CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 18 septembre 2014, n° 12-23001
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Lyreco (SAS)
Défendeur :
Transport National Régulier (EURL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
M. Douvreleur, Mme Michel-Amsellem
Avocats :
Mes Belfayol Broquet, Andreo, de La Taille, Tallent
Faits et procédure
Monsieur Philippe Chevalier exerçait l'activité de transport routier en nom personnel jusqu'en avril 2009/décembre 2008, date à laquelle il a créé l'EURL Transport National Régulier (société TNR) et lui a apporté son fonds de commerce.
La société Lyreco a pour activité la distribution de fournitures de bureau à destination des professionnels. Depuis janvier 2004 et jusqu'en janvier 2009, elle confiait des prestations de transport et de livraison à M. Chevalier. A partir d'avril 2009, elle a poursuivi la même activité avec la société TNR créée par M. Chevalier.
Les relations commerciales entre la société Lyreco et la société TNR ont pris fin en juillet 2010.
Par acte du 26 juillet 2011, la société TNR a assigné la société Lyreco devant le Tribunal de commerce de Lyon en demandant sa condamnation pour rupture brutale des relations commerciales qui étaient établies entre elles.
Vu le jugement rendu le 15 octobre 2012, assorti de l'exécution provisoire, par lequel le
Tribunal de commerce de Lyon a :
- dit que la société Lyreco a rompu brutalement la relation commerciale établie avec la société TNR depuis 2004 ;
- condamné la société Lyreco à réparer le préjudice subi par la société TNR ;
- arrêté le préjudice de la société TNR à 10 000 euro ;
- condamné la société Lyreco à payer à la société TNR la somme de 10 000 euro ;
- condamné la société Lyreco à verser la somme de 750 euro à la société TNR au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'appel interjeté par la société Lyreco le 18 décembre 2012 contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Lyreco le 6 juin 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- dire et juger recevable l'appel interjeté par la société Lyreco à l'encontre du jugement du Tribunal de commerce de Lyon du 15 octobre 2012 ;
- l'infirmer dans toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau,
Sur l'irrecevabilité des prétentions formées par la société TNR sur la base de relations qui ne sont pas les siennes,
- constater que la société TNR est irrecevable à se prévaloir, sous le visa des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, de relations antérieures à sa création et d'un chiffre d'affaires qui n'est pas le sien ;
En conséquence,
- dire et juger que les prétentions formées par la société TNR, sur la base d'éléments ou d'actes antérieurs au début de son activité, qui a démarré le 6 avril 2009, et qui concernent une entité juridique distincte, se heurtent à une fin de non-recevoir, tirée du défaut de qualité à agir ;
- débouter la société TNR de l'intégralité de ses prétentions, conclusions, fins et moyens fondés sur des éléments ou des actes antérieurs au début de son activité en date du 6 avril 2009.
Sur l'absence de relation commerciale établie,
- constater que la faiblesse du chiffre d'affaires réalisé par la société TNR auprès de la société Lyreco, de l'ordre de 5 % en moyenne, et la durée des relations, qui n'a pas excédé quatorze mois, excluent que celle-ci puisse être qualifiée de relation "établie" au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
En conséquence,
- dire et juger qu'il n'y a pas lieu à application des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, à défaut de relation commerciale établie,
- débouter la société TNR de l'intégralité de ses prétentions, conclusions, fins et moyens ;
Sur la durée du préavis et le préjudice allégué,
- constater la défaillance de la société TNR dans l'administration de la preuve et l'absence de toute justification ou commencement d'explication quant au mode de calcul de la somme revendiquée à titre indemnitaire, à hauteur de 60 000 euro ;
- constater que la somme réclamée est supérieure au chiffre d'affaires réalisé par la société TNR avec la société Lyreco pendant les quatorze mois de leur relation et depuis la création de cette société ;
- constater que la société TNR n'indique même pas quel délai de préavis lui aurait soit disant été nécessaire et est à cet égard totalement défaillante dans l'administration de la preuve ;
- constater que le délai de préavis d'un an retenu par le tribunal de commerce de Lyon est hors de toute proportion et dépourvue de la moindre justification, au regard du secteur d'activité considéré et ce, quelle que soit la durée des relations retenue, quand bien même serait-il tenu compte de la relations précédemment entretenue avec M. Philippe Chevalier ;
- dire et juger en toutes hypothèses que la société TNR ne justifie pas d'une quelconque préjudice indemnisable et qu'elle ne justifie pas que la part de chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec la société Lyreco ait justifié l'octroi d'un quelconque délai, qui aurait nécessaire pour réorganiser ou réorienter son activité ;
En conséquence,
- débouter la société TNR de l'intégralité de ses prétentions, conclusions, fins et moyens ;
Sur le caractère abusif de l'action,
- constater que la société TNR ne pouvait se valablement croire qu'elle pourrait invoquer à son profit une relation antérieure à sa création et un chiffre d'affaires qui n'est pas le sien, tout comme elle ne pouvait raisonnablement espérer une condamnation à hauteur de la somme de 60 000 euro sans la moindre justification ni le moindre commencement d'explication quant à la somme réclamée ;
- dire et juger que l'action ainsi engagée revêt incontestablement un caractère abusif ;
En conséquence,
- condamner la société TNR à payer à la société Lyreco la somme de 5 000 euro, à titre de dommages-intérêts, pour procédure abusive ;
En toutes hypothèses,
- condamner la société TNR à payer à la société Lyreco la somme de 7 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
La société Lyreco soutient d'abord que la société TNR n'a pas d'intérêt à agir et que son action est dès lors irrecevable par application de l'article 32 du Code de procédure civile. Elle considère, en effet, que la société TNR ayant été créée en décembre 2008 et ayant commencé son activité en avril 2009, ne saurait se prévaloir des relations d'affaires qu'elle entretenait précédemment avec M. Chevalier et qui ont pris fin en janvier 2009.
Elle fait valoir qu'en conséquence les relations commerciales en cause n'ont commencé qu'en mai 2009. Elle souligne leur caractère non significatif, puisqu'elles n'ont représenté que 5 % du chiffre d'affaires total de la société TNR et en conclut, compte tenu de leur brièveté, qu'elles ne constituent pas des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce.
Par ailleurs, la société Lyreco soutient que la société TNR ne fournit pas les éléments qui permettraient de calculer son préjudice et que la durée de préavis d'une année retenue par le tribunal est disproportionnée et dépourvue de toute justification. Enfin, elle considère que l'action engagée contre elle est abusive et elle réclame des dommages et intérêts pour réparer le préjudice qui en est résulté.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société TNR le 10 avril 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondée l'action de la société TNR ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit et jugé que la société Lyreco a rompu des relations commerciales établies avec la société TNR depuis 2004 ;
- dire et juger que la société Lyreco a rompu brutalement et abusivement les relations commerciales entre les parties et engage ainsi sa responsabilité ;
- confirmer que la société Lyreco doit, en conséquence, réparer l'entier préjudice subi par la société TNR ;
- réformer la décision déférée sur le montant des dommages et intérêts alloués ;
En conséquence :
- condamner la société Lyreco à payer une somme de 60 000 euro ;
En tout état de cause :
- condamner la même au paiement d'une somme de 3 000 euro complémentaires en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société TNR soutient que la société Lyreco a poursuivi avec elle les relations qu'elle entretenait avec M. Chevalier et elle rappelle que celui-ci lui a cédé son fonds de commerce. Elle impute la rupture de ces relations à la société Lyreco et prétend que le préjudice en résultant doit être évalué à la somme de 60 000 euro compte tenu du chiffre d'affaires qu'elle réalisait.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la recevabilité à agir de la société TNR
Il est avéré que la société Lyreco n'a traité avec la société TNR qu'à partir de mai 2009. La société TNR, cependant, a un intérêt manifeste à faire juger par la cour que la société Lyreco a poursuivi avec elle les relations qu'elle entretenait précédemment avec M. Chevalier. Elle est dès lors recevable à agir de ce chef contre la société Lyreco.
Sur les relations commerciales établies et leur rupture
Il résulte du dossier que les relations commerciales entre la société Lyreco et M. Chevalier ont commencé en janvier 2004 et qu'elles ont pris la forme de prestations effectuées, sans contrat-cadre, selon les commandes passées par cette société. Il n'est pas discuté que la société Lyreco n'a plus passé de commande à M. Chevalier à partir du mois de janvier 2009 et qu'elle n'est entrée en relation qu'en mai 2009 avec la société TNR qui, constituée en décembre 2008, a commencé son activité le 6 avril 2009 ; c'est ainsi que les données produites par l'intimé montrent qu'alors que M. Chevalier avait sans interruption exécuté chaque mois depuis 2004 des prestations pour la société Lyreco, aucune prestation n'a été effectuée pendant les mois de février, mars et avril 2009, de sorte qu'aucun chiffre d'affaires n'a été réalisé (tableau de chiffre d'affaires - pièce n° 8 produite par l'intimé). Cette interruption interdit de considérer que, par-delà le changement du mode d'exercice de son activité par M. Chevalier, les relations que la société Lyreco entretenait avec celui-ci puis avec la société TNR ont présenté les caractères de stabilité et de continuité nécessaires pour les qualifier, au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce, de relations commerciales établies depuis 2004.
Dès lors, c'est au mois de mai 2009 que se situe le point de départ des relations commerciales qu'il est reproché à la société Lyreco d'avoir rompues en juin 2010 et le jugement sera sur ce point infirmé. La continuité et la régularité de ces relations ne sont pas contestées, la société TNR justifiant (pièce n° 8) que la société Lyreco lui a, chaque mois, de mai 2009 à juin 2010 passé des commandes pour des montants mensuels compris en 850 euro (chiffre d'affaires de juin 2010) et 6 650 euro (octobre 2009).
Dans ces conditions, la société Lyreco, qui ne conteste pas n'avoir pas fait précéder cette rupture d'un préavis écrit, doit en réparer le préjudice en résultant, sur la base d'une durée de préavis que la cour, compte tenu de l'ancienneté des relations entre les parties, fixera à un mois. Le chiffre d'affaires mensuel moyen s'élevant à 4 429 euro HT (35 460 euro de CA 2009 et 21 805 euro de CA 2010, soit 62 015 euro de CA sur 14 mois), l'indemnité due à la société TNR s'établit, compte tenu de la marge brute appliquée par le tribunal, à la somme de 2 214,5 euro.
Sur la demande de condamnation pour procédure abusive
On ne saurait déduire du fait que la cour n'a pas fait droit dans sa totalité à la demande de la société TNR que celle-ci a agi avec légèreté ou mauvaise foi. La demande de la société Lyreco tendant à sa condamnation pour procédure abusive sera donc rejetée.
Sur les frais irrépétibles
Il n'apparaît pas justifié, au regard des éléments du dossier, de prononcer de condamnation au regard de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Rejette l'exception d'irrecevabilité formée par la société Lyreco, Reforme le jugement attaqué en ce qu'il a condamné la société Lyreco à payer la somme de 10 000 euro à la société Transport National Régulier, Statuant à nouveau, Condamne la société Lyreco à payer la somme de 214,5 euro à la société Transport National Régulier, Rejette la demande de condamnation pour procédure abusive présentée par la société Lyreco, Dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toutes les demandes autres, plus amples ou contraires des parties, Condamne la société Lyreco aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.