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Décisions

Cass. crim., 9 septembre 2014, n° 13-85.927

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pers

Rapporteur :

Mme Harel-Dutirou

Avocat général :

M. Desportes

Avocat :

Me Spinosi

Bordeaux, ch. corr., du 5 juill. 2013

5 juillet 2013

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 5 juillet 2013, qui, pour contraventions au Code de la consommation, l'a condamnée à 97 amendes de 75 euro chacune et 35 amendes de 75 euro chacune ; - Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 113-3, L. 121-1 et R. 113-1, alinéa 1er, et 2 du Code de la consommation, de la directive 2005-29 du 11 mai 2005, 111-5 du Code pénal, de l'arrêté du 31 décembre 2008 relatif aux annonces de prix à l'égard du consommateur, 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que la cour d'appel a, confirmant le jugement, rejeté l'exception d'illégalité soulevée à l'encontre de l'arrêté ministériel du 31 décembre 2008 ;

"aux motifs que les conclusions de la prévenue adressées à la cour, identiques à celles déposées devant le tribunal, ne prennent pas en compte la motivation du jugement, et ne concernent que l'exception d'illégalité, alors qu'elle est appelante de l'ensemble du jugement et que le jugement de condamnation est motivé ; que répondant expressément aux observations de la prévenue pendant l'enquête de l'Administration comme lors de son audition par les services de police, comme, représentée devant le tribunal, ainsi qu'à ses conclusions, portant sur l'exception d'illégalité, comme aux observations du directeur du service juridique de la société, et à celles de la direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes puis de la direction départementale de la protection des populations, par des énonciations suffisantes, auxquelles il y a lieu de se référer expressément et par des motifs qui doivent être adoptés, le tribunal a exactement analysé l'exception de nullité, la procédure, les faits poursuivis et les éléments constitutifs de l'infraction, objet de la prévention, en procédant à une appréciation des éléments de preuve de la culpabilité de la prévenue, comme de la peine, qui doit être approuvée, éléments dont les débats d'appel n'ont aucunement modifié le caractère déterminant ; que les motifs adoptés doivent être ainsi précisés à la suite des débats devant la cour : - le prix de référence n'est pas en soi une pratique commerciale mais s'analyse en une modalité de mise en œuvre de la pratique commerciale d'annonce de réduction de prix, - la directive européenne de 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales n'indique pas expressément qu'elle s'applique aux annonces de réductions de prix, alors qu'elle dresse une liste exhaustive des pratiques prohibées, - l'arrêté du 31-12-2008 a pour objectif principal la lutte contre la concurrence déloyale, la protection des consommateurs étant principalement une conséquence de cet objectif, alors que sont exclues du champ d'application de la directive européenne sur les pratiques commerciales déloyales les pratiques qui portent atteinte uniquement aux intérêts économiques de concurrents ou entre professionnels, - l'arrêté du 31-12-2008 n'interdit pas les pratiques de publication d'annonces de réduction de prix, mais les encadre en prévoyant les modalités de mise en œuvre, alors que la directive européenne fixe les pratiques permises et interdites sans définir de modalités de ces pratiques, et tout en laissant aux Etats la possibilité de réglementer ces dernières, - les arrêts de la Cour d'appel de Paris du 14-5-2009 et le jugement du Tribunal de Bobigny visés par la prévenue concernent l'interdiction par l'article L. 122-1 du Code de la consommation des ventes liées, et non la fixation par l'arrêté du 31-12-2008 des modalités d'encadrement d'une pratique de vente, - à la suite de la mise en demeure de la France le 26-6-2009 et de l'avis motivé de la Commission européenne du 29-9-2011, la France n'a pas été poursuivie pour manquement, et la Cour de justice des Communautés européennes n'a pas pris depuis position, alors que sa jurisprudence sanctionne les seules interdictions, ce que ne contredit pas la note transmise par le conseil du prévenu le 7-6-2013, - X a fait l'objet le 23-10-2007 d'un rappel de la réglementation à la suite de la constatation de faits similaires, - X avait la possibilité d'aboutir à une action de vente similaire dans le cadre de ventes promotionnelles à prix nets ou avec annonce de réduction de prix non chiffrée. Ainsi, les faits et les éléments constitutifs de la prévention sont établis, comme la culpabilité de la prévenue, qui doit être condamnée du chef de la prévention" ;

"1°) alors que, il résulte de la jurisprudence communautaire (CJUE 23 avril 2009 et 14 avril 2010) et des mentions mêmes du jugement dont les motifs ont été adoptés par la cour d'appel que les Etats membres ne peuvent pas arrêter de mesures plus restrictives que celles définies par la directive 2005-29 du 11 mai 2005 relatives aux pratiques commerciales déloyales ; que l'arrêté du 31 décembre 2008, fondant les poursuites, qui limite à trois hypothèses les possibilités et modalités d'annonces de réduction de prix à l'égard du consommateur, interdisant ainsi de façon générale et absolue toute autre forme d'annonce de réduction de prix sans permettre d'apprécier in concreto le caractère trompeur ou non de la réduction, va au-delà des prévisions de la directive 2005-29 ; qu'en jugeant, pour rejeter l'exception d'illégalité, que "le prix de référence n'est pas une pratique commerciale relevant du domaine de la directive, mais une modalité de mise en œuvre de la pratique commerciale", lorsque les réductions de prix sont des pratiques commerciales relevant du champ d'application de la directive, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de ce texte ;

"2°) alors que, en relevant, pour rejeter l'exception d'illégalité, "que la directive de 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales n'indique pas expressément qu'elle s'applique aux annonces de réductions de prix alors qu'elle dresse une liste exhaustive des pratiques prohibées", lorsque la définition légale d'un prix de référence fixé par l'arrêté ministériel du 31 décembre 2008, qui empêche l'appréciation in concreto du caractère trompeur ou non de la réduction du prix, va au-delà de ce que prévoit la directive, et qu'ainsi, ledit arrêté lui est contraire, la cour d'appel a de plus fort méconnu le sans et la portée de ce texte ;

"3°) alors qu'en relevant, pour rejeter l'exception d'illégalité, que l'arrêté du 31 décembre 2008 a pour objectif principal la lutte contre la concurrence déloyale, la protection des consommateurs étant principalement une conséquence de cet objectif, alors que sont exclues du champ d'application de la directive européenne sur les pratiques commerciales déloyales les pratiques qui portent atteinte aux intérêts économiques de concurrents ou entre professionnels, lorsqu'il résulte expressément des termes même de cet arrêté que ce texte est relatif aux annonces de réduction de prix à l'égard du consommateur et qu'ainsi, cet arrêté a pour objectif la protection des consommateurs, telle que visée par la directive 2005-29, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 16 octobre 2009, les services de la direction départementale de la protection des personnes de la Gironde ont dressé procès-verbal aux termes duquel ils relevaient 132 infractions aux dispositions de l'arrêté du 31 décembre 2008 pris en application de l'article L. 113-3 du Code de la consommation et relatif aux annonces de réduction de prix à l'égard du consommateur à l'encontre de la société X exploitant un site de vente informatique en raison de l'absence de justificatif du prix de référence de 97 produits et l'omission de la mention "prix conseillé" accompagnée de l'année à laquelle ce prix se rapporte pour 35 produits, infractions punies, par l'article R. 113-1, alinéa 2, dudit Code, de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe ;

Attendu que, citée devant le tribunal de police, la société X a invoqué la non-conformité de l'arrêté du 31 décembre 2008 aux dispositions de la directive 2005-29-CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur ; que le tribunal a écarté cette argumentation et déclaré la prévenue coupable des faits reprochés ; que la cour d'appel a confirmé cette décision ;

Attendu que l'article L. 113-3 du Code de la consommation, fondement des poursuites, dispose que tout vendeur de produit ou tout prestataire de services doit, par voie de marquage, d'étiquetage, d'affichage ou par tout autre procédé approprié, informer le consommateur sur les prix, les limitations éventuelles de la responsabilité contractuelle et les conditions particulières de la vente, selon des modalités fixées par arrêtés du ministre chargé de l'Economie ; que l'arrêté du 31 décembre 2008 relatif aux annonces de réduction de prix à l'égard du consommateur précise en son article 1er que, lorsqu'une publicité à l'égard du consommateur comportant une annonce de réduction de prix est faite sur les lieux de vente ou sur les sites électroniques marchands, le marquage ou l'affichage des prix doivent faire apparaître, outre le prix réduit annoncé, le prix de référence défini à l'article 2 ; que, selon ce texte, le prix de référence correspond soit au prix le plus bas effectivement pratiqué par l'annonceur pour un article ou une prestation similaire dans le même établissement de vente au détail au cours des trente derniers jours précédant le début de la publicité, soit au prix conseillé par le fabricant ou l'importateur s'il est couramment pratiqué par les autres distributeurs du même produit ou au prix maximum résultant d'une réglementation économique, soit, en l'absence de vente d'un produit similaire, au dernier prix conseillé qui ne peut être antérieur à trois ans avant le début de la publicité ;

Attendu, par ailleurs, que la directive 2005-29-CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur établit une liste des pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances et prévoit, en ses articles 5 à 9, qu'en dehors de celles-ci une pratique commerciale ne peut être considérée comme déloyale qu'après une évaluation au cas par cas tendant à rechercher si elle constitue une pratique contraire aux exigences de la diligence professionnelle, et qui altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen ;

Attendu que le litige présente ainsi une question d'interprétation de la directive 2005-29-CE du 11 mai 2005 qui commande, pour la Cour de cassation, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne ;

Par ces motifs : - Renvoie à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : Les dispositions des articles 5 à 9 de la directive 2005-29-CE du Parlement et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis à vis des consommateurs dans le marché intérieur font-elles obstacle à ce que soient interdites, en toutes circonstances, quelle que soit leur incidence possible sur la décision du consommateur moyen, des réductions de prix qui ne seraient pas calculées par rapport à un prix de référence fixé par voie réglementaire ? ; Sursoit à statuer jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne.