Cass. com., 21 octobre 2014, n° 13-18.370
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Seatrade Reefer Chartering NV (Sté), Seatrade Group NV (Sté)
Défendeur :
Shipping Agency Service (SAS), Depreux, Sea Shipping Services (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Laporte
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Spinosi, Sureau, Me Le Prado
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 28 mars 2013) que la société Shipping Agency Service (la société SAS), qui employait M. Depreux, a entretenu des relations commerciales avec la société Seatrade Group, armateur qui conclut par l'intermédiaire d'agents commerciaux des contrats de transport maritime et qui a pour "agent général", en vertu d'un acte intitulé "agency agreement", la société Seatrade Reefer Chartering (la société Seatrade RC) ; que M. Depreux ayant décidé de quitter la société SAS pour créer la société Sea Shipping Services, la société Seatrade RC a informé la société SAS de sa décision de ne plus poursuivre les relations avec elle pour en entretenir avec ceux-ci ; que la société SAS a notifié à la société Seatrade RC son intention de demander une indemnité de cessation de contrat d'agent commercial puis l'a fait assigner, ainsi que la société Seatrade Group, aux mêmes fins ; que M. Depreux et la société Sea Shipping Services sont intervenus volontairement à l'instance ;
Sur le premier moyen : - Attendu que les sociétés Seatrade RC et Seatrade Group font grief à l'arrêt de déclarer recevable la société SAS en sa demande en paiement d'une indemnité de cessation de contrat formée contre la société Seatrade group, alors, selon le moyen : 1°) que l'agent commercial perd son droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits ; que le droit légal à une indemnité compensatrice de fin de contrat, qui se justifie par le particularisme du statut spécial régissant les agents commerciaux, est dérogatoire au droit commun du mandat et, partant, d'application stricte ; qu'en conséquence, pour faire utilement échec au jeu de la déchéance annale, la notification émanant de l'agent commercial ne peut être faite qu'au seul mandant, et non à son éventuel représentant ; que, dès lors, en l'espèce, en ayant énoncé qu'était efficace et interruptive du délai de déchéance d'un an la notification faite, non pas au mandant lui-même, mais à un représentant de celui-ci, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, l'article L. 134-12 du Code de commerce, ensemble l'article 2004 du Code civil ; 2°) qu'à titre subsidiaire, à admettre que la notification par l'agent commercial d'une demande d'indemnité de fin de contrat puisse être efficacement faite à un représentant de son mandant, le particularisme du statut spécial régissant les agents commerciaux et son caractère dérogatoire au droit commun du mandat impliquent que ledit représentant soit investi d'un pouvoir de représentation spécifique pour recevoir une telle notification ; que, dès lors, en l'espèce, en se fondant sur les circonstances, inopérantes, tirées de ce que la société Seatrade RC avait qualité pour notifier, au nom de la société Seatrade group, la rupture de son contrat à la société SAS et en se contentant de l'expression d'un pouvoir de représentation stipulé en des termes généraux à l'acte d'"Agency Agreement" conclu entre les sociétés Seatrade RC et Seatrade group le 1er janvier 2007 pour en conclure que la première avait qualité pour recevoir utilement, au nom de la seconde, notification d'une demande d'indemnité de fin de contrat d'agent commercial sans rechercher, comme elle y était invitée, si elle avait reçu un pouvoir de représentation spécifique en ce sens, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 134-12 du Code de commerce, ensemble l'article 2004 du Code civil ; 3°) que toujours à titre subsidiaire, il est constant que l'acte d'"agency agreement" conclu entre les sociétés Seatrade RC et Seatrade group le 1er janvier 2007était expressément soumis au droit néerlandais ; que, dès lors, en s'étant fondée sur les considérations, inopérantes, tirées du droit français du mandat pour définir l'étendue des pouvoirs de représentation confiés à la première de ces deux entités par la seconde et, notamment, pour déterminer si elle était habilitée à recevoir, au nom de celle-ci, notification d'une demande d'indemnité de fin de contrat d'agent commercial, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 134-12 du Code de commerce, ensemble l'article 2004 du Code civil ; 4°) qu'en tout état de cause, le juge ne saurait laisser sans réponse les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, en ne répondant pas au moyen, péremptoire, des sociétés Seatrade RC et Seatrade group tiré de ce que ni la lettre de notification adressée par la société SAS à la société Seatrade RC et reçue par cette dernière le 4 février 2009, ni l'acte d'assignation qu'elle lui avait fait délivrer le 15 avril 2009 ne faisait référence à sa qualité de représentant de la société Seatrade group, de sorte qu'indépendamment même de la détermination de l'étendue de ses pouvoirs de représentation, la société Seatrade RC, prise en son nom personnel, avait été le seul destinataire des demandes de la société SAS et que, partant, la société Seatrade group y était encore totalement étrangère à ce stade initial et que le délai de déchéance d'un an était donc insusceptible d'avoir, alors, été interrompu à son détriment, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que les sociétés Seatrade RC et Seatrade Group n'ayant pas, devant la cour d'appel, revendiqué l'application du droit néerlandais, le moyen, en sa troisième branche est nouveau et mélangé de fait ;
Attendu, en second lieu, qu'après avoir rappelé que la notification prévue à l'article L. 134-12, alinéa 2, du Code de commerce n'est soumise à aucun formalisme particulier, l'arrêt constate que la société SAS, a, dans le délai légal, notifié à la société Seatrade RC son intention de faire valoir ses droits à réparation ; qu'il relève que les relations contractuelles n'ont existé qu'entre la société Seatrade Group et la société SAS et que la société Seatrade RC avait informé la société SAS de la rupture du contrat d'agent commercial en se présentant comme l'agent général de la société Seatrade Group ; qu'il en déduit que la société Seatrade RC est intervenue en qualité de mandataire de la société Seatrade group, ce que corroborent les termes généraux de "l'agency agreement" conclu entre les deux sociétés qui lui confèrent de larges pouvoirs de représentation, et qu'elle était, comme telle habilitée à recevoir la réponse de l'agent commercial à cette notification de la société Seatrade Group ; qu'en l'état de ses constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'était tenue ni de procéder à la recherche visée à la deuxième branche, ni de répondre au moyen visé à la quatrième branche, que ses constatations rendaient inopérants, a pu retenir que la notification avait été régulièrement effectuée ; d'où il suit que le moyen, irrecevable en sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et sur le second moyen : - Attendu que la société Seatrade Group fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société SAS une certaine somme au titre de l'indemnité de cessation du contrat, assortie d'intérêts au taux légal, alors, selon le moyen : 1°) que si est réputée non écrite toute clause ou convention dérogeant au droit de l'agent commercial de percevoir une indemnité de cessation de contrat, il n'en va ainsi que si cette dérogation a été stipulée à son détriment ; que tel ne saurait être le cas d'une clause que l'agent commercial, en sa qualité d'employeur, partie réputée forte, a lui-même insérée dans un contrat de travail où il s'est engagé, envers son salarié, à ne pas solliciter de ses propres mandants d'indemnité de fin de contrat dans l'hypothèse où, suite à la rupture du contrat de travail, ces mêmes mandants décideraient de confier audit salarié la représentation de leurs activités commerciales ; qu'en l'espèce, en ayant, cependant, estimé qu'un tel engagement et la stipulation pour autrui qu'il pouvait faire naître au profit des mandants entraient dans le champ de la prohibition prévue par l'article L. 134-16 du Code de commerce, la cour d'appel a violé ce texte par fausse interprétation, ensemble l'article L. 134-12 du même Code par fausse application ; 2°) que l'indemnité de cessation de contrat d'agent commercial n'est pas due dans le cas où, selon un accord avec le mandant, l'agent cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence ; qu'il en va ainsi dans les hypothèses où les mandants d'un agent commercial employeur ont rejoint son ancien salarié dans une nouvelle structure en application d'une clause contenue dans le contrat de travail par laquelle l'agent commercial s'était engagé à ne pas s'opposer à ce que ces mêmes mandants rejoignent son salarié dans une nouvelle agence commerciale suite à la rupture de la relation de travail, cet engagement de l'agent employeur s'analysant en une promesse de cession d'agence stipulée au profit de son salarié et dont la concrétisation est soumise à l'accord des mandants concernés ; que, dès lors, en l'espèce, en ayant posé en principe que l'exception au droit à indemnité prévue en cas de cession du contrat d'agent était insusceptible de porter sur une promesse de cession, mais qu'elle ne pouvait porter que sur la conclusion effective d'un contrat de cession, de sorte que ce type d'engagement ne pouvait pas entrer dans les provisions de l'article L. 134-13 du Code de commerce, la cour d'appel a violé ce texte par fausse interprétation, ensemble l'article L. 134-12 du même Code par fausse application ;
Mais attendu, d'une part, qu'après avoir constaté que la société SAS avait souscrit dans le contrat de travail qu'elle avait conclu avec M. Depreux l'engagement de ne pas demander d'indemnité à la société Seatrade Group si celle-ci souhaitait poursuivre les relations avec son salarié après la rupture de ce contrat, la cour d'appel en a exactement déduit que cette clause, qui constituait une renonciation par avance de l'agent commercial à son droit à une indemnité de cessation de contrat, fût-elle incluse dans un contrat de travail ou susceptible de constituer une stipulation pour autrui au profit du mandant, était contraire aux dispositions d'ordre public de l'article L. 134-16 du Code de commerce et devait être réputée non écrite ;
Et attendu, d'autre part, que la décision se trouvant justifiée par les motifs vainement critiqués par la première branche, les motifs critiqués par la seconde branche sont surabondants ; d'où il suit que le moyen, inopérant en sa seconde branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.