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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 24 septembre 2014, n° 12-10216

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Falken Industries Ltd (Sté)

Défendeur :

D&S Roe Ltd (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes Grundler, Putman, Agnus

T. com. Paris, 3e ch., du 15 mars 2012

15 mars 2012

Le 30 juillet 2005, la société de droit américain Falken Industries Ltd (Falken), qui commercialise des produits détergents destinés notamment à l'industrie automobile, a conclu avec la société de droit irlandais D&S Roe Ltd (Roe), qui est spécialisée dans la vente en détail et en gros de produits, accessoires et autres destinés à l'automobile, un contrat de " super distribution " dénommé " Strategic Alliance Agreement ", régi par les lois de l'État du Massachusetts et stipulant une clause attributive de juridiction au bénéfice du Tribunal de commerce de Paris.

Par acte du 29 février 2008, la société Falken a assigné la société Roe devant le Tribunal de commerce de Paris en résiliation du contrat de " super distribution " et en indemnisation ;

Par jugement du 15 mars 2012, le tribunal de commerce a :

- dit que M. Emile Gouiran a la capacité d'agir au nom de la société de droit américain Falken Industries,

- déclaré mal fondée la demande en nullité du contrat " Strategic Alliance Agreement " du 30 juillet 2005 formée par la société D&S Roe Limited,

- constaté la résiliation du contrat " Strategic Alliance Agreement " du 30 juillet 2005 au 23 août 2008,

- débouté la société Falken Industries de ses demandes de dommages et intérêts,

- débouté les parties de leurs autres demandes,

- condamné les parties aux dépens pour moitié chacune.

Par déclaration en date du 5 juin 2012, la société Falken a interjeté appel de ce jugement.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 5 septembre 2012, par lesquelles la société Falken demande à la cour de :

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau :

- déclarer la société Falken recevable et bien fondée en ses demandes ;

- constater que la société Roe n'a respecté aucune de ses obligations contractuelles ;

En conséquence :

- prononcer la résiliation du contrat de Super Distribution du 30 juillet 2005 aux torts exclusifs de la société Roe ;

- condamner la société Roe à réparer l'entier préjudice subi par la société Falken du fait de la violation des dispositions contractuelles ;

A titre principal :

- condamner la société Roe à lui payer, en réparation du préjudice subi, à titre de dommages et intérêts les sommes suivantes :

* 1 107 732,20 euros (dont 386 149,47 euros pour les " Promotions ") pour le défaut d'approvisionnement ;

* 82 134 euros pour le blocage du marché britannique ;

* 100 000 euros pour la violation de la clause de non-concurrence ;

A titre subsidiaire :

- condamner la société Roe à payer à la société Falken, en réparation du préjudice subi, à titre de dommages et intérêts, les sommes suivantes :

* 885 622,69 euros (dont 386 149,47 euros pour les " Promotions ") pour le défaut d'approvisionnement ;

* 82 134 euros pour le blocage du marché britannique ;

* 100 000 euros pour la violation de la clause de non concurrence ;

En tout état de cause :

- condamner la société Roe à payer à la société Falken la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Roe aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions n° 2, déposées le 19 février 2013, par lesquelles la société Roe demande à la cour de :

- dire et juger l'appel interjeté mal fondé,

- débouter l'appelante de l'intégralité de ses demandes,

- confirmer en tout point le jugement querellé, sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- réformer le jugement sur ce point,

Statuant à nouveau,

- condamner la société Falken à porter et payer une somme de 43 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et de la jurisprudence constante ;

- la condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de la société d'avocats Lexeurope sur ses offres de droit.

Cela étant exposé, LA COUR :

Sur le non-respect des quotas :

Considérant que la société Falken soutient que le contrat de " super distribution " faisait obligation à la société Roe, en contrepartie d'une exclusivité, de passer une commande initiale de 30 800 euros et de se réapprovisionner régulièrement selon des quotas contractuellement prévus ; qu'elle reproche à la société Roe de ne pas avoir respecté ces quotas, en exposant qu'au 28 août 2007, dernière date d'édition par la société Falken du compte de la société Roe, cette dernière avait commandé 34 363,95 euros de produits sur une obligation de commandes contractuelles d'un montant de 1 820 164,30 euros (13 500 euros au titre du deuxième alinéa de l'article II, e, i et ii du contrat et 1 806 664,30 euros au titre du dernier alinéa) ;

Considérant que la société Roe conteste que le contrat de " super distribution " contienne une obligation de commande ; qu'elle soutient que le contrat, qui ne définit que les conditions de l'octroi d'une exclusivité de distribution sur le territoire irlandais de produits commandés auprès de la société Falken, stipule que l'exclusivité de distribution est maintenue en contrepartie d'un quota minimum de ventes, prévu aux lignes 253 à 259 et que la non-réalisation de ce quota lui fait perdre son exclusivité de " super distributeur " sur le territoire irlandais ;

Considérant que le terme " super distribution " est défini aux lignes 108 à 112 du contrat, comme la politique de vente résultant du " Strategic Alliance Agreement ", passé entre la société Falken et un super distributeur auquel une exclusivité est consentie pour un segment de marché et un secteur d'activité déterminé ; que le paragraphe " Exclusivity Quota ", également inclus dans la partie Définitions du " Strategic Alliance Agreement " aux lignes 253 à 259, prévoit que les résultats de vente qui peuvent être raisonnablement espérés sont fixés en fonction du nombre d'habitants du territoire concédé et précise que ces résultats de vente conditionnent le maintien de l'exclusivité du super distributeur (" The good faith performance arising out of this Strategic Alliance Agreement, which holds that to sustain a Super Distributor's exclusivity in a granted market segment(s) "...) ;

Considérant que le paragraphe intitulé " Minimum Turnover " (chiffre d'affaires) du II e, i, ii, contenu aux lignes 610 à 697, stipule que le contrat conclu pour une durée initiale de 9 mois est renouvelable par tacite reconduction par périodes de trois mois dans une limite de 3 années, sous conditions que le " super distributeur " achète un stock initial lors de la signature du contrat, puis achète, dans les 9 mois de la signature et à la fin de chaque trimestre, un montant calculé par habitant ou pour 4 500 euros de marchandise (...not less than the higher of € 0,0015 per inhabitant in the territory or 4 500 euros of de products) ;

Considérant que ce paragraphe énumère également les autres obligations du Super Distributeur notamment celle de ne pas réduire sa ligne de produits en dessous des 2/3 des produits référencés ou en dessous de 12 références et ce afin d'assurer le maintien de sa position en tant que " super distributeur " (" ...to ensure its continuing good standing as a Super Distributor ") ou encore de respecter un préavis donné par écrit 90 jours avant d'abandonner une ligne de produits ;

Considérant que le " Strategic Alliance Agreement " prévoit en son article IV " Contract Period " au paragraphe f " Term of the contract " que le contrat entre en vigueur le 30 juillet 2005 pour une durée indéterminée et dans la mesure où il peut être résilié sous réserve d'un préavis, sans préjudice des dispositions prévues en ce qui concerne le " Minimum turnover " et d'autres achats. Le délai de préavis est de six mois pour la première année du contrat, neuf mois pour la deuxième année commencée et un an pour la troisième année, dix-huit mois pour toute année subséquente commencée ;

Considérant que le Strategic Alliance Agreement prévoit en son article V g " Early Termination " que, sans préjudice de toute disposition expresse de résiliation contenue au contrat, la société Falken peut résilier immédiatement le contrat en cas : de violation importante du contrat ..., si la ligne exclusive du super-distributeur tombe soit en dessous de 66,6 % de tous les produits disponibles dans la ligne représentée, soit en dessous de 12 références de produits ;

Considérant qu'il est constant que la société Roe, qui a passé une commande initiale, n'a pas respecté le chiffre d'affaires prévu au paragraphe " Minimum Turnover " ; que la seule sanction prévue au paragraphe " Exclusivity Quota " en cas de non-respect par le super distributeur des quotas est la perte de l'exclusivité ; que la société Falken pouvait résilier immédiatement le contrat comme prévu au paragraphe " Early Termination " ; que malgré l'absence de réalisation par la société Roe du chiffre d'affaires minimum lui permettant de conserver son exclusivité, la société Falken, qui avait la possibilité de résilier de façon anticipée le contrat, a laissé le contrat se poursuivre et s'est contentée d'adresser à la société Roe, le 24 août 2007, une lettre de réclamation portant sur un montant de 3 489 025,35 euros ;

Considérant que le chiffre d'affaires prévu par le " Strategic Alliance Agreement " au paragraphe " Minimum Turnover / Good Faith Exclusivity Projection and the parties minimal expectation " ne s'entend pas comme une obligation de passer commande et d'écouler un stock minimum de produits, mais comme le chiffre d'affaires qui était attendu et auquel le maintien de l'exclusivité était subordonné ;

Considérant que l'absence de respect des quotas entraînant la perte de l'exclusivité consentie à la société Roe sur les produits non commandés et la société Falken ayant la possibilité de résilier le contrat, cette dernière, qui pouvait dès lors vendre ses produits directement en Irlande ou désigner un autre Super Distributeur, ne peut soutenir que la société Roe a bloqué tout projet de commercialisation des produits " Clean Plus " sur le marché irlandais ;

Considérant qu'au surplus, la société Falken, qui ne verse aux débats aucune pièce relative à son activité en Irlande et ne produit qu'un tableau qu'elle a elle-même réalisé mentionnant les chiffres d'affaires attendus de la société Roe, ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l'existence d'un préjudice ; qu'en conséquence, la société Falken doit être déboutée de sa demande indemnitaire au titre du non-respect des quotas minimum de vente attendus et du blocage du marché irlandais ;

Sur l'obligation de participer aux opérations de " promotions " :

Considérant que la société Falken expose, en se référant aux lignes 648 et suivantes du contrat, que la société Roe n a réalisé aucune des opérations de promotion des produits " Clean Plus " et que l'intimée aurait dû commander pour 952 045,04 euros de produits " promotions " au 28 août 2007 ;

Considérant que l'obligation à laquelle se réfère l'appelante est celle d'acheter, lors du lancement de nouveaux produits, une palette de chaque nouveau produit dans une ligne représentée ; que le contrat stipule, lignes 659 à 663, que l'absence d'achat est considérée comme un abandon de l'exclusivité sur le produit (" the failure on the part of a sp to purchase any new product introduction shall not waive the requirement for such purchase but the absence of such purchase shall be considered for the relevant purpose an abandon of exclusivity of the product reference under the conditions specified herein above ") ;

Considérant que l'absence d'achat des nouveaux produits par la société Roe laissait toute liberté à la société Falken de commercialiser ces produits directement ou par l'intermédiaire d'autres distributeurs ; que le grief fait à la société Roe de bloquer tout projet de commercialisation des produits " Clean Plus " sur le marché irlandais n'est pas démontré ; que la société Falken doit être déboutée de sa demande indemnitaire au titre des opérations de promotion et du blocage du marché irlandais ;

Sur l'obligation de non-concurrence :

Considérant que la société Falken soutient que la société Roe vend des produits de marque qui sont en concurrence directe avec les produits Clean Plus en violation de l'obligation de non-concurrence stipulée à l'article II, k du contrat (lignes 1007 et suivantes), qui ne prendra fin que deux ans après la rupture du contrat ; que l'appelante sollicite à ce titre une indemnité de 100 000 euros ;

Considérant que la société Falken, qui a déjà été déboutée par le Tribunal de commerce de sa demande au titre de la violation de la clause de non-concurrence faute d'éléments probants, n'apporte aucune précision sur les agissements qu'elle reproche à la société Roe et ne produit devant la Cour aucun élément de nature à établir la réalité de la violation qu'elle invoque ; que la société Falken doit être déboutée de sa demande à ce titre ;

Sur la demande de résiliation du " strategic Alliance Agreement " :

Considérant que la société Falken soutient que la société Roe n'ayant pas respecté les obligations mises à sa charge par le contrat de super distribution du 30 juillet 2005, ce contrat doit être résilié aux torts exclusifs de la société Roe ; que la société Roe demande la confirmation du jugement ;

Considérant qu'il est constant que le contrat n'est plus exécuté et que les conditions prévues au contrat de " super distribution " pour sa résiliation sont acquises ; que les deux parties demandent la confirmation du jugement sur ce point ; qu'eu égard à l'attitude de chacune des parties dans l'exécution du contrat, il n y a pas lieu à prononcer la résolution aux torts de la société Roe ; que le jugement sera confirmé en ses dispositions constatant la résiliation du contrat ;

Par ces motifs, Confirme le jugement ; Et y ajoutant : Condamne la société Falken Industries Ltd à verser à la société D&S Roe Ltd la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Falken Industries Ltd aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.