Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 29 octobre 2014, n° 12-11269

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Barvic (SAS)

Défendeur :

Casino Guichard-Perrachon (SA), Distribution Casino France (SAS), EMC Distribution (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes Olivier, Parléani, Janssens, Boccon Gibod, de Juvigny, Bonfils

T. com. Paris, 19e ch., du 1er févr. 201…

1 février 2012

La société Barvic, dont l'activité est le négoce en gros d'articles textiles, était depuis 1992 l'un des fournisseurs textile du groupe Casino, dont la holding est la SAS Casino Guichard-Perrachon.

Par assignation du 24 septembre 2008, la société Barvic a assigné les SA Casino Guichard-Perrachon, SAS Distribution Casino France et la SAS EMC Distribution devant le Tribunal de commerce de Paris et a demandé la condamnation des sociétés SAS Casino Distribution France et de la SAS EMC Distribution au paiement des sommes de :

- 722 777,16 euro à titre du préjudice résultant de la rupture partielle, fautive, des relations commerciales établies en 2006 et 2007,

- 2 648 887,03 euro à titre principal, et de 1 752 238,77 euro à titre subsidiaire, en réparation du préjudice résultant de la rupture fautive des relations commerciales établies à compter de l'année 2008,

- 12 503,60 euro en réparation du préjudice résultant des licenciements opérés par la société Barvic,

- 2 284 000 euro en réparation de l'atteinte portée à l'image de la société Barvic,

- 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.

Par jugement du 1er février 2012 le tribunal de commerce a :

- pris acte que la SA Barvic se désiste de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la SA Casino Guichard-Perrachon ;

- dit que les demandes de la SA Barvic sont irrecevables envers la SAS EMC Distribution ;

- débouté la SA Barvic de l'ensemble de ses demandes de dommages et intérêts,

- condamné la SA Barvic à verser sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile les sommes de :

* 20 000 euro à la SAS Distribution Casino France,

* 2 000 euro à la SA Casino Guichard-Perrachon,

* 2 000 euro à la SAS EMC Distribution

- débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires ;

- condamné la SA Barvic aux dépens.

Le 19 juin 2012 la société Barvic a interjeté appel de ce jugement. Vu les dernières conclusions, notifiées et déposées le 28 août 2014, par lesquelles la société Barvic demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a pris acte que la SAS Barvic se désistait de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la SA Casino Guichard-Perrachon,

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions,

Et statuant à nouveau,

Vu l'Article L. 442-6-I-5° du Code de commerce,

- dire et juger que la SAS Distribution Casino France et la SAS EMC Distribution ont rompu, de manière brutale et fautive, sans préavis, les relations commerciales établies depuis 1990 avec la SAS Barvic, de manière partielle en 2006 et 2007, et de manière totale en 2008,

En conséquence,

1) condamner solidairement la SAS Distribution Casino France et la SAS EMC Distribution au paiement de la somme de 722 777,16 euro au titre du préjudice résultant de la rupture partielle et fautive, intervenue en 2006 et 2007, des relations commerciales établies.

2) condamner solidairement la SAS Distribution Casino France et la SAS EMC Distribution au paiement de la somme de 2 648 887,03 euro à titre principal, et de 1 752 238,77 euro à titre subsidiaire, en réparation du préjudice résultant de la rupture totale et fautive, intervenue en 2008, des relations commerciales établies.

3) condamner solidairement la SAS Distribution Casino France et la SAS EMC Distribution au paiement de la somme de 12 503,60 euro en réparation du préjudice résultant des licenciements opérés par la SAS Barvic.

4) condamner solidairement la SAS Distribution Casino France et la SAS EMC Distribution au paiement de la somme de 2 284 000 euro en réparation de l'atteinte portée à l'image de la SAS Barvic.

5) dire que ces sommes produiront intérêts de droit à compter de la date de délivrance de l'assignation intervenue le 24 décembre 2008, avec capitalisation, en application de l'article 1154 du Code civil, à compter de la date de délivrance de l'assignation,

6) débouter la SAS Distribution Casino France et la SAS EMC Distribution de l'ensemble de leurs demandes,

7) débouter la SA Casino Guichard-Perrachon de ses demandes indemnitaires fondées sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

8) condamner la SAS Distribution Casino France et la SAS EMC Distribution à payer à la SAS Barvic la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.

Vu les dernières conclusions, notifiées et déposées le 20 août 2014, par lesquelles la société EMC Distribution demande à la cour de :

In limine litis :

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit et jugé que :

" Attendu qu'il résulte de ces contrats [contrat 2008 conclu entre les parties et contrats antérieurs] qu'EMC Distribution agit avec les fournisseurs pour négocier leur référencement, le prix et les critères de qualité pour le compte des sociétés du Groupe Casino, que son objet social ne comportait pas l'achat et la commercialisation des marchandises, il agit donc comme mandataire au sens de l'article 1984 du Code civil ;

Attendu que Barvic n'a jamais été déréférencée par EMC Distribution, il en résulte que Barvic n'est pas fondé à rechercher la responsabilité d'EMC Distribution au titre d'un arrêt partiel ou brutal de commandes alors qu'elle en a elle-même jamais passé ;

En conséquence Barvic n'a pas qualité à agir envers EMC Distribution dans le cadre de l'article L. 442-6 I.5 [du Code de commerce], les demandes de Barvic seront déclarées irrecevables envers EMC Distribution ".

A titre subsidiaire, si par extraordinaire, la cour estimait que la responsabilité de EMC Distribution était néanmoins susceptible d'être recherchée :

- constater que EMC Distribution fait siens les arguments développés au fond par Distribution Casino France dans ses conclusions du 20 août 2014 ;

En conséquence :

- débouter Barvic de toutes ses demandes ;

- condamner Barvic à payer à la société EMC Distribution la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner Barvic aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions, déposées et notifiées le 20 août 2014, par lesquelles la société Distribution Casino France (DCF) demande à la cour de :

Vu l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce et la liberté d'achat, consacrée par la Cour de cassation afin que la concurrence puisse jouer entre fournisseurs dans l'intérêt des consommateurs,

- constater que le seul reproche fait par l'appelante au groupe Casino en général et à DCF en particulier est la baisse des commandes intervenue en 2006, 2007 et 2008, que Barvic tente de présenter comme trois ruptures successives prétendument brutales, en argumentant comme si la baisse de l'année antérieure n'avait pas existé ;

- constater que la relation entre les parties était depuis l'origine caractérisée par un volume d'affaires très variable et irrégulier selon les années, ce que Barvic ne pouvait ignorer et ce qu'il lui appartenait de prendre en compte ;

- constater, au vu des propres pièces de Barvic n° 6 et 7, qu'après des années d'évolutions erratiques, le chiffre d'affaires réalisé par Barvic avec DCF a connu une baisse progressive qui, comme l'illustre le graphe figurant dans le jugement du Tribunal, a démarré dès 2003 et s'est étalée sur six exercices, entre 2003 et 2008 ;

- constater que la baisse des commandes de DCF auprès de Barvic s'est inscrite en outre dans le cadre d'une réduction générale du chiffre d'affaires de Barvic, y compris avec ses autres clients, qui traduisait une perte de compétitivité de Barvic dont elle ne pouvait en tant que professionnel du négoce s'abstenir de tirer les conséquences ;

- dire et juger, conformément à la jurisprudence de la Cour invoquée par DCF, que le déclin du chiffre d'affaires avec Casino que Barvic critique pour les années 2006 à 2008 ne peut dans ce contexte factuel être qualifié de rupture brutale au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, dès lors qu'il s'est en réalité inscrit dans une baisse progressive étalée sur plusieurs années (de 2003 à 2008 selon DCF et au moins de 2005 à 2008 selon le jugement du tribunal), ce qui laissait en tout état de cause à Barvic une période d'adaptation d'une durée largement acceptable au regard de son rôle de pur intermédiaire de commerce qui n'avait souscrit aucun engagement d'exclusivité, ni acquis aucun outil de production au profit de Casino et pouvait librement rechercher d'autres débouchés ;

- constater au surplus que, comme l'a relevé le tribunal, le groupe Casino (y compris DCF) n'a jamais déréférencé Barvic au cours des années 2006 à 2008 objet de son assignation, de sorte qu'aucune rupture n'est imputable à DCF ;

- constater en tout état de cause que comme l'a jugé le tribunal, la baisse des commandes à Barvic n'a été ni imprévisible, ni soudaine, ni violente ;

- en conséquence, et au vu de l'ensemble des éléments de faits relevés par le tribunal, dire et juger que Barvic n'établit pas que Casino ou DCF aurait rompu brutalement les relations commerciales avec elle au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;

- à titre surabondant, constater en tout état de cause qu'il résulte des pièces du dossier que Barvic proposait des prix nettement supérieurs à ceux de ses concurrents, majorant ses marges au cours des années objet du litige, alors que Barvic était au surplus fréquemment et gravement défaillante en termes de délais et qualité de livraison, ce dont elle avait été avertie par Casino à plusieurs reprises, comme le tribunal l'a précisément relevé ;

- dire et juger que vu ses défaillances récurrentes, Barvic ne peut reprocher le déclin des commandes à son client DCF, ni en tout état de cause se prévaloir des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce qui ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations.

En conséquence, et au vu de l'ensemble des éléments de faits et de droit relevés par le tribunal,

- à titre principal, confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 1er février 2012 en ce qu'il déboute Barvic de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner Barvic aux entiers dépens et à payer à DCF la somme de 48 470 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile vu le caractère manifestement infondé des demandes ;

- à titre subsidiaire, dire et juger que les demandes d'indemnisation sont dénuées de fondement, et à défaut et à titre encore plus subsidiaire, en réduire drastiquement le montant, à la lumière notamment des faits et de la jurisprudence invoquée par DCF.

Cela étant exposé, LA COUR,

Sur l'appel dirigé contre la société Casino Guichard-Perrachon :

Considérant que la société Barvic sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a pris acte de ce qu'elle se désistait de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la SA Casino Guichard-Perrachon ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande ;

Sur la recevabilité des demandes dirigées contre la société EMC Distribution :

Considérant que la société EMC Distribution soutient, in limine litis, que l'action dirigée à son encontre est irrecevable car elle n'est pas une centrale d'achat mais une centrale de référencement qui agit depuis 2003, en lieu et place de la centrale Opera, en vertu d'un contrat de mandat, au nom et pour le compte des sociétés du groupe Casino, qui restent libres de s'approvisionner ou non auprès des fournisseurs référencés ; que la société Barvic ne peut rechercher sa responsabilité sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; qu'elle n'a pas agi comme acheteur mais comme mandataire transparent, dont l'objet est de rechercher et de référencer des fournisseurs et non de commercialiser leurs produits ; qu'en sa qualité de mandataire, elle ne peut être considérée comme ayant traité en son nom propre et ne répond des éventuelles fautes commises que lorsque son mandant n'est pas identifiable, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;

Considérant que la société Barvic soutient que le mandat allégué par la SAS EMC Distribution constitue un pseudo-mandat, et que la SAS EMC Distribution n'agit pas seulement pour le compte de DCF ou de telle ou telle société du groupe Casino, mais est partie prenante à part entière, et pour son propre compte, aux contrats passés avec la société Barvic ; que la SAS EMC Distribution ne s'est pas contentée de procéder au seul référencement de la société Barvic, mais intervenait également dans les relations commerciales ;

Considérant que l'action de la société Barvic est fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, qui dispose "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : ..."; que l'énumération large contenue dans cet article rend recevable l'action de la société Barvic à l'encontre de toute personne ayant la qualité de commerçant ; que la circonstance que la société EMC Distribution, signataire des contrats avec la société Barvic, n'ait agi qu'en qualité de mandataire est sans incidence sur la recevabilité de l'action de la société Barvic ; que la société Barvic en sa qualité de fournisseur à qualité à agir, sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, à l'encontre de la société EMC Distribution, avec lequel elle a conclu des contrats commerciaux ;

Considérant que la société EMC Distribution produit le contrat de mandat conclu le 24 janvier 2003 avec la société Distribution France Casino qui stipule que " Pour l'approvisionnement de ses magasins, Casino a confié à EMC la mission de référencer les fournisseurs et leurs produits, de négocier avec eux les conditions d'achat des produits et de vente des prestations de services de coopération commerciale... EMC regroupe les structures d'achat du groupe Casino et à ce titre est l'interlocuteur privilégié des fournisseurs. Dans ses fonctions à l'égard des fournisseurs et des tiers elle agit au nom et pour le compte des sociétés du groupe Casino concernées " ;

Considérant que les contrats, versés aux débats, signés par les sociétés Barvic et EMC Distribution indiquent :

- contrats cadres de coopération :

"EMC Distribution est la filiale du groupe Casino qui a notamment pour mission de rechercher et référencer les fournisseurs puis de négocier avec chacun d'entre eux les conditions commerciales applicables aux 'prestataires' (membres du groupe Casino). À ce titre, EMC Distribution est chargée de :

- négocier au nom et pour le compte des " prestataires " les accords commerciaux sur la base des conditions de vente des fournisseurs

- conclure les contrats relatifs aux prestations de services détachables de la vente constituant la coopération commerciale avec les fournisseurs préalablement référencés, qui seraient intéressées par ces services

- facturer et encaisser au nom et pour le compte des 'prestataires' le budget négocié à ce titre" ;

- contrats de référencement :

"EMC Distribution a notamment pour mission de rechercher et référencer les fournisseurs puis de négocier avec chacun d'eux les conditions commerciales applicables aux membres du groupe Casino";

- accords commerciaux marque nationale :

"EMC Distribution est à ce titre notamment mandaté par les membres du groupe Casino pour négocier avec les fournisseurs les conditions commerciales, encaisser les avantages tarifaires différés octroyés par les fournisseurs, facturer et encaisser pour Distribution Casino France et Monoprix les rémunérations dues au titre des accords de coopération commerciale et prestations de services rendus par les membres du groupe Casino aux fournisseurs";

Considérant qu'il résulte de ces stipulations que la société EMC Distribution, qui est mandatée par les sociétés du groupe Casino, a compétence pour référencer les fournisseurs, pour négocier avec eux les conditions d'achat, pour facturer les rémunérations dues au titre des accords de coopération commerciale et encaisser les services rendus par les membres du groupe Casino aux fournisseurs ; que la société EMC Distribution n'est donc pas intervenue comme un simple mandataire transparent, mais comme un cocontractant ayant le pouvoir d'engager les sociétés du groupe Casino, de négocier et de signer les contrats avec la société Barvic ; qu'en conséquence, les demandes de la société Barvic, formulées sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, à l'encontre de la société EMC Distribution sont recevables ;

Considérant que le jugement doit être infirmé en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de la société Barvic à l'encontre de la société EMC Distribution, au motif que la société Barvic n'a pas qualité à agir envers la société EMC Distribution sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

Sur la rupture brutale des relations commerciales :

Considérant que la société Barvic soutient, qu'en sa qualité d'intermédiaire de commerce, elle peut subir une rupture brutale de relations commerciales établies et en demander réparation ; que la société EMC Distribution n'a pas seulement procédé au référencement, mais intervenait également dans les relations commerciales ; qu'au surplus, la rupture brutale des relations commerciales établies est caractérisée même lorsque le fournisseur reste référencé, si aucune commande ne lui est plus passée ;

Considérant que la société Barvic expose qu'à partir du début de l'exercice 2006 Casino a procédé, sans aucun préavis, à une rupture partielle des relations commerciales établies ; que le chiffre d'affaires annuel, qui était de 2 284 311 euro de 2001 à 2005 inclus, a baissé de 53 % en 2006, puis de 81 % en 2007, ce qui caractérise une rupture partielle des relations commerciales ; que Casino a profité de la disparition des quotas dans le marché du textile et de l'habillement, à partir de 2005, pour mettre progressivement fin à leurs relations commerciales et réduire drastiquement, dès 2006, ses commandes, sans jamais l'en informer ; que l'existence d'une rupture progressive des relations commerciales constitue une rupture partielle imposant de notifier un préavis durant lequel le chiffre d'affaires doit être maintenu ; que le seul défaut de préavis écrit suffit à caractériser la brutalité de la rupture ; que le contrat de référencement signé le 15 février 2006 matérialise, sans discussion, la décision de Casino de rompre partiellement les relations commerciales pour l'année 2006 ;

Considérant que la société Barvic expose également qu'après la période de rupture partielle des relations commerciales, Casino a rompu totalement les relations commerciales sans préavis en 2008 ; que le chiffre d'affaires pour 2008 représente 5,9 % du chiffre d'affaires moyen des années 2000 à 2005, soit une baisse de plus de 94 % sans aucune notification écrite d'un préavis ; qu'à titre surabondant, l'appelante fait valoir que la réduction de l'activité n'a pas été lente, régulière et progressive, mais brutale et non prévisible ;

Considérant que la société EMC Distribution expose qu'ayant chaque année, même en 2008, conclu un contrat référençant les produits de la société Barvic, aucune rupture brutale ne peut lui être reprochée ;

Considérant que les sociétés EMC Distribution et DCF soutiennent que la diminution du courant d'affaires entre les sociétés DCF et Barvic a été lente, régulière et progressive depuis 2003 ; que s'étant étalée sur 6 ans la rupture n'a pas été brutale ; qu'en l'espèce, des années d'évolution erratique de l'activité ont été suivies d'un déclin des commandes étalé sur plusieurs années et s'inscrivant dans le cadre d'une baisse générale de l'activité de la société Barvic, y compris avec ses autres clients ; que la société DCF était libre d'adapter le montant de ses commandes, conformément aux principes du libre choix des fournisseurs, nécessaire pour stimuler l'amélioration des produits et la baisse des prix dans l'intérêt des consommateurs ;

Considérant que les sociétés EMC Distribution et DCF font valoir que la société Barvic n'était pas compétitive face à ses concurrents et peu fiable en matière de livraison ; que l'appelante, simple intermédiaire de commerce et non un industriel, qui ne réalisait qu'une part non significative et de plus en plus marginale de son chiffre d'affaires avec Casino, ne peut se prévaloir d'aucune dépendance économique envers Casino et a disposé du temps nécessaire pour réorienter son activité et diversifier sa clientèle ;

Considérant que lorsqu'aucune obligation de garantir un volume de commande minimum n'a été prévue entre les parties, la diminution, même significative, des commandes est insuffisante, dès lors qu'elle ne procède pas d'un comportement déloyal, à caractériser une rupture partielle des relations commerciales ; qu'au surplus seule est fautive la rupture brutale, c'est-à-dire la rupture imprévisible, soudaine et violente à laquelle le cocontractant ne pouvait s'attendre ;

Considérant que l'existence de relations commerciales établies entre les parties depuis 1992 n'est pas contestée ; qu'il résulte des pièces, tableaux et graphiques versés aux débats que le courant d'affaires, s'il a été constant entre les parties, n'a jamais été stable et a toujours connu d'importantes variations ; qu'à compter de l'année 2003 le chiffre d'affaires réalisé par la société Barvic avec le groupe Casino (18,26 %) a amorcé une baisse lente, constante et progressive jusqu'à l'année 2005 (10,66 %), où cette baisse s'est poursuivie de façon significative pour aboutir à la rupture des relations commerciales en 2008 (1,96 %), à la suite de l'assignation ;

Considérant que l' " accord commercial marque nationale 2006 " signé le 15 février 2006, produit par les intimées, montre que le chiffre d'affaires prévisionnel pour l'année était négocié et fixé en début d'année et que la société Barvic connaissait au début de chaque exercice le volant d'affaires qu'elle pourrait réaliser avec les sociétés du groupe Casino ; que la société Barvic avait une parfaite visibilité de l'évolution de sa relation commerciale avec Casino ;

Considérant qu'il résulte des échanges de correspondances versés aux débats que la diminution constante depuis l'année 2003 du volant d'affaires entre les parties a pour cause, d'une part, la perte de compétitivité de la société Barvic qui, dans un contexte de suppression des quotas en 2005 sur les produits textiles importés d'Asie, a maintenu une marge bénéficiaire élevée, passant notamment de 26 % en 2005 à 20,23 % en 2006 et à 24,66 % en 2007 ; que cette perte de compétitivité est confirmée par la réduction globale du chiffre d'affaires de la société Barvic y compris avec ses clients autres que Casino, tel que cela résulte du tableau produit en pièce 6 par la société Barvic, le chiffre d'affaires avec ses autres clients passant de 15 863 013 euro en 2005 à 8 411 907 euro en 2007 ; que les intimées justifient que les prix pratiqués par l'appelante étaient supérieurs, souvent jusqu'à 40 % et plus, à ceux de ses concurrents ; que les courriels produits par les intimées établissent que ce mauvais positionnement tarifaire a été reproché à la société Barvic par Casino ;

Considérant que, d'autre part, la diminution du courant d'affaires entre les parties s'explique également par les défaillances de la société Barvic en matière de respect des délais de livraison ; que Casino produit des courriels de 2005, 2006 et 2007 faisant état des retards à répétition de la société Barvic ; que les intimées produisent des tableaux d'où il résulte que les retards de livraison, les livraisons incomplètes et la non-conformité de la marchandise livrée étaient importants ;

Considérant que dans ce contexte, la baisse significative et continue du volume d'affaires entre les parties durant 6 années rendait la rupture prévisible ; que la diminution des commandes passées par Casino, qui a été progressive et négociée au début de chaque année, ne présente aucun caractère de soudaineté ; que la diminution et la cessation des relations commerciales, qui se justifient par le manque de compétitivité en terme de prix de la société Barvic sur un marché de plus en plus concurrentiel et par ses défaillances contractuelles récurrentes, ne peuvent être qualifiées de fautives ; qu'il n'est d'ailleurs pas établi que la cessation définitive des relations commerciales après l'assignation en 2008 soit imputable à Casino ;

Considérant que les parties n'étaient liées ni par un contrat d'exclusivité, ni par des engagements de volume ; que la part du groupe Casino ne représentait que 18,26 % du chiffre d'affaires de la société Barvic en 2003 et 6,18 % en 2007 ; que la société EMC Distribution a négocié chaque année un contrat de référencement avec la société Barvic ; qu'eu égard aux circonstances de l'espèce et en l'absence de rupture brutale, même partielle, des relations commerciales établies, l'absence de préavis écrit est sans incidence sur la qualification de la rupture ;

Par ces motifs, Confirme le jugement sauf en ses dispositions ayant dit que les demandes de la SA Barvic sont irrecevables envers la SAS EMC Distribution ; Et statuant à nouveau dans cette limite : Dit recevables les demandes de la SA Barvic dirigées contre la SAS EMC Distribution ; Condamne la SA Barvic à verser à la SAS EMC Distribution et à la SAS Distribution Casino France la somme de 5 000 euro chacune sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SA Barvic aux dépens d'appel.