CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 18 septembre 2014, n° 12-18835
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Multipro (SARL)
Défendeur :
Sim Evreux (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur
Avocats :
Mes De Maria, Belzidsky, Thomas Courcel
Faits et procédure
La société Multipro et la société Sim Evreux (ci-après Sim) ont une activité identique à savoir la prestation de travail temporaire.
Le 28 avril 2006, Mme Asator, cadre salarié de la société Multipro, a donné sa démission et a demandé à ne pas effectuer son préavis de trois mois, ce qu'a refusé la société Multipro par un courrier en date du 3 mai 2006.
Par contrat du 2 mai 2006, la société Sim a engagé Mme Asator.
La société Multipro reproche à la société Sim d'avoir fait preuve à son égard de concurrence déloyale et de parasitisme et c'est dans ces conditions que, par acte du 2 janvier 2007, elle l'a fait assigner en réparation de son préjudice.
Parallèlement, la société Multipro a saisi le conseil des prud'hommes de Paris qui, par un jugement en date du 9 février 2009, a dit notamment que le contrat unissant Mme Asator et la société Multipro a été rompu par la démission de Mme Asator et que cette démission était abusive, la condamnant à verser à la société Multipro la somme de 16 753 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ; par arrêt du 8 septembre 2012 la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement sauf en ce qu'il avait alloué à Mme Asator une indemnité compensatrice de congés payés et l'a déboutée de sa demande à ce titre
Vu le jugement rendu le 5 septembre 2012 par lequel le tribunal de commerce de Paris a :
débouté la société Multipro de toutes ses demandes,
condamné la société Multipro à payer à la société Sim la somme de 4 000 euro en application de l'article 700 CPC,
débouté la société Sim de ses autres demandes, plus amples ou contraires.
Vu l'appel interjeté par la société Multipro le 19 octobre 2012.
Vu les conclusions signifiées le 4 avril 2014 par lesquelles la société Multipro demande à la cour :
d'infirmer le jugement entrepris
Et statuant à nouveau de:
constater, dire et juger que la société Sim a fait preuve de concurrence déloyale et de parasitisme envers la société Multipro,
déclarer encore la société Sim responsable des actes de sa préposée Mme Asator, en sa qualité de commettant,
dire et juger que la société Multipro a subi consécutivement un préjudice,
condamner la société Sim à la somme de 200 000 euro à titre de dommage et intérêts avec intérêts à compter du 2 janvier 2007, date de l'assignation,
ordonner la capitalisation des intérêts dus depuis plus d'une année en application de l'article 1154 du Code civil,
condamner la société Sim à lui payer la somme de 10 000euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
La société Multipro expose que les actions prud'homale et commerciale ont une cause juridique distincte et tendent à réparer un préjudice différent.
Elle fait valoir qu'en détournant, par le biais de Mme Asator, plusieurs de ses salariés intérimaires effectuant des missions avec ses partenaires commerciaux, la société Sim s'est rendue coupable de faits de concurrence déloyale, en plus d'avoir caractérisé sa volonté de nuire.
Elle ajoute que la société Sim a profité de l'embauche de Mme Asator pour détourner de manière déloyale trois sociétés qui étaient pourtant de fidèles clientes.
Elle souligne également que le détournement fautif de ses fichiers clients s'illustre par la capacité de la société Sim à poursuivre la réalisation de certains contrats conclus antérieurement par elle.
Elle fait valoir que la société Sim a commis un acte de parasitisme en tirant indûment profit de sa notoriété grâce à l'usage du pseudonyme (Mme Lacoste) sous lequel était connue Mme Asator, lorsque cette dernière était encore une de ses salariées.
Elle soulève la responsabilité de la société Sim pour les agissements fautifs de Mme Asator sur le fondement de la responsabilité des commettants du fait de leur préposés et ajoute enfin que la société Sim lui a causé un grave préjudice financier en détournant aussi bien son personnel que sa clientèle, ainsi qu'en agissant de façon déloyale.
Vu les dernières conclusions signifiées le 7 avril 2014, par lesquelles la société Sim demande à la cour de :
dire et juger la société Multipro irrecevable en son appel,
confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 5 septembre 2012 par le Tribunal de Commerce de Paris,
En tout état de cause,
dire et juger la société Multipro irrecevable en l'ensemble de ses demandes.
débouter la société Multipro de toutes ses demandes, fins et conclusions.
condamner la société Multipro à payer à la société Sim la somme de 8.000 euro au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
L'intimée fait valoir que la société Multipro n'a aucune qualité pour se plaindre d'un acte de concurrence déloyale car cette dernière n'est pas propriétaire, mais simplement locataire-gérant du fonds de commerce de la société Groupement Multi Service qui a embauché Mme Asator et auquel est attachée la clientèle.
Elle expose qu'il ne peut lui être demandé de verser de nouveaux dommages et intérêts pour le débauchage fautif de Mme Asator, sur le fondement d'une concurrence déloyale, car le préjudice invoqué par la société Multipro est le même que celui ayant déjà fait l'objet d'une indemnisation par le conseil prud'homal.
Elle énonce qu'il n'est pas démontré que les démissions successives de sept autres salariés intérimaires ont été provoquées par son propre fait et que celles-ci auraient entrainé une désorganisation de la société Multipro.
Elle souligne que la société Multipro n'apporte pas d'éléments probants pour démontrer un prétendu détournement de fichier.
Elle ajoute que son accord pour l'utilisation du pseudonyme " Lacoste " par Mme Asator ne peut lui être reproché par la société Multipro pour fonder une action en parasitisme.
Elle fait valoir enfin que le préjudice invoqué par la société Multipro n'est pas prouvé par la comparaison des chiffres d'affaires réalisés entre 2007 et 2008.
Vu les conclusions signifiées le 15 mai 2014 par lesquelles la société Multipro demande à la cour de prononcer la révocation de l'ordonnance de clôture :
Vu les conclusions signifiées le 16 mai 2014 par lesquelles la société Sim demande à la cour de rejeter cette demande :
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile
Motifs
Sur la révocation de l'ordonnance de clôture :
Considérant que la société Multipro fait valoir que la société Sim a signifié de nouvelles conclusions le 7 avril 2014 alors que l'ordonnance de clôture est intervenue le 10 avril 2014 et alors que celles-ci impliquaient nécessairement une réponse sur le moyen tiré de l'irrecevabilité qu'elle n'a pas été en mesure de faire valoir.
Considérant que la société Sim fait observer que la société Multipro a conclu seulement le 4 avril 2014 pour répondre à ses conclusions du 18 mars 2013 qui ont soulevé le moyen tiré de l'irrecevabilité.
Considérant que les conclusions de la société Sim du 7 avril 2014 sont des conclusions en réponse à celles de la société Multipro du 4 avril 2014 et ne contiennent aucun moyen nouveau ; que la société ne justifie d'aucun motif grave pour justifier de sa demande alors même qu'elle a bénéficié d'un délai d'un an pour répondre au moyen tiré de l'irrecevabilité ; qu'il y a lieu en conséquence de rejeter sa demande et d'écarter ses conclusions signifiées le 15 mai 2014.
Sur la recevabilité de la société Multipro
Considérant que la société Sim soutient que la société Multipro n'a aucune qualité pour se plaindre d'un acte de concurrence déloyale car cette dernière n'est pas propriétaire, mais simplement locataire-gérant du fonds de commerce de la société Groupement Multi Service qui a embauché Mme Asator et auquel est attachée la clientèle.
Considérant que la société Multipro vient aux droits de la société Groupement Multi Service qui a embauché Mme Asator par contrat du 11 septembre 1995 lequel s'est poursuivi ; que d'ailleurs la société Multipro a assigné Mme Asator et la société Sim devant le Conseil de prud'hommes de Paris, action qui a donné lieu à un jugement du 9 février 2009 et à un arrêt du 4 janvier 2011.
Considérant qu'il résulte de ces éléments que la société Multipro est recevable en son action à l'encontre de la société Sim.
Sur les demandes de la société Multipro
Considérant que la société Multipro n'a présenté en appel aucun moyen nouveau de droit ou de fait qui justifie de remettre en cause le jugement attaqué lequel repose sur des motifs pertinents, résultant d'une analyse correcte des éléments de la procédure, notamment des pièces contractuelles et de la juste application de la loi et des principes régissant la matière,
Considérant que dans le litige prud'homal la cour d'appel dans son arrêt du 4 janvier 2011 a statué sur le caractère abusif de la démission de Mme Asator et le préjudice qui en est résulté pour la société Sim, se plaçant sur le terrain contractuel, qu'elle n'a pas examiné les faits de concurrence déloyale tenant à l'embauche de celle-ci, à celle d'autres salariés et au détournement de clientèle allégués par la société Multipro.
Considérant que la société Multipro soutient que la société Sim a pu, grâce à Mme Asator qui était encore la responsable commerciale de la société Multipro et qu'elle avait désignée comme responsable d'agence, embaucher 7 de ses salariés.
Considérant que, selon un constat d'huissier dressé le 26 juillet 2006 au sein de l'agence Abel de la société Sim, Mme Asator s'est présentée comme directrice de l'agence, indiquant que le registre du personnel n'était pas sur place et déclarant que M.Bayo avait travaillé pour la société Sim en juillet, M.Ghelidh en juin et juillet et que le nom de M.Vallentari n'apparaissait pas sur le fichier informatique de la société ; que tous trois ont signé des attestations identiques en date du 2 mai 2006 précisant qu'ils étaient libres de tout engagement professionnel et pouvaient "accepter le contrat de mission signé avec l'agence de travail temporaire Sim Paris en date du 2 mai 2006" ; qu'il résulte de ces éléments que ces trois salariés, après avoir exécuté des missions d'intérim pour le compte de la société Multipro, ont été repris par la société Sim.
Considérant que Mme Asator a également reconnu l'existence de contrats avec les sociétés Charpentier, Thomann, Hanry, Lefevre et Quelin ; que, si les trois salariés avaient été détachés par la société Multipro chez la société Lefevre qui avait signé avec elle un contrat pour la période du 2 mai au 2 juin 2006, cette cliente n'a pas honoré ce contrat ; que par arrêt du 17 novembre 2010, la cour d'appel de Paris a condamné la société Lefevre à payer la somme de 17 546,58 euro outre des pénalités de retard à la société Multipro ; que, pour autant, si la société Multipro affirme que les trois salariés ne pouvaient pas se trouver le 28 avril au soir sans mission de sa part, elle n'en fait pas la démonstration, l'existence d'un contrat avec ce client n'apportant pas la preuve qu'elle aurait poursuivi la mission avec ces trois intérimaires, quand bien même ceux-ci avaient déjà travaillé sur ce chantier, la société Multipro ne justifiant pas des contrats signés avec ceux-ci pour la période commençant à courir le 2 mai 2009.
Considérant que la société Multipro fait valoir qu'outre la société Lefevre, deux autres sociétés clientes depuis 2005, les sociétés Charpentier et la société Thomann Hanry avaient mis fin à leurs contrats simultanément à la démission de Mme Asator et à son embauche par la société Sim.
Considérant que le contrat avec la société Charpentier avait pour objet la mise à disposition d'un intérimaire, M.Chatrousse, avec une mission du 3 avril au 7 mai 2006 ; que, la société Carpentier a notifié par lettre du 16 mai 2006, soit postérieurement à la date d'échéance du contrat, qu'elle s'opposait à tout paiement pour la période postérieure faisant valoir que cet intérimaire était lié par un contrat en date du 9 mai 2006 avec la société Sim.
Que, s'agissant de la société Thomann Hanry, la société Multipro fait état d'un contrat ayant pour objet la mise à disposition de M.Schmerbach pour la période du 18 avril au 5 mai 2006 auquel cette société a mis fin le 28 avril 2006 ;
Que s'agissant de la société Lefevre, elle avait signé trois contrats, deux en date du 1er mai 2006 ayant pour objet la mise à disposition de MM.Bayo et Ghelidh à l'occasion d'une mission du 1er mai au 2 juin, et deux contrats des 18 avril et 1er mai 2006 ayant pour objet la mise à disposition de M.Vallenari pour les périodes des 18 au 28 avril 2006, puis du 1er mai au 2 juin 2006 ; que la société Lefevre a dénoncé le 18 mai 2006 ces contrats faisant état de ce que ces intérimaires ne faisaient plus partie du personnel de la société Multipro depuis le 2 mai 2006.
Que, s'agissant de la société Quelin, deux contrats de mise à disposition d'un intérimaire ont été conclus en avril et mai 2006 pour des missions qui expiraient le 2 juin 2006.
Que Mme Asator a reconnu l'existence de contrats de mise à disposition d'intérimaires avec ces sociétés.
Considérant que, d'une part, Mme Asator était libre de quitter son employeur sauf à exécuter son préavis dans les conditions contractuellement convenues ; qu'à ce titre elle a été sanctionnée ; que, pour autant il ne saurait s'induire de cette faute contractuelle des agissements de concurrence déloyale, Mme Asator étant libre comme tout salarié de changer d''employeur ; que, s'agissant des clients de la société Multipro, ceux-ci étaient également libres de changer de fournisseur, fût-ce en suivant une ancienne salariée dès lors, d 'une part, que celle-ci n'était liée par aucune clause de non concurrence et que, d'autre part, la société Multipro ne démontre aucune action déloyale de son ancienne salariée pour détourner ceux-ci ; que ces sociétés, à l'exception de la société Lefevre, ont mis un terme à leurs relations à l'issue des périodes de mise à disposition limitées dans le temps, de sorte qu'il n'y a eu aucune brutalité quand bien même cette fin de mission a coïncidé avec la démission de Mme Asator ; que, si la société Multipro entendait se plaindre d'une rupture brutale des relations contractuelles, il lui appartenait d'en réclamer réparation aux sociétés avec lesquelles elle avait des liens contractuels ce qu'elle a fait en engageant avec succès une action à l'encontre de la société Lefevre.
Considérant que, s'agissant des trois intérimaires, la société Multipro ne justifie d'aucun contrat qui aurait lié ceux-ci et auraient fait obstacle à leur départ.
Considérant qu'il ne résulte pas de ces éléments la preuve d'un débauchage de salariés ou d'un détournement de clientèle commis par la société Sim.
Sur le détournement des fichiers et des dossiers allégués par la société Multipro
Considérant que la société Multipro soutient que la société Sim a procédé à des embauches et a poursuivi des chantiers antérieurement exécutés par elle ce qui n'a pu avoir lieu que parce que la société Sim a eu en main les informations relatives à sa clientèle, ses fichiers clients et ses fichiers personnel.
Considérant que, si la société Multipro affirme que son gérant a constaté dès le départ de Mme Asator la disparition des fichiers clients, l'effacement des fichiers informatiques comportant les coordonnées des salariés intérimaires et la disparition des originaux des candidatures de salariés, elle n'apporte aucun élément pour étayer cette affirmation.
Sur les actes de parasitisme allégués
Considérant que la société Multipro fait valoir que Mme Asator avait usé, à sa demande, tout au long de la période d'exécution de son contrat de travail, du pseudonyme de "Mme Lacoste " et qu'elle a continué d'en faire usage au sein de la société Sim.
Considérant que, si Mme Asator indique utiliser ce pseudonyme depuis 1987 et si la société Multipro le conteste, affirmant que celle-ci ne saurait se constituer une preuve à elle-même, la société Multipro ne nie pas que Mme Asator utilise ce pseudonyme depuis 10 ans et donc dès son embauche ; qu'il en résulte qu'il s'agissait d'un pseudonyme lié à sa personne et non d'une création dans le cadre de son activité professionnelle au sein de la société Multipro ; que dès lors et quand bien même elle en a fait usage pendant 10 ans, cette pratique ne constitue ni un travail, ni un investissement de la société Multipro qui ne saurait faire état d'agissements parasitaires de Mme Asator qui n'a fait que continuer d'utiliser le pseudonyme qui était le sien.
Sur la responsabilité du fait des commettants
Considérant que la société Multipro fait grief aux premiers juges de ne pas avoir statué sur cette demande ; que la cour constate que la société Multipro ne démontre pas d'acte de concurrence déloyale ni de parasitisme à l'encontre de Mme Asator dont aurait à répondre la société Sim ;
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que la société Sim a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif.