CA Grenoble, ch. com., 2 octobre 2014, n° 14-01013
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Securex (SAS)
Défendeur :
Munos, Telem Onet Sécurité (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rolin
Conseillers :
Mme Pages, M. Bernaud
Avocats :
Mes Chabas, Cachard
La société Telem Onet Sécurité, qui appartient au groupe Onet, a pour activité la conception, la fabrication et la commercialisation de toutes installations électriques et électroniques.
M. Jean-Louis Munos, ancien cadre salarié de la société Onet Sécurité depuis 1988, en a pris la présidence au cours de l'année 2008 jusqu'au 10 mai 2012, date à laquelle il a été remplacé à cette fonction et nommé en qualité de directeur général délégué chargé spécifiquement des activités de surveillance électronique exercées par trois sociétés du groupe.
M. Jean-Louis Munos et six cadres salariés de la société Telem Onet Sécurité ont été licenciés pour faute grave au cours des mois de juin, juillet et septembre 2013.
Des instances prud'homales sont en cours.
La société Telem Onet Sécurité reproche à M. Munos et à ses anciens cadres licenciés d'avoir constitué le 13 août 2013 la société Securex, qui se livrerait à des actes de concurrence déloyale caractérisés par la violation par M. Munos de la clause de non-concurrence contenue dans son contrat de travail, par le débauchage massif de ses salariés et par le démarchage systématique de sa clientèle.
Elle a fait assigner le 15 novembre 2013 la société Securex et M. Jean-Louis Munos devant le juge des référés du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère en cessation sous astreinte de ces actes de concurrence déloyale.
Elle a ainsi demandé en substance à la juridiction des référés d'interdire à la société Securex d'exercer une activité commerciale tant que M. Munos en est le dirigeant et l'associé, de démarcher commercialement 24 clients déterminés et de faire usage de la marque Belledonne, le tout sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée et avec publication dans quatre revues spécialisées.
Mme Virginie Metayer, M. Marc Berry, M. Michel Di Domenico, M. Emmanuel Guillemin, Mme Dominique Sauzieres et M. Francis Bour, associés de la société Securex, sont intervenus volontairement à l'instance.
Par ordonnance du 10 février 2014, le président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère a renvoyé les parties à mieux se pourvoir devant le juge du fond sur la portée de la clause de non-concurrence opposée à M. Munos , ainsi que sur l'existence de manœuvres dolosives du fait du débauchage massif du personnel de la société Telem Onet Sécurité, a fait interdiction à la société Securex de démarcher durant une année 24 clients de la société Telem Onet Sécurité sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée, a fait interdiction à la société Securex de faire un usage quelconque de la marque Belledonne sous la même astreinte, et a rejeté la demande de publication de la décision.
La SAS Securex a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 21 février 2014.
La SAS Telem Onet Sécurité a formé appel incident provoqué à l'encontre de Monsieur Jean-Louis Munos qu'elle a fait assigner à cette fin par acte du 16 juin 2014.
Les deux instances ont été jointes par ordonnance du 3 juillet 2014.
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 1er septembre 2014 par la SAS Securex qui demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles 872 et 873 du Code de procédure civile,
Constater qu'il n'est pas démontré l'existence d'un dommage imminent,
Qu'a la date ou la cour est appelée à statuer, la clause de non concurrence invoquée à tort, a cessé de produire ses effets,
Constater qu'il n'est pas rapporté la preuve de l'existence d'un trouble manifestement illicite,
Constater que le premier juge a manifestement retenu l'existence d'une contestation sérieuse,
Constater que la société Telem -Onet Sécurité n'a justifié ni de l'existence, ni de la composition du portefeuille de clientèle dont elle se prévaut,
Réformer l'ordonnance de référé rendue le 10 février 2014 par Monsieur le président du tribunal de commerce de Romans sur Isère, en ce qu'elle a fait interdiction à la société Securex de démarcher pour une durée de un an à compter du prononcé de l'ordonnance, les clients de la société Telem - Onet Sécurité tels que listés,
Confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses autres dispositions,
Condamner enfin la société Telem au paiement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
La condamner aux entiers dépens, distraits au profit de la SCP Bret & Associés, représentée par Maître Dominique Bret avocat postulant.
La SAS Securex fait notamment valoir:
que l'existence d'une obligation de non-concurrence à la charge de M. Munos est sérieusement contestable alors que la clause invoquée a été stipulée au profit d'une société tierce (Onet Sécurité) et est géographiquement limitée à quelques départements et que l'obligation a pris fin en toute hypothèse le 7 juin 2014,
qu'il n'est pas justifié d'un débauchage fautif du personnel de la société Telem Onet Sécurité alors que les six salariés visés ont été licenciés,
que la preuve n'est pas rapportée d'un démarchage fautif de la clientèle de la société Telem Onet Sécurité, alors que celle-ci n'établit pas l'existence ni la composition du portefeuille de clients objet de la demande d'interdiction et qu'il n'est pas justifié de manœuvres particulières ni d'une pratique systématique,
que la décision n'est pas contestée s'agissant de l'utilisation de la marque Belledonne, puisqu'elle se borne à utiliser la référence d'un produit.
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 13 juin 2014 par la SAS Telem Onet Sécurité qui reprenant l'ensemble de ses demandes initiales demande à la cour de :
Vu l'article 1382 du Code civil,
Vu les articles 700 et 873 du CPC,
Réformer la décision de première instance.
Ordonner à la société Securex de ne plus avoir d'activité commerciale de quel que nature que ce soit et ce jusqu'à ce que Monsieur Jean-Louis Munos ne soit plus ni dirigeant, ni associé, de la société Securex.
Préciser que chaque manquement dûment constaté sera sanctionné par 10 000 euros.
Interdire pendant 18 mois à la société Securex de démarcher commercialement ou d'accepter toute offre ou demande des sociétés suivantes :
1. Euro Information
2. Société Générale
3. Caisse d'Epargne Alpes
4. Ugap
5. La Poste
6. Banque de France
7. Crédit Agricole
8. Crédit du Nord
9. Smc
10. Banque Rhône Alpes
11. Banque Populaire
12. Lyonnaise de Banque
13. Crédit Mutuel
14. Réunion des Musées Nationaux
15. Banque Tarneaud
16. Office National des Aéroports
17. Critel
18. Banque Courtois
19. Edf
20. Banque Laydernier
21. Barclays Bank SA
22. Siemens Std
23. Cic
24. Banque de Savoie
25. Banque Kolb
26. Crédit Coopératif
Préciser que chaque manquement dûment constaté sera sanctionné par 10 000 euros.
Interdire à la société Securex de faire tout usage direct ou indirect de la marque Belledonne.
Préciser que chaque manquement dûment constaté sera sanctionné par 10 000 euros.
Ordonner la publication aux frais de la société Securex, mais aux frais avancés de la société Telem - Onet Sécurité, de l'insertion suivante :
"Suivant décision judiciaire en date du rendue par Monsieur le Président du Tribunal de Commerce de Romans, il a été fait interdiction à la société Securex d'utiliser sous quelle que forme que ce soit la marque Belledonne sur laquelle elle n 'a strictement aucun droit",
et ce au sein des journaux suivants pendant une durée de deux mois :
AEF - Sécurité Globale - [...]
En toute Sécurité - [...]
La Lettre Bancaire (Fédération Bancaire Française) publication mensuelle de ladite Fédération, Direction de l'information et des Relations Extérieures - [...]
Sécurité Privée - Journal de l'USP - [...]
Préciser que le paiement de la publication dans la presse professionnelle et que le paiement des astreintes éventuelles incomberont solidairement tant à la société Securex qu'à Monsieur Jean-Louis Munos.
Condamner la société Securex à payer à la société Telem- Onet Sécurité 6 500 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC.
Condamner tout contestant aux entiers dépens.
La SAS Telem Onet Sécurité fait notamment valoir :
qu'elle est fondée à se prévaloir de la clause de non-concurrence stipulée dans le contrat de travail liant M. Munos à la société Onet Sécurité, puisque cette dernière est sa représentante légale,
que la violation de la clause est flagrante dès lors que M. Munos exerçait principalement son activité dans le département de l'Isère limitrophe du département de la Drôme,
qu'elle s'est trouvée dans l'obligation de licencier les futurs associés de la société Securex qui avaient demandé une rupture conventionnelle en vue de créer une structure concurrente, étant précisé que deux d'entre eux étaient encore salariés au moment de cette création,
qu'elle justifie par des pièces comptables que les 26 sociétés démarchées faisaient partie de sa clientèle,
que la société Securex s'est livrée à un démarchage systématique de ses clients, ainsi qu'elle le reconnaît elle-même dans son courrier du 18 octobre 2013.
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 1er septembre 2014 par M. Jean-Louis Munos qui demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles 872 et 873 du Code de procédure civile,
Constater qu'il n'est pas démontré l'existence d'un dommage imminent,
Qu'a la date ou la cour est appelée à statuer, la clause de non concurrence invoquée à tort, a cessé de produire ses effets,
Constater qu'il n'est pas rapporté la preuve de l'existence d'un trouble manifestement illicite,
Constater que le premier juge a manifestement retenu l'existence d'une contestation sérieuse,
Réformer l'ordonnance de référé rendue le 10 février 2014 par Monsieur le président du tribunal de commerce de Romans sur Isère, en ce qu'elle a fait interdiction à la société Securex de démarcher pour une durée de un an à compter du prononcé de l'ordonnance, les clients de la société Telem - Onet Sécurité tels que listés,
Confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses autres dispositions,
Condamner enfin la société Telem au paiement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
La condamner aux entiers dépens, distraits au profit de la SCP Bret & Associés, représentée par Maître Dominique Bret avocat postulant.
M. Jean-Louis Munos fait notamment valoir :
que la société Telem Onet Sécurité est irrecevable à se prévaloir d'une clause de non-concurrence dont elle n'est pas bénéficiaire,
que la clause est en toute hypothèse limitée géographiquement et a pris fin le 7 juin 2014, en sorte qu'il ne peut exister aucun trouble manifestement illicite au jour où la cour est appelée à statuer,
qu'il n'est justifié d'aucun débauchage massif dès lors que les 7 salariés en cause ont été licenciés faute grave ou lourde,
qu'il n'est pas justifié d'un démarchage déloyal ou systématique de la clientèle,
MOTIFS DE L'ARRET
La clause de non-concurrence d'une durée de un an, qui est invoquée par la société Telem Onet Sécurité, a été stipulée dans le contrat de travail conclu le 27 avril 2012 entre M. Jean-Louis Munos et la société Onet Sécurité.
La circonstance que M. Munos ait été son président puis son directeur général, ou que la société Onet Sécurité soit son associé unique et son actuel président, ne peut rendre la société Telem Onet Sécurité créancière de l'obligation de non-concurrence, dont seule la société employeur est bénéficiaire.
Il est en effet de principe constant que les effets de la clause de non-concurrence insérée dans un contrat de travail ne peuvent être étendus aux autres sociétés d'un même groupe, tandis qu'il est constant qu'au titre de ses mandats sociaux M. Munos n'était pas astreint à la même obligation de non-concurrence.
Il est en outre incontestable que l'obligation, d'une durée d'une année à compter de la rupture du contrat de travail intervenue le 7 juin 2013, a pris fin le 7 juin 2014, en sorte qu'au jour où la cour statue la clause litigieuse a cessé de produire effet.
La demande de cessation d'activité sous astreinte, fondée sur la prétendue complicité de violation de l'obligation de non-concurrence pesant sur le dirigeant et associé de la société Securex , se heurte donc pour le moins à une contestation sérieuse faisant obstacle à la prise de mesures dans le cadre de l'article 872 du Code de procédure civile.
Une telle demande ne peut pas davantage être fondée sur l'article 873 du même Code, dès lors que le trouble allégué a disparu, puisqu'aujourd'hui Monsieur Munos peut librement concurrencer son ancien employeur.
L'ordonnance mérite par conséquent confirmation en ce qu'elle a refusé de faire interdiction à la société Securex de poursuivre son activité tant que M. Munos en est le dirigeant et l'associé.
Il n'appartient pas en outre à la cour statuant en référé de se prononcer sur l'existence d'un débauchage fautif, puisque ce grief n'est associé à aucun chef de demande (aucune demande de condamnation provisionnelle en paiement de dommages et intérêts n'est formée, tandis que la demande de cessation d'activité sous astreinte est exclusivement fondée sur la violation prétendue de l'obligation de non-concurrence pesant sur M. Munos).
Au demeurant il n'est pas établi d'évidence que la société Securex et son dirigeant se seraient livrés à un débauchage déloyal des salariés de la société Telem Onet Sécurité dans un but de désorganisation, alors qu'au-delà des raisons qui ont conduit cette dernière à se séparer de ses cadres, qu'il n'appartient pas à la juridiction des référés de déterminer en présence sur ce point de contestations sérieuses, les sept salariés en cause ont été licenciés pour faute grave ou lourde, ce qui exclut à priori que sur l'incitation de M. Munos ils aient entendu quitter volontairement leur emploi dans le but de concurrencer leur ancien employeur.
Pour demander qu'il lui soit fait interdiction sous astreinte de démarcher ou de contracter avec 26 de ses clients habituels, la société Telem Onet Sécurité doit enfin démontrer qu'au-delà du libre jeu de la concurrence la société Securex se livre à un démarchage de sa clientèle au moyen d'agissements déloyaux contraires aux usages commerciaux.
Selon les trois attestations versées au dossier la banque Kolb aurait été approchée à une date indéterminée et pour un objet non précisé, l'entreprise Pascal Salingre, qui ne fait pas partie des clients cités, aurait été invitée à vendre une centrale T 502 Belledonne à la société Securex, qui aurait prétendu être en possession des logiciels, et enfin M. Munos aurait déclaré à la société Toltec qu'il était propriétaire d'un brevet afférent à un verrouillage de portes blindées.
Outre que les attestations susvisées ne sont pas conformes aux prescriptions de l'article 202 du Code de procédure civile, ces faits isolés sont sérieusement contestés par la société Securex qui s'explique de façon circonstanciée sur chacun des événements allégués.
Ils n'apportent pas dès lors la preuve flagrante d'un démarchage systématique de la clientèle de la société Telem Onet Sécurité au moyen de procédés déloyaux, en l'absence de tout élément attestant d'une quelconque action commerciale malveillante de la société Securex auprès de 24 des 26 clients visés par la demande d'interdiction.
Dès lors qu'elle ne démontre pas qu'elle serait exposée à un dommage imminent en présence d'une volonté avérée de détournement massif de sa clientèle, ni que l'activité concurrentielle de la société Securex constituerait un trouble manifestement illicite, la société Telem Onet Sécurité ne saurait obtenir en référé qu'il soit fait interdiction à cette dernière d'entrer en contact avec 26 clients dénommés, ce qui conduit à l'infirmation de la décision déférée sur ce point.
La décision, qui n'est pas attaquée de ce chef, sera en revanche confirmée en ce qu'elle a fait interdiction sous astreinte à la société Securex de faire usage de la marque Belledonne.
L'équité ne commande pas de faire application en cause d'appel de l'article 700 du Code de procédure civile au profit des appelants.
Par ces motifs : LA COUR Statuant contradictoirement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a débouté la SAS Telem Onet Sécurité de sa demande visant à obtenir sous astreinte la cessation par la société Securex de toute activité commerciale tant que M. Jean-Louis Munos en est le dirigeant et l'associé, fait interdiction à la société Securex de faire usage de la marque Belledonne sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée et rejeté la demande de publication de la décision, Infirme l'ordonnance pour le surplus et statuant à nouveau en y ajoutant : Déboute la SAS Telem Onet Sécurité de sa demande tendant à ce qu'il soit fait interdiction sous astreinte à la SAS Securex de démarcher ou d'accepter toute offre de 26 sociétés dénommées pendant une durée de 18 mois, Dit n'y avoir lieu en cause d'appel à application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties, Condamne la SAS Telem Onet Sécurité aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de la SCP d'avocats Bret.