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Décisions

Cass. com., 16 septembre 2014, n° 13-18.710

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Carrefour proximité France (Sté), Champion supermarché France (SAS)

Défendeur :

Diapar (SAS), Richard

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Rapporteur :

Mme Mouillard

Avocat général :

Mme Batut

Avocats :

SCP Odent, Poulet, SCP Gatineau, Fattaccini

T. com. Evry, 3e ch., du 8 déc. 2010

8 décembre 2010

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 avril 2013) et les productions, que le 16 avril 1997, M. Richard a souscrit auprès de la société Prodim, devenue la société Carrefour proximité France (la société Carrefour), un contrat de franchise pour l'exploitation de son fonds de commerce d'alimentation sous l'enseigne "Shopi" d'une durée de sept ans, qui, après une suspension conventionnelle de deux ans, devait expirer le 16 avril 2006 ; que le franchisé s'y engageait pendant la durée de l'accord à ne pas adhérer pour une activité similaire à une autre organisation ou groupement commercial (...) ou organisme de distribution", et, en cas de rupture anticipée, à ne pas se réaffilier à une enseigne de renommée nationale ou régionale, ni vendre des marchandises liées à ces enseignes, dans un rayon de cinq kilomètres du magasin pendant un an ; qu'il était également prévu une faculté de résiliation pour faute du franchisé et, en ce cas, le paiement au franchiseur d'une indemnité forfaitaire de résiliation ; que le 3 octobre 2000, M. Richard a, pour les besoins de son exploitation, conclu avec la société Logidis, aux droits de laquelle se trouve la société Champion supermarché France (la société CSF), un contrat d'approvisionnement d'une durée de cinq ans, au renouvellement duquel il s'est opposé de sorte que le contrat a pris fin le 2 octobre 2005 ; que ce contrat, dans lequel M. Richard s'était engagé à s'approvisionner de façon prioritaire auprès de la société Logidis ou bien auprès des fournisseurs que celle-ci aurait agréés, prévoyait aussi une faculté de résiliation pour faute du franchisé, ainsi que le paiement d'une indemnité forfaitaire de résiliation au profit du fournisseur ; qu'ayant constaté, à la fin de l'année 2003, que M. Richard s'approvisionnait auprès d'un fournisseur concurrent, la société Distribution alimentaire parisienne Diapar (la société Diapar), la société CSF et Carrefour ont communiqué à cette dernière, le 7 novembre 2003, les copies du contrat d'approvisionnement et du contrat de franchise signés par M. Richard, en indiquant qu'elles entendaient voir ces contrats exécutés jusqu'à leur échéance ; qu'après avoir, le 15 juin 2005, mis M. Richard en demeure de respecter son engagement de ne pas adhérer pendant le cours de son contrat, en tout ou partie, à un organisme concurrent, la société Prodim lui a, le 25 octobre 2005, notifié la résiliation du contrat à ses torts ; que les sociétés Carrefour et CSF ayant mis en œuvre la procédure arbitrale prévue dans leurs contrats, le tribunal arbitral, par une première sentence du 26 décembre 2006, a retenu que M. Richard avait violé ses obligations de non-adhésion de juin à octobre 2005, puis de non-réaffiliation post-contractuelle, l'achat de produits auprès de la société Diapar violant à la fois la clause de non-adhésion pendant le contrat et la clause de non-réaffiliation post-contractuelle contractée envers la société Carrefour, et l'a condamné à payer à cette société diverses indemnités ; que, par une seconde sentence du 20 juin 2008, il a retenu que M. Richard avait, en s'approvisionnant majoritairement auprès de la société Diapar, violé l'obligation d'approvisionnement prioritaire prévue au contrat d'approvisionnement le liant à la société CSF et l'a condamné à payer une indemnité à cette société ; que les sociétés Carrefour et CSF ayant fait assigner la société Diapar en paiement de dommages-intérêts pour complicité de la violation des contrats par M. Richard, la société Diapar a appelé ce dernier en intervention forcée et formé tierce opposition incidente aux deux sentences arbitrales ;

Sur le premier moyen : - Attendu que les sociétés Carrefour et CSF font grief à l'arrêt de déclarer recevable la tierce opposition incidente aux sentences arbitrales formée par la société Diapar, alors, selon le moyen : 1°) que les créanciers d'une partie ne sont recevables à former tierce opposition d'une sentence arbitrale que s'ils peuvent invoquer des moyens qui leur sont propres ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a admis la recevabilité de la tierce opposition à deux sentences arbitrales formée par la société Diapar, créancière de M. Richard, alors qu'elle n'avait aucun moyen propre à faire valoir dans la tierce opposition poursuivie à l'encontre des sociétés Carrefour et CSF, a violé les articles 583 et 1501 du Code de procédure civile ; 2°) que l'effet dévolutif de la tierce opposition étant limité aux points jugés qu'elle critique, aucune demande nouvelle ne peut être formulée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a admis que la société Diapar avait pu, dans le cadre de sa tierce opposition, soulever la nullité des clauses contractuelles qui unissaient M. Richard aux sociétés CSF et Carrefour, quand une telle nullité n'avait jamais été soulevée lors des instances arbitrales, a violé les articles 582 et 1501 du Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt ayant, par des motifs adoptés non critiqués, retenu que la société Diapar n'était pas créancière de M. Richard, la décision se trouve justifiée ;

Et attendu, d'autre part, que si l'effet dévolutif de la tierce opposition est limité à la remise en question, relativement à son auteur, des points jugés qu'elle critique et ne l'autorise pas à former des demandes nouvelles, celui-ci est recevable à élever toute prétention tendant à faire écarter celles du demandeur ; que la cour d'appel, qui en a déduit que lasociété Diapar était recevable à soulever la nullité des clauses contractuelles qui fondaient la demandes des sociétés CSF et Carrefour, a statué à bon droit ; d'où il suit qu'inopérant en sa première branche, le moyen n'est pas fondé en sa seconde branche ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que les sociétés Carrefour et CSF font grief à l'arrêt de dire que la société Diapar n'était pas tiers complice de la violation des clauses de non-adhésion et d'approvisionnement prioritaire figurant dans les contrats de franchise et d'approvisionnement souscrits à leur profit, alors, selon le moyen : 1°) que la clause d'approvisionnement prioritaire et non exclusif est valable ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a énoncé que la clause d'approvisionnement prioritaire contenue à l'article 1er du contrat d'approvisionnement constituait, en réalité, une clause d'approvisionnement exclusif, contraire à la liberté du franchisé d'exercer son commerce dans des conditions normales, quand cette clause était claire et que la société Logidis, loin de lui avoir conféré la portée d'une clause d'approvisionnement prioritaire, avait seulement reproché à M. Richard de s'être massivement approvisionné auprès de la société Diapar, ce qui avait abouti à une adhésion de fait auprès d'un réseau concurrent, a violé les articles L. 420-1 du Code de commerce et 1382 du Code civil ; 2°) que la conjugaison d'une clause de non-adhésion en cours de franchise à un réseau concurrent et d'une clause d'approvisionnement prioritaire, habituelles en matière de grande distribution alimentaire, n'aboutit pas à créer une situation d'approvisionnement exclusif au préjudice du franchisé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a décidé le contraire, a violé les articles L. 420-1 du Code de commerce et 1382 du Code civil ; 3°) que les juges saisis d'une action en tierce complicité pour violation d'une clause d'approvisionnement prioritaire, ne peuvent la rejeter, au seul motif que cette clause serait susceptible d'interprétation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a débouté les sociétés CSF et Carrefour de leur action en tierce complicité intentée contre la société Diapar pour violation de l'article 1er du contrat d'approvisionnement, prétexte pris de ce que cette clause serait susceptible de " multiples interprétations ", a violé les articles L. 420-1 du Code de commerce et 1382 du Code civil ; 4°) que le règlement n° 330-2010 de la Commission du 20 avril 2010 relatif aux accords verticaux est entré en vigueur le 1er juin 2010, outre qu'il ne s'applique pas à un réseau de franchise qui n'affecte pas le commerce entre Etats membres ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a appliqué l'article 5 de ce règlement à un contrat d'approvisionnement signé en 1997, a violé ce texte par fausse application, ensemble les articles L. 420-1 du Code de commerce et 1382 du Code civil ; 5°) qu'une clause de non-adhésion en cours de franchise à un réseau concurrent est valable ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a estimé que la clause de non-adhésion contenue à l'article 3.3.2 du contrat de franchise, conjuguée à l'article 1er du contrat d'approvisionnement, se prêtait à une pratique anticoncurrentielle, quand seul l'approvisionnement massif auprès d'un concurrent avait été reproché à M. Richard par les sociétés intimées, qui ne l'avaient jamais empêché de s'approvisionner minoritairement auprès d'un autre distributeur, a violé les articles L. 420-1 du Code de commerce et 1382 du Code civil ; 6°) que les juges du fond ne peuvent débouter une société de grande distribution de son action en tierce complicité intentée contre une concurrente, en se fondant sur le fait que la clause de non-adhésion en cours de franchise violée par le franchisé serait susceptible de "multiples interprétations" ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a décidé que la société Diapar n'avait pu se rendre tiers complice de la violation d'une clause de non-adhésion susceptible de "multiples interprétations", a violé les articles L. 420-1 du Code de commerce et 1382 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir constaté que, si la clause d'approvisionnement prioritaire stipule seulement que "le client s'engage à s'approvisionner de façon prioritaire auprès de Logidis ou auprès de fournisseurs que Logidis a spécialement agréés", parallèlement, le contrat de franchise prévoit que le franchiseur détermine un assortiment minimum que le franchisé s'engage à détenir, notamment en matière de "marques propres", de sorte que, le fournisseur de ces marques propres étant la société Logidis, les deux contrats forment un tout indissociable, l'arrêt relève qu'il résulte des pièces du dossier que les sociétés CSF et Carrefour ont interprété et appliqué la clause comme une clause d'approvisionnement exclusif puisque, s'étant aperçue que M. Richard s'approvisionnait auprès de la société Diapar, la société CSF l'a fait assigner en référé pour qu'il lui soit fait interdiction de s'approvisionner auprès d'une centrale concurrente et que, dans la lettre qu'elle a adressée à la société Diapar le 7 novembre 2003, elle soutenait que cette clause interdisait en réalité au franchisé de s'approvisionner auprès de centrales d'achat qui peuvent être apparentées à des réseaux concurrents, tandis que, de son côté, la société Carrefour prétendait que la violation de la clause d'approvisionnement prioritaire constituait également une violation de la clause de non-adhésion à un réseau du contrat de franchise, justifiant la résiliation de ce contrat aux torts du franchisé ; qu'en l'état de ces appréciations souveraines, et abstraction faite du motif, surabondant, relatif à l'ambiguïté de la clause, la cour d'appel a pu retenir qu'en la combinant avec la clause de non-adhésion à un réseau concurrent qui figurait au contrat de franchise, les sociétés Carrefour et CSF avaient donné à la clause d'approvisionnement prioritaire la portée d'une clause d'approvisionnement exclusif ;

Attendu, en deuxième lieu, que la cour d'appel ayant, par des motifs non critiqués, retenu que la clause, ainsi interprétée et appliquée, en ce qu'elle n'était pas indispensable à la préservation de l'identité et de la réputation du réseau symbolisé par l'enseigne, méconnaissait l'article L. 420-1 du Code de commerce, la décision se trouve justifiée par ces seuls motifs, abstraction faite de ceux relatifs au non-bénéfice d'un règlement d'exemption ;

Et attendu, en troisième lieu, que la cour d'appel ayant, par des motifs non critiqués, retenu qu'il n'était pas démontré que M. Richard avait adhéré à un autre réseau, en violation de la clause du contrat de franchise qui le lui interdisait, c'est par des motifs surabondants qu'elle a également visé l'ambiguïté de cette clause, propice à une interprétation anticoncurrentielle ; d'où il suit qu'inopérant en ses troisième, quatrième et sixième branches, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;

Et sur le troisième moyen : - Attendu que les sociétés Carrefour et CSF font grief à l'arrêt de dire que la clause de non-réaffiliation post-contractuelle stipulée dans le contrat de franchise à leur profit constituait une entente contraire à l'article L. 420-1 du Code de commerce et, en conséquence, de la déclarer nulle et inopposable à la société Diapar, alors, selon le moyen : 1°) que le franchiseur qui anime un réseau de magasins de proximité à dominante alimentaire dispose d'un savoir-faire protégeable par clause de non-réaffiliation post-contractuelle ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a décidé le contraire, en énonçant que le savoir-faire de la société Prodim était limité, car de faible technicité, spécificité et originalité, a violé les articles L. 420-1 du Code de commerce et 1382 du Code civil ; 2°) que la clause de non-réaffiliation post-contractuelle, limitée à un an et à un rayon de 5 kilomètres autour du magasin concerné, est légitime et proportionnée à la protection du savoir-faire du franchiseur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a décidé le contraire, concernant l'article 6 du contrat de franchise, alors que M. Richard n'avait pas été empêché de poursuivre l'exploitation de son commerce alimentaire de proximité, a violé les articles L. 420-1 du Code de commerce et 1382 du Code civil ; 3°) que le règlement 330-2010 du 20 avril 2010 de la Commission n'est entré en vigueur que le 1er juin 2010, outre qu'il ne s'applique pas à un réseau de franchise qui n'affecte pas le commerce entre Etats membres ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a appliqué l'article 5 de ce règlement à l'article 6 du contrat de franchise signé par M. Richard en 1997, a violé ce texte, ensemble les articles L. 420-1 du Code de commerce et 1382 du Code civil ; 4°) que la décision qui fait droit à une tierce opposition rétracte ou réforme le jugement sur les chefs préjudiciables au tiers opposant ; qu'en l'espèce, la cour d'appel qui, sans rétracter la sentence du 26 décembre 2006 du chef de la clause de non-réaffiliation, s'est bornée à annuler cette clause, a violé l'article 591 du Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé que la clause litigieuse comporte une interdiction de réaffiliation, mais également de vente de produits de marque de distributeur (MDD) provenant d'autres réseaux de sorte que la restriction apportée à la liberté commerciale du franchisé est plus grande, l'arrêt constate que M. Richard n'a violé que la seconde obligation ; qu'ayant rappelé que les clauses de non-affiliation ou de non-concurrence post-contractuelles ne sont licites que dans la mesure où elles sont inhérentes à la franchise, c'est-à-dire où elles sont indispensables pour assurer la protection du savoir-faire transmis, qui ne doit profiter qu'aux membres du réseau, et laisser au franchiseur le temps de réinstaller un franchisé dans la zone d'exclusivité, et à condition qu'elles restent proportionnées à l'objectif qu'elles poursuivent, l'arrêt relève d'abord qu'eu égard à la généralité du commerce alimentaire de proximité concerné et à la nature du savoir-faire transféré, nécessairement lié à celle du commerce exploité et donc de faibles technicité, spécificité, et originalité, il n'est pas établi que les obligations de non-adhésion prévues au contrat soient indispensables à la protection du savoir-faire transféré, surtout s'agissant de la seule obligation de ne pas vendre de MDD concurrentes ; qu'il ajoute que l'interdiction de commercialiser des MDD de réseaux concurrents, pendant un an et dans un rayon de cinq kilomètres, et non dans le seul magasin concerné, alors que l'ancien franchisé n'adhère à aucun réseau et n'arbore aucune enseigne, ne peut être justifiée par la protection de l'image du réseau, d'autant que la société Prodim propose elle-même à ses franchisés des produits de la marque Winny, et que ses propres produits de MDD (Grand Jury, Reflets de France) sont disponibles dans toutes les enseignes ; qu'après avoir encore relevé que la clause ne s'applique pas lorsque le contrat vient normalement à son terme, mais seulement s'il prend fin par anticipation, de sorte que l'obligation de non-réaffiliation est conçue par la société Carrefour comme une mesure préventive visant à décourager les franchisés de quitter prématurément le réseau, l'arrêt retient qu'un tel objectif, étranger à la protection des intérêts concurrentiels du franchiseur, ne peut légitimer le recours à des clauses restrictives de concurrence ; qu'il souligne enfin que l'interdiction portant sur les MDD prive l'ancien franchisé de la possibilité de s'approvisionner en produits attractifs sur lesquels s'opèrent les plus grosses marges, ce qui explique la part croissante des MDD dans l'assortiment du commerce de proximité, et observe que cette clause interdit tout exercice par l'ex-franchisé, dans des conditions économiquement acceptables, d'un commerce analogue à celui qu'il exerçait auparavant, pendant un an, dans toute la zone concernée ; qu'il en déduit qu'une atteinte à la liberté commerciale de l'ex-franchisé, aussi lourde, est disproportionnée à l'objectif poursuivi ; qu'en l'état de ces motifs, abstraction faite de celui, surabondant, critiqué par la troisième branche, la cour d'appel a pu retenir que la clause de non-réaffiliation était contraire à l'article L. 420-1 du Code de commerce et, comme telle, nulle et inopposable à la société Diapar en application de l'article L. 420-3 du même Code, de sorte qu'aucune tierce complicité ne pouvait lui être imputée ;

Et attendu, en second lieu, que l'arrêt ayant, par des motifs tirés de l'article 591 du Code de procédure civile, qui ne sont pas critiqués, rejeté la demande de modification des sentences concernant M. Richard, la décision se trouve justifiée de ce chef ; d'où il suit que qu'inopérant en ses troisième et quatrième branches, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.