis, Condamne la société V Fortuna à payer à la société Rivlyn la somme de 10 370,34 euro au titre de l'indemnité compensatrice, Condamne la société V Fortuna à payer à la société Rivlyn la somme de 1 000 euro au titre de son préjudice moral, Rejette toute autre demande, fin ou conclusion plus ample ou contraire, Condamne la société V Fortuna à payer à la société Rivlyn la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société V Fortuna aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.