ADLC, 4 août 2014, n° 14-DCC-108
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à la prise de contrôle exclusif d'Esterra par Veolia Propreté
L'Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 4 juillet 2014, relatif à la prise de contrôle exclusif d'Esterra par Veolia Propreté formalisée par une promesse de vente et d'achat en date du 3 décembre 2012, dont l'option a été levée par Veolia Propreté dans un courrier en date du 11 avril 2014 ; Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ; Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
1. Veolia Propreté est active dans le secteur de la collecte, du recyclage et du traitement des déchets. Elle est une filiale à 100 % de Veolia Environnement, qui est active dans quatre secteurs d'activité à savoir l'eau, l'énergie, la propreté et le transport via Transdev, filiale commune avec la Caisse des dépôts et consignations.
2. Esterra est active dans le secteur de la collecte, du traitement et du recyclage des déchets dans l'agglomération lilloise et, de façon plus marginale, dans le secteur du nettoyage urbain et industriel. Le capital d'Esterra est détenu à 50 % par Veolia Propreté et à 50 % par Suez Environnement et Sita, filiale de Suez Environnement en matière de gestion des déchets (ci-après " Sita ").
3. En vertu des statuts d'Esterra et du pacte d'actionnaires relatif à celle-ci, son conseil d'administration est composé de [...] membres, dont [...] sont désignés par Veolia Propreté et [...] par Sita. Les décisions stratégiques (approbations du budget annuel, nomination du Directeur Général, recrutement des cadres dirigeants) sont adoptées à la majorité des [Confidentiel]. Il en résulte qu'antérieurement à l'opération, Veolia Propreté et Sita exerçaient un contrôle conjoint sur Esterra.
4. L'opération, formalisée par une promesse de vente et d'achat en date du 3 décembre 2012 dont l'option a été levée par Veolia Propreté dans un courrier en date du 11 avril 2014, consiste en l'acquisition par Veolia Propreté de la totalité des actions d'Esterra actuellement détenues par Sita.
5. En ce qu'elle se traduit par le passage d'un contrôle conjoint à un contrôle exclusif de Veolia Propreté sur Esterra, l'opération constitue une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du code de commerce.
6. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euros (Veolia Environnement : 22,3 milliards d'euros en 2013 ; Esterra : 93,7 millions d'euros pour la même période). Deux au moins de ces entreprises réalisent en France un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros (Veolia Environnement: 11,3 milliards d'euros en 2013, Esterra : 93,7 millions d'euros pour la même période). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l'article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
7. Les parties sont présentes dans la filière des déchets qui regroupe les activités de collecte, de transport, de traitement, de réutilisation et d'élimination des déchets. La pratique décisionnelle, tant communautaire que nationale (1), considère que le secteur de la gestion des déchets comprend deux étapes : la collecte et le traitement, le traitement consistant soit dans l'élimination du déchet, soit dans sa valorisation. En outre, la Commission européenne (2) a distingué au sein du traitement une activité spécifique de tri. En l'espèce, les parties sont simultanément actives sur les marchés de la collecte et de la valorisation des déchets. Les parties proposent également aux collectivités publiques des prestations de nettoyage urbain ainsi que des prestations de services aux déchetteries.
A. LES MARCHÉS DE LA COLLECTE DE DÉCHETS
8. Les autorités française et communautaire de concurrence(3) considèrent qu'il existe autant de marchés de services que de grands types de déchets : les déchets dangereux ou déchets industriels spéciaux, les déchets non dangereux ou déchets banals et les déchets spécifiques. En l'espèce, les parties sont simultanément actives sur les marchés de la collecte des déchets banals et des déchets dangereux.
1. LA COLLECTE DE DÉCHETS DANGEREUX
a) Marchés de services
9. Les déchets dangereux sont des déchets contenant, en quantités variables, des éléments toxiques ou dangereux, de nature organique (solvants, hydrocarbures) ou minérale (acides, bains de traitement de surface, sables de fonderie, boues d'hydroxydes métalliques). En droit national, les déchets sont considérés comme dangereux s'ils présentent une ou plusieurs des propriétés énumérées à l'annexe I du décret du 18 avril 2002 relatif à la classification des déchets : explosifs, comburants, inflammables, irritants, nocifs, toxiques, cancérogènes, corrosifs, infectieux, toxiques pour la reproduction, mutagènes, écotoxiques. La pratique décisionnelle nationale et communautaire (4) a considéré que la collecte de ces déchets est susceptible de former un marché distinct dans la mesure où cette prestation doit être effectuée par des sociétés spécialisées, depuis leur lieu de production jusqu'à leur site d'élimination ou de valorisation. En effet, les déchets dangereux ne peuvent pas être déposés dans des installations de traitement ou de transit recevant d'autres catégories de déchets.
10. En l'espèce, les parties sont toutes les deux actives dans la collecte de déchets dangereux.
b) Marchés géographiques
11. Les autorités de concurrence nationale et communautaire ont retenu une dimension nationale du marché de la collecte de déchets dangereux.
2. LA COLLECTE DE DÉCHETS NON DANGEREUX
a) Marchés de services
12. Les déchets non dangereux sont segmentés entre les déchets ménagers et assimilés (" DMA "), d'une part, et les déchets banals d'entreprise (" DBE ") (5), d'autre part. La collecte de ces derniers comprend plusieurs types de collecte : la collecte en mélange, la collecte sélective, la collecte mono-matériau (chutes de métal, de bois, plastiques). Le ministre, dans sa décision C2007-168, a toutefois fait une analyse globale de ces différents types de collecte. En outre, au sein des DBE, la Commission et le ministre ont identifié un marché pertinent distinct comprenant la collecte et le traitement des chutes de ferraille, éventuellement segmenté entre les chutes d'acier carbone et les chutes d'acier inoxydable (6).
13. En l'espèce, les parties sont simultanément présentes sur les segments des DMA et des DBE. Compte tenu des volumes collectés par les parties, il n'est pas nécessaire en l'espèce de se prononcer sur la pertinence d'une analyse distincte pour la collecte et le traitement des chutes de ferraille, les résultats de l'analyse concurrentielle demeurant inchangés.
b) Marchés géographiques
14. Dans les décisions précitées, la Commission a considéré que les marchés de la collecte de DMA et de DBE sont de dimension nationale, compte tenu des procédures d'appel d'offres auxquelles recourent les collectivités locales ou les entreprises productrices de déchets (7). Cependant, en ce qui concerne les DBE, le ministre a relevé que les PME pouvaient être incitées à choisir un prestataire au niveau local. En l'espèce, les parties sont simultanément actives sur le département du Nord. Dans la mesure où les conclusions de l'analyse demeurent inchangées, la question de la délimitation géographique de ces marchés peut cependant rester ouverte.
15. Enfin, pour le segment des chutes de ferraille, la Commission européenne a indiqué, tout en laissant la question ouverte, que le marché géographique pourrait être délimité par des zones d'un rayon de 200 km. Dans la mesure où les sites des parties ne se chevauchent pas dans ce type de collecte il n'est pas nécessaire de se prononcer sur la délimitation exacte du segment de la collecte des chutes de ferraille.
B. LES MARCHÉS DE LA VALORISATION DES DÉCHETS
16. Par opposition à l'élimination, la valorisation consiste dans le traitement des déchets dans le but de les revendre à des industries consommatrices de déchets recyclés (valorisation matière) ou de produire de l'énergie (valorisation énergétique). Pour les besoins de l'analyse, le terme de " valorisation " ne recouvre que la valorisation matière.
a) Marchés de services
17. Le ministre, dans sa décision C2007-168, a segmenté la valorisation des déchets en autant de marchés que de types de matières à valoriser : ferraille, verre, papiers-cartons, plastiques, bois. Il a ainsi distingué pour son analyse un marché de la valorisation des déchets métalliques, un marché de la valorisation des déchets de bois et un marché de la valorisation des papiers et cartons. S'agissant des déchets de papiers et cartons, le ministre a retenu un marché global de la valorisation des papiers et des cartons. De la même manière, il a retenu un marché global de la valorisation des déchets de bois. Concernant les déchets métalliques, cette catégorie regroupe les métaux ferreux, les métaux non ferreux et le métal issu de la déconstruction des Véhicules Hors d'Usage (" VHU "). Les matériaux à recycler proviennent principalement des chutes neuves issues de la transformation de l'acier et des ferrailles de récupération. Toutefois, le ministre a considéré pour son analyse un marché global des déchets métalliques dans la mesure où il apparaît qu'il y a une forte substituabilité entre ces différents types de ferraille, tant du côté de la demande que du côté de l'offre, les prestataires valorisant indifféremment les différents types de ferrailles, quelle que soit leur provenance. Par ailleurs, la Commission européenne a repris la segmentation opérée par le ministre et a distingué un nouveau marché, celui de la valorisation des boues d'épuration (8).
18. En l'espèce, les parties exercent concomitamment des activités de valorisation des déchets de papiers et cartons et de ferraille. Chacun de ces marchés fera donc l'objet d'une analyse concurrentielle.
b) Marchés géographiques
19. Le ministre a considéré que le marché de la valorisation des déchets a une dimension nationale. En effet, certains matériaux peuvent avoir une valeur économique suffisamment élevée pour justifier que des coûts de transport, même importants, restent négligeables au regard de la valorisation dont ils font l'objet. De plus, les installations de recyclage n'offrent pas toujours une couverture locale aussi étendue que les installations de traitement. Enfin, il apparaît que sur ces marchés, les opérateurs, de taille nationale, sont actifs sur l'ensemble du territoire. Tant du côté de l'offre que de la demande, les conditions de concurrence peuvent donc être considérées comme homogènes en France.
C. LES MARCHÉS DU NETTOYAGE
a) Marchés de services
20. La Commission a eu l'occasion de segmenter ce secteur en fonction de l'identité du client, en distinguant le nettoyage urbain et le nettoyage industriel9. Le nettoyage urbain consiste principalement dans le nettoyage des infrastructures publiques et des réseaux d'assainissement urbain dans le cadre de contrats passés avec les collectivités locales. Le nettoyage industriel regroupe le nettoyage de locaux professionnels (administratifs, commerciaux), d'installations industrielles, d'outils de production, de machines ou de cuves. En l'espèce, les parties sont actives sur le marché du nettoyage urbain. Elles proposent également des services de nettoyage de cuves. Toutefois, en raison du chiffre d'affaires extrêmement faible réalisé par Esterra dans cette activité, le marché du nettoyage industriel ne fera pas l'objet d'une analyse spécifique. En tout état de cause, la question de la délimitation du marché peut rester ouverte, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées quelle que soit la délimitation retenue.
b) Marchés géographiques
21. Concernant la dimension géographique des marchés du nettoyage, la Commission a déjà eu l'occasion de retenir un cadre national10. En l'espèce, la question de la délimitation géographique du marché peut rester ouverte.
D. LE MARCHÉ DES PRESTATIONS DE SERVICES AUX DÉCHETTERIES
a) Marché des services
22. L'Autorité, sans trancher la question de sa délimitation exacte, a envisagé l'existence d'un marché des prestations de services relatives aux déchetteries (11). Ces prestations peuvent aller du simple enlèvement des déchets à la gestion déléguée complète d'une déchetterie.
23. Les parties proposent toutes les deux des services à des déchetteries. Toutefois, la question de la délimitation précise de ce marché peut, en l'espèce, rester ouverte en raison de la très faible position des parties sur ce segment.
b) Marchés géographiques
24. L'Autorité a retenu une délimitation nationale de ce segment pour les besoins de son analyse, sans toutefois trancher la question de sa délimitation géographique précise.
III. Analyse concurrentielle
25. A titre liminaire, il convient de relever que l'opération consiste dans le passage du contrôle conjoint d'Esterra par Suez Environnement et Veolia Propreté au contrôle exclusif d'Esterra par Veolia Propreté. Or, dans plusieurs affaires précédentes, les autorités de concurrence tant nationale qu'européenne ont souligné que le passage d'un contrôle conjoint à un contrôle exclusif n'est généralement pas en lui-même susceptible de modifier significativement les conditions de l'exercice de la concurrence. Cependant, dans des affaires plus complexes concernant en particulier des parties en situation de concurrence avant la concentration, le fait que l'acquéreur exerce déjà un contrôle conjoint n'a pas empêché les autorités de concurrence d'analyser soigneusement les effets de l'opération sur la concurrence (12).
26. Toutefois, dans le cas présent, il ressort de la notification que, les parties ne soumissionnaient pas simultanément à des appels d'offres publics antérieurement à l'opération, Veolia Propreté n'intervenant sur les marchés concernés que par l'intermédiaire d'Esterra. Il en résulte que, sur ces marchés, le passage d'un contrôle conjoint à un contrôle exclusif de Veolia sur Esterra ne se traduira pas par une réduction du nombre de concurrents en présence et que la situation concurrentielle restera donc inchangée.
27. En toute hypothèse, les additions de parts de marché qu'entraîne l'opération sont très limitées. En effet, en matière de collecte de déchets, au niveau national, l'incrément qu'entraîne l'opération ne dépasse pas [0-5] % quel que soit la segmentation retenue, le nouvel ensemble représentant environ [20-30] % de la collecte de déchets dangereux, [10-20] % de la collecte de DMA et [10-20] % de la collecte de DBE. En outre, au niveau local, les activités des parties ne se chevauchent que sur le marché de la collecte de DBE dans le département du Nord où Esterra détient, d'après les estimations des parties, une part de marché d'environ [10-20] % tandis que Veolia Propreté représente environ [0-5] % du marché.
28. De la même manière, le nouvel ensemble représentera moins de [20-30] % du marché de la valorisation de papiers et cartons et moins de [5-10] % du marché de la valorisation de la ferraille. Enfin, la nouvelle entité ne représentera pas plus de [5-10] % du marché du nettoyage urbain et [5-10] % du marché des prestations de services aux déchetteries.
29. L'opération n'est donc pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés.
DECIDE
Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 14-085 est autorisée.
Notes :
1 Voir notamment la décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-114 du 10 septembre 2010 relatif à la prise de contrôle exclusif de la société ISS Environnement par la société Paprec France, la lettre du Ministre de l'économie C2007-168 du 23 janvier 2008 et les décisions de la Commission européenne IV/M.916 Lyonnaise des Eaux / Suez et IV/M.1059 Suez Lyonnaise des Eaux / BFI.
2 Décision de la Commission européenne COMP/M.5464, Veolia Eau / Société des eaux de Marseille / Société des eaux d'Arles / Société Stéphanoise des eaux.
3 Voir les décisions précitées.
4 Voir la décision C2007-168 précitée et la décision de la Commission européenne IV/M.916 Lyonnaise des Eaux / Suez
5 Voir la décision C2007-168 précitée et la décision de la Commission européenne IV/M.916 Lyonnaise des Eaux / Suez
6 Voir la décision C2007-168 précitée et la décision de la Commission européenne COMP/M.4495 Alfa Acciai / Cronimet / Remondis / TSR Group
7 Voir notamment IV/M.1059 Suez Lyonnaise des Eaux / BFI.
8 Voir COMP/M.5464 précitée
9 Décision de la Commission européenne COMP/M.5464, Veolia Eau / Société des eaux de Marseille / Société des eaux d'Arles / Société Stéphanoise des eaux
10 Décision précitée
11 Décision 10-DCC-114 précitée
12 Voir notamment les décisions de l'Autorité de la concurrence du 25 février 2011, n° 11-DCC-34, GDF Suez/Ne Varietur et du 11 juillet 2013, n° 13-DCC-90, Casino/Monoprix.