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Décisions

ADLC, 10 octobre 2014, n° 14-D-12

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fourniture de données de santé par la Caisse Nationale d'Assurance Maladie des Travailleurs Salariés et le GIE Sesam-Vitale

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président : M. Dahan ; Rapporteur : M. Larcher

ADLC n° 14-D-12

10 octobre 2014

L'Autorité de la concurrence,

Vu la lettre, enregistrée le 27 juin 2013 sous le numéro 13-0044F par laquelle la société Celtipharm a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par le Caisse Nationale de l'Assurance Maladie et le GIE Sesam-Vitale ; Vu les articles 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu la décision n° 14-JU-04 en date du 29 septembre 2014 par laquelle le président de l'Autorité de la concurrence a désigné, sur le fondement du dernier alinéa de l'article L. 461-3 du Code de commerce, M. Thierry Dahan, vice-président, pour adopter seul la décision à rendre sur la saisine visée ci-dessus ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint et les représentants de la société Celtipharm entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 2 octobre 2014 ; Adopte la décision suivante :

I. CONSTATATIONS

A. LA SAISINE

1. L'Autorité de la concurrence a été saisie, le 27 juin 2013, d'une plainte de la société Celtipharm à l'encontre de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (ci-après "CNAMTS") et du GIE Sesam-Vitale (ci-après "le GIE").

2. La société Celtipharm reproche à la CNAMTS et au GIE de lui avoir refusé un accès en temps réel aux données issues des feuilles de soins électroniques (FSE) qui transitent par le système Sesam-Vitale. Ces données ne sont accessibles qu'au moyen de clefs de déchiffrement dont le GIE a l'usage exclusif. Selon la plaignante, en refusant de lui permettre l'accès à cette infrastructure essentielle, nécessaire selon elle aux développements de son activité, la CNAMTS et le GIE auraient commis un abus de position dominante contraire aux articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE.

B. LES ENTREPRISES EN CAUSE

La CNAMTS et le GIE Sesam-Vitale

3. La CNAMTS est un établissement public national à caractère administratif, jouissant de la personnalité juridique et de l'autonomie financière. Elle est soumise à une double tutelle : celle du ministère chargé de la Sécurité sociale et celle du ministère chargé de l'économie et des finances.

4. Le GIE Sesam-Vitale est le groupement d'intérêt économique constitué par les caisses nationales des régimes de base d'assurance maladie, sous l'égide de la CNAMTS, conformément aux dispositions de l'article L. 115-5 du Code de la sécurité sociale.

5. Il a pour objet de réaliser les tâches communes au traitement de l'information relevant de la mission confiée aux caisses nationales d'assurance maladie par l'article L. 161-29 CSS, c'est-à-dire le traitement automatisé de l'ensemble des données et informations relatives aux actes de soins remboursables par l'assurance maladie, aux prestations de services aux assurés sociaux et aux pathologies diagnostiquées.

6. Le GIE Sesam-Vitale est l'opérateur qui assure la mise en œuvre et la supervision de l'infrastructure des feuilles de soins électroniques (FSE), système dématérialisé de feuilles de soins mis en place depuis 1998, lorsque les premières cartes à puces ("Carte Vitale") ont été déployées à grande échelle. Par les FSE, les pharmaciens communiquent aux organismes d'assurance maladie concernés, entre autres informations, le numéro des actes effectués et prestations servies aux assurés. Les FSE sont établies dans des conditions qui interdisent la lecture des données confidentielles par un tiers. Seul le GIE Sesam-Vitale détient les clefs de déchiffrement de ces flux de données. La société Celtipharm

7. La société Celtipharm est une société d'études et de statistiques qui a développé, depuis sa création, un savoir-faire dans l'exploitation des données pharmaceutiques. Elle est spécialisée dans l'ingénierie des données économiques du secteur de la santé et cherche à développer un usage commercial de ces données.

8. Selon elle, le marché des bases de données de santé comprendrait notamment le secteur de la fourniture de données agrégées historiques sur lequel intervient la CNAMTS et le secteur émergent de la fourniture d'analyses des flux de données de la consommation médicamenteuse en temps réel qui est celui qui serait concerné par la pratique.

C. LES PRATIQUES DÉNONCÉES

9. Dans sa plainte, la société Celtipharm reproche au GIE Sesam-Vitale et à la CNAMTS d'avoir refusé de lui communiquer les clefs de déchiffrement des feuilles de soins électroniques, qui aurait été possible par l'utilisation d'une boîte noire permettant un accès à ces informations tout en assurant l'anonymisation et la confidentialité des données individuelles et d'avoir rejeté ses demandes d'accréditation en tant qu'organisme frontal pouvant adhérer au GIE.

10. Il faut relever que, parallèlement à sa saisine de l'Autorité, la société Celtipharm a saisi, le 23 août 2012, le tribunal administratif de Nantes et, le 6 juin 2013, le tribunal administratif de Paris, de recours pour excès de pouvoir contre les décisions de rejet de la CNAMTS et du GIE de ses demandes d'accès aux clés de déchiffrement des feuilles de soins électroniques. Ces deux procédures devant le juge administratif sont toujours pendantes.

II. DISCUSSION

11. En vertu de l'article L. 462-8 du Code de commerce, "L'Autorité de la concurrence peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable si elle estime que les faits invoqués ne n'entrent pas dans le champ de ses compétences."

1. LE CADRE JURIDIQUE

12. En vertu de l'article L. 410-1 du Code de commerce, les règles définies au titre II de son livre s'appliquent "à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public".

13. Toutefois, dans sa décision n° 86-224 du 23 janvier 1987 le Conseil constitutionnel a posé pour principe que le juge administratif demeure seul compétent "pour l'annulation ou la réformation des décisions prises, dans l'exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités administratives".

14. Les critères de répartition des compétences entre les autorités judiciaires et administratives pour connaître des violations du droit de la concurrence ont par la suite été précisés, notamment par plusieurs décisions du Tribunal des conflits.

15. À cet égard, l'arrêt du Tribunal des conflits du 18 octobre 1999, Aéroport de Paris, a posé le principe selon lequel les décisions par lesquelles les personnes publiques: "assurent la mission de service public qui leur incombe au moyen de prérogatives de puissance publique, relèvent de la compétence de la juridiction administrative".

16. Plus récemment, le Tribunal des conflits est venu affiner les critères de répartition des compétences entre juridictions dans sa décision Sociétés Éditions Jean-Paul Gisserot c/ Centre des monuments nationaux, du 4 mai 2009, en considérant que la compétence de l'Autorité de la concurrence n'était pas établie "en ce qui concerne les décisions ou actes portant sur l'organisation du service public ou mettant en œuvre des prérogatives de puissance publique".

17. Il résulte de cette jurisprudence que l'Autorité de la concurrence n'est pas compétente pour connaître de pratiques qui relèvent de l'organisation d'un service public ou de la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique.

2. L'APPLICATION AU CAS D'ESPÈCE

a) Sur l'existence d'une mission de service public confiée aux mises en cause

18. Il ressort de la décision du tribunal des conflits du 23 septembre 2002, Société Sotrame et Metalforme contre GIE Sesam Vitale, rendue dans le cadre d'un contentieux portant sur le préjudice subi par une entreprise résultant du rejet de sa candidature par le GIE dans le cadre d'un appel d'offres lancé par ce dernier, qu'a été confiée aux GIE et à la CNAMTS une mission de service public administratif.

19. Selon cette décision: "si le GIE Sesam -Vitale a le caractère d'une personne morale de droit privé, la décision à l'origine du litige qui l'oppose à la société Sotrame a été prise par lui dans le cadre de la mission qu'il assume au nom et pour le compte des caisses qui l'ont constitué et notamment de la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, pour l'exécution même du service public administratif de mise en œuvre du système de saisie électronique des données de l'assurance maladie en vue duquel lui ont été conférés des droits exclusifs".

20. Par conséquent, la gestion du système de saisie électronique des données de l'assurance maladie est bien une mission de service public pour laquelle le GIE et la CNAMTS disposent de prérogatives de puissance publique.

b) Sur les décisions de refus d'accès opposées à la société Celtipharm

21. Le chiffrement des feuilles de soins électroniques constitue une étape obligatoire du processus de transmission des données confidentielles des patients, dont la responsabilité a été confiée par la loi au GIE Sesam-Vitale. Les clefs de déchiffrement ont pour fonction de garantir la sécurité et la confidentialité de ces flux d'information.

22. Par conséquent, toute décision relative au processus de déchiffrement, qu'il s'agisse d'une décision d'octroi des clés ou d'une décision de refus, se rattache à l'organisation du service public administratif de mise en œuvre du système de saisie électronique des données de l'assurance maladie.

23. Lors de la séance, la société Celtipharm a fait valoir qu'elle ne demandait la communication des clefs de déchiffrement que comme moyen d'accès au flux de données des FSE, mais qu'elle était ouverte à d'autres moyens d'accès, par exemple, une modification du codage des informations commercialement utiles permettant de rendre superflue l'utilisation des clefs de chiffrement.

24. Mais ces autres moyens d'accès ne viseraient toutefois qu'à contourner les décisions de refus d'octroi des clefs de déchiffrement et relèveraient, en tout état de cause, également de l'organisation du service public administratif de mise en œuvre du système de saisie électronique des données de l'assurance maladie. Il en va de même de la décision du GIE de refuser à Celtipharm son accréditation en tant qu'organisme frontal qui avait été formulée comme solution alternative à la communication des clefs de déchiffrement.

25. Enfin, il sera relevé que, dans ses recours devant les juridictions administratives, la saisissante considère que les décisions de refus d'accès aux clefs de déchiffrements sont des actes administratifs.

26. Il résulte de ce qui précède que les pratiques reprochées au GIE et à la CNAMTS dans la présente plainte relèvent de l'organisation d'un service public administratif et, par conséquent, n'entrent pas dans la compétence de l'Autorité de la concurrence.

27. Il y a donc lieu de faire application de l'article L. 462-8 du Code de commerce et de déclarer la saisine irrecevable.

DÉCISION

Article unique : La saisine de la société Celtipharm est déclarée irrecevable.