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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 22 octobre 2014, n° 13-16378

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Carrefour Hypermarchés (SAS)

Défendeur :

ITM Alimentaire International (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes de Maria, Moreau-Margotin, Boccon Gibod, Deprez

T. com. Paris, du 5 juill. 2013

5 juillet 2013

Vu le jugement du 5 juillet 2013, par lequel le tribunal de commerce de Paris a débouté la société Carrefour Hypermarchés de l'ensemble de ses demandes, débouté la société ITM Alimentaire International, venant aux droits de la société ITM Marketing Alimentaire, de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive, condamné la société Carrefour Hypermarchés à payer à la société ITM Alimentaire International, venant aux droits de la société ITM Marketing Alimentaire, la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, débouté les parties de leurs autres demandes et enfin, condamné la société Carrefour Hypermarchés aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,17 euros dont 13,25 euros de TVA ;

Vu l'appel interjeté le 5 août 2013 par la société Carrefour Hypermarchés et ses conclusions signifiées le 24 février 2014, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des moyens, dans lesquelles elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et condamnée à payer à la société ITM Alimentaire International, venant aux droits de la société ITM Marketing Alimentaire, la somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, et, statuant à nouveau, dire et juger que la société ITM Alimentaire International a commis des actes de concurrence déloyale à son détriment, en effectuant une publicité mensongère et trompeuse sous le slogan " Intermarché crée le mois le moins cher de l'année ", condamner la société ITM Alimentaire International à lui payer la somme de 500 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la diffusion de la publicité incriminée, autoriser la société Carrefour Hypermarchés à faire publier dans cinq journaux de son choix et aux frais avancés par la société ITM Alimentaire International, l'arrêt à intervenir, ordonner à la société ITM Alimentaire International d'afficher sur son site accessible à l'adresse http://www.intermarché.com l'arrêt à intervenir pendant une durée d'un mois et ce sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, ordonner à la société ITM Alimentaire International d'afficher l'arrêt à intervenir sur les portes de tous les magasins à enseigne Intermarché et Ecomarché pendant une durée d'un mois et ce sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, se réserver la liquidation des astreintes ordonnées, débouter la société ITM Alimentaire International de toutes ses demandes, fins et conclusions, condamner la société ITM Alimentaire International à verser à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Vu les conclusions signifiées le 19 juin 2014, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des moyens, dans lesquelles la société ITM Alimentaire International demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Carrefour Hypermarchés de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions, infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société ITM Alimentaire International de sa demande reconventionnelle et statuant à nouveau, dire et juger que la société Carrefour Hypermarchés a abusé de son droit d'agir en justice en introduisant la présente action en justice à l'encontre de la société ITM Alimentaire International, condamner en conséquence reconventionnellement la société Carrefour Hypermarchés à payer à la société ITM International la somme de 30 000 euros en raison du caractère abusif de la présente procédure, en tout état de cause, condamner la société Carrefour Hypermarchés à payer à la société ITM Alimentaire International la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Sur ce,

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

La société ITM Marketing International a fait diffuser au mois d'octobre 2011 une campagne publicitaire sous le slogan " Intermarché crée le mois le moins cher de l'année ", renvoyant au site Internet d'Intermarché et aux magasins participant à l'opération.

Cette publicité a donné lieu à des affiches et à quatre prospectus hebdomadaires différents présentant, pour trois d'entre eux, des réductions de prix sous forme d'avantages financiers crédités sur la carte de fidélité du consommateur et, pour l'un d'entre eux, sous forme de remises immédiates en caisse.

La société Carrefour, ayant découvert la diffusion de cette campagne publicitaire, a mis en demeure la société ITM de justifier sous quinzaine de l'allégation contenue dans la publicité par un courrier recommandé avec accusé de réception en date du 26 octobre 2011. Par courrier recommandé avec accusé de réception du 15 novembre 2011, la société ITM a refusé de faire droit à cette demande et a contesté le caractère trompeur de sa publicité, soutenant que, durant le mois d'octobre, " les consommateurs ont (...) pu bénéficier (...) d'avantages promotionnels supérieurs en nombre et en valeur aux mois précédents ".

La société Carrefour Hypermarchés a assigné la société ITM Marketing International en concurrence déloyale devant le tribunal de commerce de Paris le 18 janvier 2012 pour avoir mené la campagne de publicité précitée.

La société ITM Marketing International ayant été dissoute le 30 octobre 2012 et son patrimoine ayant été universellement transmis à la société ITM Alimentaire International, cette dernière société vient au droit de la société ITM Marketing International.

La société Carrefour Hypermarchés a été déboutée de l'ensemble de ses demandes par le tribunal de commerce de Paris, celui-ci ayant estimé que la publicité en cause n'était pas trompeuse en ce qu'elle indiquait simplement aux consommateurs que les acquéreurs de la carte ITM bénéficieraient, au mois d'octobre 2011, d'un panel de prix inférieurs aux prix courants d'ITM Marketing ;

Considérant que la société Carrefour Hypermarchés soutient que la publicité effectuée en 2011 par ITM a revêtu un caractère trompeur et un caractère mensonger ;

Sur le prétendu caractère trompeur du slogan de la publicité d'Intermarché

Considérant que la société Carrefour Hypermarchés soutient que la publicité litigieuse s'adressait au consommateur d'attention moyenne de biens mobiliers ou fongibles vendus dans les magasins de la grande distribution et que ce consommateur est peu attentif et facilement influençable ; qu'elle fait valoir que le consommateur pouvait penser que les prix pratiqués par Intermarché étaient moins élevés que ceux de ses concurrents, le terme final de la comparaison n'étant pas explicite ; que l'appelante soutient encore que la publicité litigieuse n'est pas hyperbolique, dans la mesure où elle comporte une affirmation vérifiable, selon laquelle Intermarché est en général moins cher que ces concurrents ; que le caractère trompeur découle, en premier lieu, du nombre restreint de bénéficiaires potentiels de l'opération, objet de la publicité, et en second lieu, du nombre restreint de produits concernés par l'opération ainsi que de la faible durée de celle-ci ; qu'enfin, la société ITM aurait elle-même reconnu le caractère trompeur de sa publicité, puisqu'elle l'aurait changée dès l'année 2012 ;

Considérant que la société ITM Alimentaire International soutient tout d'abord que le slogan " Intermarché crée le mois le moins cher de l'année " a été compris par le consommateur normalement avisé comme faisant référence aux prix pratiqués habituellement par Intermarché et non aux prix pratiqués par les enseignes concurrentes ; que le consommateur normalement avisé avait compris le slogan comme indiquant que le niveau général des prix d'Intermarché était moins élevé pendant la période de l'offre, mais non comme signifiant que l'intégralité des prix d'Intermarché était moins élevée pendant l'opération ; que le consommateur était informé du fait que les avantages étaient conditionnés par la détention d'une carte et que la liste des magasins participant à l'opération était reproduite sur les prospectus litigieux ; que la carte de fidélité était immédiatement disponible sur simple demande et qu'ainsi, les bénéficiaires de la campagne n'étaient pas limités et que, par ailleurs, les produits visés par la campagne étaient nombreux ;

Considérant que le caractère trompeur d'une publicité doit être apprécié au regard du comportement économique du consommateur moyen, en le conduisant à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement ; qu'est pris en considération le comportement d'un consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ;

Considérant, en l'espèce, que la publicité en cause n'est pas une publicité comparative ; qu'il ne saurait par conséquent être reproché à ITM de prétendre à tort que les prix pratiqués par Intermarché seraient moins élevés que ceux de ses concurrents ;

Considérant que le fait de conditionner les avantages annoncés par la publicité à la possession d'une carte de fidélité Intermarché et de limiter l'opération à certains magasins n'est pas de nature à tromper le consommateur, dès lors que celui-ci en est informé ; que cette information était en l'espèce dispensée sur tous les prospectus litigieux, ainsi que les démarches à effectuer et les conditions restrictives ; que la carte de fidélité était disponible gratuitement et aisément en caisse pour toute personne majeure et qu'aucune limitation quant aux consommateurs éligibles n'existait ; que la limitation de l'avantage annoncé à trois produits par foyer et par jour pour chaque produit concerné par l'opération n'était pas de nature à tromper le consommateur, dès lors que cette condition figurait en mention lisible en page 3 des prospectus litigieux, et que cette condition ne privait pas le consommateur de la possibilité de satisfaire ses besoins normaux, aux conditions promotionnelles annoncées et de remplir un caddie couvrant tous ses besoins de consommation courante ; qu'en outre, beaucoup de produits en promotion étaient conditionnés en lots, ce qui réduisait la portée de cette limitation quantitative ; que, de même, la limitation de l'opération à un certain nombre de magasins Intermarché n'était pas de nature à tromper le consommateur dès lors que les prospectus publicitaires étaient distribués dans les zones de proximité des magasins participants et que la liste de ceux-ci était reproduite sur les prospectus ; que, contrairement à ce qu'allègue la société Carrefour Hypermarchés, les montants crédités sur la carte de fidélité n'étaient pas seulement utilisables dans les 48 heures de l'achat mais à partir de 48 heures après l'achat et jusqu'au 1er mars de l'année suivante, laissant ainsi un temps suffisant au consommateur pour utiliser ces montants ;

Considérant, enfin, que la société ITM soutient, sans être contredite par la société Carrefour, avoir proposé environ 600 produits, durant le mois d'octobre 2011, à raison de 150 produits par semaine ; que l'envergure de cette publicité, au regard de plus de 30 000 références de l'hypermarché, est conforme aux usages du secteur, et n'a pas trompé les consommateurs, dûment informés, au demeurant, par les prospectus distribués ;

Considérant, enfin, qu'il ne saurait être reproché à la société ITM d'avoir changé de publicité, en octobre 2013, ce changement ne pouvant en soi être perçu comme une reconnaissance de culpabilité ;

Sur le prétendu caractère mensonger du slogan de la publicité incriminée

Considérant que la société Carrefour Hypermarchés soutient que la publicité était aussi mensongère, dans la mesure où certains produits étaient vendus plus chers par la société ITM Alimentaire International avant et après la période de l'opération que pendant ; qu'il est soutenu que même certains produits directement concernés par la publicité étaient également plus chers pendant la période de l'opération pour le consommateur qui ne disposait pas d'une carte de fidélité Intermarché et que certains produits concernés par l'opération étaient plus chers que lors d'opérations Intermarché antérieures ou postérieures de l'année 2011, même pour les titulaires de la carte de fidélité ; qu'enfin, la société ITM ne démontrerait pas que le niveau général des prix, en octobre 2011, serait plus bas que le reste de l'année ;

Considérant que la société Carrefour verse aux débats un tableau pour soutenir son affirmation selon laquelle 31 produits sous promotion auraient été vendus moins chers avant le mois d'octobre 2011, ou après ce mois ;

Mais considérant que la société Carrefour ne saurait reprocher à la société ITM de ne pas faire a priori la démonstration du fait que le niveau général de ses 600 prix en octobre serait plus bas que le reste de l'année, la preuve de la publicité mensongère incombant à la société Carrefour ;

Considérant que, pour comparer les prix pratiqués pendant l'opération " le mois le moins cher de l'année " avec ceux pratiqués à d'autres périodes de l'année 2011, il convient de prendre en compte le prix déduction faite du montant crédité sur la carte de fidélité ; que la lecture du tableau versé aux débats par la société Carrefour permet alors de réduire à 10 le nombre de produits concernés par la compagne litigieuse qui étaient vendus moins chers hors période promotionnelle ; que ce nombre de 10, rapporté aux 600 produits concernés par la promotion litigieuse, ne permet pas d'en inférer le grief de publicité mensongère ; que, globalement, la société Carrefour ne rapporte pas la preuve que l'assertion selon laquelle " Intermarché crée le mois le moins cher de l'année " serait mensongère ;

Considérant que le jugement entrepris sera confirmé, en ce qu'il a estimé que la preuve des pratiques commerciales trompeuses ou mensongères d'Intermarché n'était pas rapportée et a débouté la société Carrefour Hypermarchés de l'ensemble de ses demandes ;

Sur la demande reconventionnelle pour procédure abusive formée par la société ITM Alimentaire International

Considérant que la société ITM Alimentaire International soutient que la société Carrefour a intenté une action à son encontre dans le but de lui nuire, alors qu'elle savait cette action manifestement infondée, ayant elle-même recours à des pratiques publicitaires similaires ;

Considérant que la société Carrefour soutient que la partie adverse n'établit pas son intention de nuire et ne justifie d'aucun préjudice ;

Considérant qu'une action en justice ne dégénère en abus de droit que si la preuve est rapportée que, manifestement vouée à l'échec, elle est intentée dans la seule intention de nuire ;

Considérant, en l'espèce, que cette preuve n'est pas rapportée, les actions en publicité mensongère ou trompeuse, qui nécessitent une appréciation au cas par cas, ne revêtant pas le caractère de l'évidence ; que cette demande sera donc rejetée et le jugement déféré également confirmé sur ce point ;

Sur les frais irrépétibles

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société ITM les frais irrépétibles de l'instance d'appel ; que la société Carrefour Hypermarchés sera donc condamnée à lui payer sur ce fondement la somme de 15 000 € ;

Par ces motifs, Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Paris du 5 juillet 2013, Condamne la société Carrefour Hypermarchés aux dépens de l'instance d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Condamne la société Carrefour Hypermarchés à payer à la société ITM Alimentaire International la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.