CA Lyon, 3e ch. A, 23 octobre 2014, n° 14-02133
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Eurotab Operations (SAS)
Défendeur :
Top Hygiène (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tournier
Conseillers :
Mme Homs, M. Bardoux
Avocats :
Me Soulier, SCP Aguiraud Nouvellet, Selarl Aklea
FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La SAS Eurotab Opérations (ci-après Eurotab) commercialise, entre autres, des gammes de pastilles d'entretien et de désinfection sous la marque Novelty.
La SAS Top Hygiène, cédée par le groupe Eurotab en février 2008, a conclu un contrat de partenariat commercial avec elle, par lequel elle assure la distribution exclusive d'une partie des produits de la marque Novelty.
En contrepartie de cette distribution exclusive, la société Top Hygiène s'est engagée à s'approvisionner exclusivement auprès de la société Eurotab jusqu'en 2017.
Dans le courant de l'année 2012, la société Top Hygiène s'est plainte de manquements de la part de la société Eurotab et a adressé le 29 mars 2013 un courrier à cette dernière, l'informant qu'elle avait trouvé d'autres sources d'approvisionnement.
Par courrier du 16 avril 2013, la société Eurotab a nié les accusations de son partenaire et l'a mise en demeure de cesser les violations contractuelles à son égard.
La société Eurotab a alors engagé une procédure pour condamner la société Top Hygiène de respecter ses engagements contractuels sous astreinte.
La société Top Hygiène l'a informée par deux lettres recommandées du 20 juin 2013 qu'elle résiliait le partenariat commercial avec effet immédiat en application d'une clause résolutoire prévue au contrat.
La société Eurotab a saisi le Tribunal de commerce de Bourg-En-Bresse pour constater le caractère infondé de la résiliation et solliciter la condamnation sous astreinte de Top Hygiène à reprendre l'exécution du contrat, ayant été autorisée par le Président du tribunal à assigner Top Hygiène à bref délai en application de l'article 858 du Code de procédure civile.
Par jugement en date du 21 février 2014, auquel il est expressément fait référence pour plus de précisions sur les faits, les prétentions et moyens des parties, le Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse a statué ainsi :
"Dit et Juge que seuls les fondements et prétentions initiales en ce compris les demandes et prétentions fondées sur la rupture brutale de l'article L. 442-6 du Code de commerce sont couvertes par l'autorisation en date du 19 juillet 2013 ;
Dit et Juge irrecevable les nouveaux fondements et demandes et les écarte;
Dit et Juge que le litige est circonscrit aux seules demandes initiales en ce, celles fondées sur la rupture brutale de l'article L. 442-6 du Code de commerce,
Se Déclare incompétent au profit du Tribunal de commerce de Lyon,
Dit qu'à défaut de contredit formé dans le délai légal, l'affaire sera transmise à son secrétariat-greffe conformément aux dispositions de l'article 97 du CPC,
Rejette comme inutiles et non fondées toutes autres demandes et moyens des parties,
Condamne la société Eurotab Opérations SAS aux entiers dépens."
La société Eurotab a formé un contredit de compétence le 12 mars 2014.
L'affaire a été fixée à l'audience du 26 mai 2014, puis a fait l'objet de deux renvois contradictoires aux audiences de 30 juin et 15 septembre 2014, date à laquelle l'affaire a été plaidée.
Dans son contredit, la société Eurotab demande à la cour de :
- dire et juger Eurotab Opérations recevable et bien fondée en son contredit de compétence,
- dire et juger que le Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse est compétent pour se prononcer sur les demandes formées par Eurotab Opérations et Top Hygiène dans le cadre de la procédure à bref délai initiée par Eurotab Opérations par assignation du 8 août 2013,
- dire et juger Eurotab Opérations recevable et bien fondée en sa demande d'évocation du litige sur le fond dans les termes des articles 89 et 90 du CPC, l'évocation étant justifiée par les circonstances de l'espèce qui requièrent une solution rapide au différend opposant les parties et par une bonne administration de la justice,
- renvoyer les parties à constituer avocat afin d'évoquer le litige sur le fond,
- en tout état de cause, condamner Top Hygiène à payer à Eurotab Opérations la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du CPC, et aux entiers dépens.
Elle soutient que l'article L. 442-6 I 5èmement du Code de commerce n'a jamais servi de fondement aux demandes d'Eurotab et que les premiers juges étaient bien compétents pour trancher le litige en vertu du contrat de partenariat commercial.
Elle affirme que la compétence se détermine au moment de l'acte introductif d'instance, aucune indemnisation n'étant revendiquée concernant le non-respect d'un délai de préavis.
Elle conteste le fait que son adversaire par sa seule argumentation tendant à faire qualifier les prétentions adverses sur ce texte particulier puisse avoir un impact sur la compétence de la juridiction saisie.
Elle souligne que l'article 17.2 du contrat de partenariat commercial attribue compétence exclusive au tribunal du siège social de la défenderesse pour trancher les litiges relatifs au contrat et que ces stipulations rejoignent les dispositions de l'article 42 du Code de procédure civile.
Elle met en avant l'urgence de la situation tenant à la nécessité d'obtenir la remise en route des relations commerciales.
Dans ses conclusions déposées le 8 septembre 2014, la société Eurotab demande à la cour de :
- dire et juger Eurotab Opérations recevable et bien fondée en son contredit de compétence,
- se déclarer compétente pour connaître du contredit de compétence formé par Eurotab Opérations,
- dire et juger que le présent litige n'a pas pour objet l'article L. 442-6 I 5è du Code de commerce,
- dire et juger que l'article D. 442-3 du Code de commerce n'est pas applicable au présent litige,
- débouter Top Hygiène de sa demande tendant à prendre acte du prétendu désistement implicite d'Eurotab Opérations,
- dire et juger que le présent litige n'a pas pour objet l'article L. 442-6 I 5è du Code de commerce,
- dire et juger que l'article D. 442-3 du Code de commerce n'est pas applicable au présent litige,
- infirmer le jugement entrepris du Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse en ce que celui-ci s'est déclaré incompétent pour se prononcer sur les demandes formées par Eurotab Opérations et Top Hygiène dans le cadre de la procédure à bref délai initiée par Eurotab Opérations par assignation du 8 août 2013,
- dire et juger Eurotab Opérations recevable et bien fondée en sa demande d'évocation du litige sur le fond dans les termes des articles 89 et 90 du Code de procédure civile, l'évocation étant justifiée par les circonstances économiques, financières et sociales de l'espèce qui requièrent une solution rapide au différend opposant les parties et par une bonne administration de la justice,
- se déclarer compétente pour évoquer le fond du litige, et renvoyer les parties à constituer avocats afin d'évoquer le litige sur le fond,
En tout état de cause,
- condamner Top Hygiène à payer à Eurotab Opérations la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et aux entiers dépens.
Elle soutient la recevabilité de son contredit, car il appartient à la cour saisie de déterminer l'objet du litige, avant d'examiner sa compétence pour l'examiner. Elle estime que la cour ne peut se déclarer incompétente au profit de la Cour d'appel de Paris après avoir retenu une irrecevabilité de son contredit, sans avoir vérifié si des demandes formulées devant le Tribunal de commerce se fondent ou non sur l'article L. 442-6 du Code de commerce.
Elle revendique la jonction de ce contredit avec l'appel qu'elle a par ailleurs formé contre le même jugement, invoquant l'article 367 du Code de procédure civile.
Elle souligne n'avoir invoqué devant les premiers juges que les termes des articles 1134, 1142, 1145 et 1147 du Code Civil pour soutenir ses prétentions et non le texte invoqué par son adversaire pour soutenir l'irrecevabilité du contredit.
Dans ses dernières conclusions déposées le 8 septembre 2014, la société Top Hygiène demande à la cour de :
- constater que la société Eurotab Opérations a interjeté un appel " intégral " à l'encontre du jugement entrepris, par lequel elle sollicite sa réformation et ce compris sur la problématique de la compétence, alors qu'un contredit de compétence avait déjà été formé devant cette cour,
- dire et juger qu'en formant un appel "intégral" devant la Cour d'appel de Paris, la société Eurotab Opérations a implicitement renoncé à l'appel (instance et action) qu'elle avait formé en premier lieu devant la Cour d'appel de Lyon,
- constater que la société Top Hygiène ne s'oppose pas au désistement de la société Eurotab Opérations,
- prendre acte du désistement (d'instance et d'action) de la société Eurotab Opérations, et le constater,
A titre liminaire,
- déclarer irrecevable le contredit formé par la société Eurotab Opérations,
A titre principal,
- constatant qu'une partie des demandes formulées en première instance était fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce,
- confirmer l'intégralité du jugement entrepris en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes formulées par la société Eurotab Opérations sur la base de l'article L. 442-6 du Code de commerce et l'ayant à mieux se pourvoir pour l'intégralité du litige devant le Tribunal de commerce de Lyon,
A titre subsidiaire,
- dire et juger que les conditions nécessaires afin de pouvoir évoquer le fond du litige ne sont pas remplies notamment dans la mesure où la Cour d'appel de Lyon n'est pas la juridiction compétente afin de connaître du fond du litige en application de l'article D. 442-3 du Code de commerce,
- constater en tout état de cause que les éléments avancés par la société Eurotab Opérations afin de justifier sa demande s'agissant notamment d'une prétendue urgence, ne permettent pas de justifier qu'il serait d'une bonne administration de la justice que le fond du litige soit évoqué,
- rejeter la demande tenant à ce que cette cour évoque le fond du litige et si par extraordinaire cette demande était retenue, faire application des dispositions de l'article 90 du Code de procédure civile,
En tout état de cause,
- condamner la société Eurotab Opérations au versement de la somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à la société Top Hygiène et rejeter toute demande en ce sens de la société Eurotab Opérations,
- condamner la société Eurotab Opérations aux entiers dépens de l'instance, y compris ceux découlant des articles 10 et 12 du décret du 12 décembre 1996.
Elle soutient l'irrecevabilité du contredit, soulevant la fin de non-recevoir fondée sur l'application de l'article D. 442-3 du Code de commerce et de l'article 122 du Code de procédure civile.
Elle affirme que la société Eurotab s'est prévalue dans son assignation et qu'elle fondait une partie de ses prétentions dans le cadre de sa requête en assignation à jour fixe sur les termes de l'article L 442-6 du Code de commerce.
Elle ajoute que le tribunal de commerce devait nécessairement apprécier la recevabilité des demandes et fondements nouveaux pour déterminer sa compétence.
Elle prétend que la demande d'évocation est irrecevable, du fait de l'irrecevabilité du contredit et en tout état de cause est infondée, compte tenu du délai écoulé depuis la saisine du Président du tribunal de commerce le 11 juillet 2013.
Elle se prévaut d'un "appel intégral" formé par la société Eurotab devant la Cour d'appel de Paris, valant désistement implicite du contredit, excipant de l'article 397 du Code de procédure civile
Pour satisfaire aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, il est expressément renvoyé pour plus de précisions sur les faits, prétentions et arguments des parties à la décision entreprise et aux conclusions récapitulatives régulièrement déposées et ci-dessus visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la jonction sollicitée par la société Eurotab
Attendu que l'article 367 du Code de procédure civile dispose que "le juge peut, à la demande des parties ou d'office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s'il existe entre les litiges un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble." ;
Attendu que la société Eurotab a pris l'initiative de former successivement un contredit puis un appel contre la même décision rendue par le Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse, alors qu'il est constant que dans ces deux dossiers sont discutés la recevabilité des recours au regard de l'application potentielle de l'article D. 442-3 du Code de commerce ;
Que l'appréciation dont est saisie la cour d'une part sur la compétence des premiers juges (contredit), et d'autre part sur la recevabilité de prétentions à eux présentées, ne peut conduire naturellement à la jonction sollicitée, surtout au regard de l'intervention d'un appel général formé par l'auteur des recours initiaux dirigés contre le même jugement devant la Cour d'appel de Paris ;
Attendu que ces multiplications de saisine de juridictions du second degré, avec des interrogations légitimes sur leur articulation et les conséquences de leur interventions successives, ne peuvent caractériser qu'il est d'une bonne administration de la justice de procéder à une jonction, chacune des difficultés dont est actuellement cette cour ayant ses spécificités et pouvant aboutir à des résultats hétérogènes du fait des règles différentes régissant les contredit et appel ;
Qu'il n'y a pas lieu en cet état de procéder à la jonction sollicitée ;
Sur la recevabilité du contredit
Attendu que l'article L. 442-6 III du Code de commerce dispose en son alinéa 5 que "Les litiges relatifs à l'application du présent article sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret." ;
Attendu que l'article D. 442-3 du Code de commerce dispose que "Pour l'application de l'article L. 442-6, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d'outre-mer sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-1 du présent livre. La cour d'appel compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions est celle de Paris." ;
Attendu qu'il est constant et non contesté par les parties que ce dernier texte s'analyse en une fin de non-recevoir au sens de l'article 122 du Code de procédure civile, alors même que comme l'a souligné la société Top Hygiène, ses termes ne distinguent pas suivant la nature de la décision rendue par la juridiction de première instance ;
Qu'en effet, en l'état actuel des textes, le contredit ne peut être considéré comme présentant un caractère autonome par rapport au recours sur le fond en ce qui concerne les pouvoirs juridictionnels de la cour qui doit en connaître, sauf sur la spécificité de sa procédure ;
Attendu que la cour de céans, n'étant pas désignée dans l'article D. 442-3, est dépourvue de tout pouvoir juridictionnel à l'égard du litige qui lui est soumis, si les conditions ci-dessus posées sont réunies ;
Attendu que le caractère d'ordre public de l'article L. 442-6 du Code de commerce ne permettant pas aux parties de s'accorder pour s'exonérer de son application, et devant conduire le juge à en invoquer l'application, après respect de la contradiction, interdit de retenir les seuls fondements juridiques invoqués par elles ;
Attendu qu'il suffit de se rapporter aux motifs pris par le Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse (dernier paragraphe de la page 3 du jugement) pour constater que cette juridiction a estimé que les termes de l'article L. 442-6 I 5è devaient recevoir application dans le cadre du litige soumis, sans qu'il ait eu besoin de déterminer la recevabilité ou l'irrecevabilité des dernières demandes formées par la société Eurotab ;
Attendu qu'il convient de rappeler que la détermination du tribunal compétent n'est pas subordonnée à l'examen du bien-fondé des demandes présentées, ni même à celui de la pertinence d'une analyse juridique faite par les premiers juges sur la qualification opérée aux faits et prétentions respectives ;
Que cette analyse opérée par le tribunal de commerce ne peut en aucune façon être examinée par cette cour, y compris dans le cadre d'un contredit, car il a été retenu que devaient être appliquées au litige les dispositions susvisées ;
Attendu que les juridictions spécialement désignées dans l'article D. 442-3 se voient attribuer exclusivement le traitement des litiges relatifs à l'application du texte législatif susvisé, les recours formés devant une autre cour que celle de Paris également désignée devant être déclarés irrecevables ;
Attendu que cette cour ne peut en tout état de cause violer le texte réglementaire sus-évoqué et trancher comme le demande la société Eurotab que "le présent litige n'a pas pour objet l'article L. 442-6 I 5è du Code de commerce" ;
Attendu qu'il convient en conséquence de déclarer la société Eurotab irrecevable en son contredit ;
Attendu que cette société doit supporter les dépens de ce contredit, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Attendu que l'équité ne commande nullement de décharger la partie défenderesse au contredit des frais engagés devant cette cour, compte tenu de ce que l'appréciation de la pertinence effective de l'analyse des premiers juges doit être réalisée par la Cour d'appel de Paris, saisie elle-même de l'intégralité de la décision contestée ;
Par ces motifs LA COUR, Statuant sur contredit, Vu les conclusions déposées par les parties, Dit n'y avoir lieu à jonction, Déclare la SAS Eurotab Opérations irrecevable en son contredit, Condamne la SAS Eurotab Opérations aux dépens de ce contredit, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et dit n'y avoir lieu de faire application de l'article suivant du même code au profit de la SAS Top Hygiène.