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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 25 septembre 2014, n° 12-20424

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

BDP (SARL)

Défendeur :

Ed Food (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur

Avocats :

Mes Fisselier, Tiquant, Girard

T. com. Bobigny, 8e ch., du 9 oct. 2012

9 octobre 2012

FAITS ET PROCÉDURE

Les sociétés BDP et Ed Food sont implantées dans des communes limitrophes de la banlieue parisienne et ont toutes deux conclu un contrat de franchise, respectivement, en novembre 2009 et octobre 2007, pour exploiter la marque " Speed Rabbit Pizza ".

Soutenant que la société Ed Food mettait en œuvre des actes de concurrence déloyale à son détriment en démarchant sa clientèle, la société BDP l'a fait assigner en réparation devant le Tribunal de commerce de Bobigny.

Vu le jugement rendu le 9 octobre 2012, par lequel le Tribunal de commerce de Bobigny a :

- débouté la société BDP de ses demandes envers la société Ed Food ;

- débouté les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu l'appel interjeté par la société BDP le 13 novembre 2012 contre cette décision.

Vu les conclusions signifiées par la société BDP le 21mai 2014, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris ;

- enjoindre la société Ed Food de cesser ses actes de concurrence déloyale sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement ;

- condamner la société Ed Food au paiement à la société BDP des sommes de :

. 324 000 euros au titre de la marge perdue depuis 36 mois ;

. 27 128,50 euros au titre de la perte d'efficacité de ses dépenses de publicité ;

. 50 000 euros en réparation de la perturbation de ses relations avec son franchiseur.

- condamner la société Ed Food à payer une publication judiciaire sous forme d'une lettre adressée à tout le réseau " Speed Rabbit Pizza " et indiquant que les franchisés doivent respecter leur zone d'exclusivité respective et ne pas tenter de capter les chalands des zones d'exploitation affectées à un autre franchisé ;

- condamner la société Ed Food à payer la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société BDP affirme que la société Ed Food a commis des fautes constitutives de concurrence déloyale, qu'elle a violé l'exclusivité territoriale précisée dans son contrat de franchise. Elle invoque au soutien de ses affirmations un constat d'huissier qui démontre, selon elle, que sa concurrente procède à du démarchage actif sur sa zone de chalandise et falsifie ses tickets pour couvrir les violations de son périmètre territorial. Elle invoque aussi un rapport établi par un détective privé, mandaté par elle, qui a relevé de multiples pratiques déloyales de la société Ed Food, notamment, en accordant des tarifs spéciaux à l'endroit des clients de son propre secteur en dépit des reproches que lui a adressés le franchiseur.

Vu les conclusions signifiées par la société Ed Food le 14 mai 2014, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- constater que la société BDP ne peut se prévaloir d'une clause de " protection territoriale absolue " ;

- constater que la société BDP ne justifie ni de la réalité du démarchage qu'elle prétend reprocher à la société Ed Food, ni du préjudice qu'elle allègue à ce titre, ni d'un quelconque lien de causalité entre les fautes reprochées à la société Ed Food et le dommage invoqué ;

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant :

- constater que la société BDP a commis un acte avéré de concurrence déloyale ;

- condamner la société BDP à verser à la société Ed Food la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral d'ores et déjà subi ;

- condamner la société BDP à payer la somme de 9 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Ed Food soutient qu'elle n'a commis aucune faute au détriment de la société BDP. Elle précise à titre liminaire que le droit de la concurrence, tant national qu'européen, prohibe toute " protection territoriale absolue ". Elle ajoute qu'elle ne procède pas au démarchage actif de la clientèle de la société BDP. L'intimée conteste le caractère probant du constat d'huissier auquel a fait procéder la société BDP, ainsi que le rapport du détective privé qui a recouru à des méthodes déloyales. Elle soutient que la société BDP ne démontre aucun préjudice.

Enfin elle fait valoir que l'ensemble de la procédure comme le recours à un détective privé constituent des actes de concurrence déloyale à son détriment, dont elle demande réparation.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée, ainsi qu'aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la violation par la société Ed Food de la zone d'exclusivité de la société BDP

Le contrat conclu par la société BDP lui confère une zone d'exclusivité comprenant les villes de Nogent-sur-Marne et de Fontenay-sous-Bois.

Ainsi que le soutient la société Ed Food, il résulte des principes du droit de la concurrence que s'il est admis que dans le cadre des contrats qu'il conclut, un franchiseur puisse accorder à ses franchisés des zones de distribution exclusive, il ne peut toutefois interdire à ceux ci-de répondre à des demandes de clients potentiels qui résideraient sur la zone d'exclusivité d'un autre franchisé. Est, en revanche, constitutif de concurrence déloyale, le fait pour un franchisé qui bénéficie d'une clause d'exclusivité de démarcher la clientèle d'un autre franchisé qui bénéficie d'un même avantage sur un autre territoire géographique.

Cependant, la société BDP ne démontre pas que sa concurrente la société Ed Food procéderait à des actes de démarchage actif.

En effet, le constat d'huissier du 15 décembre 2011, selon lequel des prospectus de la société Ed Food ont été retrouvés dans les poubelles de plusieurs halls d'immeubles implantés dans la ville de Fontenay-sous-Bois, ne permet pas de constater que ces prospectus auraient été déposés dans les boîtes aux lettres par la société Ed Food et l'attestation de Mme Hamon indiquant qu'elle en avait trouvé un dans sa boîte aux lettres n'en rapporte pas davantage la preuve. Par ailleurs, ni l'attestation de Mme Guarnéri, qui indique s'être fait livrer, à sa demande et à deux reprises des pizzas, par le magasin de Rosny, ni les deux tickets de caisse produits en annexe 12 par la société BDP, ne rapportent aucune preuve d'un démarchage actif de la part de la société Ed Food.

En outre, la société BDP ne rapporte aucune preuve de ce que le gérant de la société Ed Food lui aurait affirmé que lorsqu'il exploitait la zone géographique de Fontenay-sous-Bois, il réalisait un chiffre d'affaires de 5 000 euros par mois et il ne peut en être tiré aucune conséquence.

La société BDP verse aux débats un rapport d'enquête réalisée par un détective privé, lequel ne peut être retenu à titre de preuve que pour autant qu'il témoigne de faits directement constatés par l'enquêteur privé et recueillis selon des procédés loyaux. Sans qu'il soit nécessaire d'examiner si ces deux conditions sont remplies, il convient de relever que ce rapport ne témoigne d'aucune pratique de démarchage que l'enquêteur aurait constatée personnellement. Il indique d'ailleurs sur ce point dans sa conclusion que " Durant la période de surveillance il ne nous a pas été possible d'observer la distribution de prospectus car M. E. ne semble pas faire appel à une société de distribution officielle (...) Bien évidemment, nous n'avons pas constaté que des distributions de prospectus étaient effectuées sur Fontenay-sous-Bois, durant la période de l'enquête, ce qui n'est pas surprenant compte tenu de la proximité des échéances judiciaires annoncées (...). "

Par un constat établi par huissier le 8 janvier 2013, il est établi que le magasin exploité par la société Ed Food à Rosny, a livré deux pizzas commandées par téléphone à une adresse située à Fontenay, ce qui ne lui est pas interdit, mais qu'elle a laissé un ticket de caisse indiquant la ville de Rosny comme adresse de livraison, ce qui pourrait témoigner d'une démarche de dissimulation. Cependant, ce constat qui n'est corroboré par aucun élément tangible, ne démontre pas le démarchage allégué par la société BDP.

Enfin, le fait que la société Ed Food ait appliqué un tarif promotionnel à des entreprises situées à Fontenay-sous-Bois, sans qu'il soit démontré qu'elle les aurait démarchées, d'une part, et qu'elle n'appliquerait pas ce même tarif aux entreprises situées dans sa zone de distribution, est inopérant.

Dans ces conditions, la preuve du démarchage par la société Ed Food de la clientèle de la société BDP n'est pas rapportée. Il n'y a, en conséquence, pas lieu d'examiner les agissements qualifiés par la société BDP d'actes de concurrence déloyale, dès lors que la concurrence résultant du démarchage n'est pas établie. Le jugement qui a rejeté les demandes indemnitaires de la société BDP doit être confirmé.

Sur la demande reconventionnelle de la société Ed Food

La société Ed Food soutient que la société BDP en faisant appel à un enquêteur privé avait pour objectif de la déstabiliser et de la dénigrer, ainsi que son dirigeant, en vue de freiner son activité. Elle estime que ce procédé et ces agissements sont constitutifs de concurrence déloyale.

Cependant, il ne ressort pas du rapport d'enquête privée que celui qui y a procédé aurait dénigré la société Ed Food ou son dirigeant auprès de ses salariés ou de sa clientèle. Il n'est pas démontré, non plus, d'autres actes constitutifs de dénigrement de la part de la société plaignante. Par ailleurs, la société Ed Food ne démontre aucun préjudice qui aurait résulté de l'accomplissement des actes qu'elle dénonce. Sa demande de dommages-intérêts doit donc être rejetée.

Sur les frais irrépétibles

L'ensemble des éléments de la cause ne justifie pas le prononcé de condamnation en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Statuant au surplus, rejette les demandes de dommages-intérêts de la société Ed Food ; dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; rejette toutes demandes autres, plus amples ou contraires des parties ; Condamne la société BDP aux dépens.