CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 17 octobre 2014, n° 13-03894
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Marchesi Antinori Srl (Sté)
Défendeur :
Bristol (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Touzery-Champion
Conseillers :
Mme Prigent, M. Richard
Avocats :
Mes Guizard, Goulesque Monaux, Fisselier, Baschet
Par courrier du 5 novembre 1987 la société Marchési Antinori, société de droit italien, producteur de vins, a concédé à la société Bristol de droit français (ayant pour activité l'import-export de vins et spiritueux) l'exclusivité pour la vente de ses vins sur le territoire de la France et en principauté de Monaco.
Sur requête de la société Marchesi Antinori, le Président du Tribunal de commerce de Paris a enjoint par ordonnance du 6 décembre 2010 à la société Bristol de payer une somme de 132 591,38 euro représentant des factures impayées du 15 octobre 2008 au 26 mars 2009 et une somme de 750 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur opposition de la société Bristol, qui reproche à la société Marchesi Antinori de ne pas respecter l'exclusivité territoriale qu'elle lui a concédée, le Tribunal de commerce de Paris par jugement du 22 janvier 2013, assorti du bénéfice de l'exécution provisoire, a :
- condamné la société Bristol à payer à la société Marchesi Antinori la somme de 132 591,38 euro, au titre des factures impayées, assortie des intérêts au taux légal italien à compter de la date d'exigibilité de chacune des factures,
- condamné la société Marchesi Antinori à verser à la société Bristol la somme de 220 000 euro à titre de dommages et intérêts, pour rupture brutale du contrat d'exclusivité,
- débouté la société Bristol de sa demande en paiement de 75 000 euro au titre de la concurrence déloyale,
- condamné la société Marchesi Antinori à régler la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Selon conclusions signifiées le 26 septembre 2013, la société Marchesi Antinori, appelante, a :
- à titre principal, sollicité la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Bristol à lui régler les factures impayées, mais l'infirmation du surplus,
- demandé que la somme de 132 591,38 euro soit assortie des intérêts moratoires calculés selon le "décret législatif italien" n° 231 du 2 octobre 2002, à savoir au taux de la BCE majoré de 7 points à compter de la date d'exigibilité des factures,
- réclamé la condamnation de la société Bristol à lui payer la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts,
- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour considérerait qu'elle est à l'origine de la rupture des relations avec la société Bristol,
- fait valoir que la faute de la société Bristol l'autorisait à mettre fin aux relations sans préavis,
- en conséquence souhaité l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société Bristol la somme de 220 000 euro à titre de dommages et intérêts, le rejet des demandes de la société Bristol, la condamnation de cette dernière à lui verser la somme de 10 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Marchesi Antinori estime avoir toujours respecté l'exclusivité limitée qu'elle avait consentie à la société Bristol et n'être pas à l'origine de la rupture de leurs relations commerciales imputable à cette dernière, qui n'a pas payé ses dernières factures.
Suivant écritures signifiées le 2 août 2013, la société Bristol a conclu :
- au rejet de l'intégralité des demandes de la société Marchesi Antinori,
- à la confirmation du jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a constaté la rupture brutale du contrat d'importateur exclusif aux torts de la société Marchesi Antinori, en ce qu'il a condamné cette dernière à lui verser la somme de 220 000 euro à titre de dommages et intérêts pour cette rupture brutale,
- à la condamnation de la société Marchesi Antinori à lui payer la somme de 75 000 euro au titre de la concurrence déloyale et la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Bristol reproche à la société Marchesi Antinori d'avoir violé le contrat d'importateur exclusif qu'elles ont signé et d'avoir rompu brutalement les relations commerciales établies entre elles.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et de leur argumentation.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'application de la loi italienne
La société Marchesi Antinori, société de droit italien, souhaite l'application de la loi italienne; la société Bristol, société de droit français, n'ayant pas répondu à ce moyen est censée ne pas le contester.
C'est à juste titre que le Tribunal de commerce de Paris a retenu l'application de la Convention de la Haye du 15 juin 1955 pour les ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels, entrée en vigueur le 1er septembre 1964 et toujours en vigueur à la date d'application du contrat signé par les parties au présent litige le 1er novembre 1987.
L'article 3 de cette Convention de la Haye prévoit qu'à défaut de loi déclarée applicable par les parties, comme c'est le cas en l'espèce, 'la vente est régie par la loi interne du pays où le vendeur a sa résidence habituelle au moment où il reçoit la commande ; si la commande est reçue par un établissement du vendeur, la vente est régie par la loi interne du pays où est situé cet établissement.
Toutefois la vente est régie par la loi interne du pays où l'acheteur a sa résidence habituelle, ou dans laquelle il possède l'établissement qui a passé la commande, si c'est dans ce pays que la commande a été reçue, soit par le vendeur, soit par son représentant , agent ou commis-voyageur.
Faute pour la société Bristol de démontrer que les commandes étaient reçues par un représentant de la société Marchesi Antinori en France, la loi italienne doit recevoir application, conformément à l'article 3 de la Convention de la Haye susmentionné. La décision des premiers juges sera en conséquence confirmée de ce chef.
Sur les demandes des sociétés Bristol et Marchesi Antinori
La société Bristol fait grief à la société Marchesi Antinori d'avoir violé l'exclusivité territoriale concédée et d'avoir rompu brutalement ses relations commerciales avec elle. Cette dernière conteste cette argumentation et se prévaut d'une exception d'inexécution.
La société Bristol reproche, en premier lieu, à la société Marchési Antinori de ne pas faire respecter par chaque distributeur de ses vins la zone d'exclusivité territoriale accordée à chacun, et notamment celle qu'elle lui a concédée.
La société Marchesi Antinori objecte qu'elle a toujours respecté l'exclusivité limitée consentie à la société Bristol et prétend que les sociétés mises en cause par la société Bristol n'étaient pas des distributeurs en France, les ventes ayant été conclues en Italie ou dans des pays européens autres que la France ou allègue encore que les commerçants se sont procurés ses produits à son insu. En toute hypothèse, elle soutient qu'il ne lui appartient pas de faire respecter l'exclusivité consentie à ses distributeurs, ce qui constituerait une faute au regard du droit communautaire de la concurrence ; elle estime que toute tentative d'empêcher les importateurs français de s'approvisionner chez un distributeur étranger aurait été illégale au regard du droit communautaire de la concurrence.
Il est constant que la société Marchesi Antinori a nommé par un simple courrier très succint en date du 5 novembre 1987 la société Bristol en qualité d'importateur exclusif de ses vins pour la France et la Principauté de Monaco à compter du 1er novembre 1987, sans aucune autre obligation écrite et qu'elle n'a cessé de revendiquer la qualité d'importateur exclusif de son cocontractant au cours des années ultérieures.
Au regard des pièces produites, la société Bristol justifie :
- avoir été informée en mars 1998 de ce que la société MDV commercialisait les produits de la société Marchesi Antinori dans le sud de la France, qu'elle allait en outre s'implanter en région parisienne et s'en être plaint auprès de son fournisseur,
- avoir appris en 2006 l'existence de la société Carelli sur sa zone d'exclusivité et avoir demandé des explications à la société Marchesi Antinori,
- avoir eu connaissance en 2009 par un de ses employés de ce que la société Marchesi Antinori commercialisait ses vins en France par l'intermédiaire de la société Metro.
Le contrat de concession exclusive aux termes duquel le fournisseur accepte de ne vendre ses produits qu'à un seul distributeur en vue de la revente sur un territoire déterminé permet au distributeur de bénéficier d'un monopole de revente et au fournisseur de s'assurer de la qualité de la distribution de ses vins en principe de qualité.
Il appartient en conséquence au fournisseur, qui ne conteste pas la validité de cette clause, de faire respecter l'exclusivité qu'il a lui-même concédée, et ce, contrairement aux allégations de la société Marchesi Antinori.
Cette dernière ne peut d'ailleurs, sans contradiction, soutenir avoir toujours respecté la clause d'exclusivité et prétendre dans le même temps ne pas avoir à la faire respecter.
Si elle justifie par des courriers anciens avoir dirigé ses clients vers son importateur français la société Bristol, elle ne produit en revanche aucun élément qui démontrerait qu'elle a tenté de faire respecter l'exclusivité consentie, après avoir reçu des plaintes de la société Bristol visant trois sociétés bien identifiées ; en effet en mars 1998 à propos de la société MDV, elle n'a pas cherché à savoir comment celle-ci avait pu se procurer 2 725 caisses de ses vins pour pouvoir contrôler l'application de la clause d'exclusivité consentie.
Pour la société Carelli en février 2006, la société Marchesi Antinori affirme après avoir vérifié qu'il s'agit d'un client italien - dont le nom n'est pas précisé - qui possèderait une œnothèque, mais ne donne à la question posée par la société Bristol dans son fax du 7 février 2006 aucune explication sur la quantité de vins fournie dans une proportion importante, ce qui ne devrait pas être possible pour une oenothèque, qui est un lieu consacré à la dégustation et à la vente de vin en petites quantités.
Pour la société Metro, la société Marchesi Antinori reconnaît dans son mail du 21 mai 2009 au paragraphe 2 avoir vendu son vin de la gamme Santa Cristina à la société Metro en Italie et dans d'autres pays européens, mais prétend au paragraphe 3 que ses directives de marketing sont claires à savoir qu'elle ne vend aucun de ses crus à la société Metro et à aucune autre chaîne de grands distributeurs sur le marché européen.
Le dernier grief tiré du fait que depuis le 1er avril 2010, la société Marchesi Antinori commercialise ses vins par l'intermédiaire de la société Millesima dépendra pour être retenu de la date de la rupture officielle des relations commerciales entre les deux sociétés.
En tout état de cause, il est ainsi établi que la société Marchesi Antinori n'a pas respecté la clause contractuelle d'exclusivité accordée à la société Bristol son concessionnaire, en ne refusant pas d'interdire à ses distributeurs étrangers de revendre ses vins en France ou à Monaco, territoires dans lesquels elle disposait d'un distributeur exclusif ou en favorisant d'autres distributeurs, alors que la cause du contrat signé le 5 novembre 1987 est la recherche d'une concentration des efforts de revente du concessionnaire sur un territoire exclusif et que la société italienne n'ignore pas que les sociétés Carelli et surtout Métro possèdent de nombreux établissements en France.
La circonstance que, comme l'invoque la société italienne, ne commet pas un acte de concurrence déloyale le distributeur hors réseau qui achète à un tiers par un approvisionnement dit parallèle n'empêche pas cette dernière de respecter la clause d'exclusivité territoriale qu'elle a concédée.
En toute hypothèse, cette pratique de l'attribution d'une exclusivité territoriale, qui exclut des distributeurs pouvant concurrencer le concessionnaire, est illicite en ce qu'elle est susceptible de porter atteinte au jeu de la libre concurrence mais peut néanmoins être exemptée lorsque les parties se sont assurées que les restrictions territoriales auxquelles elles consentent sont proportionnées aux objectifs économiques poursuivis, ce qui est le cas en l'espèce, l'accord ayant une portée limitée dans le marché pertinent considéré et ne peut porter atteinte de façon sensible au jeu de la concurrence.
La violation de l'exclusivité territoriale par la société Marchesi Antinori est donc établie pour les trois sociétés susmentionnées.
En second lieu, la société Bristol fait grief à la société Marchesi Antinori d'avoir rompu brutalement leurs relations commerciales et lui réclame à ce titre une somme de 220 000 euro à titre de dommages et intérêts. Pour sa défense, cette dernière impute l'initiative de la rupture à la première société, en veut pour preuve ses propres correspondances et invoque une exception d'inexécution à l'encontre de son distributeur.
La société Bristol conteste avoir reçus lesdits courriers et en dénonce les irrégularités (notamment l'absence de papier à en-tête, de signature, de numéro de l'avenue pour l'adresse ou de cachet commercial).
Force est de relever que la société Marchesi Antinori n'est pas fondée à apporter la preuve de la rupture brutale des relations commerciales par la société Bristol en ne versant aux débats que ses propres correspondances des 13 et 16 juillet 2009 par lesquelles elle prête à l'autre la décision de rompre, nul ne pouvant se constituer un titre à lui-même.
Par ailleurs ces courriers sont en totale contradiction avec la lettre du 23 mars 2010 signée par M. Piero Antinori, président de la société, sur du papier à en-tête de la société aux termes de laquelle celui-ci remercie M. de Ladoucette, président de la société Bristol, de sa venue à Florence, évoque leurs discussions précédentes, lui demande ses intentions, explique que sur le sujet de la distribution "nous ferons le moment venu nos évaluations" mais ne souhaite pas lier ce point avec celui de la position débitrice de la société Bristol.
Il est ainsi démontré que les relations commerciales entre les deux sociétés n'étaient pas encore rompues en juillet 2009 et surtout pas à l'initiative de la société Bristol, puisque leurs autorités avaient encore des discussions en mars 2010 sur les différends qui les opposaient.
Toutefois, les circonstances démontrent que la société Marchesi Antinori avait la volonté de parvenir à la cessation de la relation sans la manifester de manière explicite. Ainsi le fait de refuser de lier les différends les opposant (sur la clause d'exclusivité et sur la dette) tel qu'il ressort de la lettre du 23 mars 2010 de M. Piero Antinori à M. de Ladoucette, alors qu'ils sont intimement mêlés, montre que la société Marchesi Antinori ne souhaitait pas régler la difficulté essentielle rencontrée par son distributeur mais faire pression sur lui compte tenu de sa position de force tenant au fait qu'elle avait le choix de ses distributeurs.
En effet il ressort de la lettre du 5 février 2003 émanant de la société Bristol et du mail du 21 mai 2009 de M. Renzo Cotarella de la société Marchesi Antinori que la société Bristol refusait d'envoyer des échantillons des vins italiens à des grossistes en estimant qu'ils sont de médiocre qualité, alors que la société italienne considérait que le grossiste Metro était un interlocuteur de qualité et qu'en refusant de faire commerce avec lui, la société Bristol lui avait fait perdre une grande opportunité, lui avait occasionné non seulement une perte de chiffre d'affaires mais aussi avait compromis ses relations pour l'avenir avec "ce client digne d'une grande considération". Ce différend essentiel relatif à la politique de distribution méritait un traitement immédiat par les deux sociétés.
Dans ce contexte la société Marchesi Antinori a annoncé dès le 16 juillet 2009, selon ses propres allégations, qu'elle commençait à rechercher un distributeur de remplacement sur le marché français, à demander la date à laquelle la société Bristol cesserait de distribuer ses vins et ses suggestions sur la façon de réduire le stock actuel dans ses entrepôts, puis a adressé à son distributeur deux mises en demeure de payer les factures restées impayées les 23 avril et 6 juillet 2010.
Il apparaît ainsi que c'est bien la société Marchesi Antinori qui a brutalement rompu, sans aucun préavis et sans vouloir entamer de discussions, les relations commerciales établies depuis plus de 20 ans, avec la société Bristol laquelle pour sa part n'avait aucun intérêt à résilier un tel contrat d'exclusivité. La société italienne a d'ailleurs traité immédiatement après cette rupture avec un nouveau distributeur la société Millesima.
Cette rupture brutale, après plus de 20 ans de relations commerciales, aux torts de la société Marchesi Antinori a occasionné à la société Bristol un préjudice que le tribunal de commerce a justement évalué selon des critères pertinents ; les premiers juges seront en conséquence confirmés de ce chef.
Enfin la société Marchesi Antinori n'est pas fondée à invoquer une exception d'inexécution selon l'article 1453 du Code civil italien, alors qu'elle-même n'a pas respecté son engagement contractuel essentiel tenant à la clause d'exclusivité territoriale et qu'elle a refusé de régler un différend important qui les opposait. De même, la société Bristol ne saurait se prévaloir d'un refus de vente de la société italienne, alors qu'elle n'ait pas payé ses dernières factures.
La société Bristol qui ne conteste pas la livraison du vin, reste redevable de factures impayées du 15 octobre 2008, 29 janvier et 26 mars 2009 pour une somme globale de 132 591,38 euro assortie des intérêts calculés selon le décret législatif italien n° 231 du 2 octobre 2002.
Les premiers juges seront en conséquence confirmés en ce qu'ils ont condamné la société Bristol à régler ses factures et débouté la société Marchesi Antinori de sa demande de la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts.
En troisième lieu la société Bristol impute à la société Marchesi Antinori des actes de concurrence déloyale et réclame à ce titre une somme de 75 000 euro à titre de dommages et intérêts.
Elle prétend que Mme Allard, chargée de la vente des vins Marchesi en son sein depuis plusieurs années, a donné sa démission et a été engagée par la société Marchesi Antinori, comme représentante en France de la société Marchesi.
Cette dernière réplique que Mme Allard n'a jamais été sa salariée, qu'elle est une professionnelle libérale indépendante, agent commercial multicarte et représente plusieurs sociétés, dont la société Millesima.
Aucun élément objectif et pertinent n'est versé aux débats permettant d'accréditer l'argumentation de la société Bristol ; les premiers juges seront confirmés de ce chef.
L'équité commande d'allouer à la société Bristol une indemnité de 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs Statuant par arrêt contradictoire, Confirme le jugement rendu le 22 janvier 2013 par le Tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la société Marchesi Antinori à verser à la société Bristol une indemnité complémentaire de 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette le surplus des demandes, Condamne la société Marchesi Antinori aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.