Cass. com., 7 octobre 2014, n° 13-19.797
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Gemlog (SAS), De Carrière (ès qual.)
Défendeur :
Waid (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Darbois
Avocat général :
Mme Batut
Avocats :
SCP Ortscheidt, SCP Lyon-Caen-Thiriez
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 2 mai 2013), que la société Gemlog a développé et édité un logiciel dénommé " staris ", destiné à la gestion de cabinets de radiologie, dont la commercialisation a débuté au mois de novembre 2005 ; que la société Medicae avait antérieurement développé et édité un logiciel ayant un objet similaire, dénommé " radiolog ", dont elle avait confié la commercialisation à la société Netfilius ; que la société Medicae, ayant appris que le logiciel " staris " était proposé à ses propres clients, a confié une mission d'investigation à une agence et sollicité l'avis d'un expert amiable, puis a été autorisée à pratiquer une saisie-contrefaçon du logiciel " staris ", laquelle n'a pas été poursuivie en raison de sa mise en liquidation judiciaire ; que la société Waid, cessionnaire du fonds de commerce et des actifs de la société Medicae, après avoir fait procéder à la saisie-contrefaçon du logiciel " staris " au siège de la société Gemlog, a fait assigner celle-ci en contrefaçon du logiciel " radiolog " et concurrence déloyale ; que, par jugement avant dire droit, le tribunal a ordonné une expertise au cours de laquelle la société Waid s'est désistée de son action ; que la société Gemlog n'ayant pas accepté ce désistement, la société Waid a remis, le 10 avril 2009, les Codes sources de son logiciel, demandés le 23 septembre 2008 par l'expert ; qu'après avoir dit n'y avoir lieu à dessaisissement de la juridiction, le tribunal a, statuant sur les demandes reconventionnelles formées par la société Gemlog dont il restait saisi, constaté l'absence de contrefaçon du logiciel " radiolog " par le logiciel " staris " et condamné la société Waid à payer à celle-ci, au titre des actes de concurrence déloyale résultant de son action abusive, différentes sommes en réparation de ses préjudices moral, économique et financier ;
Sur le premier moyen, qui est recevable : - Attendu que la société Gemlog et M. de Carrière, agissant en qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de celle-ci, font grief à l'arrêt d'avoir infirmé le jugement, en ce qu'il avait constaté l'absence de contrefaçon du logiciel " radiolog " par le logiciel " staris ", et d'avoir débouté la société Gemlog de toutes ses demandes formées contre la société Waid, alors, selon le moyen :1°) qu'en infirmant sans aucun motif le jugement entrepris, qui avait constaté l'absence de contrefaçon du logiciel " radiolog ", de la société Waid, par le logiciel " staris ", la société Gemlog demandant, devant la cour d'appel, que soit reconnue l'absence de contrefaçon du logiciel " radiolog " par le logiciel " staris ", la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;2°) qu'en ne répondant pas aux conclusions de la société Gemlog qui demandait que soit reconnue l'absence de contrefaçon du logiciel " radiolog " par le logiciel " staris ", sollicitant sur ce point la confirmation du jugement entrepris, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;3°) que l'originalité est exclusive de toute contrefaçon ; que l'originalité d'un logiciel par rapport à un autre s'apprécie par comparaison des Codes sources ; qu'en retenant que le logiciel " staris " avait été mis sur le marché postérieurement au logiciel " radiolog " et que ces deux logiciels avaient " un lien de parenté étroit susceptible à tout le moins de caractériser un comportement parasitaire ", la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser la contrefaçon du logiciel " radiolog " par le logiciel " staris " et a, partant, privé sa décision de base légale au regard des articles L. 335-2, L. 335-3 et L. 122-6 du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu que la demande de la société Gemlog tendant à ce que soit constatée l'absence de contrefaçon du logiciel " radiolog " par le logiciel " staris " s'analyse en un moyen au soutien de sa demande reconventionnelle en concurrence déloyale fondée sur le caractère prétendument abusif de l'action engagée par la société Waid ; qu'ayant souverainement retenu que les deux logiciels présentaient des ressemblances étroites susceptibles à tout le moins de caractériser un comportement parasitaire, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision ; que le moyen, qui manque en fait en ses première et troisième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et sur le second moyen : - Attendu que la société Gemlog et M. de Carrière, ès qualités, font grief à l'arrêt d'avoir dit que les agissements reprochés par la société Gemlog à la société Waid ne constituaient pas des actes de concurrence déloyale, alors, selon le moyen : 1°) que la faute constitutive de concurrence déloyale ne suppose ni mauvaise foi ni intention de nuire ; qu'en décidant que " le droit d'agir en justice ne dégénère en abus et ne peut donner lieu à des dommages et intérêts que s'il est exercé de mauvaise foi, avec malice ou intention de nuire ou tout au moins à la suite d'une erreur grossière équivalente au dol ", alors que l'action en justice de la société Waid était invoquée en tant qu'acte de concurrence déloyale, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 2°) que le caractère contrefaisant d'un logiciel ne peut être déterminé que par comparaison de son Code source avec l'original prétendu ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si la société Waid n'avait pas agi avec une légèreté blâmable en assignant d'abord au fond la société Gemlog sans faire procéder à cette comparaison, alors que le rapport d'expertise amiable sur lequel elle s'appuyait dans la procédure en saisie contrefaçon avait conclu que l'existence d'une contrefaçon ne pouvait être définitivement appréciée que de cette manière, puis, en ne communiquant ensuite à l'expert judiciaire le Code source de son logiciel que plus de trois cents jours après qu'il lui ait été réclamé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 3°) qu'en affirmant que " la requête déposée par la société Waid aux fins de voir constater qu'elle s'est désistée de son action n'est pas constitutive d'un abus de droit dès lors qu'elle avait pour finalité de mettre un terme à la procédure ", sans rechercher si le désistement, déposé avant même la remise par l'expert judiciaire Assous de son rapport se prononçant sur la comparaison des Codes source des deux logiciels, et sans aucune contrepartie, ne dissuadait pas la société Gemlog de l'accepter, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ; 4°) que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office, pour écarter le caractère abusif de l'action intentée, le moyen tiré de ce que " les deux logiciels ont un lien de parenté étroit susceptible à tout le moins de caractériser un comportement parasitaire ", sans préalablement inviter les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile ; 5°) que la seule mise sur le marché d'un produit concurrent n'est pas constitutive de parasitisme ; qu'en jugeant néanmoins, pour écarter le caractère abusif de l'action intentée par la société Waid, qu'il ressortait du rapport de l'expert Reboul que " les deux logiciels ont un lien de parenté étroit susceptible à tout le moins de caractériser un comportement parasitaire ", sans caractériser précisément en quoi la commercialisation du logiciel Staris était parasitaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 6°) que le caractère abusif ou téméraire de l'action s'apprécie eu égard à son objet ; qu'ainsi, à le supposer établi, le comportement parasitaire de la société Gemlog ne pouvait avoir aucune conséquence sur l'appréciation du caractère abusif de l'action de la société Waid, dès lors que cette dernière avait abandonné toute prétention indemnitaire en première instance et se bornait à soutenir que les actes qui lui étaient reprochés ne pouvaient être constitutifs d'une faute ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 7°) que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office, pour écarter le caractère abusif de l'action intentée, le moyen tiré de ce que la société Gemlog " disposait elle-même de voies de droit pour obtenir la mainlevée de la saisie dans les plus bref délais, l'article L. 332-2 du Code de la propriété intellectuelle lui permettant d'obtenir du président du tribunal de grande instance statuant en référé la mainlevée de la saisie ou son cantonnement, et l'article 905 du Code de procédure civile lui permettant d'obtenir une fixation en urgence aux fins d'obtenir une mainlevée en l'absence de diligence de la société Waid et de preuve de la contrefaçon alléguée " pour juger que la société Gemlog n'était " pas fondée à soutenir que la société Waid aurait eu un comportement procédural fautif constitutif d'un abus de droit ", sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile ; 8°) que la mainlevée ou le cantonnement de la saisie ne peut être demandé que lorsque l'objet visé par la saisie-contrefaçon est soustrait au saisi ; qu'en se fondant, pour écarter le caractère abusif de l'action intentée, sur le moyen tiré de ce que la société Gemlog " disposait elle-même de voies de droit pour obtenir la mainlevée de la saisie dans les plus bref délais, l'article L. 332-2 du Code de la propriété intellectuelle lui permettant d'obtenir du président du tribunal de grande instance statuant en référé la mainlevée de la saisie ou son cantonnement, et l'article 905 du Code de procédure civile lui permettant d'obtenir une fixation en urgence aux fins d'obtenir une mainlevée en l'absence de diligence de la société Waid et de preuve de la contrefaçon alléguée ", alors que la saisie du logiciel " staris " consistait uniquement en une copie de celui-ci, l'original étant resté entre les mains de la société Gemlog qui pouvait continuer son développement, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 332-2 du Code de la propriété intellectuelle ; 9°) que le cessionnaire d'un fonds de commerce peut être tenu responsable des fautes délictuelles commises par le cédant à l'occasion de l'exploitation dudit fonds ; qu'en relevant que le détournement du site internet de la société Gemlog par la société Medicae, comme les investigations de l'agence ACIF, ne pouvaient être imputés à la société Waid, après avoir constaté que la société Waid avait acquis le fonds de commerce de la société Medicae, qui n'existait plus, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1382 du Code civil, ensemble le principe de réparation intégrale du préjudice souffert ; 10°) que, le contrat conclu le 31 janvier 2007 portant cession du fonds de commerce de la société Medicae à la société Waid conférait au cessionnaire " le droit d'entreprendre de reprendre ou de continuer, à ses risques et profits, tant en demandant qu'en défendant, toutes actions ayant la marque (Radiolog) pour objet, à raison d'actes de contrefaçon, antérieurs ou postérieurs à la cession " ; qu'en jugeant que les investigations réalisées par la société d'enquêtes privées ACIF avaient été " commandées par la société Medicae avant son placement en liquidation judiciaire et non par la société Waid qui ne vient pas aux droits de la société Medicae " et ne pouvaient dès lors être imputées à la société Waid, ces investigations étant pourtant l'accessoires à l'action en contrefaçon intentée par la société Waid, transmise au cessionnaire du fonds de commerce, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 11°) qu'en relevant, pour refuser d'imputer le détournement du site internet de la société Gemlog à la société Waid, que ce détournement " préexistait à l'ordonnance du juge-commissaire du 15 septembre 2006 ", après avoir seulement constaté que la société Gemlog avait fait constater ce détournement par huissier le 15 novembre 2006, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'il appartient aux juges du fond, fussent-ils saisis sur le fondement de la concurrence déloyale, de caractériser la faute ayant fait dégénérer en abus l'exercice du droit d'agir en justice ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'article L. 332-4, alinéa 3, du Code de la propriété intellectuelle impartit un délai fixé par voie réglementaire pour assigner au fond en contrefaçon de logiciel, à peine de nullité de la saisie-contrefaçon ; qu'il s'ensuit que la société Waid était tenue, sans attendre l'issue d'éventuelles mesures d'instruction complémentaires, d'engager son action dans le délai de vingt jours ouvrables prévu par l'article R. 332-4 du même Code ; que par ce motif de pur droit, substitué, après avis donné aux parties, à ceux critiqués par la deuxième branche, la décision se trouve légalement justifiée ;
Attendu, en troisième lieu, que l'arrêt relève que le rapport d'investigation de l'agence ACIF concluait que M. Damery, gérant de la société Netfilius, aurait remis à la société Gemlog, par l'intermédiaire de son épouse, les fichiers sources du logiciel " radiolog " qu'il avait conservés et qu'il prospectait la clientèle de la société Medicae pour vendre le logiciel " staris ", en dénigrant le logiciel " radiolog " ; qu'il relève, en outre, que les conclusions de l'expert amiable font ressortir que les deux logiciels présentent des ressemblances étroites susceptibles à tout le moins de caractériser un comportement parasitaire et constate que la saisie-contrefaçon du logiciel " staris " a été autorisée sur la base de ces pièces ; qu'il relève, encore, que le procès-verbal d'assemblée générale de la société Gemlog du 10 juin 2009 portant sur la vente du logiciel incriminé à un tiers révélait de manière évidente la participation personnelle et active, dans la société, de M. Damery qui représentait son épouse ; qu'il retient, enfin, que le désistement d'action de la société Waid intervenu au cours de l'expertise avait pour finalité de mettre un terme à la procédure et non de la prolonger ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui était initialement saisie d'une action en contrefaçon et concurrence déloyale dont le caractère abusif était soulevé, a pu, sans être tenue de procéder à la recherche inopérante visée à la troisième branche, déduire que la société Gemlog ne démontrait pas que la société Waid avait engagé cette action de mauvaise foi, avec intention de nuire ou légèreté blâmable ou encore à la suite d'une erreur grossière équivalente au dol à seule fin d'évincer un concurrent du marché ;
Attendu, en dernier lieu, que le cessionnaire d'un fonds de commerce n'est pas responsable des fautes délictuelles commises à l'égard des tiers par le cédant ; que l'arrêt retient que la société Waid n'a pas commis personnellement les actes incriminés, lesquels étaient imputables à la société Medicae antérieurement à sa mise en liquidation judiciaire ; que la cour d'appel, dès lors qu'il n'était ni allégué ni démontré que cette société avait personnellement poursuivi, après la reprise du fonds, l'exploitation du site internet litigieux, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa deuxième branche, ni en ses septième et huitième branches qui critiquent des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.