Livv
Décisions

ADLC, 21 août 2014, n° 14-DCC-123

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à la prise de contrôle exclusif de la société Brasserie Lorraine par la société Antilles Glaces

ADLC n° 14-DCC-123

21 août 2014

L'Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 1er juillet 2014, relatif à la prise de contrôle exclusif de la société Brasserie Lorraine par la société Antilles Glaces formalisée par un contrat de cession d'actions en date du 22 avril 2014 ; Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les engagements présentés le 1er et le 19 août 2014 par la partie notifiante ; Vu les autres pièces du dossier ; Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l'opération

1. Antilles Glaces (ci-après " AG "), est détenue à 100 % par les membres de la famille Huygues Despointes, personnes physiques qui n'exercent pas d'autres activités économiques. AG est à la tête du groupe Antilles Glaces, qui est actif en matière de fabrication et de distribution en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane (i) de bières (1), notamment sous les marques Corsaire, Malta du Corsaire et Meuse, (ii) de boissons gazeuses, notamment sous les marques Coca Cola, Sprite, Fanta, Orangina, Canada Dry, Ricqlès et Royal Soda, (iii) de jus de fruits, notamment sous les marques Minute Maid, Oasis, Mont Pelé, Réa, Capri-Sonne et Caresse Antillaise, (iv) d'eaux minérales, notamment sous les marques Evian, Badoit et Volvic, (v) de glaces, notamment sous les marques Miko, Cornetto, Carte d'Or, Magnum, Floup, et (vi) de confitures, notamment sous les marques Royal et Dormoy.

2. Heineken Antilles Guyane Brasserie Lorraine (ci-après " Brasserie Lorraine " ou " BL ") est une filiale du groupe Heineken. Brasserie Lorraine est active dans les secteurs de la fabrication et de la distribution de bière en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane. BL (i) fabrique de la bière sous les marques Lorraine et Porter 39 (2), (ii) distribue la bière Lorraine directement ou via des entrepositaires-grossistes en Martinique et par l'intermédiaire d'importateurs-grossistes en Guadeloupe et en Guyane, (iii) distribue, en qualité d'importateur grossiste, en Martinique, des bières du groupe Heineken, notamment Heineken et Desperados (3), (iv) vend les bières du groupe Heineken à des importateurs-grossistes en Guadeloupe et en Guyane.

3. Préalablement à l'opération les activités de BL ont été scindées en deux. En application d'un traité d'apport partiel d'actif en date du 2 avril 2014, BL a apporté à la société Heineken Antilles Guyane (" HFWI "), créée pour les besoins de l'opération et contrôlée par le groupe Heineken, l'ensemble des éléments d'actif et de passif constituant la branche d'activité de distribution des marques du groupe Heineken dans les Antilles et en Guyane. Ainsi, BL conserve uniquement son activité de production et de distribution de la bière Lorraine en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane.

4. Aux termes du contrat de cession d'actions en date du 22 avril 2014, l'opération consiste en l'acquisition par AG de 80 % du capital et des droits de vote de BL. Heineken conservera le solde du capital (4).

5. Un projet de pacte d'actionnaires prévoit en outre que BL sera dirigée par un comité stratégique [confidentiel]. Les décisions du comité stratégique seront adoptées à la majorité des voix, Heineken disposant néanmoins de droits de veto visant à protéger ses intérêts patrimoniaux. Il en résulte que seule AG sera en mesure d'exercer une influence déterminante sur les décisions stratégiques de BL, les décisions sur lesquelles Heineken détient des droits de veto n'étant pas susceptibles de lui permettre d'exercer une telle influence sur BL. Enfin, BL et HFWI signeront un contrat de distribution en vertu duquel BL distribuera, en qualité d'importateur grossiste, les bières de marque Heineken et Desperados en Martinique.

6. Il résulte de ce qui précède qu'à l'issue de l'opération (i) BL fabriquera les bières Lorraine, Corsaire et Malta du Corsaire ainsi que Porter 39, cette dernière étant fabriquée pour le compte d'un tiers, (ii) BL distribuera Lorraine en Martinique, en direct ou via des entrepositaires-grossistes, (iii) BL vendra les bières de marque Lorraine à des importateurs- grossistes en Guadeloupe et en Guyane, (iv) BL distribuera, en Martinique, Heineken et Desperados et les revendra en direct ou à des entrepositaires-grossistes, (v) AG distribuera les bières Corsaire et Malta du Corsaire en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane.

7. En ce qu'elle entraîne la prise de contrôle exclusif de la société Brasserie Lorraine par le groupe Antilles Glaces, l'opération constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du code de commerce.

8. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 75 millions d'euros (groupe Antilles Glaces : [...] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2013 ; Brasserie Lorraine : [...] d'euros pour le même exercice). Chacune des entreprises concernées réalise en Martinique un chiffre d'affaires supérieur à 15 millions d'euros (groupe Antilles Glaces : [...] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2013 ; Brasserie Lorraine : [...] d'euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au III de l'article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatives à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

9. Les parties sont simultanément présentes sur les marchés de la bière. En effet, BL fabrique la bière Lorraine en Martinique et y importe et distribue les bières Heineken et Desperados. AG distribue les bières Corsaire et Malta du Corsaire dont elle sous-traite préalablement à l'opération la fabrication à la brasserie Carib située à Trinidad. La fabrication de Corsaire et Malta du Corsaire sera assurée par BL à l'issue de l'opération.

10. Par ailleurs, AG est également active en matière de fabrication et de distribution de boissons sans alcool.

11. Les parties sont présentes en Martinique, en Guyane et en Guadeloupe. Toutefois, l'opération n'entraîne qu'un chevauchement minime sur ces deux derniers territoires dans la mesure où la cible n'y est présente que de manière marginale. En effet, la bière Lorraine représente moins de 1 % des volumes commercialisés en Guyane et en Guadeloupe et les marques Heineken et Desperados n'y sont pas distribuées par BL mais par d'autres importateurs-grossistes approvisionnés par Heineken. Par conséquent, l'analyse de la présente opération sera limitée à la Martinique.

A. LES MARCHÉS DE LA BIERE

1. LES MARCHÉS AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT EN BIÈRE

a) Les marchés de produits

Segmentation par type de produits

12. Une pratique décisionnelle constante (5) considère que la bière doit être distinguée des autres boissons. En effet, les caractéristiques de la bière en font un produit spécifique aux yeux des consommateurs. La Commission européenne a rappelé, dans sa décision Interbrew-Bass (6), qu'il convenait d'isoler un marché de la bière compte tenu de son degré alcoolique, de son goût et des différences de prix avec les autres boissons. Elle a également envisagé, tout en laissant la question ouverte, une segmentation en fonction du type de bière compte tenu de ses caractéristiques (lager-ale) ou du positionnement du produit (standard-luxe). Le Conseil de la concurrence, dans ses avis n° 04-A-07 et n° 04-A-08, a également envisagé une distinction entre les bières " de luxe ", bières spéciales et bières de spécialité mais a finalement considéré qu'une segmentation plus fine n'était pas nécessaire dans la mesure où ces segments restent largement substituables entre eux pour le consommateur final. Cette délimitation a été confirmée en l'espèce par le test de marché.

Segmentation par canal de distribution

13. Les autorités de concurrence (7) distinguent de manière constante un marché de la bière destinée à la distribution alimentaire (ci-après " GMS ") et un marché de la bière destinée à la consommation hors domicile (ci-après " CHD ") en tenant compte des facteurs suivants. Premièrement, la consommation de bière dans un débit de boisson satisfait le " plaisir " de consommer de la bière, mais aussi de le faire dans un établissement de restauration. La consommation de bière en établissement de restauration se distingue donc de la consommation de bière à domicile pour laquelle l'agrément du consommateur ne dépendra que des qualités du produit. D'autre part, comme cela sera détaillé ci-dessous, les circuits de livraison des points de vente CHD diffèrent de ceux de la distribution alimentaire. En effet, les centrales d'achats des GMS sont livrées directement par les brasseurs tandis qu'il existe, pour le canal CHD, un intermédiaire entre les brasseurs et le point de vente : l'entrepositaire-grossiste. Celui-ci livre les points de vente en petites quantités, à une fréquence qui peut être de plusieurs fois par semaine et récupère les emballages consignés. En outre, il procède souvent à l'entretien et la sanitation des tirages de bière.

14. Le canal CHD comprend habituellement les cafés, hôtels et restaurants. Les parties soutiennent qu'il convient d'y ajouter les petits snacks, les stations services, les boulangeries et les petites épiceries. En effet, elles précisent que dans les départements d'outre-mer (" DOM "), la bière est principalement consommée en bouteille ou en boîte plutôt qu'en fût. Aussi, le service fourni aux cafés, hôtels et restaurants ne se distingue guère du service fourni aux autres points de vente où la bière est consommée sur place. Le test de marché a confirmé la pertinence de cette position. De plus, la Commission européenne (8) a déjà été amenée à regrouper dans un même marché les hôtels, cafés, bars, restaurants et magasins de proximité dans la mesure où ceux-ci étaient inclus dans le flux logistique à destination des établissements CHD et non dans celui à destination des GMS.

15. En tout état de cause, il n'est pas nécessaire de trancher plus avant la question de la délimitation exacte du marché, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées quelle que soit la définition retenue. En l'espèce, le canal CHD inclura les petits snacks, les stations services, les boulangeries et les petites épiceries.

Segmentation par niveau d'approvisionnement

16. La production de bière comprend le brassage et le conditionnement. Ensuite, en fonction du canal de distribution choisi, les brasseurs, les importateurs-grossistes ou agents de marques et les entrepositaires-grossistes prennent en charge la logistique, le marketing et la publicité.

17. En ce qui concerne la France métropolitaine, le Conseil de la concurrence (9) puis le ministre (10) ont relevé que les centrales d'achat des GMS achètent la bière auprès des brasseurs directement, les plateformes logistiques des distributeurs allant chercher les produits à la brasserie. Concernant le canal de distribution à destination des CHD, le brasseur vend la bière à l'entrepositaire-grossiste qui la vend ensuite à l'établissement CHD. Par conséquent, il a été considéré qu'il existait un marché amont de l'approvisionnement en bière segmenté en fonction du canal de distribution, l'un, à destination des GMS, consistant en la vente de bière du brasseur aux centrales d'achat, l'autre, à destination de la CHD, consistant en la vente de bière du brasseur à l'entrepositaire-grossiste.

18. Il convient toutefois d'adapter cette délimitation à la situation spécifique des DOM.

L'approvisionnement en bière des importateurs-grossistes dans les DOM

19. L'Autorité a relevé dans l'avis n° 09-A-45 relatif aux mécanismes d'importation et de distribution des produits de grande consommation dans les départements d'outre-mer (11), qu'il existe un modèle d'approvisionnement spécifique aux DOM. Celui-ci consiste, pour l'industriel, à recourir à un intermédiaire, généralement désigné sous le terme d'" importateur-grossiste " ou d'" agent de marque ", qui assure certaines opérations logistiques (stockage, livraisons), revend aux distributeurs les produits achetés auprès des industriels et prend en charge certaines actions commerciales (promotions notamment). En matière de bière, les brasseurs internationaux ont effectivement recours à des importateurs-grossistes afin de distribuer leur bière dans les DOM. C'est le cas de Heineken avec BL, pour les marques Heineken et Desperados, de AB Inbev avec Socara, pour Corona, ou de Carlsberg avec Sodimar, pour Kronenbourg et Carlsberg.

20. En l'espèce, l'opération n'entraîne pas de chevauchement d'activité dans la vente de bière des brasseurs internationaux aux importateurs-grossistes puisque seule BL est présente en tant qu'acheteur sur ce marché (pour les bières Heineken et Desperados). Il n'est donc pas nécessaire de se prononcer sur l'existence d'un marché de l'approvisionnement en bière des importateurs-grossistes par les brasseurs internationaux.

L'approvisionnement en bière des GMS et des entrepositaires-grossistes en Martinique

21. En Martinique, les GMS sont approvisionnées en bière par (i) les importateurs-grossistes, pour les bières non fabriquées en Martinique et (ii) BL pour la marque Lorraine, celle-ci étant l'unique bière fabriquée localement. Les effets de l'opération seront donc examinés sur le marché de l'approvisionnement en bière des GMS par les importateurs-grossistes et le brasseur local.

22. Dans le circuit CHD, si la majorité des importateurs-grossistes livre directement les CHD, certains ont recours à un intermédiaire, l'entrepositaire-grossiste, qui assure lui-même les prestations logistiques et le marketing. Dans ce cas, le rôle de l'importateur-grossiste se limite aux formalités relatives à l'importation et au stockage des produits à leur descente du bateau. C'est le cas de BL, qui a externalisé la quasi-totalité de la logistique et du marketing de ses flux destinés aux CHD, à la fois pour ses bières d'importation et pour la bière Lorraine qu'elle fabrique sur place. Les autres importateurs-grossistes n'ont pas opéré ce choix stratégique mais peuvent livrer des entrepositaires-grossistes de manière plus marginale (pour environ un dixième de leurs volumes aux CHD) principalement pour répondre à la demande spontanée de ces derniers. Il en résulte que, dans la majorité des cas, à l'exception de BL, l'importateur-grossiste exerce également des fonctions d'entrepositaire-grossiste. Cette situation a été confirmée par le test de marché, les établissements de CHD ayant souligné qu'ils n'étaient pas en mesure de déterminer si leur fournisseur agissait en qualité d'importateur-grossiste ou d'entrepositaire-grossiste, et ce, même si ces différents fournisseurs leur offrent les mêmes prestations.

23. L'entrepositaire-grossiste ou l'importateur-entrepositaire-grossiste a un rôle précis dans la distribution de bière aux établissements CHD ainsi que l'a déjà relevé le Conseil de la concurrence dans ses avis n° 04-A-07 et n° 04-A-08 précités. En effet, il livre ses clients à une fréquence qui dépend du taux de rotation des produits mais qui peut être de plusieurs fois par semaine, souvent sur une grande amplitude horaire. Il récupère les emballages consignés et prend en charge le marketing. L'entrepositaire grossiste procède également à l'entretien des tirages à la pression, activité toutefois marginale dans les DOM, où les volumes de bière en fût ne représentent que 5 % du marché.

24. En l'espèce, les entrepositaires-grossistes ont peu d'alternatives d'approvisionnement en bière, puisque BL représente près de [80-90] % de l'offre. Toutefois, l'analyse de la substituabilité des services du point de vue de la demande n'exclut pas la prise en compte des caractéristiques de l'offre, dans la mesure où celles-ci peuvent expliquer le comportement de la demande. Au cas présent, la stratégie mise en place par BL pour la distribution de ses bières dans le circuit CHD en Martinique, à savoir le recours quasi-exclusif à des entrepositaires-grossistes, a un impact direct sur la substituabilité du point de vue des clients CHD.

25. Il en résulte que l'opération sera analysée sur un marché de l'approvisionnement des entrepositaires-grossistes par (i) BL en tant que brasseur local (pour la bière Lorraine) et importateur-grossiste (pour les bières Heineken et Desperados) et par (ii) les autres importateurs-grossistes.

b) Les marchés géographiques

26. La pratique décisionnelle nationale (12) a considéré que le marché de l'approvisionnement en bière était de dimension nationale.

27. S'agissant des DOM, comme l'Autorité de la concurrence l'a relevé dans son avis n° 09-A-45 relatif aux mécanismes d'importation et de distribution des produits de grande consommation dans les DOM, il convient de retenir le caractère spécifique des circuits d'approvisionnement et ses effets sur l'équilibre concurrentiel des marchés concernés. Une partie importante de l'approvisionnement provient de producteurs et de grossistes locaux, afin notamment de satisfaire aux goûts et habitudes alimentaires locales mais aussi de limiter les coûts d'importation dont celui du fret maritime et de l'octroi de mer. A l'occasion d'opérations intervenant dans les DOM, la pratique décisionnelle nationale a donc envisagé que les marchés géographiques pertinents en matière d'approvisionnement puissent être limités à chaque DOM d'une part, et à la zone Antilles-Guyane d'autre part (13).

28. Il n'y a pas lieu de remettre en cause ces délimitations à l'occasion de la présente opération.

29. En l'espèce, les parties sont présentes en Martinique, en Guyane et en Guadeloupe. Toutefois, pour les raisons indiquées ci-dessus tenant aux effets minimes de l'opération, en Guyane et en Guadeloupe, l'analyse de la présente opération sera limitée à la Martinique.

2. LE MARCHÉ DE LA VENTE DE BIÈRE AUX ÉTABLISSEMENTS CHD

a) Les marchés de produits

30. La pratique décisionnelle nationale (14) a identifié un marché de la distribution de bière des entrepositaires-grossistes aux établissements CHD compte tenu des caractéristiques inhérentes aux flux de livraison du canal CHD développées ci-dessus.

31. Afin de tenir compte des spécificités de la distribution de bière dans les DOM, l'opération sera analysée sur le marché de la distribution de bière aux CHD par le brasseur local, les entrepositaires-grossistes et les importateurs-grossistes ayant également une activité d'entrepositaire.

b) Les marchés géographiques

32. La pratique décisionnelle (15) a mis en évidence une double dimension géographique du marché de la distribution de bière à destination des établissements CHD, à la fois nationale et locale, dans une zone comprise dans un rayon de 80 à 100 km autour de la ville où l'entrepôt cible est situé.

33. En l'espèce, la délimitation géographique sera limitée à la Martinique, seul territoire concerné par l'opération. Il n'est pas utile de se prononcer sur la nécessité de définir des zones de chalandise plus réduites au sein de la Martinique, dans la mesure où la majorité des entrepositaires-grossistes et le brasseur local se concurrencent sur le territoire de la Martinique dans son ensemble.

34. En conclusion, l'opération sera analysée sur les marchés suivants :

- le marché de l'approvisionnement en bière des GMS par les importateurs-grossistes et le brasseur local ;

- le marché de l'approvisionnement en bière des entrepositaires-grossistes pour le canal CHD par le brasseur local et les importateurs-grossistes ;

- le marché de l'approvisionnement en bière des établissements CHD par le brasseur local et les entrepositaires-grossistes (incluant les importateurs-grossistes exerçant une fonction d'entrepositaire).

B. LES BOISSONS SANS ALCOOL

a) Délimitation par produits

Segmentation par type de produits

35. Les autorités de concurrence françaises (16) et communautaires (17) distinguent, au sein des boissons sans alcool (ci-après " BSA ") les boissons gazeuses sans alcool (ci-après " BGSA ") des boissons rafraichissantes sans alcool (ci-après " BRSA "). Au sein des BGSA, une segmentation supplémentaire est opérée entre les boissons à base de cola et celles sans cola. Les BRSA sont subdivisées à leur tour entre les jus de fruits, les sirops (incluant les concentrés) et " soft drinks ". Au sein des jus de fruits, la Commission a isolé un marché du jus d'orange. La pratique n'a pas envisagé à ce jour une distinction entre les jus de fruits longue conservation et les jus de fruits frais.

36. Il n'est pas utile de se prononcer plus avant sur une segmentation plus fine du marché des jus de fruits, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées quelle que soit la délimitation retenue.

37. En l'espèce, seule AG fabrique et distribue des BGSA, incluant des BGSA à base de cola et des BGSA sans cola, ainsi que des jus de fruits.

Segmentation selon le positionnement commercial du produit

38. En matière de produits alimentaires, les autorités de concurrence distinguent dans certains cas les produits vendus sous marque de fabricant (" MDF ") et ceux vendus sous marque de distributeur (" MDD ").

39. En l'espèce, la question de la délimitation précise des marchés peut être laissée ouverte les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées quelle que soit la délimitation retenue.

Segmentation par canal de distribution

40. Une segmentation supplémentaire est traditionnellement opérée en fonction du canal de distribution, selon que les boissons sont destinées au circuit GMS ou au circuit CHD. Antilles Glaces est présente sur ces deux canaux de distribution.

Segmentation par niveau d'approvisionnement

41. Ainsi que cela a été exposé ci-dessus, les fabricants nationaux recourent souvent à des importateurs-grossistes pour distribuer leurs produits dans les DOM. On notera toutefois qu'AG fabrique un grand nombre des boissons qu'elle commercialise en Martinique. Il n'est cependant pas nécessaire de se prononcer sur la pertinence d'un marché de la vente de boissons par les fabricants aux importateurs-grossistes, cette activité n'étant pas concernée par l'opération.

42. Dans le circuit GMS, les importateurs-grossistes ou les fabricants locaux livrent directement les centrales d'achats. L'opération sera donc analysée sur le marché de l'approvisionnement des GMS en BGSA et en jus de fruits, en opérant la segmentation par type de produits.

43. BL n'étant pas active en matière de distribution de BGSA, les importateurs-grossistes et les fabricants locaux présents sur ce marché ont, comme pour les bières, peu recours aux entrepositaires-grossistes mais livrent directement leurs produits aux établissements CHD. L'opération sera donc analysée sur le marché de l'approvisionnement des établissements CHD en BGSA et en jus de fruits par les importateurs-grossistes, les fabricants locaux et de manière marginale, les entrepositaires-grossistes, en opérant la segmentation par type de produits décrite ci-dessus.

b) Délimitation géographique

44. Compte tenu des arguments développés ci-dessus, la délimitation des marchés des BSA sera limitée à la Martinique.

III. Analyse concurrentielle

A. ANALYSE DES EFFETS HORIZONTAUX

45. AG et BL sont présents simultanément en tant qu'offreurs sur le marché de l'approvisionnement en bière des GMS et sur le marché de l'approvisionnement direct en bière des établissements CHD. Cependant, l'essentiel des ventes de bière de BL à destination des établissements CHD est intermédiée et transite par des entrepositaires-grossistes.

1. MARCHÉ DE L'APPROVISIONNEMENT EN BIÈRE DES GMS

46. Le tableau ci-dessous présente la position d'AG, de BL et de leurs concurrents sur le marché de la vente de bière aux GMS.

<Emplacement Tableau>

47. Il ressort de ces éléments qu'avant l'opération BL dispose d'une position de leader sur le marché de la vente de bière aux GMS en Martinique, avec une part de marché d'environ [50-70] %. Son pouvoir de marché est d'autant plus important qu'elle distribue les bières Heineken et Desperados, qui bénéficient d'une forte notoriété, et la marque Lorraine, qui est la seule bière produite localement et bénéficie de ce fait d'une notoriété encore plus importante auprès des consommateurs martiniquais, comme l'ont révélé les réponses des GMS au test de marché.

48. Toutefois, l'incrément induit par l'opération sera limité aux [...] hl de bières Corsaire et Malta du Corsaire vendus aux magasins GMS par AG, via sa filiale SNEMBG, ce qui représente moins de [0-5] % du total des volumes de bières vendus aux GMS en Martinique.

49. Par ailleurs, la partie notifiante affirme qu'un risque d'augmentation des prix des bières vendues à la GMS par AG à l'issue de l'opération est d'autant plus improbable que les magasins GMS ont la possibilité de s'approvisionner en bière via leurs centrales d'achat situées en métropole. Ce mode d'approvisionnement est possible dans la mesure où les bières importées sont principalement livrées en bouteille ou en canettes, qu'elles ont une date limite d'utilisation optimale (" DLUO ") d'un an et que le transport de bière de l'Union européenne vers la Martinique ne prend que deux semaines.

50. Le test de marché a confirmé que les GMS ont effectivement la possibilité de s'approvisionner en bière auprès de plateformes logistiques et de centrales d'achat situées en Martinique ou en métropole, qui, le cas échéant, sont affiliées à de grands groupes de distribution alimentaire métropolitains. Ces centrales d'achat sont en mesure de négocier directement avec les brasseurs internationaux. Ceci permet aux GMS de s'approvisionner en bières de marques ayant une forte notoriété, y compris en bières de marques Heineken et Desperados, et pour des volumes importants. Même si ce mode d'approvisionnement ne pourrait constituer une solution alternative pérenne pour les GMS, il leur permet d'exercer un pouvoir de négociation important à l'égard des importateurs-grossistes de bière en Martinique. Le test de marché a également permis de constater que les GMS qui s'approvisionnent en bière auprès de centrales d'achat situées en métropole disposent de la capacité de stocker ces produits et d'effectuer des arbitrages entre le prix des produits alimentaires achetés aux importateurs-grossistes en Martinique et le prix des produits achetés par le biais de centrales d'achat en métropole (augmenté du coût de stockage).

51. Même si, après l'opération, les GMS ne pourront toujours pas s'approvisionner en bière locale auprès d'autres fournisseurs que la nouvelle entité, elles seront en mesure de mettre en concurrence la nouvelle entité pour la fourniture de bière, en particulier pour la fourniture de bières de marque Heineken, Desperados, qui représentent environ [30-40] % du total des approvisionnements en bière des GMS et [50-60] % des volumes de bière vendus par la nouvelle entité aux GMS.

52. Au regard de ces éléments, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux sur le marché de l'approvisionnement en bière des GMS.

2. MARCHÉ DE L'APPROVISIONNEMENT EN BIÈRE DES ÉTABLISSEMENTS DE CHD

53. Les bières Lorraine et Heineken et Desperados, que commercialise BL, représentent plus de [80-90] % du volume total des approvisionnements en bière des établissements CHD. [90-100] % des approvisionnements des établissements CHD pour ces produits sont effectués par des entrepositaires-grossistes, le reste étant assuré par BL directement.

54. Les bières Corsaire et Malta du Corsaire, que commercialise AG, représentent quant à elles [0-5] % du volume total des approvisionnements en bière des établissements CHD. L'intégralité de ces approvisionnements est effectuée par AG directement auprès des établissements CHD.

55. Le tableau ci-dessous présente la position d'AG, de BL et de leurs concurrents sur le marché de la vente de bière aux établissements CHD :

<Emplacement Tableau 18, 19, 20>

56. Ainsi, sur le marché de l'approvisionnement en bière des établissements CHD, la nouvelle entité détiendra, à l'issue de l'opération, une part de marché inférieure à [0-5] %.

57. Sur ce marché, l'incrément de part de marché dû à l'opération étant très faible, celle-ci n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux.

3. MARCHÉ DE LA VENTE AUX ENTREPOSITAIRES-GROSSISTES DE BIÈRE A DESTINATION DES CHD

58. Sur le marché intermédiaire de la vente aux entrepositaires-grossistes de bière à destination des CHD, la part de marché de la nouvelle entité sera identique à celle que détenait BL avant l'opération, soit [80-100] %.

<Emplacement Tableau>

59. L'opération n'entraînant aucun chevauchement d'activité sur ce marché, elle n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux.

B. ANALYSE DES EFFETS VERTICAUX

60. Les effets verticaux sont étudiés lorsqu'une opération de concentration réunit des acteurs présents à différents niveaux de la chaîne de valeur. Au cas d'espèce, Antilles Glaces distribue directement l'ensemble de ses boissons, notamment les bières, aux établissements de CHD, tandis que Brasserie Lorraine commercialise ses bières à destination de la CHD quasi-exclusivement via des entrepositaires-grossistes. Il convient donc d'examiner les éventuels effets verticaux qu'entraînera l'opération.

61. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence en rendant plus difficile l'accès aux marchés sur lesquels la nouvelle entité sera active, voire en évinçant les concurrents ou en les pénalisant par une augmentation de leurs coûts. Ce verrouillage peut viser les marchés aval, lorsque l'entreprise intégrée refuse de vendre un intrant à ses concurrents, ou les marchés amont lorsque la branche aval de l'entreprise intégrée refuse d'acheter les produits des fabricants actifs en amont et réduit ainsi leurs débouchés commerciaux. La pratique décisionnelle des autorités de concurrence écarte en principe le risque que le renforcement vertical causé par une opération de concentration entraîne un effet de verrouillage lorsque la part de l'entreprise issue de l'opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30 % (21). Tel n'est cependant pas le cas en l'espèce, compte tenu des parts de marché des parties.

62. La probabilité d'un scénario de verrouillage doit être évaluée en examinant si la nouvelle entité aurait, après l'opération, la capacité de verrouiller l'accès aux intrants de manière significative, si les incitations à le faire sont suffisantes et, enfin, si une stratégie de verrouillage aurait un effet significatif sur les marchés en cause. En pratique, ces trois critères sont étroitement liés.

63. Comme indiqué dans le tableau ci-dessous, les bières de BL représentent une part très significative des approvisionnements en bière des principaux entrepositaires-grossistes de Martinique (Ant Clau, Socara et De Negri), ces derniers constituant les principaux fournisseurs de bière des établissements de CHD. En outre, l'activité de distribution de bière aux établissements de CHD, toutes marques confondues, représente une part importante de l'activité de ces entrepositaires, puisqu'elle représente environ 60 % du chiffre d'affaires d'Ant Clau, 50 % de celui de Socara et 27 % du chiffre d'affaires de De Negri en Martinique.

<Emplacement Tableau>

64. En outre, les éléments recueillis au cours de l'instruction montrent que, dans l'hypothèse où la nouvelle entité cesserait d'approvisionner les entrepositaires-grossistes, ces derniers ne disposeraient pas de solutions alternatives d'approvisionnement comparables en bière.

65. En effet, contrairement à ce qu'indique la partie notifiante, les possibilités d'approvisionnement des entrepositaires-grossistes auprès des GMS sont réduites. Les éléments versés au dossier par les entrepositaires-grossistes et les GMS montrent que cette alternative ne constituerait pas une solution crédible en cas de verrouillage de l'approvisionnement en bières de BL car les GMS ne seraient pas en mesure d'approvisionner durablement les entrepositaires à des prix et pour des volumes qui leur permettraient de continuer à distribuer de manière compétitive des bières de marque Lorraine, Heineken, Desperados.

66. De même, l'approvisionnement des entrepositaires-grossistes martiniquais par le biais d'importations parallèles ne pourrait constituer une alternative crédible en cas de verrouillage des intrants. L'approvisionnement en bière auprès d'un entrepositaire établi en Guadeloupe (Discount Center) a certes été évoqué dans le cadre du test de marché, un entrepositaire-grossiste martiniquais ayant indiqué s'être approvisionné ainsi par le passé pour couvrir ses besoins en bières Heineken et Desperados. Cependant, le test de marché a permis de mettre en évidence que Discount Center, qui ne peut fournir de bière de marque Lorraine, dispose de capacités d'approvisionnement limitées en bières Heineken et Desperados. Ses capacités sont ainsi actuellement évaluées à 2 500 hl de bière par an, soit moins de 4 % du volume total de bières vendus aux établissements CHD en Martinique.

67. En outre, le report de la demande vers des bières d'autres marques que Lorraine, Heineken et Desperados se heurtent aux barrières que constituent la forte notoriété de ces bières et, pour Lorraine, sa caractéristique unique de bière locale. Les importateurs et entrepositaires-grossistes interrogés dans le cadre du test de marché ont en effet souligné que la marque est le critère essentiel de choix des produits par les établissements de CHD, les marques de bières distribuées par BL disposant d'une forte notoriété auprès des consommateurs de Martinique, du fait notamment des moyens importants de marketing utilisés par BL pour les promouvoir (vitrines réfrigérées, appareils permettant de servir de la bière pression, publicité sur les lieux de vente). Dès lors, en cas de verrouillage de l'accès des entrepositaires-grossistes aux bières de BL, même si ces derniers pourraient continuer de distribuer d'autres bières d'importation (telles que les bières Adelscott, Pelforth ou Corona, Guinness ou 1664) ou développer des relations commerciales avec des brasseurs caribéens (par exemple Carib ou Presidente) ou internationaux (par exemple Bavaria ou Inbev), leur capacité à concurrencer les bières Lorraine, Heineken et Desperados demeurerait limitée. Au regard de ces éléments, il apparaît que les entrepositaires-grossistes seront, à l'issue de l'opération, fortement dépendants de la nouvelle entité pour leur approvisionnement en bière.

68. Il ressort également de l'instruction que la nouvelle entité disposera de la capacité de prendre en charge la distribution directe de bières Lorraine, Heineken et Desperados aux établissements CHD. En effet, BL indique disposer, avant l'opération, d'une capacité de stockage de [...] m², utilisée à [...] %. De son côté, SNEMBG, la filiale d'AG distribuant les bières Corsaire et Malta du Corsaire ainsi que des boissons gazeuses, des eaux minérales et des jus de fruits, déclare disposer d'une capacité de stockage de [...] m², utilisée à [...] % et d'une flotte de [...] camions. Cela porte à près de [...] m² la capacité de stockage immédiatement disponible de la nouvelle entité.

69. Les parties considèrent que ces capacités de stockage et de distribution seraient insuffisantes pour permettre à la nouvelle entité d'assurer elle-même la distribution auprès des établissements CHD des bières Lorraine, Heineken et Desperados immédiatement après l'opération. Elles considèrent que la construction d'un entrepôt supplémentaire d'au moins 800 m², l'achat d'au moins 4 camions et le recrutement d'une équipe commerciale seraient nécessaires pour ce faire. Elles estiment ainsi que l'intégration de la distribution des bières Lorraine, Heineken et Desperados aux établissements de CHD au sein du groupe AG représenterait un investissement compris entre 1,5 et 2 millions d'euros et pourrait être réalisée dans un délai de 18 à 24 mois. Ces montants ont été confirmés par les répondants au test de marché, qui estiment quant à eux qu'une telle réorganisation du schéma de distribution des bières Lorraine, Heineken et Desperados à destination de la CHD pourrait être effectuée dans un délai minimum d'un an.

70. Toutefois, la nouvelle entité disposera, avant même d'avoir réalisé de tels investissements, d'une capacité de stockage de près de [...] m², d'une flotte de camions très importante comparativement à celle des autres fournisseurs de bières des établissements de CHD, et d'une grande expérience dans la distribution directe des boissons aux établissements de CHD, du fait de sa position de leader sur les marchés des BGSA et des jus de fruits. Les parties comme les répondants au test de marché ont d'ailleurs souligné les particularités de l'activité de distribution aux établissements de CHD en Martinique et l'importance qu'accordent ces derniers aux relations commerciales passées. En outre, les investissements à réaliser pour opérer une telle réorganisation sont modérés, puisqu'ils représentent moins de 1 % du chiffre d'affaires cumulé des parties, et restent largement redéployables. La nouvelle entité a donc la capacité de prendre en charge la distribution directe de bière Lorraine, Heineken et Desperados aux établissements de CHD.

71. Pour la nouvelle entité, l'intérêt à se substituer aux entrepositaires-grossistes pour assurer elle-même la distribution des bières Lorraine, Heineken et Desperados aux établissements de CHD résiderait tout d'abord dans la possibilité d'internaliser la marge dégagée par les entrepositaires-grossistes. De plus, les parties ayant indiqué que le principal objectif de l'opération est l'amélioration du taux d'utilisation de la brasserie de BL notamment par la production des bières Corsaire et Malta du Corsaire dans cette brasserie, les volumes de bière produits par la nouvelle entité pourraient augmenter. Dès lors, la mise en œuvre d'une stratégie de verrouillage par les intrants pourrait être motivée par la volonté d'évincer du marché de l'approvisionnement des établissements de CHD les marques concurrentes de manière à écouler les volumes supplémentaires produits. En outre, la nouvelle entité pourrait être incitée à mettre en œuvre une stratégie de verrouillage par les intrants au détriment des entrepositaires-grossistes pour être en mesure d'utiliser sa forte position sur les marchés de l'approvisionnement des établissements de CHD en BGSA et jus de fruits comme levier pour accroître ses ventes de bières. L'analyse de ces effets congloméraux fera l'objet de développements spécifiques ci-dessous. Enfin, dans la mesure où le choix d'internaliser l'activité de distribution de boissons aux établissements CHD a déjà été opéré par l'acquéreur, AG, il est probable que l'augmentation du volume global de boissons qu'implique l'opération ne fasse que renforcer l'intérêt économique de ce mode intégré d'organisation de la distribution.

72. La mise en œuvre d'une stratégie de verrouillage de l'accès des entrepositaires-grossistes aux intrants que constituent les bières à destination des établissements de CHD commercialisées par la nouvelle entité aurait pour effet d'éliminer la concurrence entre les entrepositaires, ce qui est de nature à conduire à une augmentation des prix de ces bières ou, à tout le moins, à restreindre la contrainte concurrentielle pesant sur les prix pratiqués auprès des établissements de CHD et donc, in fine, des consommateurs finaux.

73. La partie notifiante indique qu'elle n'aurait ni la capacité ni l'intention de procéder à des hausses du prix de ses bières. Elle considère qu'en cas d'augmentation des prix de vente des bières Lorraine, Heineken et Desperados aux établissements de CHD, ceux-ci disposeraient de solutions alternatives d'approvisionnement, en particulier auprès des GMS. Cependant, comme souligné précédemment, cette solution ne constitue pas une alternative crédible permettant d'assurer la contestabilité du marché de l'approvisionnement en bière des CHD dans la mesure où les volumes de bière de BL disponibles par ce biais seraient insuffisants et les prix proposés plus élevés que ceux que la nouvelle entité serait à même de pratiquer.

74. La partie notifiante avance également qu'elle n'aurait pas intérêt à augmenter le prix de la bière Lorraine car celui-ci reste inférieur à celui de la plupart des bières d'importation, ce qui lui confère un avantage concurrentiel. La partie notifiante soutient donc que l'augmentation de son prix entraînerait une contraction de la demande. Néanmoins, il ne peut être déduit qu'une augmentation du prix de vente des bières de la nouvelle entité aux établissements de CHD, et en particulier de la bière Lorraine, soit intégralement répercutée sur le prix de vente de ces produits aux consommateurs finaux et se traduise par conséquent par une baisse de leur demande. En outre, même dans l'hypothèse où la hausse du prix de vente de la bière aux établissements de CHD était répercutée sur les clients finaux, cela n'affecterait pas nécessairement leur demande. En effet, compte tenu du positionnement en prix de la bière Lorraine, significativement moins chère que les bières d'importation (de l'ordre de 15 % de moins que les bières d'importation), une hausse de prix dans une proportion qui la maintiendrait à un niveau inférieur à celui des autres bières, n'aurait que peu d'impact sur la demande de bières des clients finaux des établissements de CHD, d'autant que ceux-ci sont attachés à son caractère local. Pour ces raisons, la mise en œuvre d'une stratégie de verrouillage des intrants par la nouvelle entité risque de se traduire par une hausse du prix de vente des bières aux établissements de CHD et aux clients finaux.

75. De plus, compte tenu de l'importance des approvisionnements des parties pour les entrepositaires-grossistes, la mise en œuvre d'une stratégie de verrouillage des intrants pourrait avoir pour effet de désinciter totalement ces derniers à vendre des bières aux établissements de CHD ou à développer la commercialisation d'autres marques de bières. En fragilisant la position des entrepositaires-grossistes, une telle stratégie affaiblirait encore davantage la concurrence à laquelle est confrontée la nouvelle entité sur le marché de la vente de bière aux établissements de CHD et réduirait par conséquent la variété de bières qui pourraient être proposées aux consommateurs par les établissements CHD martiniquais.

76. En conséquence, au vu de l'ensemble de ces éléments, l'opération risque de porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets verticaux sur le marché de la vente de bière aux établissements de CHD.

77. Toutefois, pour remédier à ce risque, la partie notifiante a proposé des engagements qui se trouvent détaillés ci-dessous.

C. ANALYSE DES EFFETS CONGLOMERAUX

78. Une concentration est susceptible d'avoir des effets congloméraux lorsqu'elle permet à la nouvelle entité d'étendre ou de renforcer sa présence sur des marchés étroitement liés, par exemple, des marchés de produits complémentaires. La combinaison de produits liés peut alors conférer à l'entité issue de la concentration la capacité et la motivation d'exploiter, par un effet de levier, la forte position qu'elle occupe sur un marché en recourant à des ventes liées ou groupées ou encore à d'autres pratiques d'exclusion.

79. Les ventes groupées constituent, en tant que telles, des pratiques courantes. Les entreprises optent pour les ventes liées et groupées pour mettre de manière rentable à la disposition de leurs clients de meilleurs produits ou offres. Ces pratiques peuvent néanmoins provoquer, dans certains cas, une réduction de la capacité ou de la motivation des concurrents existants ou potentiels à faire face à la concurrence.

80. En l'espèce, comme le montre le tableau ci-dessous, AG détient, avant l'opération, une position de leader sur les marchés de l'approvisionnement en BGSA et jus de fruits à la GMS et aux CHD.

<Emplacement Tableau>

81. L'opération conduit à renforcer la position de leader qu'occupe AG sur les marchés de la distribution de boissons en Martinique en étendant ses activités de fournisseur de BSA et jus de fruits à l'activité de fournisseur de bières. Elle est par conséquent susceptible de conférer à la nouvelle entité la capacité d'exploiter, par un effet de levier, sa forte position sur les marchés des BSA et jus de fruits, pour favoriser le développement de l'activité de distribution de bières au détriment des fournisseurs de bières concurrents.

82. Conformément à la pratique décisionnelle communautaire et nationale, il convient d'examiner si l'entité issue de la fusion aurait, à l'issue de l'opération, la capacité à exercer un effet de levier, si elle aurait un intérêt économique à le faire et si une telle stratégie aurait une incidence significative sur la concurrence sur les marchés en cause.

1. SUR LES MARCHÉS DES VENTES DE BOISSONS À DESTINATION DES GMS

83. Il ressort de ce qui précède qu'AG est en position dominante sur le marché de l'approvisionnement des GMS en BGSA au cola, avec [90-100] % de parts de marché et la présence dans son portefeuille de marques de Coca Cola, considérées comme incontournables par les distributeurs interrogés dans le cadre du test de marché.

84. Sur le marché des BGSA sans cola, AG est également leader avec environ [70-80] % de parts de marché et détient un portefeuille de marques de très forte notoriété (Royal Soda, Sprite, Fanta, Orangina, Canada Dry) dont deux au moins, Royal Soda et Orangina, sont considérées comme incontournables par les distributeurs interrogés dans le cadre du test de marché.

85. Sur le marché des jus de fruits, AG est leader avec [60-70] % de parts de marché et est titulaire d'un portefeuille de marques de très forte notoriété (Minute Maid, Oasis, Caresse Antillaise, Réa) dont une au moins, Caresse Antillaise, est considérée comme incontournable par les distributeurs interrogés dans le cadre du test de marché.

86. En matière de bières, AG détiendra, à l'issue de l'opération, une position de l'ordre de [60-70] % de parts de marché sur le circuit GMS et détiendra la marque Lorraine, considérée comme incontournable par les acteurs du marché. Lorraine représentant [30-40] % des volumes commercialisés par BL aux GMS, elle représente environ [20-30] % du total des volumes de bières vendues aux GMS.

87. Ainsi, antérieurement à l'opération, AG était en mesure de proposer aux GMS une gamme complète de BGSA, avec et sans cola, et de jus de fruits, parmi lesquelles des marques de forte notoriété voire incontournables. A l'issue de l'opération, elle sera également en mesure de proposer les bières Heineken, Desperados et Lorraine, qui sont des marques de forte notoriété, voire incontournables.

88. L'entité issue de la concentration sera donc en mesure d'exploiter son pouvoir de marché en conditionnant les ventes de manière à relier entre eux les produits commercialisés séparément sur les différents marchés concernés. D'une manière générale, comme l'a rappelé la pratique décisionnelle à plusieurs reprises (22), la détention par un même opérateur de plusieurs marques de forte notoriété qui sont présentes sur un même marché ou des marchés connexes est susceptible de procurer à cet intervenant des avantages par rapport à la concurrence. Cet opérateur est ainsi en mesure de proposer aux distributeurs une large gamme de produits et il dispose d'une plus grande souplesse pour adapter ses prix, promotions et remises et d'une puissance renforcée pour développer ses activités de vente, de marketing et de promotion.

89. En l'espèce, les achats de BSA et de bière sont complémentaires pour les GMS. Les marchés des boissons concernent donc une large base commune de clients pour les BSA d'une part, et la bière d'autre part.

90. Il résulte en outre de l'instruction que le fait, pour un distributeur, de proposer une gamme de boissons la plus complète possible lui procure un avantage concurrentiel. En effet, les négociations en matière de boissons sont souvent réalisées par un même interlocuteur et font l'objet d'un contrat unique. En outre, il apparaît que les marques jouent un rôle important sur ces marchés, les distributeurs ayant indiqué que les marques Coca Cola, Orangina, Royal Soda, Caresse Antillaise et Lorraine étaient incontournables.

91. Aucun autre opérateur en Martinique ne dispose d'une gamme de boissons aussi étendue avec un portefeuille de marques d'une notoriété aussi forte que celle de la nouvelle entité. Par conséquent, les concurrents n'ont pas la capacité de déployer en temps utile des contre-stratégies efficaces en pratiquant à leur tour des offres groupées. Au surplus, la position de la nouvelle entité sur les marchés des BSA est telle que les fournisseurs de BSA concurrents pourraient très difficilement répliquer même à de faibles remises tarifaires.

92. La nouvelle entité aura donc la capacité d'exploiter, par effet de levier, sa position sur les marchés des BSA pour augmenter ses ventes aux GMS sur le marché de la bière.

93. La partie notifiante soutient toutefois que le risque d'effets congloméraux serait théorique au regard notamment de la stratégie passée d'AG, qui a choisi de filialiser séparément chaque grande catégorie de produits (boissons, fruits, produits frais).

94. Les contrats d'AG montrent en effet que les négociations ne sont pas effectuées au niveau du groupe mais par chacune de ses filiales pour ses propres produits. Ainsi, les fruits et les produits frais, dont les jus de fruits frais, distribués respectivement par les filiales DENEL et SNYL, ne font pas l'objet d'une négociation globale avec les autres boissons, distribuées par SNEMBG. Les distributeurs ont un interlocuteur différent, chacun menant des négociations distinctes et les contrats sont négociés séparément par chacune des filiales d'AG. Les contrats de SNEMBG, SNYL et DENEL ne font en outre apparaître ni vente liée, ni remise groupée entre les produits commercialisés par ces trois filiales et les clients interrogés dans le cadre du test de marché ont indiqué qu'AG n'avait jamais pratiqué de ventes liées ni de remises groupées pour l'ensemble de ses produits. Néanmoins, ces contrats prévoient des remises globales pour l'atteinte de paliers de chiffres d'affaires réalisés par l'ensemble des produits commercialisés par une même entité, en particulier pour SNEMBG, qui commercialise la bière et les boissons sans alcool. Une telle organisation facilite la mise en place de remises groupées ou de ventes liées de sorte qu'il ne peut être exclu que la nouvelle entité ait la capacité de pratiquer un effet de levier sur le marché de la vente de bières aux GMS. Au demeurant, les choix organisationnels actuels d'AG restent parfaitement réversibles à l'avenir.

95. La partie notifiante fait valoir qu'en tout état de cause elle n'aurait aucune incitation à lier les ventes de BSA et de bières aux GMS car ses parts de marché postérieurement à l'opération seront déjà très élevées sur les différents marchés.

96. Cependant, l'objectif de l'opération étant, comme l'a indiqué la partie notifiante, d'augmenter le volume de bière produit dans la brasserie exploitée par BL, l'intérêt de la nouvelle entité à mettre en œuvre une telle stratégie résiderait notamment dans la possibilité de trouver des débouchés à cette production supplémentaire. L'effet d'une telle stratégie serait alors de renforcer la position de la nouvelle entité sur le marché de la vente de bières aux GMS ce qui pourrait entraîner une éviction progressive des concurrents et une réduction de la diversité de bières proposées aux clients finaux.

97. Toutefois, comme relevé ci-dessus dans le cadre de l'analyse des effets horizontaux, les GMS disposent d'un important pouvoir de négociation dû notamment à leur taille et à la possibilité qu'elles ont d'avoir recours à d'autres canaux d'approvisionnement via leurs centrales d'achat en métropole. La majorité des GMS ont ainsi indiqué que cette alternative leur permettait de préserver leur pouvoir de négociation vis-à-vis d'AG. En outre, la Martinique ne compte que quatre chaînes de supermarchés, ces quatre clients représentant la totalité du chiffre d'affaires d'AG pour le canal GMS. Il en résulte que les GMS disposent d'un certain contrepoids dans la négociation face à AG. Les GMS doivent toutefois maintenir dans leurs rayons une forte variété de bières et doivent donc diversifier leurs approvisionnements. En outre, le recours systématique des GMS à leurs centrales d'approvisionnement en métropole ne saurait constituer une alternative pérenne. De plus, les GMS ne peuvent pas s'approvisionner en bière de marque Lorraine auprès de leurs centrales d'approvisionnement. Par conséquent, le contrepouvoir des GMS ne peut suffire à écarter le risque que l'opération porte atteinte à la concurrence par le biais d'effets congloméraux.

98. En tout état de cause, afin de lever définitivement les doutes de l'Autorité de la concurrence concernant un risque d'effet congloméral sur les marchés de vente de boissons à destination de la GMS, la partie notifiante a proposé des engagements qui seront détaillés ci-dessous.

2. SUR LES MARCHÉS DES VENTES DE BOISSONS À DESTINATION DES CHD

99. Comme sur les marchés de la vente de boissons aux GMS, AG est en position de leader sur les marchés de la vente aux établissements CHD de BGSA au cola ([90-100] % de parts de marché), de BGSA sans cola ([60-70] %) et de jus de fruits ([70-80] %). Elle détient en outre dans son portefeuille des marques considérées comme incontournables par les établissements de CHD, comme par exemple Coca Cola, Fanta ou encore Minute Maid.

100. Par ailleurs, comme indiqué précédemment, les bières Lorraine, Heineken et Desperados représentent [80-90] % du total des approvisionnements (en volume) de bière des établissements de CHD. [90-100] % de ces volumes leur sont fournis par des entrepositaires-grossistes. Aussi, dans l'hypothèse où la nouvelle entité intégrerait verticalement ses activités d'importateur-grossiste et de producteur à celles d'entrepositaire-grossiste, selon le scénario envisagé ci-dessus, elle serait en mesure, à l'issue de l'opération, de proposer aux établissements CHD une large gamme de BGSA, avec et sans cola, et de jus de fruits ainsi qu'une large gamme de bières.

101. Sous cette hypothèse, comme pour les clients GMS, la nouvelle entité aurait la capacité d'exploiter, par effet de levier, sa position sur les marchés des BSA pour augmenter ses ventes aux établissements de CHD sur le marché de la bière. En effet, les établissements de CHD ayant répondu au test de marché considèrent que ces deux types de produits sont complémentaires et qu'un distributeur proposant une gamme de boissons la plus complète possible dispose d'un avantage concurrentiel. Ceci s'explique notamment par le fait que, même si les ventes aux établissements de CHD ne sont pas nécessairement matérialisées par un contrat, les négociations en matière de boissons sont souvent réalisées par un même interlocuteur. En outre, les marques jouent un rôle important sur ces marchés, les établissements de CHD considérant que les marques Coca Cola, Orangina, Royal Soda, Caresse Antillaise et Lorraine sont incontournables. Enfin, aucun autre opérateur en Martinique ne dispose d'une gamme de boissons aussi étendue avec un portefeuille de marques d'une telle notoriété. Par conséquent, les concurrents n'auraient pas la capacité de réagir en temps utiles en pratiquant à leur tour des offres groupées.

102. De la même manière que sur le circuit GMS, la nouvelle entité aurait intérêt à développer une telle stratégie dans la mesure où l'un des objectifs de l'opération est d'augmenter la production de bière de BL. Afin de trouver des débouchés à cette production supplémentaire, la nouvelle entité pourrait donc être incitée à faire jouer un effet de levier sur les différents marchés des BSA. Cette incitation est d'autant plus crédible sur le circuit de la CHD que, comme l'a déjà relevé le Conseil de la concurrence (23), l'accès au marché des boissons destinées aux établissements de CHD constitue un enjeu crucial pour le jeu de la concurrence car ces établissements ont un effet prescripteur. Ils permettent en effet la mise en avant des produits qui, s'ils sont lancés avec succès se verront nécessairement accorder un espace linéaire par les GMS. Aussi, la mise en œuvre d'un effet de levier pourrait s'inscrire dans la stratégie annoncée par les parties d'augmenter le volume de bières produits dans la brasserie Lorraine, notamment de bières Corsaire et Malta du Corsaire.

103. L'effet de la mise en œuvre d'une telle stratégie sur le circuit de la CHD pourrait être, comme sur le circuit des GMS, l'affaiblissement voire l'éviction des concurrents, ce qui entraînerait une réduction de la diversité des bières proposées aux consommateurs finaux. Cet effet, renforcé par l'effet vertical sur le marché de l'approvisionnement en bière, aurait pour conséquence de consolider durablement le pouvoir de marché de la nouvelle entité sur le marché de l'approvisionnement en bière des établissements de CHD.

104. En outre, contrairement aux GMS, les établissements de CHD n'auraient pas la capacité de réagir face à une telle stratégie dans la mesure où ils disposeraient d'un faible pouvoir de négociation vis-à-vis de la nouvelle entité. En effet, même si certains ont indiqué s'approvisionner auprès de la grande distribution, il s'agit d'opérations de dépannage ou d'une façon de bénéficier de remises ponctuelle, les GMS n'étant pas en mesure, dans la durée, de proposer aux CHD les prix et les services d'un entrepositaire-grossiste. En outre, si les établissements CHD peuvent souhaiter proposer à leur clientèle plusieurs variétés de bières, leurs contraintes d'espace les conduisent à en sélectionner un nombre restreint. Ils ont donc une faible incitation à diversifier leurs approvisionnements.

105. Enfin, l'effet de levier sur le marché des bières serait accentué, dans le circuit CHD, dans la mesure où les parties prennent en charge l'équipement en vitrines réfrigérées de nombreux établissements CHD. En effet, la nouvelle entité disposera de [60-70] % des vitrines mises à disposition des établissements CHD par des marques de boissons. La mise à disposition de vitrines réfrigérées constitue une prestation de service connexe à la vente de boissons aux établissements de CHD, qui est de nature à conférer à leurs titulaires un avantage par rapport aux fournisseurs concurrents dans la mesure où elles permettent de promouvoir la marque de l'opérateur par lequel elles ont été placées. Or les contrats de vitrines réfrigérées de BL et SNEMBG contiennent des clauses d'exclusivité réservant leur utilisation à l'exposition des seuls produits fabriqués et distribués par la société qui met la vitrine réfrigérée à disposition de l'établissement CHD.

106. Au regard de ces éléments, l'opération risque de porter atteinte à la concurrence sur les marchés des boissons à destination des CHD par le biais d'effets congloméraux. Toutefois, afin de remédier aux risques d'atteinte à la concurrence ainsi identifiés, la partie notifiante a proposé des engagements qui sont détaillés ci-dessous.

IV. - Les engagements

107. Afin de remédier aux risques d'atteinte à la concurrence identifiés, la partie notifiante a déposé le 1er août 2014, une proposition d'engagements qui a été modifiée le 19 août 2014. Le texte intégral de ces engagements, joint en annexe, fait partie intégrante de la présente décision.

108. Ces engagements sont souscrits pour une période de cinq ans, qui pourra être renouvelée une fois.

109. Antilles Glaces proposera à l'Autorité de la concurrence la nomination d'un mandataire indépendant d'AG, qui aura pour mission de veiller au respect des obligations résultant de la présente décision.

A. LES ENGAGEMENTS PROPOSÉS

110. Les engagements proposés par la partie notifiante ont pour but de remédier aux risques d'atteinte à la concurrence qu'entraîne l'opération par le biais (i) d'effets verticaux sur le marché de la vente de bière aux établissements CHD en Martinique, et (ii) d'effets congloméraux sur les marchés de vente de boissons sans alcool et de bière, à destination des GMS, et à destination des établissements CHD.

111. Premièrement, afin de remédier aux risques d'atteinte à la concurrence liés aux effets verticaux de l'opération, AG s'engage à proposer, avec un préavis suffisant conforme aux pratiques commerciales en vigueur, à chacun des entrepositaires-grossistes ayant signé un contrat avec BL, le renouvellement de son contrat à son échéance annuelle. Ce renouvellement devra s'effectuer à des conditions commerciales objectives, transparentes et non discriminatoires, qui ne seront pas moins favorables aux conditions actuelles. Le caractère non discriminatoire de ces conditions s'appréciera tant en fonction de celles consenties à des opérateurs tiers qu'aux conditions qu'AG pourrait s'appliquer à lui-même s'il décidait d'internaliser une partie de ses activités de distribution aux établissements de CHD.

112. Deuxièmement, afin de remédier aux risques d'atteinte à la concurrence liés aux effets congloméraux de l'opération, AG s'interdit toute forme de couplage entre la vente de bières et la vente d'autres produits par le groupe AG.

113. Pour la mise en œuvre de cet engagement, AG s'engage à confier la commercialisation et la distribution de bière du groupe AG à une ou plusieurs entités juridiques distinctes de ses autres activités de commercialisation et de distribution, et à doter ces entités dédiées de tous les moyens nécessaires pour l'exercice de leur activité, indépendamment des autres filiales du groupe. AG s'engage ainsi notamment à confier la distribution des bières de marque Corsaire et Malta du Corsaire en Martinique à un distributeur tiers avant le 31 mars 2015.

B. APPRÉCIATION DES ENGAGEMENTS PROPOSÉS

114. En ce qui concerne les effets verticaux, les engagements proposés par la partie notifiante permettront aux entrepositaires-grossistes qui assurent actuellement la distribution des bières Lorraine, Heineken et Desperados aux établissements de CHD de renouveler leurs relations contractuelles avec la nouvelle entité. Ce faisant, les engagements permettront de préserver la concurrence entre les différents fournisseurs de bière des établissements de CHD en Martinique.

115. Dans le cadre du test de marché relatif aux engagements la majorité des opérateurs interrogés a considéré que les remèdes prévus étaient adéquats. Néanmoins, l'un des répondants a relevé que l'obligation de renouvellement annuel des contrats de vente de bière ne devrait pas seulement bénéficier aux entrepositaires-grossistes, mais à tous les clients ayant conclu un contrat avec BL avant l'opération, y compris les GMS. Un autre répondant a estimé qu'une obligation d'approvisionnement de concurrents d'AG en bières Lorraine, Heineken et Desperados permettrait de remédier plus adéquatement au risque concurrentiel qu'entraîne l'opération. Enfin, un répondant a également suggéré d'imposer au nouvel ensemble de mettre à disposition de l'espace dans ses armoires réfrigérées, afin d'éviter que se renforce son pouvoir de marché.

116. Toutefois, les risques d'atteinte à la concurrence identifiés concernent l'éviction, par le biais d'une stratégie verticale, des entrepositaires-grossistes du marché de la vente de bière aux établissements CHD en Martinique. La situation d'autres opérateurs, qui ne distribuaient pas les bières concernées avant la concentration, est donc sans lien avec celle-ci et ne saurait donc justifier l'adoption de remèdes au cas présent. De la même manière, le fait que le nouvel ensemble dispose de la majorité des vitrines réfrigérées mises à disposition des établissements de CHD par des fournisseurs de boissons en Martinique constitue, en l'espèce, un facteur contribuant au risque d'effets verticaux que préviennent les engagements proposés.

117. Ainsi, les engagements proposés, en ce qu'ils empêcheront la nouvelle entité d'évincer les entrepositaires-grossistes de la distribution de bières aux établissements de CHD, permettront de remédier aux risques d'atteinte à la concurrence par le biais d'effets verticaux.

118. En ce qui concerne les effets congloméraux, les engagements proposés interdiront à la nouvelle entité de recourir à toute pratique de couplage associant la bière à d'autres produits distribués par AG. Les engagements prévoient également qu'à l'issue de l'opération les bières de marques Corsaire et Malta du Corsaire seront distribuées par une société tierce au groupe AG. Les bières de marque Heineken, Lorraine et Desperados seront commercialisées par les équipes commerciales de BL, ou d'autres filiales dédiées. Ces engagements auront donc un effet direct et immédiat en empêchant la nouvelle entité de recourir à des pratiques de couplage liant ses ventes de bières à d'autres produits.

119. A cet égard, la pratique décisionnelle (24), ainsi que la jurisprudence (25), ont déjà eu l'occasion de constater qu'un engagement de séparation de fonctions commerciales au sein d'un même groupe, combiné à un engagement de non couplage, contribuait utilement à remédier aux risques d'effets congloméraux découlant d'une opération de concentration.

120. La quasi-totalité des répondants au test de marché ont confirmé que ces engagements étaient adéquats pour remédier aux risques d'effets congloméraux qu'entraîne l'opération. Un répondant considère néanmoins que seuls des engagements structurels consistant dans la cession de marques de bière, notamment la marque Lorraine, pourrait permettre de remédier aux risques qu'entraîne à l'opération.

121. Conformément aux dispositions de ses lignes directrices relatives au contrôle des concentrations (26), l'Autorité recherche en priorité des mesures structurelles pour remédier aux risques d'atteinte à la concurrence. Cependant, la pratique décisionnelle considère que, pour remédier au risque d'effets congloméraux, des engagements comportementaux peuvent être plus appropriés pour compenser certaines des atteintes à la concurrence résultant de l'opération (27). Tel est le cas en l'espèce, dans la mesure où les engagements pris par les parties permettent d'éviter que la nouvelle entité n'utilise comme levier ses fortes positions sur les marchés de la vente de BGSA et de jus de fruits aux GMS et aux établissements de CHD pour évincer des concurrents. Les engagements proposés interdisant à la nouvelle entité de mettre en œuvre toute pratique de couplage, il n'est pas nécessaire d'envisager l'adoption d'engagements structurels.

122. En conséquence, l'Autorité considère que les engagements proposés par la partie notifiante sont suffisants pour éliminer les atteintes à la concurrence résultant de l'opération.

DECIDE

Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 14-021 est autorisée sous réserve des engagements décrits ci-dessus et annexés à la présente décision.

Notes :

1 Avant l'opération, le groupe AG est actif dans la distribution de bières sous les marques Corsaire et Malta du Corsaire (en Martinique, Guadeloupe et Guyane), dans la distribution de bière de marque Meuse en Guadeloupe et dans la distribution de marque Stella-Artois, Leffe et Hoegaarden fournies par la société AB-Inbev (en Martinique, Guadeloupe et Guyane), A l'issue de l'opération, (i) AG cessera de distribuer les bières du groupe AB-Inbev du fait de la clause de non concurrence prévue par le pacte d'actionnaires et par le contrat de distribution qui sera signé entre BL et HFWI (ii) assurera la production des bières Corsaire et Malta du Corsaire en interne via Brasserie Lorraine.

2 Brasserie Lorraine produit des bières de marque Porter 39 pour le compte de la société Socara, qui les distribue.

3 Les marques de bière du groupe Heineken sont : Heineken, Desperados, Monaco, 33 Export, Panach, Pelforth, Pelican, George Killian's, Porter 39, Adelscott et Fisher.

4 AG disposera d'une option d'achat et Heineken d'une option de vente de sa participation. Ces options ne pourront être exercées qu'au terme d'un délai minimum de 5 ans après la réalisation de l'opération.

5 Voir notamment les décisions de la Commission européenne M.582 Orkla-Volvo du 20 septembre 1995 ; M.2044 Interbrew-Bass du 22 août 2000, M.4999 Heineken-Scottish&Newcastle Assets du 3 avril 2008. Voir également l'avis du Conseil de la concurrence n° 04-A-07 du 18 mai 2004 relatif à l'acquisition de plusieurs entrepôts réalisés par le groupe Sogebra-Heineken dans le secteur de la distribution de bières dans le circuit CHR et avis n° 04-A-08 du 18 mai 2004 relatif à l'acquisition de plusieurs entrepôts réalisés par le groupe Scottish&Newcastle-Kronenbourg dans le secteur de la distribution de bières dans le circuit CHR.

6 Voir la décision de la Commission européenne n° M.2044 Interbrew-Bass précitée.

7 Voir les décisions précitées à la note 6.

8 Décision de la Commission européenne n° COMP-M.5633 du 26 octobre 2009, Pepsico-The Pepsico Bottling Group.

9 Avis n° 04-A-07 et 04-A-08 précités.

10 Lettre du ministre de l'économie C2008-129 du 5 mars 2009 aux conseils de la société Pédandel.

11 Avis n° 09-A-45 du 8 septembre 2009 relatif aux mécanismes d'importation et de distribution des produits de grande consommation dans les départements d'outre-mer.

12 Avis n° 04-A-07 et 04-A-08 et lettre du ministre de l'économie C2008-129 précités.

13 Voir les décisions de l'Autorité de la concurrence n°10-DCC-197 du 30 décembre 2010 relative à la prise de contrôle d'un fonds de commerce par la société Ho Hio Hen Investissements Outre-Mer, n°11-DCC-45 du 18 mars 2011 relative à l'acquisition du contrôle exclusif du fonds de commerce de l'hypermarché Cora Desmarais par la société Sodex Desmaras et n° 13-DCC-43 du 29 mars 2013 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Hyper CK par la société Groupe Bernard Hayot.

14 Avis n° 04-A-07 et 04-A-08 et lettre du ministre de l'économie C2008-129 précités.

15 Id.

16 Voir notamment l'arrêté du 24 novembre 1999 TCCC-Pernod Ricard (Orangina) et la lettreC2007-158 du ministre de l'économie du 12 décembre 2007 aux conseils de la société PepsiCo.

17 Voir notamment la décision de la Commission M.2504 - Cadburry Schweppes-Pernod Ricard du 29 octobre 2001.

18 Brasserie Lorraine fournit [70-80] % des bières revendues par Ant Clau aux établissements CHD.

19 Brasserie Lorraine fournit [50-60] % des bières revendues par Socara aux établissements CHD.

20 Brasserie Lorraine fournit [90-100] % des bières revendues par De Negri aux établissements CHD.

21 Lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations, §384.

22 Voir notamment la lettre du ministre C2003-41 du 11 mars 2003 - Johnson-Bayer et la décision de l'Autorité n° 11-DCC-104 du 4 juillet 2011 relative à la prise de contrôle exclusif de la société FIMA par la société Financière de Turenne Lafayette.

23 Avis du Conseil de la concurrence n° 98-A-09 du 29 juillet 1998 relatif au projet d'acquisition par la société The Coca Cola Company de l'ensemble des actifs du groupe Pernod Ricard relatifs aux boissons de marque Orangina

24 Voir notamment les décisions de l'Autorité de la concurrence n°10-DCC-11 du 26 janvier 2010 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe TF1 des sociétés NT1 et Monte-Carlo Participations (groupe AB), et n°14-DCC-50 du 2 avril 2014 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Direct 8, Direct Star, Direct Productions, Direct Digital et Bolloré Intermédia par Vivendi SA et Groupe Canal Plus.

25 Décision du Conseil d'Etat du 30 décembre 2010 relative à un recours de Métropole Télévision contre une décision autorisant l'acquisition de chaînes de la TNT par le groupe TF1 (n°338197).

26 Lignes directrices de l'Autorité de la concurrence, paragraphe 575.

27 Lignes directrices d'l'Autorité de la concurrence, paragraphe 576, et décisions de l'Autorité de la concurrence n°10-DCC-11 et n°14-DCC-50 précitées.