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Décisions

Cass. com., 23 septembre 2014, n° 13-22.624

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Carrefour Proximité France (SAS); CSF (SAS)

Défendeur :

Etablissements Segurel et fils (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Rapporteur :

Mme Tréard

Avocat général :

Mme Batut

Avocats :

SCP Odent, Poulet, SCP Gatineau, Fattaccini

T. com. Paris, du 12 janv. 2004

12 janvier 2004

LA COUR : - Attendu, selon les arrêts attaqués, statuant sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 26 mai 2009, n° 08-11.588), que la société Prodim a conclu en 1991 avec la société Supercham un contrat de franchise d'une durée de sept ans pour l'exploitation d'un fonds de commerce d'alimentation sous l'enseigne "Shopi", assorti en cas de résiliation d'une clause de non-réaffiliation d'une durée de trois ans, ainsi qu'un contrat d'approvisionnement d'une durée de cinq ans ; qu'après avoir déposé cette enseigne et substitué à celle-ci l'enseigne "Coccinelle", la société Supercham a notifié, en 1995, à la société Prodim la rupture de leurs relations contractuelles ; que cette dernière, estimant que la société Supercham avait manqué à ses obligations contractuelles, a engagé successivement deux procédures d'arbitrage ; qu'après avoir, par une première sentence du 23 septembre 1998, constaté la résiliation des contrats aux torts de la société Supercham et condamné cette dernière à payer à la société Prodim certaines sommes au titre du règlement de marchandises et de l'indemnité contractuelle de rupture, le tribunal arbitral, par une seconde sentence du 25 avril 2001, l'a également condamnée à payer au franchiseur une certaine somme à titre de dommages-intérêts en raison de la violation de la clause de non-réaffiliation ; qu'estimant que les sociétés Francap et Ségurel s'étaient rendues complices des manquements de la société Supercham à ses obligations contractuelles, la société Prodim, devenue Carrefour proximité France (la société Carrefour), et la société CSF, venant aux droits de la société Prodim au titre du contrat d'approvisionnement, les ont fait assigner en indemnisation de leur préjudice ; que l'arrêt rejetant leurs demandes a été cassé ; que les parties ont maintenu leurs prétentions devant la cour de renvoi, qui a consulté l'Autorité de la concurrence sur la licéité, au regard des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, de la clause de non-réaffiliation contestée ;

Sur les premier et deuxième moyens et les cinquième et sixième moyens, pris en leur première branche : - Attendu que ces moyens ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche : - Attendu que les sociétés Carrefour et CSF font grief à l'arrêt d'avoir déclaré recevable la tierce-opposition incidente de la société Ségurel contre la sentence arbitrale du 25 avril 2001, d'avoir jugé irrecevables leurs demandes indemnitaires autres que celles fondées sur la complicité alléguée dans la violation de la clause de non-réaffiliation, d'avoir confirmé le jugement et déclaré nulle et inopposable à la société Ségurel la clause de non-réaffiliation post-contractuelle et d'avoir en conséquence rejeté toutes leurs demandes indemnitaires, alors, selon le moyen, que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et n'ont d'effets qu'entre eux ; que le réseau constitue une entité distincte de chaque contrat de franchise conclu avec le franchiseur, constitutive d'un intérêt collectif, distinct de chaque intérêt conventionnel particulier, auquel sont attachés une image, une réputation et un savoir-faire propres ; que le franchiseur, qui en assure la protection, est en droit de demander au tiers complice d'une violation des obligations d'un franchisé réparation du préjudice qu'il a ainsi causé à cet intérêt collectif pour l'affaiblir et fortifier son propre réseau ; que cette action, tendant à la protection d'un intérêt collectif distinct, ne trouve ni son fondement ni ses limites dans une convention particulière ; qu'il s'ensuit que le franchiseur ne peut se voir opposer que sa demande se heurte à telle clause de tel contrat de franchise particulier, ni que l'application de cette clause a déjà assuré la réparation demandée ; qu'en retenant dès lors, pour s'opposer à la demande dirigée contre la société Ségurel, tiers complice, relative aux redevances postérieures à larésiliation et allant jusqu'au terme du contrat, que cette demande ne pouvait être satisfaite parce qu'elle avait déjà été l'objet d'une réparation par application de la clause pénale contenue dans le contrat de franchise liant la société Prodim à la société Supercham, la cour a violé les articles 1134 et 1165 du Code civil par fausse application, ensemble l'article 1382 du Code civil par refus d'application ;

Mais attendu que le moyen, qui attaque des motifs de l'arrêt rendu le 6 mars 2013, qui ne correspondent à aucun chef de son dispositif, est irrecevable ;

Sur le quatrième moyen : - Attendu que les sociétés Carrefour et CSF font encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que la sentence arbitrale rendue le 25 avril 2001 entre la société Prodim et la société Supercham a constaté la légalité de la clause de non-réaffiliation litigieuse ; que le recours en annulation formé contre cette sentence, fondé sur son illicéité prétendue au regard de la réglementation communautaire, a été rejeté par un arrêt du 10 décembre 2002 de la Cour d'appel de Caen ; que, rejetant le pourvoi dirigé contre cet arrêt, la Cour de cassation a jugé, le 17 janvier 2006, que "la clause de non-réaffiliation [litigieuse, qui] n'interdisait pas la poursuite d'une activité commerciale identique et se trouvait limitée dans le temps et dans l'espace (...) ne violait aucune règle d'ordre public" ; que si la sentence du 25 avril 2001 a fait l'objet d'une tierce-opposition de la part de la société Ségurel, il n'en est pas de même des arrêts précités ; que ces derniers, qui ont mis en œuvre des règles d'ordre public, ont donc autorité de chose jugé erga omnes, notamment à son égard ; qu'en jugeant dès lors, sur la demande de la société Ségurel, que la clause litigieuse inscrite au contrat de la société Supercham constituait une clause anticoncurrentielle contraire à l'article L. 420-1 du Code de commerce, la cour d'appel, qui a ainsi introduit une insoutenable contradiction entre les décisions rendues, au regard de la même clause et des mêmes règles, a violé l'article 1351 du Code civil, ensemble l'article susvisé du Code de commerce ;

Mais attendu qu'ayant relevé qu'une sentence arbitrale est revêtue d'une autorité de chose jugée qui n'a d'effet qu'entre les parties et souverainement apprécié l'intérêt de la société Segurel, qui n'était ni partie ni représentée à l'instance arbitrale, à former une tierce opposition incidente à son encontre, la cour d'appel, après avoir justement retenu la recevabilité de ce recours, a pu en déduire que la société Ségurel pouvait invoquer la non-conformité de la clause litigieuse aux articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, pour faire échec à l'action en responsabilité dirigée contre elle, nonobstant le caractère définitif de la sentence à l'égard des parties ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le cinquième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches et le sixième moyen, pris en sa seconde branche, réunis : - Attendu que les sociétés Carrefour et CSF font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1°) qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si, à tout le moins, le prévisionnel fourni au franchisé sous forme de tableau de bord pour optimiser l'exploitation de son fonds ne constituait pas, à lui seul, un savoir-faire identifié [puisque mis au point exclusivement par la société Prodim], substantiel [puisque déterminant les conditions et objectifs devant être remplis par le franchisé pour pérenniser l'exploitation], et secret [puisque, reposant sur des éléments internes au réseau, il était exclusivement communiqué au franchisé], rendant indispensable sa protection par la clause de non-réaffiliation litigieuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du Code civil et L. 420-1 du Code de commerce ; 2°) que les sociétés avaient souligné que le franchiseur avait fourni au franchisé, à la signature du contrat, un certain nombre de prestations élaborées par lui, que ne fournissait pas la société Ségurel et que le franchisé, par hypothèse, ne pouvait se fournir lui-même : prévisionnel, étude de marché et information pré-contractuelle complète, concept clé en mains incluant le matériel, correspondant à un cahier des charges précis, enseigne et logiciel propriétaires, prévisionnel sous forme de tableau de bord contenant toutes les données économiques et financières du réseau ; que la cour d'appel a pourtant retenu que le savoir-faire considéré ne justifiait pas d'être protégé par la clause de non-réaffiliation, au motif que sa consistance était "limitée (...) de faible technicité, spécificité et originalité" ; qu'en se déterminant ainsi, sans avoir recherché, comme les éléments mis en relief par les sociétés l'y invitaient, si le savoir-faire transmis, à la date du contrat, ne comportait pas un ensemble de techniques, informations et services qui avait permis au franchisé de prendre en mains son commerce en mettant en œuvre des procédés qu'il n'aurait pas pu découvrir par lui-même, ou, dans le meilleur des cas, qu'il n'aurait pu découvrir qu'à la suite de recherches personnelles longues et coûteuses, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du Code civil et L. 420-1 du Code de commerce ; 3°) que pour juger que la durée de trois ans de la clause litigieuse était disproportionnée, la cour a retenu que "la possibilité pour les arbitres de moduler la durée de la clause en cause ne constitue nullement une atténuation" du principe de la proportionnalité de la durée, et que l'Autorité ayant souligné dans sa décision 10-D-08 "que l'arbitrage a un coût compris entre 35 000 et 45 000 euros, rendant incertain le recours par le franchisé à des procédures d'arbitrages", il y avait lieu de considérer que "l'objectif poursuivi par le franchiseur (était) donc de garantir la non-réaffiliation et le non-achat de MDD concurrentes jusqu'au terme du contrat ou pour la durée la plus longue possible", ce qui justifiait que la clause litigieuse soit déclarée contraire aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ; qu'en se déterminant par de tels motifs, quand un arbitrage était effectivement intervenu en l'espèce, et les parties étaient convenues de donner au juge la possibilité de moduler les effets du contrat, y compris de la durée de la clause litigieuse, la cour aurait violé l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant relevé l'existence d'un savoir-faire, dont elle a apprécié les faibles technicités, spécificité, et originalité, comme étant centré sur la politique de promotion de l'enseigne, incluant sa politique tarifaire, et souligné que les méthodes de ce savoir-faire sont abandonnées au profit de celles du nouveau franchiseur quand un franchisé s'affilie à une autre enseigne, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a légalement justifié sa décision ;

Attendu, en second lieu, qu'après avoir constaté que l'interdiction faite au franchisé de se réaffilier et de vendre des produits de marques de distributeur liées à une enseigne de renommée nationale ou régionale concurrente ne trouve application que lorsque le contrat prend fin par anticipation en raison de fautes du franchisé, l'arrêt retient, d'abord, que cette clause tend à décourager les franchisés de quitter prématurément le réseau, ne concerne pas la protection du savoir-faire et des intérêts légitimes du franchiseur et a pour effet de porter une atteinte illégitime à la liberté du franchisé d'exercer son commerce dans des conditions normales ; qu'il relève, ensuite, qu'à l'égard des clauses de non-concurrence, qui en principe apportent une restriction plus grande à la liberté commerciale du franchisé que les clauses de non-réaffiliation, la durée raisonnable fixée par les règlements communautaires n° 4087-88 et n° 330-2010, pour protéger les droits du franchiseur et la réputation du réseau, ne peut excéder un an, et qu'il n'est pas démontré que le commerce de distribution de détail alimentaire présente une technicité telle qu'il impose une clause de non-réaffiliation d'une durée de trois ans ; qu'il constate, enfin, au sein du réseau Carrefour, une variabilité de la durée des clauses de non-réaffiliation que le franchiseur n'a pu expliquer par des raisons objectives ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire, sans encourir le grief de la troisième branche qui critique des motifs surabondants, que disproportionnée au but poursuivi, la clause l'était également dans sa durée ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche : - Vu les articles 623, 624 et 625 du Code de procédure civile ; Attendu que la cassation qui atteint un chef de dispositif n'en laisse rien subsister, quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation ; Attendu que pour déclarer irrecevables les demandes des sociétés Prodim et CSF autres que celles tendant à obtenir indemnisation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil au titre de la violation de la clause de non-réaffiliation, l'arrêt du 6 mars 2013 retient que la censure s'attachant à l'arrêt du 22 novembre 2007 ne peut qu'être limitée à la portée du moyen considéré et donc circonscrite aux énonciations de l'arrêt statuant sur la complicité de violation de la clause de non-réaffiliation post-contractuelle par la société Segurel ;

Attendu qu'en statuant ainsi, sur renvoi d'un arrêt de cassation ayant annulé l'arrêt du 22 novembre 2007 en ce que, confirmant le jugement déféré, il a rejeté l'ensemble des demandes des sociétés Prodim et CSF Champion supermarché, venant aux droits de la société Prodim, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs LA COUR, Rejette le pourvoi en ce qu’il est formé contre l’arrêt rendu le 16 novembre 2011 par la Cour d’appel de Paris ; casse et annule, mais seulement en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes des sociétés Carrefour proximité France et CSF autres que celles tendant à obtenir indemnisation sur le fondement de l’article 1382 du Code civil de la complicité alléguée de la société Segurel dans la violation de la clause de non-réaffiliation, l’arrêt rendu le 6 mars 2013, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.