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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 23 octobre 2014, n° 13-03356

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

AS Technologies (SARL)

Défendeur :

Scaime (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

MM. Birolleau, Douvreleur

Avocats :

Mes Bernabe, Chabadel, Bettan, Baltazard

T. com. Marseille, du 26 nov. 2012

26 novembre 2012

Faits et procédure

Par contrat de représentation régionale en date du 1er mars 1989, la SA Scaime, spécialisée dans les instruments de pesage et mesures pour l'industrie, a confié à Monsieur Alain Saniez, agent commercial, la représentation et la commercialisation, pour la région sud-est, de ses produits, en l'espèce des capteurs de grandeurs physiques et électroniques associées. Selon avenant du 9 septembre 1991, il a été convenu que la SARL AS Technologies était substituée à Monsieur Alain Saniez, que l'agent pouvait effectuer ses missions en tant qu'agent commercial ou distributeur et que la convention était résiliable à tout moment moyennant un préavis de six mois par lettre recommandée avec accusé de réception.

Le 3 septembre 2010, la société Scaime a résilié sans préavis le contrat de représentation régionale consenti à la société AS Technologies en invoquant les manquements de cette dernière à ses obligations contractuelles.

Contestant cette résiliation, la société AS Technologies a, le 12 avril 2011, fait assigner la société Scaime devant le Tribunal de commerce de Marseille pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement rendu le 26 novembre 2012, le Tribunal de commerce de Marseille a débouté la société AS Technologies de l'ensemble de ses demandes, condamné la société AS Technologies à payer à la société Scaime les sommes de 18 735 euros à titre de dommages intérêts et de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société AS Technologies a interjeté appel le 20 février 2013 à l'encontre de cette décision.

Par dernières conclusions signifiées le 3 septembre 2013, elle demande à la cour d'infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Marseille dans toutes ses dispositions et :

- à titre principal, de dire que la lettre du 3 septembre 2010 constitue une brusque rupture des relations commerciales établies entre la société Scaime et la société AS Technologies, de déclarer la société Scaime auteur de la rupture et entièrement responsable du préjudice causé à la société AS Technologies, et de la condamner à lui payer la somme de 312 658 euros à titre de dommages et intérêts pour brusque rupture ;

- à titre subsidiaire, de dire que la société AS Technologies n'a commis aucune faute, de déclarer la société Scaime entièrement responsable de la rupture du contrat d'agence commerciale et ses avenants consentis à la société AS Technologies, de condamner la société Scaime à payer à la société AS Technologies :

au titre du préavis, la somme de 44 964 euros ;

au titre de l'indemnité compensatrice, la somme de 179 849 euros ;

au titre de l'indemnité de remploi, la somme de 48 559 euros ;

avec capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1154 du Code civil, à effet du 22 décembre 2010, date de la mise en demeure ;

- en tout état de cause, de condamner la société Scaime à payer à la société AS Technologies la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Elle soutient qu'alors que les deux sociétés collaboraient activement depuis le 1er mars 1989, c'est sans aucune concertation préalable, ni prise en compte de l'ancienneté de la collaboration, que la société AS Technologies a imposé une rupture immédiate à compter du 3 septembre 2010, et que la rupture brutale des relations commerciales établies est dès lors caractérisée.

Elle ajoute qu'elle n'a commis aucune faute contractuelle en vendant des produits de la société Scaime comme l'atteste le constat d'huissier du 6 août 2010 qui décrit que le site visité était un "site marchand" et qu'aucun produit de la société Scaime n'y était présenté. Elle précise qu'aucune confusion ne peut être faîte entre ADS Mesures et AS Technologies, sociétés distinctes, et qu'au surplus, Scaime était pleinement informée de l'existence (manque peut-être des deux sociétés) ainsi que cela ressort des courriers des 17 juin et 3 septembre 2010.

Elle affirme avoir subi un préjudice d'une part, en raison de la brutalité de la rupture des relations commerciales et d'autre part, du fait de la rupture sans préavis du contrat d'agent commercial, préjudice qui sera calculé au vu de la perte de marge brute par la société AS Technologies et de l'ancienneté des relations.

La société Scaime, par conclusions signifiées le 24 décembre 2013, demande de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, y ajoutant, de condamner la société AS Technologies à verser à la société Scaime la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure, subsidiairement, pour le cas où la cour écarterait la faute grave de la société AS Technologies, de limiter les condamnations de Scaime à la somme de 44 964 euros au titre du préavis et à une somme symbolique au titre de l'indemnité compensatrice.

Elle fait valoir :

- qu'aux termes du contrat conclu entre les parties du 9 septembre 1991, la société AS Technologies s'engageait à ne pas prendre de mandat supplémentaire concurrent avec les produits de la société Scaime, la violation directe ou indirecte exposait AS Technologies à la résiliation du contrat à ses torts ;

- qu'il y a eu, de la part d'AS Technologies, manquement aux stipulations du contrat dès lors que Monsieur et Madame Saniez ont constitué une société ADS Mesures proposant à la vente des produits directement concurrents de ceux de Scaime et qu'existait une totale confusion entre ADS Mesures et AS Technologies ;

- qu'il importe peu qu'AS Technologies ait eu, pour certains produits, le statut de distributeur et, pour les autres, celui d'agent commercial puisque, dans un cas comme dans l'autre, sa faute grave justifiait la rupture immédiate des contrats.

Elle expose subsidiairement que, si la cour considérait que la société AS Technologies n'avait pas commis de faute grave, il ne pourrait être alloué à cette dernière qu'une somme correspondant au préavis, soit 44 964 euros selon son propre calcul, et une somme symbolique au titre de l'indemnité compensatrice.

Elle invoque enfin le préjudice qui lui a été causé par le remplacement improvisé d'AS Technologies et par le manquement de cette dernière à son obligation de non concurrence et demande que lui soit à ce titre allouée la somme de 18 735 euros correspondant, selon le propre calcul d'AS Technologies, à la moitié de la marge dégagée d'avril 2010, date identifiée du début de la concurrence déloyale, à fin août 2010, veille de la rupture.

MOTIFS

Sur la demande principale d'AS Technologies

Considérant que l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce dispose qu'"engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure" ;

Considérant que l'article L. 134-11 du même Code dispose :

- en son alinéa 2, que "lorsque le contrat d'agence est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis" ;

- en son alinéa 3, que "la durée de préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes" ;

- en son alinéa 5, que "ces dispositions ne s'appliquent pas lorsque le contrat prend fin en raison d'une faute grave de l'une des parties ou de la survenance d'un cas de force majeure" ;

Que l'article L. 134-12, alinéa 1er, du même Code prévoit qu' "en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi" ;

Qu'aux termes de l'article L. 134-13 du même Code, "la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due lorsque (...) la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent" ;

Considérant que l'avenant du 9 septembre 1991 stipule, en son article 3 : "Il est entendu que l'agent a la possibilité de travailler soit en tant qu'agent commercial du mandant (commissionné sur les affaires directes et indirectes qu'il apporte au mandant), soit en tant que distributeur du mandant (achat et revente des produits figurant au catalogue). (...) Dans le cas où l'agent agit en tant que distributeur, le montant des factures est dû à 60 jours fin de mois date d'expédition" ; qu'il s'en déduit que le contrat liant les parties n'est pas seulement un contrat d'agent commercial, mais aussi un contrat de distribution ; que la relation contractuelle existant entre les parties justifie l'application en l'espèce, non de l'article L. 134-11 du Code de commerce, qui ne concerne que les contrats portant sur la seule qualité d'agent commercial, mais de l'article L. 442-6-I, 5° du même Code ;

Considérant que Scaime invoque la faculté de résiliation sans préavis par suite d'un manquement grave d'AS Technologies à ses obligations ;

Considérant que l'article 2, dernier alinéa, du contrat du 9 septembre 1991 stipule qu'AS Technologies s'engage à ne pas prendre de mandat supplémentaire concurrent avec les produits de Scaime, directement ou indirectement, sans l'accord écrit de Scaime ; qu'aux termes de l'article 5 du même contrat, "AS Technologies s'interdit toute activité directement concurrente à celle de Scaime, toute violation de cette clause l'exposant à la résiliation du contrat à ses torts ainsi qu'aux pénalités prévues dans ce cas" ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que Monsieur et Madame Saniez ont créé la SA ADS Mesures, immatriculée le 21 mai 2010, ayant pour gérante Madame Danièle Saniez, pour directeur technique Monsieur Alain Saniez, et les mêmes siège social et adresse email qu'AS Technologies (pièce n° 22 communiquée par Scaime : lettre d'ADS Mesures à la société Optris en date du 19 avril 2010) ; qu'ADS Mesures commercialisait des produits concurrents de ceux de Scaime, ainsi que cela ressort du procès-verbal dressé par Maître Carnet, huissier de justice, le 6 août 2010 qui a constaté que les produits Utilcell commercialisés par ADS Mesures étaient des capteurs de pesage ; que l'unité de direction et d'objet d'ADS Mesures et d'AS Technologies révèle une étroite interdépendance de ces deux sociétés, dont il se déduit qu'ADS Mesures n'était que le prolongement d'AS Technologies ; qu'AS Technologies ne saurait prétendre que Scaime a acquiescé à l'intervention d'ADS Mesures, un tel accord ne pouvant résulter ni du courrier de Scaime à AS Technologies du 17 juin 2010, qui n'évoque pas la situation d'ADS Mesures, ni de la lettre de Scaime à AS Technologies en date du 3 septembre 2010 (pièce n° 7 communiquée par AS Technologies), par laquelle Scaime indique que la mise en vente par ADS Mesures "des produits directement concurrents des nôtres, constitue un très grave manquement à vos obligations légales et contractuelles" ; que, dans le même temps, AS Technologies se présentait comme l'agent des produits de mesure industrielle HBM, concurrents des produits Scaime (pièce n° 26 communiquée par Scaime : courriel d'AS Technologies à Monsieur Guy Pascau - LR Mesures en date du 15 septembre 2010) ;

Considérant que la représentation de produits concurrents, en violation de la clause d'exclusivité et sans l'accord préalable du mandant, constitue un manquement grave d'AS Technologies à ses obligations contractuelles justifiant la rupture des relations commerciales sans préavis ; que c'est en conséquence à raison que les premiers juges ont débouté AS Technologies de sa demande d'indemnité au titre de la rupture brutale des relations commerciales ; que le jugement entrepris sera confirmé sur ce point ;

Sur la demande reconventionnelle de la société Scaime

Considérant que la société Scaime ne saurait invoquer un préjudice résultant du caractère brutal de la rupture qu'elle a elle-même prononcée ; que, sur le manquement d'AS Technologies à son obligation d'exclusivité, elle ne rapporte pas la preuve d'une quelconque incidence, sur sa situation, des actes de concurrence déloyale commis par AS Technologies ; qu'en conséquence, la cour déboutera la société Scaime de sa demande de dommages et intérêts et réformera en ce sens la décision déférée ;

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que l'équité commande de condamner la société AS Technologies à payer à la société Scaime la somme de 2 000 euros au titre des frais hors dépens exposés en cause d'appel ;

Par ces motifs LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné la société AS Technologies à payer à la société Scaime la somme de 18 735 euros, Statuant à nouveau de ce chef, Déboute la SA Scaime de sa demande de dommages et intérêts, Condamne la SARL AS Technologies à payer à la SA Scaime la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Condamne la SARL AS Technologies aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.