Livv
Décisions

CA Bordeaux, premier président, 16 septembre 2014, n° 13-04164

BORDEAUX

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Chantiers Modernes du Sud-Ouest (Sté), Sogea Sud-Ouest Hydraulique (Sté), Vinci Construction (Sté)

Défendeur :

Direction Régionale des Entreprises, Concurrence Consommation, Travail et Emploi

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bougon

TGI Bordeaux, JLD, du 21 juin 2013

21 juin 2013

La société Vinci construction, la société Sogea Sud-Ouest Hydraulique (Sogea) et la société Chantiers Modernes Sud-Ouest (CMSO) forment un recours à l'encontre des opérations de visite et saisie pratiquées le 27 juin 2013 par l'Administration à la suite de l'autorisation rendue sur requête par le juge des libertés et de la détention le 21 juin 2013.

Ces sociétés poursuivent l'annulation de l'ensemble des saisies, ou à tout le moins des saisies informatiques des scellés n° 4 et n° 5, ainsi que la restitution des pièces originales et copies des éléments dont la saisie sera annulée sauf à préciser qu'il ne pourra en être fait aucune utilisation, ni aucune mention à leur encontre. Elles sollicitent, chacune 15 000 euro pour frais irrépétibles.

Subsidiairement, elles sollicitent une expertise, avec pour objet de déterminer les modalités techniques auxquelles ont recouru les enquêteurs et que ne décrirait pas leur procès-verbal et de fournir les éléments techniques et de fait de nature à permettre de se prononcer sur la saisie sélective de message dans la messagerie informatique de type Outlook de M. X.

A l'appui de leurs recours, les requérantes font valoir :

A- que les opérations de visite et saisie ne se sont pas déroulées dans le respect de la loi :

A1- que la procédure est viciée, les enquêteurs ayant utilisé pour les besoins de leurs opérations des documents saisis et placés sous scellés (documents qui leur ont permis de connaître les fonctions des personnes occupant les bureaux visités) ;

A2- que les entreprises qui ont fait l'objet des opérations de visite et saisie ne sont pas clairement identifiées (la société Vinci construction n'est pas domiciliée <adresse>, le procès-verbal de notification de l'ordonnance ne permet pas d'identifier les sociétés qui ont fait l'objet de la mesure ;

A3- que le procès-verbal de notification de l'ordonnance ayant autorisé la saisie ne permet d'identifier la ou les entreprises visées dans le champ de l'enquête ;

A4- que le procès-verbal des opérations de saisie ne permet pas d'identifier les sociétés qui ont fait l'objet des opérations de visite et de saisie ;

B- que les opérations de saisies informatiques sont irrégulières :

B1- l'inventaire des pièces saisies ne satisfait pas aux exigences des dispositions des articles R. 450-2 du Code de commerce et 56 du Code de procédure pénale ;

B2- les saisies informatiques n'ont pas respecté les termes de l'ordonnance les autorisant ;

B3- les saisies informatiques effectuées sont incompatibles avec les dispositions des articles 6 & 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme

L'Administration conclut, à l'irrecevabilité du recours formé par la société Vinci Construction domiciliée dans les Hauts de Seine qui n'est pas partie à l'instance, à la régularité des opérations de visite et saisie réalisées le 27 juin dans les locaux de la Sogea et de la CMSO. Elle se propose de restituer divers fichiers saisis sur l'ordinateur de M. Y et sur celui de M. X (scellés 5 et 4) et listés dans ses conclusions récapitulatives au point B.3.2. Elle conclut au débouté des autres demandes et poursuit la condamnation des requérantes aux entiers dépens de la procédure.

A1- Pour répondre aux critiques concernant la méthodologie d'intervention de ses agents, l'Administration fait valoir qu'arrivés sur place ils se sont fait communiquer par l'occupant (en l'espèce Mme Z) un organigramme des sociétés domiciliées au, ce qui leur a permis de sélectionner les sociétés intéressées par l'ordonnance et, par voie de conséquence, les bureaux de personnes travaillant dans les sociétés concernées (bureaux de Mme Z, assistante de M. A, de M. A, responsable de Sud-ouest TP hydraulique et de la Sogea, de MM. Y et M., du bureau d'étude et de M. X, responsable de la Sogea).

Elle précise que les documents justifiant des fonctions de MM. Y, B et X qu'elle a utilisés procèdent d'un scellé ouvert et de la copie de travail d'un DVD contenant les saisies informatiques et dont l'utilisation est parfaitement régulière.

A2 - sur l'identification des sociétés, l'Administration explique que la société Vinci Construction n'est pas visée par l'ordonnance, et que donc son recours est irrecevable, que par la notification de l'ordonnance d'autorisation de visite et saisie à l'occupant des lieux, les responsables étaient suffisamment informés des mesures prises à l'encontre des sociétés du groupe Vinci Construction domiciliées dans les lieux visités ;

A3 - que la qualité d'occupante des lieux empruntée par Mme Z rencontrée sur place est parfaitement régulière, les opérations de visite et saisies pouvant parfaitement se dérouler en l'absence des responsables des entités visitées ;

A4 - que la rédaction d'un procès-verbal unique pour des visites et saisies pratiquées à l'encontre de sociétés appartenant à un même groupe et sises à la même adresse, dès lors que les documents saisis sont en rapport avec l'objet de l'autorisation donnée, est parfaitement licite ;

B - Sur la régularité des saisies informatiques :

B1 - l'Administration explique que la procédure employée est régulière (fouille sommaire de l'ordinateur puis, le cas échéant, au vu du résultat, fouille au moyen d'un logiciel avec extraction des fichiers sélectionnés par mots-clefs qui sont gravés sur supports informatiques vierges, non réinscriptibles et identifiés par signature électronique et enfin, inventaire des fichiers saisis) ; elle précise qu'elle réalise trois copies identiques des fichiers sélectionnés et authentifiés, une copie de travail, une copie sous scellé fermé et une copie remise à l'entreprise visitée.

B2 - l'Administration indique qu'en raison de leur caractère non sécable les messageries électroniques sont appréhendées dans leur globalité dès lors qu'elle a pu vérifier qu'elles contiennent des documents entrant dans le champ des investigations autorisées.

B3 - les prétendues violations des articles 6 & 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme ne sont pas caractérisées, car l'Administration n'a pas procédé par voie de saisies massives et /ou indifférenciées, que l'issue de la procédure est encore incertaine et que le cas échéant, si aucune poursuite ne devait être engagée, la restitution des fichiers saisis qui aura pour corollaire que leur utilisation sera totalement exclue sera suffisamment protecteur du droit au procès équitable.

Concernant la demande subsidiaire tendant à l'instauration d'une mesure d'instruction, l'Administration fait valoir que le juge du contrôle n'a pas pour mission de rechercher si les enquêteurs pouvaient procéder autrement qu'ils l'ont fait mais bien seulement de vérifier concrètement la régularité des opérations en se référant au procès-verbal établis par l'Administration et à l'inventaire dressé des saisies effectuées.

Le Ministère public a visé les dossiers de procédure.

SUR CE :

Il conviendra d'ordonner la jonction pour connexité des procédures enrôlées sous les n° 13-04169 et 13-04171 à la procédure enrôlée sous le 13-04164.

La société Vinci Construction, domiciliée dans le département des Hauts de Seine n'est pas visée dans l'ordonnance d'autorisation et aucune opération de saisie ou de visite, dans le cadre de la présente procédure, n'a jamais été diligentée à son adresse. Par voie de conséquence, pour défaut d'intérêt, son recours est irrecevable.

A- Sur l'utilisation prohibée de documents saisis et placés sous scellés.

Les requérantes prétendent que, pour l'identification des bureaux à visiter, les enquêteurs ont brisé des scellés. Mais, l'Administration démontre que, après avoir obtenu de l'occupant un organigramme du groupe, elle a déterminé les responsables des sociétés visées dans l'ordonnance à l'examen d'un scellé ouvert (pièce 5 de ses communications) et par l'utilisation de la copie de travail d'un DVD placé sous scellé. Par voie de conséquence, le moyen d'irrégularité tiré d'un bris de scellé manque en fait.

* Sur l'identification des sociétés ayant fait l'objet des visites et saisies et sur la notification de l'ordonnance d'autorisation.

L'article 450-4 du Code de commerce prévoit que l'ordonnance est notifiée verbalement sur place au moment de la visite à l'occupant des lieux. Le procès-verbal de notification qui précise l'adresse à laquelle se sont rendus les enquêteurs dans les locaux du groupe Vinci <adresse> est conforme au prescrit de la loi et n'avait pas à détailler l'identité de toutes les sociétés domiciliées à cette adresse. Par ailleurs, la notification n'a pas à être faite à chacune des sociétés, comme le soutiennent les requérantes mais à l'occupant des lieux, quelle que soit sa qualité. En l'espèce, la notification faite à Mme Z qui s'est identifiée comme assistante de direction et occupant des lieux est conforme aux prévisions de la loi.

* Sur la régularité du procès-verbal de visite.

Concernant le procès-verbal de visite, l'article 450-4 du Code de commerce et l'article 56 du Code de procédure pénale auquel il renvoie ne prévoient pas de formalités spéciales d'identification pour l'inventaire et le placement sous scellés. Le procès-verbal de visite et saisies, qui décrit précisément les bureaux visités et qui dresse l'inventaire des documents placés sous scellés est strictement conforme à la loi. Le double des documents saisis et placés sous scellés ayant été remis à l'occupant, les sociétés concernées ont, contrairement à ce qu'elles prétendent, une exacte connaissance de ce qui a été saisi et des sociétés du groupe Vinci construction concernées.

* Sur les saisies collatérales

Si les requérantes expliquent que les enquêteurs ont pu saisir des documents concernant d'autres sociétés du groupe sans rapport avec l'objet de l'enquête, elles n'en rapportent pas la démonstration alors pourtant qu'elles ont en leur possession le double des documents saisis.

B- Sur la régularité des saisies de fichiers informatiques.

Les requérantes reprochent aux enquêteurs une description insuffisantes des fichiers informatiques saisis, notamment s'agissant des messageries. Toutefois, comme l'expliquent les requérantes, les messageries sont considérées comme insécables et sont saisies dans leur intégralité dès lors qu'une partie de la messagerie entre dans le champ des investigations. Aussi, en portant sur l'inventaire la saisie de la messagerie de M. X avec son nom, sa taille et la signature numérique, l'Administration a satisfait au prescrit de la loi. Si les requérantes croient trouver la preuve que l'Administration peut saisir isolément des messages tirés d'une boîte électronique du fait que l'Administration a enregistré dans le scellé n° 4 quatre messages sous format .msg, l'Administration explique, sans être démentie, que ces messages avaient déjà été extraits de la messagerie par l'utilisateur et enregistrés sur l'ordinateur fouillé.

La pratique suivie par l'Administration pour les saisies informatiques litigieuses est conforme à celle validée par la Cour de cassation. Par voie de conséquence, en dépit de l'opinion contraire développée par les requérantes, il n'est pas nécessaire de savoir si la DIRECCTE pouvait ou non procéder différemment.

Contrairement à ce qu'affirment les requérantes, les saisies n'ont pas été massives. Le nombre de scellés ouverts est mince, seulement 2 ordinateurs ont été fouillés et ont été placés sous scellés 66 fichiers de l'ordinateur de M. Y et 370 fichiers de l'ordinateur de M. X. Si les requérantes prétendent que les saisies ont été indifférenciées et affirment que nombre de pièces saisies n'entrent pas dans le champ de l'enquête (pièce n° 8 documents surlignés) l'Administration convient qu'une partie de ces documents a été pêché par erreur parce qu'ils ont été sélectionnés par l'un des mots-clefs utilisés. Toutefois la plupart de ces documents entre bien dans le champ de l'enquête et la saisie d'un nombre limité de documents étrangers à l'enquête ne suffit pas à caractériser une saisie indifférenciée. En définitive les opérations de visites et saisies litigieuses ne contreviennent en rien aux articles 6 & 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme.

C- Sur la demande d'expertise.

Comme l'explique l'Administration, il n'appartient pas au juge du contrôle, dont la mission se borne à vérifier concrètement, en se référant au procès-verbal de visite et de saisie et à l'inventaire des documents et fichiers saisis, documents établis par les services enquêteurs, la régularité des opérations, de prononcer sur le fait de savoir si les enquêteurs pouvaient procéder différemment à leur investigations. Aussi, la demande d'expertise sera-t-elle rejetée.

D- Sur les mesures accessoires.

Il conviendra d'inviter l'Administration à restituer par destruction les fichiers listés au point B.3.2 de ses écritures récapitulatives et figurant aux scellés n° 5 et 4,

Il n'y a pas lieu à frais irrépétibles et les sociétés requérantes seront condamnées aux entiers dépens.

Par ces motifs, Ordonnons la jonction pour connexité des procédures enrôlées sous les n° 13-04169 et 13-04171 à la procédure enrôlée sous le 13-04164, Vu les visas du Ministère public, Déclarons irrecevable le recours de la société Vinci Construction sise dans les Hauts de Seine, Déclarons les autres recours recevables, Déboutons les sociétés Sogea et CMSO de leurs demandes fins et conclusions, Déclarons régulières les opérations de visite et saisies réalisées le 27 juin 2013 dans les locaux des sociétés Sogea et CMSO, Invitons l'Administration à restituer aux sociétés Sogea et CMSO, par destruction, les fichiers listés dans ses conclusions récapitulatives au point B.3.2 et figurant aux scellés n° 4 et 5, Condamnons les sociétés Vinci Construction, la société Sogea Sud-Ouest Hydraulique (Sogea) et la société Chantiers Modernes Sud-Ouest (CMSO) aux entiers dépens de l'instance.