CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 8 octobre 2014, n° 13-15668
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Œufs Nord Europe (SAS)
Défendeur :
CDPO (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Nicoletis
Avocats :
Mes Lallement, Laugier, Cheviller, Baillet Bouin
Vu le jugement du 25 mars 2013, assorti de l'exécution provisoire, par lequel le Tribunal de commerce de Paris a constaté la renonciation de la société œufs Nord Europe (One) à sa demande reconventionnelle fondée sur les articles L. 420-3 et L. 442-6 I 2° et 5° du Code de commerce et, par suite, la renonciation de la société CDPO à l'exception d'incompétence territoriale du Tribunal de céans soulevée en réponse à cette demande, débouté la société CDPO de sa demande tendant à voir ordonner, sous astreinte, à la société œufs Nord Europe (One) de ne pas vendre, en condamnation au titre de la clause pénale et en publication du dispositif du jugement, accédé à la demande de la société CDPO de réfaction de la clause de non-concurrence contenue à l'article 5 du contrat de partenariat du 12 décembre 2007, par suppression des alinéas 3 et 7 de l'article 5.1 intitulé "Principe de non-concurrence", débouté la société œufs Nord Europe de ses demandes en nullité de l'article 5 du contrat de partenariat et en paiement de la somme de 300 000 , condamné la société CDPO à payer à la société œufs Nord Europe (One) la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif ;
Vu l'appel interjeté le 29 juillet 2013 par la société œufs Nord Europe (ou "One") et ses dernières conclusions déposées et notifiées le 19 février 2014 par lesquelles elle demande à la cour de juger recevable son appel, y faisant droit et réformant la décision entreprise, juger nul et de nul effet l'article 5 du contrat de partenariat, avec toutes conséquences de droit, débouter la société CDPO de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions d'appel incident, condamner la société CDPO au paiement de la somme de 300 000 avec intérêts de droit à compter du 10 septembre 2012 sur le fondement de l'article 1134 du Code civil, et, enfin, condamner la société CDPO à payer à la société One la somme de 35 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 29 avril 2014 par lesquelles la société CDPO demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf, d'une part, en ce qu'il a débouté la société CDPO de sa demande en exécution forcée et sous astreinte de l'article 5.1, alinéas 1 et 2, du contrat de partenariat et de sa demande au titre de la clause pénale stipulée à l'article 5.1, alinéa 9, dudit contrat et, d'autre part, en ce qu'il a condamné la société CDPO aux dépens et à payer une somme de 20 000 à la société œufs Nord Europe au titre des frais irrépétibles, en conséquence, dire et juger valables l'article 5.1, alinéas 1, 2, 8 et 9, et l'article 5.2 du contrat de partenariat du 12 décembre 2007, dire et juger que l'alinéa 10 de l'article 5.1 du contrat de partenariat du 12 décembre 2007 n'est pas applicable aux alinéas 1 et 2 dudit article 5.1, dire et juger que la société CDPO n'avait donc pas à communiquer à la société œufs Nord Europe ses "zones géographiques d'intervention" afin de faire respecter par cette dernière l'article 5.1, alinéas 1 et 2, du contrat de partenariat du 12 décembre 2007, ordonner en conséquence à la société œufs Nord Europe, à compter d'un délai de huit jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir et jusqu'au 12 décembre 2014, de ne pas vendre directement ou indirectement des œufs conditionnés Bio, Plein Air et Label Rouge aux centrales d'achat des enseignes suivantes : Auchan-Atac-Simply-Schiever, Intermarché-Netto, Leclerc, ED-Dia, Cora-Match, Carrefour et Metro et ce, sous astreinte de 500 par boîte d'œufs offerte à la vente ou vendue, condamner la société œufs Nord Europe à payer une somme de 10 000 à la société CDPO à titre de dommages-intérêts, nonobstant l'amende civile de 3 000 , dans l'hypothèse où le terme de la clause de non-concurrence serait fixé au 26 mai 2014, celle de 221 508 HT au titre de la clause pénale stipulée à l'article 5.1, alinéa 9, du contrat de partenariat du 12 décembre 2007, débouter la société œufs Nord Europe de toutes ses demandes et, enfin, condamner la société œufs Nord Europe à payer la somme de 35 000 à la société CDPO par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
SUR CE,
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :
La société CDPO a pour activité l'achat, le conditionnement, la vente et la distribution d'œufs industriels et alternatifs, auprès des grandes et moyennes surfaces (GMS), en France et dans des pays européens. Afin d'approvisionner ses clients GMS en œufs essentiellement destinés à être commercialisés sous leurs marques de distributeur respectives, elle se fournit soit directement auprès d'éleveurs, soit auprès de centres de conditionnement. Elle réalisait au 30 juin 2011 un chiffre d'affaires de 68 millions d'euros et est devenue un des plus gros centres de conditionnement d'œufs de France, commercialisant à ce jour 800 millions d'œufs, pour 80 % à Marque de Distributeur (MDD). Ces œufs sont des œufs produits en cage, à hauteur de 70 % et "alternatifs", à savoir les œufs bio, plein air, et label rouge, à hauteur de 30 %.
La société œufs Nord Europe (dite "One") est une PME familiale de conditionnement spécialisée dans les œufs dits "alternatifs", à savoir les œufs bio, plein air, et label rouge, segments sur lesquels la société CDPO n'est pas, ou peu présente.
La société CDPO s'est donc rapprochée de la société One et, le 12 décembre 2007, les parties ont signé un contrat de partenariat d'une durée de cinq années renouvelable pour trois ans, sauf dénonciation 18 mois avant l'échéance, portant sur la fourniture, par la société One à la société CDPO, d'œufs produits par elle et conditionnés Plein Air, Bio et Label Rouge destinés à être revendus aux GMS clientes de CDPO. Aux termes de ce contrat (article 1.2), "La société CDPO ne garantit aucun volume minimum de production à commander à la société One". Il est également prévu que "Corrélativement, la société One n'aura pas l'obligation d'accepter les marchés qui lui seront proposés par la société CDPO. Toutefois, elle devra justifier d'un motif légitime". En vertu de l'article 1.3, "chacune des parties s'engage à ne pas conclure de partenariat comparable avec tout autre partenaire" sans autorisation expresse et préalable de l'autre partenaire et sous réserve de la passation de marchés de courte durée.
Les obligations de la société One consistent, notamment, à "produire des œufs de la qualité requise, conformément aux marchés, et en quantité suffisante pour répondre aux besoins des marchés qui auront été conclus" (article 2.1), en respectant, pour chaque référence, le cahier des charges qui lui est remis préalablement par CDPO ou l'un de ses clients dans le cadre des Marques de Distributeur.
La société One vend ses œufs à CDPO départ entrepôts. Il lui appartient d'organiser le transport à ses frais. En vertu de l'article 4, "le prix des œufs, qui sera payé à la société One par la société CDPO sera fixé, dans chaque avenant au marché, en considération : du prix d'achat des œufs, du coût réel de fonctionnement de la structure de la société One, des particularités de chaque opération (nombre d'œufs, catégories d'œufs, transport assumé ou pas par la société One) dans le cadre de l'exécution de chaque marché". Cet article prévoit également une indexation du prix en fonction du prix de l'aliment.
Le contrat prévoit, en son article 5, une clause de non-concurrence selon laquelle la société One s'interdit, notamment, de vendre des œufs à toute société cliente de CDPO directement ou indirectement, jusqu'à l'expiration d'un délai de deux ans suivant la cessation du contrat.
Ayant appris que la société CDPO projetait de se développer dans la production d'œufs "alternatifs", la société One a informé la société CDPO, par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 juin 2011, de sa décision de ne pas renouveler le contrat à son échéance et que celui-ci prendrait donc fin le 12 décembre 2012. En réponse, la société CDPO a rappelé à la société One le maintien des obligations contractuelles jusqu'au 12 décembre 2012, et l'interdiction pour la société One de vendre des œufs à toute société cliente de la société CDPO, directement ou indirectement jusqu'au 12 décembre 2014.
Des pourparlers de négociation d'un nouveau contrat s'en sont suivis jusqu'au premier trimestre 2012.
Les parties n'arrivaient pas à s'accorder sur le maintien et la portée, dans le nouveau contrat, d'une clause d'exclusivité de fourniture pesant sur la société One.
Par courriel du 12 mars 2012, la société One demandait à la société CDPO la liste des zones géographiques d'intervention de celle-ci, afin de lui permettre de vendre des œufs en GMS, "dans une région où CDPO n'aurait aucun client". Bien que cette demande ait été réitérée par courriel du 21 mars 2012, la société CDPO n'a jamais répondu.
La société CDPO a appris que la société One vendait des œufs Label Rouge à Auchan, client de la société CDPO, via un centre de conditionnement concurrent.
Le 16 avril puis le 4 mai 2012, la société CDPO a fait constater par huissier de justice, dans le magasin Auchan de Grasse (06) auquel elle ne livre pas d'œufs Label Rouge 16, la présence d'œufs Label Rouge commercialisés sous la MDD Auchan et dont les emballages portent le Code d'identification unique de One, à savoir FR 80 253 003. Par courriel du 18 avril 2012, la société CDPO mettait en demeure la société One de cesser immédiatement toute commercialisation "d'œufs bio, plein air et label rouge auprès des clients de CDPO".
C'est dans ces conditions que la société CDPO a assigné la société One en référé, par acte du 10 mai 2012, devant le Tribunal de commerce de Paris, dont elle prétend qu'il était territorialement compétent en vertu de l'article 8.2 du contrat de partenariat, afin qu'il lui soit fait injonction "de ne pas vendre directement ou indirectement des œufs conditionnés bio, plein air et label rouge aux centrales d'achat des enseignes suivantes : Auchan-Attac-Simply-Schiever, Intermarché-Netto, Leclerc, Ed-Dia, Cora-Match, Carrefour, LIDL et Metro et ce, sous astreintes de 500 par boîte d'œufs offerte à la vente ou vendue". Par ordonnance du 7 juin 2012, le président du Tribunal de commerce de Paris a renvoyé l'affaire afin qu'il soit statué au fond sur les demandes de la société CDPO. La société CDPO ayant soulevé l'incompétence du tribunal pour connaître des moyens de défense de la société One relatifs au droit de la concurrence, cette société a accepté de renoncer à ces moyens afin de plaider au plus vite l'affaire.
Le 26 mai 2012, par lettre recommandée, la société One a rompu les relations contractuelles, sur le fondement de l'article 7.2 prévoyant la résiliation anticipée du contrat.
A la suite de la lettre du 26 mai, CDPO a interrompu ses commandes en œufs Bio et plein air, maintenant en revanche ses commandes en œufs label rouge car elle ne disposait pas de fournisseurs de substitution. Mi 2013, CDPO a remplacé totalement la société One, en lui substituant de nouveaux fournisseurs.
I/ Sur la nullité de la clause de fourniture exclusive :
Considérant que la société One soulève la nullité de la clause de non-concurrence post-contractuelle, insérée dans le contrat de fourniture exclusive, en ce qu'elle ne protège pas les intérêts légitimes du créancier, qu'elle l'empêche d'exercer toute activité professionnelle et qu'elle n'est pas proportionnée à l'objet du contrat ; qu'elle relève, en particulier, que cette clause lui interdit de vendre tous types d'œufs à des clients de la société CDPO non désignés contractuellement, à tout réseau de la Grande Distribution en France, Belgique et Luxembourg, à toutes centrales de toute GMS en France, à toute GMS même non cliente de la société CDPO, si elle se trouve dans une "région" où la société CDPO aurait des clients, et à certaines clientes préexistantes de la société One ;
Considérant que la société CDPO soutient au contraire qu'est valable la clause de non-concurrence qui interdit à la société One de concurrencer la société CDPO, directement ou indirectement, auprès de ses clients, soit par démarchage, soit par tout autre moyen ; que l'ignorance de la société One des "zones géographiques d'intervention" de la société CDPO n'a pas d'incidence sur l'exécution forcée de la clause de non-concurrence puisqu'elle ne concerne que la vente d'œufs à des tiers installés dans des "régions" où CDPO a des clients ; que, dès lors, seule compte l'identité de la cliente GMS de la société CDPO à qui la société One s'est obligée à ne pas vendre certains types d'œufs, directement ou indirectement ; qu'elle fait valoir que la clause est nécessaire à la protection de ses intérêts légitimes en ce qu'elle lui permet de se prémunir contre le risque de détournement de sa clientèle GMS et de parasitisme ; qu'elle permet d'empêcher la société One de tirer profit de son savoir-faire et des informations confidentielles transmises pendant l'exécution du contrat ; qu'elle soutient que la clause est proportionnée à l'objet du contrat de partenariat puisque le contrat porte exclusivement sur la fourniture d'œufs conditionnés Bio, Plein Air et Label Rouge et que la société One peut travailler, directement ou indirectement, avec toutes les GMS et tous les commerçants indépendants non clients de CDPO, avec les GMS clientes de CDPO dès lors qu'elle leur vend des œufs autres que des œufs conditionnés Bio, Plein Air et Label Rouge ; que les marchés de substitution ouverts à la société One sont donc nombreux, lui permettant d'exercer son activité professionnelle ;
Considérant qu'une clause d'exclusivité, en ce qu'elle porte atteinte au principe de la liberté du commerce, doit être justifiée par la protection des intérêts légitimes de son créancier et ne pas porter une atteinte excessive à la liberté de son débiteur, c'est-à-dire être limitée quant à l'activité, l'espace et le lieu qu'elle vise ; qu'elle ne peut, par exemple, empêcher le débiteur d'exercer toute activité professionnelle ; qu'enfin, elle doit, au regard de la mise en balance de l'intérêt légitime du créancier de non-concurrence et de l'atteinte qui est apportée au libre exercice de l'activité professionnelle du débiteur de non-concurrence, être proportionnée ;
Considérant que la clause litigieuse est ainsi rédigée : "5.1 Principe de non-concurrence La société One s'interdit expressément de vendre des œufs à toute société cliente de la société CDPO, directement ou indirectement.
En conséquence, elle s'interdit tout démarchage et plus généralement toute action ou tentative visant à récupérer à son profit des clients appartenant à la société CDPO.
La société continue d'avoir le droit et la faculté d'exercer son activité de production et de vente d'œufs, à des tiers, aussi bien clients finaux que groupement d'achat ou société de conditionnement, sous réserve du respect des dispositions du présent article.
Elle gardera le droit de vendre des œufs à des commerçants indépendants, ne faisant pas partie d'un réseau de la Grande Distribution, en France, Belgique et Luxembourg, non clients de CDPO.
La société One pourra vendre des œufs en GMS, exclusion faite des centrales, dans une région où la société CDPO n'aurait aucun client.
La société One s'interdit donc de vendre des œufs à tout client GMS (Grande et Moyenne Surface) dans une région où la société CDPO a des clients.
Dans tous les cas où elle est autorisée à vendre ses œufs à des tiers, quels qu'ils soient, la société One s'engage à garantir que le prix payé par la société CDPO à la société One sera toujours inférieur au prix payé par le client bénéficiant des meilleures conditions tarifaires, pour un même produit et dans les mêmes conditions de vente.
Cette obligation de non-concurrence est motivée par la considération que le présent partenariat amènera la société One à avoir connaissance de la clientèle CDPO, et de nombreuses informations techniques ou commerciales constituant le secret des affaires, que la société CDPO a le plus grand intérêt à conserver secrètes.
(...)
Pour la bonne application du présent article, la société CDPO fournira régulièrement la liste des zones géographiques d'intervention à la société One.
(...)
5.2 Non-concurrence après rupture des relations
Les obligations résultant de l'article 5.1 ci-avant resteront applicables à la société One pendant une durée de deux ans à compter de la date de cessation des relations entre les parties, et ce quel que soit la partie qui en prenne l'initiative et quelle qu'en soit la raison.
Cette obligation de non-concurrence, justifiée par la nécessité de préserver la clientèle appartenant à la société CDPO, et en conséquence d'éviter à la société One la tentation de la détourner, ne donnera lieu à aucune indemnisation (...)".
Sur la clause de non-concurrence post-contractuelle :
Considérant que pour s'opposer à la demande d'injonction de la société CDPO, tendant à lui interdire la commercialisation d'œufs conditionnés bio, plein air, et label rouge aux centrales d'achat des enseignes clientes de CDPO, la société œufs Nord Europe excipe de la nullité de cette clause de non-concurrence post-contractuelle, d'une durée de deux ans, portant sur les mêmes limitations que la clause applicable durant la vie du contrat ;
Considérant que la société CDPO prétend que cette clause serait nécessaire pour protéger des informations confidentielles et le savoir-faire transmis à la société One, par l'intermédiaire de la remise d'un cahier des charges, appelé "dossier de spécifications" ; que l'accès à ce document confidentiel permettrait à la société One d'être référencée plus facilement auprès des GMS et de lui faire concurrence ; qu'après l'expiration du délai de deux ans, les informations ne seraient plus utiles ;
Considérant que le savoir-faire de la société CDPO consiste essentiellement dans la distribution des œufs à la grande distribution au niveau national ; qu'en effet, elle s'approvisionne en œufs coquille auprès de producteurs et de conditionneurs d'œufs et les revend aux enseignes des GMF ; qu'elle intervient sur le marché de la commercialisation auprès des enseignes de la grande distribution, en distribuant aussi bien des œufs de poules en cage que des œufs de poules plein air (concernés par l'affaire) ; que les dossiers de spécifications concernant les œufs de plein air ne contiennent aucune information sur les techniques de commercialisation de CDPO ; que ces dossiers définissent en effet essentiellement la caractéristique des produits souhaités par les GMS et sont destinés aux producteurs d'œufs ; qu'ils définissent, comme leur nom l'indique, les spécifications des produits à marque distributeur, le process de fabrication des œufs, l'origine des matières premières, le marquage et le calibrage des œufs, les règles d'étiquetage, la présentation et la composition des emballages, le contrôle de ces process ; que ces contenus, dont une partie résulte directement de directives communautaires, sont relativement banals et très techniques ; que leur contenu s'avère peu évolutif, de sorte qu'une protection post-contractuelle d'une durée de deux ans est injustifiée ; que la rédaction de ces cahiers des charges est souvent réalisée par des sociétés spécialisées, comme la société Trace One, qui élaborent des cahiers des charges standards ; qu'aucun savoir-faire de la société CDPO n'y est retranscrit, même partiellement ; qu'aucun élément de la stratégie de cette société (décision de lancement de nouveaux produits, politique de communication, etc.), aucun secret d'affaires, aucun élément portant sur l'élaboration de ses prix ou sur les quantités vendues n'y apparaît ; que les techniques de négociation commerciale de la société CDPO n'y sont pas retranscrites ; qu'il n'est pas démontré que l'accès à ces documents puisse faciliter l'agrément auprès de la grande distribution ; qu'en effet, ces agréments sont en grande partie délivrés à la suite d'inspections des sites de fabrication et à la suite de la réponse à des appels d'offres, qui portent essentiellement sur les cotations, les délais de paiement et la qualité des œufs en cause ;
Considérant, par ailleurs, que si l'objet du contrat porte sur la fourniture d'œufs conditionnés bio, plein air et label rouge, la clause de non-concurrence interdit la vente d'"œufs", sans distinction aucune ; que si la société CDPO prétend que "la clause de non-concurrence ne peut pas avoir un objet plus large que celui du contrat", et que la clause de non-concurrence ne vise que les œufs conditionnés bio, plein air et label rouge, et en aucun cas les œufs conditionnés autres que bio, plein air et label rouge, elle ne démontre aucun exemple concret de nature à vérifier cette interprétation ; qu'il en résulte à tout le moins une incertitude, de nature à entraîner la nullité de la clause, celle-ci se devant, compte tenu de son caractère restrictif, d'être particulièrement précise ;
Considérant que la société One ne peut vendre d'œufs aux clients de la société CDPO, directement ou indirectement ; que les clients directs sont ceux qui achètent directement à la société CDPO et les clients indirects, ceux qui achètent à un partenaire de la société CDPO ; que la société One ne peut connaître à l'avance le nom des clients indirects, connaissant exclusivement le nom des clients directs, par l'intermédiaire des cahiers de spécifications ; que la clause est donc indéterminée sur ce point ; que les clients directs de la société CDPO sont les sociétés Auchan, Attac, Intermarché, Netto, Leclerc, Ed Dia, Cora Match, Carrefour, LIDL et Métro, soit près de 70 % du marché des GMS ; que la société One ne peut livrer ces enseignes, quelle que soit la localisation de leurs magasins ; que les effets de forclusion de la clause sont donc très importants ;
Considérant que si la société One peut vendre à des tiers quels qu'ils soient, et notamment des commerçants indépendants non clients de CDPO, elle ne saura pas si ces commerçants sont clients indirects ou pas ; qu'elle ne peut vendre à des commerçants indépendants faisant partie d'un réseau de distribution en France, Belgique, et Luxembourg ; que le champ de l'interdiction est donc élargi à deux pays étrangers et aux commerçants affiliés à tous les réseaux, y compris Système U, non client de CDPO ; que la société One ne peut vendre à des centrales de la grande distribution, même dans les réseaux non clients de CDPO ; que si la clause prévoit formellement qu'elle peut vendre en GMS (non clients de CDPO), elle ne peut le faire dans une région où la société CDPO a un client (direct ou indirect) ; qu'ainsi, en l'absence de communication des zones géographiques d'intervention de la société CDPO, la société One ne peut connaître quels clients lui sont ouverts ; qu'il résulte des débats que ces zones d'intervention ne lui ont jamais été communiquées ; qu'au demeurant, la société CDPO reconnaît, en page trois de ses observations, qu'elle est référencée sur tout le territoire national auprès des GMS, ce qui aboutit à forclore l'ensemble du marché des GMS, inaccessible à la société One ; qu'elle souligne d'autre part qu'il n'est pas possible de donner des zones géographiques d'intervention précises, admettant ainsi elle-même l'inapplicabilité de la clause ; que la mise en œuvre de la clause prive donc la société One de la quasi-totalité de ses débouchés alternatifs et la conduit à ne pas pouvoir exercer son activité dans des conditions viables ;
Considérant qu'il résulte des constatations ci-dessus que la clause de non-concurrence post-contractuelle est d'une durée excessivement longue au regard des intérêts à protéger, qu'elle n'est justifiée par aucune protection des intérêts de la société CDPO, que son objet excessivement large a pour effet de rendre difficile l'activité de la société One, concentrée sur des œufs pour lesquels elle a effectué de nombreux investissements ; que cette clause, dont le seul objet est de se prémunir de la concurrence, sans aucune justification valable, sera donc annulée ;
Sur la clause de non-concurrence contractuelle :
Considérant que la société One demande l'annulation de l'intégralité de l'article 5, et non de la seule clause de non-concurrence post-contractuelle ;
Considérant que la société CDPO demande l'application, à la société One, de la clause pénale, qui sanctionne le non-respect des alinéas 1 et 2 de cette clause, à l'exclusion des autres alinéas ; que la cour doit se prononcer sur la demande de CDPO qui concerne ces deux premiers alinéas, ainsi que les alinéas 8, 9 et 10 ;
Mais considérant que pour apprécier la validité d'une clause de non-concurrence, il faut mesurer son objet, son champ d'application, ainsi que la proportionnalité des restrictions apportées aux libertés du débiteur par rapport à la protection des intérêts du créancier ; qu'enfin, il s'agit de vérifier que l'effet de forclusion de la clause n'empêche pas le débiteur d'exercer une activité commerciale ; qu'elle constitue donc un tout indissociable ;
Considérant qu'il résulte des constats d'huissier des 16 avril et 4 mai 2012, que la société One a vendu, pendant la durée d'exécution du contrat, des œufs Label Rouge dans le magasin Auchan de Grasse (06), auquel la société CDPO livrait des œufs Bio, mais dont la tête de réseau, Auchan, fait partie de ses clients ; que la société One ne conteste pas cette pratique, mais soulève la nullité de la clause de non-concurrence ; qu'il ressort d'une télécopie du 20 avril 2012, que cette société a livré un centre de conditionnement concurrent, lequel a approvisionné l'entrepôt Auchan du Pontet ;
Considérant que, ainsi qu'il a été vu ci-dessus, l'objet de la clause est imprécis, mais est interprété comme recouvrant toutes les catégories d'œufs commercialisés ; que les deux premiers alinéas interdisent la vente d'œufs à des clients de la société CDPO, soit près de 70 % du marché des GMS ; que les alinéas trois à sept, concernant les ventes d'œufs à des tiers, par leurs dispositions combinées, ont pour effet de priver la société One de la quasi-totalité de ses débouchés alternatifs ; que la clause aboutit, pendant toute la durée du contrat, à imposer à la société One, un contrat de fourniture exclusive au profit de CDPO, sans garantie, en contrepartie, que l'intégralité de sa production sera achetée par CDPO ; qu'en effet, aux termes de l'article 1.2 du contrat, "la société CDPO ne garantit aucun volume minimum de production à commander à la société One" ;
Considérant, d'ailleurs, qu'en pratique, la clause de non-concurrence n'a pas été appliquée durant la vie du contrat ; qu'en effet, la société CDPO ne s'étant pas engagée à acheter à la société One un volume déterminé d'œufs, celle-ci écoulait sa production excédentaire auprès de tiers, ne réalisant en moyenne avec CDPO, que 70 % de son chiffre d'affaires et s'est livrée pour les 30 % restants à des ventes aux GMS, et, notamment, à des clients de la société CDPO ; qu'ainsi, la société One vendait des œufs à Auchan par l'intermédiaire de la société Galline Frais ; que si la société CDPO prétend qu'elle avait donné son accord à ce partenariat, en raison des liens capitalistiques entretenus avec cette société, sur le fondement de l'article 1.3 du contrat de partenariat, elle ne verse aux débats aucune autorisation expresse et préalable qu'elle aurait donnée à la société One ; qu'au surplus, ces autorisations ponctuelles ne font que rendre encore plus difficile l'application de la clause de non-concurrence et atteste l'impossibilité pratique de l'appliquer ;
Considérant qu'il y a lieu d'annuler la clause de non-concurrence et aucune faute ne saurait, par conséquent, être imputée à la société One, pour violation de la clause ;
II/ Sur la demande en dommages-intérêts :
Considérant que la société One souhaite obtenir l'allocation de dommages-intérêts en réparation de son préjudice, la société CDPO n'ayant pas respecté les cadences de commandes prévisibles, n'ayant pas tenu compte des sujétions pesant sur elle, ayant géré de manière unilatérale le prix d'achat des œufs provenant de la société One, sans pratiquer de réajustements et lui ayant imposé des obligations de non-concurrence excessives ;
Considérant que les achats de la société CDPO ont baissé d'un montant global de 495 000 euros au titre des cinq premiers mois de l'année 2012, par rapport aux mois correspondant de l'année 2011 ; que, conjuguée à l'obligation d'approvisionnement exclusif pesant sur la société One, cette baisse des achats a nécessairement dû entraîner un préjudice commercial pour cette société, confrontée à un problème d'écoulement de sa production ; qu'en l'état des pièces versées au dossier, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer à 50 000 euros le préjudice ainsi subi ; que la société CDPO sera donc condamnée à payer à la société One la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice ;
Par ces motifs - Infirme le jugement entrepris, - Annule l'article cinq du contrat de partenariat conclu le 12 décembre 2007 entre la société CDPO et la société œufs Nord Europe, - En conséquence, Déboute la société CDPO de sa demande d'injonction à l'encontre de la société œufs Nord Europe, ainsi que sa demande de condamnation, fondée sur l'alinéa 8 de la clause de non-concurrence, - Condamne la société CDPO à payer à la société œufs Nord Europe la somme de 50 000 en réparation de son préjudice, - Condamne la société CDPO aux dépens de première instance et d'appel, - Condamne la société CDPO à payer à la société œufs Nord Europe la somme de 20 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.