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Décisions

Cass. com., 23 septembre 2014, n° 13-18.938

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Avocats :

SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, Poupot, SCP Bénabent, Jéhannin, SCP Fabiani, Luc-Thaler

Orléans, du 28 mars 2013

28 mars 2013

LA COUR : - Donne acte à la société John Deere du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Patoux Equipagri ; - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société John Deere, que sur le pourvoi incident relevé par la société Etablissements X ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Orléans, 28 mars 2013), que la société John Deere (la société John Deere ou le concédant) était liée à la société X Agri, aux droits de laquelle est venue la société Etablissements X (la société X), par un contrat de concession stipulant qu'afin de préparer la succession du dirigeant de la société X, celle-ci devait présenter au concédant un successeur " acceptable " dans un délai de dix-huit mois ; que la société John Deere n'a pas agréé les candidats présentés par la société X dans ce délai ni renouvelé le contrat à son terme ; qu'estimant que la société John Deere n'avait pas respecté son engagement de lui permettre de mettre en œuvre une solution de reprise ou de succession, la société X l'a fait assigner en réparation de son préjudice ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société John Deere fait grief à l'arrêt de dire qu'elle porte la responsabilité de l'échec de la mise en place d'une solution de succession ou de reprise de la société X alors, selon le moyen : 1°) que la cour d'appel a constaté que par courrier du 21 juillet 2006, ayant précédé la signature du contrat de concession du 20 décembre 2006, la société John Deere avait accepté la proposition de renouvellement du contrat pendant trois ans, à condition que M. X trouve un successeur ou un repreneur pour sa société au plus tard le 1er avril 2008 ; qu'il en résultait qu'une fois la reprise réalisée, ce dernier n'aurait plus été impliqué dans la gestion de la société X ; que la possibilité, pour M. X, de devenir associé d'une structure à créer destinée à lui succéder n'avait nullement été envisagée par les parties de sorte que la société John Deere n'était pas tenue d'accepter un tel projet associatif impliquant le maintien de M. X dans l'entreprise ; qu'en affirmant toutefois, pour retenir que la société John Deere devait réparation à la société X pour avoir agi de mauvaise foi en ayant mis malicieusement les candidats à la reprise en position de devoir renoncer à leur projet, que la renonciation de M. Y aurait été causée par le fait que M. Z, directeur commercial de la société John Deere, " ne souhaitait pas que M. X restât son associé dans la structure à créer qui aurait repris la concession ", la cour d'appel a statué par des motifs impropres à établir la mauvaise foi de la société John Deere violant ainsi l'article 1134 du Code civil ; 2°) que les juges du fond ont l'obligation d'indiquer l'origine et la nature des documents sur lesquels ils se fondent pour affirmer l'existence d'un fait ; qu'en affirmant, pour retenir que la société John Deere aurait agi de mauvaise foi en ayant mis malicieusement les candidats à la reprise en position de devoir renoncer à leur projet, que la raison de la renonciation de MM. A et B à leur projet de reprise de la société X était le refus, de la part de la société John Deere, " de leur garantir qu'elle leur donnerait son agrément pour après le départ de la société X ", sans indiquer ni l'origine ni la nature des documents sur lesquels elle s'était fondée pour affirmer l'existence de ce fait, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 3°) qu'à la fin du rapport de visite du 11 mars 2008, établi à la suite de l'entretien entre M. A, candidat à la reprise de la société X et M. C, inspecteur de la société John Deere, celui-ci avait indiqué qu'" au vu de la tournure que prennent nos discussions avec Patoux et Lannoy, je ne sais pas s'il faut donner suite " ; que ce document ne précisait nullement les implantations géographiques des concessions objet des négociations entre la société John Deere et les sociétés Patoux et Lannoy ; qu'en affirmant toutefois qu'il résultait de ce document que la société John Deere ne se souciait plus que la société X n'eût pas de successeur dès lors qu'elle aurait négocié, avant même l'expiration du délai de dix-huit mois qu'elle avait accordé à cette dernière pour trouver un repreneur, avec les sociétés Patoux et Lannoy pour " apparemment " la reprise non seulement de la concession d'Orchies, dont la société X n'avait plus l'exclusivité depuis 2006, " mais encore de celle de Wormouth ", la cour d'appel a dénaturé, par addition, le rapport de visite du 11 mars 2008 violant ainsi l'article 1134 du Code civil, ensemble l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ; 4°) qu'un motif hypothétique équivaut à une absence de motif ; qu'en affirmant, pour retenir que la société John Deere aurait agi de mauvaise foi en ayant mis malicieusement les candidats à la reprise de la société X en position de devoir renoncer à leur projet, que la société John Deere ne se souciait plus que sa cocontractante n'eût pas de successeur dès lors qu'elle aurait négocié, avant même l'expiration du délai de dix-huit mois qu'elle avait accordé à cette dernière pour trouver un repreneur, avec les sociétés Patoux et Lannoy pour " apparemment " la reprise non seulement de la concession d'Orchies, dont la société X n'avait plus l'exclusivité depuis 2006, " mais encore de celle de Wormouth ", la cour d'appel s'est prononcée par un motif hypothétique violant ainsi l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant constaté souverainement que chacun des trois candidats à sa succession présentés par la société X n'avaient pas donné suite à leurs projets en raison de l'attitude de la société John Deere, qui n'avait pas voulu que M. X restât l'associé de M. Y dans la société à créer pour reprendre la concession, ni garantir à MM. A et B, lesquels disposaient des compétences et de moyens financiers les rendant aptes à reprendre la concession, qu'ils seraient agréés après le départ de la société X, puis avait négocié la reprise de la concession avec des sociétés tierces avant même l'expiration du délai accordé à la société X pour trouver un successeur, la cour d'appel a pu en déduire, sans dénaturation, que la société John Deere, qui, en dehors de tout impératif tenant à la sauvegarde de ses intérêts commerciaux, plutôt que refuser son agrément aux candidats repreneurs, les avait malicieusement mis en position de devoir renoncer à leurs projets, avait agi de mauvaise foi et engagé sa responsabilité à l'égard de la société X ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et attendu que le rejet du premier moyen de ce pourvoi rend sans objet le second moyen ;

Sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche : - Attendu que la société X fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement par la société John Deere de dommages-intérêts en compensation de la dévalorisation de ses actifs incorporels alors, selon le moyen, qu'en retenant, pour en déduire la prétendue absence de préjudice subi par la société concessionnaire du fait d'une perte de valeur de son fonds de commerce, que la valeur comptable dudit fonds était toujours inscrite au bilan de l'entreprise au titre des exercices postérieurs à la rupture du contrat de concession, sans rechercher, comme la société X l'y avait expressément invitée, si cette valeur inscrite à l'actif du bilan n'était pas entièrement compensée par une provision pour dépréciation figurant également dans les états comptables de l'entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant examiné l'ensemble des documents comptables produits, la cour d'appel, qui a nécessairement constaté l'existence de la provision figurant dans le bilan clos au 31 décembre 2010, a pu souverainement retenir que celle-ci n'était pas de nature à établir une dépréciation de la valeur réelle du fonds de commerce de la société X, qui n'avait pas subi de préjudice à cet égard ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen de ce pourvoi, pris en ses deux premières et deux dernières branches : - Attendu que la société X fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement par la société John Deere de dommages-intérêts en compensation des coûts sociaux qu'elle a dû supporter jusqu'à la reprise de ses salariés par une autre entreprise ou leur démission alors, selon le moyen : 1°) qu'en retenant qu'il n'était pas " imaginable " que la concessionnaire ait payé sept salariés pendant un an à ne rien faire, pour en déduire en substance que les salariés concernés auraient en réalité été employés pour les besoins d'une autre activité que celle relevant de la concession ayant pris fin le 1er novembre 2009, la cour d'appel a statué par une affirmation abstraite et d'ordre général, impropre à constituer une motivation effective, et elle a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 2°) qu'en ne recherchant pas, comme elle y avait été invitée par la société X, si le maintien des salariés concernés dans l'effectif de la concessionnaire, malgré la fin de la concession, ne s'expliquait pas par la recherche, par celle-ci, d'un repreneur disposé, notamment, à poursuivre les contrats de travail, et si la concessionnaire n'avait donc pas subi un préjudice certain imputable au manquement du concédant à son engagement de permettre la mise en œuvre, par la concessionnaire, d'une solution de reprise ou de succession, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ; 3°) qu'en retenant, pour exclure la responsabilité du concédant du fait de la conservation par la concessionnaire des salariés payés mais inemployés pendant un an, qu'une telle conservation procédait d'un choix personnel au chef de l'entreprise concessionnaire et n'avait donc pas pour cause le comportement du concédant, cependant que la rupture du contrat de concession était la cause certaine et directe de cette conservation qu'elle avait rendue nécessaire, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ; 4°) qu'en retenant, pour en déduire en substance que la conservation des salariés n'aurait pas été rendue nécessaire par le comportement du concédant, qu'il aurait été possible à la concessionnaire de ne pas conserver les intéressés dans son personnel, cependant qu'il n'incombe pas à la victime de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que la société X avait exercé une activité après la fin du contrat de concession, comme elle l'avait elle-même reconnu, la cour d'appel en a exactement déduit, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la première branche, que le maintien de salariés dans l'entreprise, lequel résultait de la seule décision de cette société de poursuivre son activité, n'était pas la conséquence d'un manquement à ses obligations de la part de la société John Deere et que celle-ci ne pouvait donc être tenue d'en assumer les conséquences ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et attendu que les autres griefs ne seraient pas de nature à permettre l'admission de ce pourvoi ;

Par ces motifs : rejette les pourvois principal et incident.