Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 6 ch. 12, 23 octobre 2014, n° 12-04728

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Kamel

Défendeur :

CARCD, Derbez-Etcheverry, Ministre chargé de la Sécurité sociale

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Van Ruymbeke

Conseillers :

Mme Sentucq, M. Leblanc

TASS Meaux, du 5 avr. 2012

5 avril 2012

Par un arrêt auquel il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, la cour de céans, avant dire droit sur les demandes formées par Monsieur Mohamed Ali Kamel, a ordonné à la comparution de la CARCDF, caisse intimée, et dit que le principe du contradictoire doit être respecté dans l'échange des pièces et des écritures entre les deux parties au litige.

Monsieur Kamel a développé à l'audience les observations contenues dans le mémoire déposé au greffe le 4 juin 2014.

Il demande à la cour :

De constater que la CARCDSF a émis à son encontre des contraintes visant à obtenir le paiement de cotisations à cet organisme

De constater que ces contraintes constituent une pratique commerciale agressive interdite par le Code de la consommation et sanctionnée par le Code pénal

En application de l'article 40 du Code de procédure pénale, d'aviser sans délai le procureur de la République du délit commis par la CARCDSF

De se déclarer incompétente pour connaître du présent litige qui relève du contentieux du Code de la consommation et de se dessaisir au profit de la chambre civile de la cour d'appel.

Monsieur Kamel fait valoir que par un arrêt du 3 octobre 2013 (affaire C-59-12) la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que les caisses publiques de sécurité sociale fournissent un produit d'assurance aux consommateurs et que dans le cadre de cette fourniture, les caisses doivent respecter les dispositions de la directive 2005-29 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur. Cette directive a été transposée en droit français par la loi du 3 janvier 2008. Les relations entre les caisses publiques de sécurité sociale et les preneurs d'assurance sont régies par le Code de la consommation qui exige l'existence d'un contrat et interdit les pratiques commerciales agressives au nombre desquelles figurent les mise en demeure et les contraintes.

La Caisse Autonome de Retraite des Chirurgiens-Dentistes et des Sage Femmes a développé par la voix de sa représentante les conclusions déposées au greffe le 12 mai 2014. Elle demande à la cour :

De confirmer le jugement entrepris

De condamner Monsieur Kamel en sa qualité d'adhérent à lui régler, outre les sommes en principal, les majorations de retard par mois ou fraction de mois depuis la date limite d'exigibilité jusqu'à complet paiement du montant en principal

De condamner également l'adhérent au paiement des frais d'huissier engagés dans cette affaire conformément aux dispositions de l'article R. 133-6 du Code de la sécurité sociale

De condamner Monsieur Kamel au paiement d'une indemnité de 2 000 euro au titre des frais irrépétibles

De le condamner à l'amende visée à l'article R. 144-10 du Code de la sécurité sociale

La CARCDSF rappelle le caractère obligatoire des cotisations posé par les articles L. 111-1, 621-1, 642-1, 644-1, 644-2 du Code de la sécurité sociale.

Selon la Caisse, l'arrêt invoqué par Monsieur Kamel concerne le cas particulier où un organisme de droit public en charge d'une mission d'intérêt général mène à titre subsidiaire des opérations commerciales : c'est dans ce cas seulement que l'organisme doit respecter les dispositions de la Directive CE 2005-29 pour ce type d'opérations.

La jurisprudence a maintes fois rappelé le principe selon lequel la Caisse Autonome de Retraite des Chirurgiens-Dentistes, chargée de la gestion d'un régime légal obligatoire de sécurité sociale fonctionnant sur un mode de répartition et non de capitalisation, elle ne constitue pas une entreprise susceptible d'entrer dans le champ d'application de la directive en cause.

SUR QUOI

SUR LA COMPÉTENCE

Considérant les dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile dont il résulte que les parties, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ;

Considérant qu'en l'espèce Monsieur Kamel n'a pas soulevé l'incompétence du tribunal des affaires de sécurité sociale en première instance et n'est donc pas recevable à saisir la cour de cette prétention nouvelle ;

SUR LE FOND

Considérant les dispositions d'ordre public de l'article L. 642-1 du Code de la sécurité sociale selon lesquelles toute personne exerçant une activité professionnelle relevant de l'organisation autonome d'assurance vieillesse des professions libérales est tenue de verser des cotisations destinées à financer notamment le régime de l'allocation vieillesse mentionné aux articles L. 643-1 à L. 643-10 ;

Considérant les dispositions des articles R. 641-1 et suivants du Code de la sécurité sociale ayant instauré la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse des Professions Libérales ;

Considérant les dispositions des articles L. 121-1 à L. 121-7 du Code de la sécurité sociale [sic] issues de la loi du 3 janvier 2008, ayant transposé la Directive n° 2005-29-CE du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales ;

Que ces dispositions nouvelles substituent aux dispositions sur la publicité mensongère ou trompeuse le dispositif relatif aux pratiques commerciales trompeuses et créent l'infraction de pratiques commerciales agressives par les articles L. 122-11 à L. 122-15 ;

Que les pratiques commerciales agressives sont définies par ces textes de manière alternative comme un comportement commercial consistant à solliciter de façon répétée et insistante le consommateur, comme le recours à la contrainte physique ou morale ayant pour conséquence d'altérer de manière significative la liberté de choix du consommateur ou bien encore comme l'aliénation du consentement du consommateur ou le fait d'entraver l'exercice des droits qu'il tire du contrat ;

Considérant qu'en l'espèce, l'arrêt prononcé par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) le 3 octobre 2013, invoqué par Monsieur Kamel, reconnaît à un organisme de droit public en charge d'une mission d'intérêt général tel que la gestion d'un régime légal d'assurance maladie, la qualité de professionnel au sens de la Directive 2005-29-CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 ;

Que selon les termes de l'arrêt (paragraphe 39) cette "interprétation est la seule qui est de nature à assurer le plein effet de la Directive sur les pratiques commerciales déloyales en garantissant que, conformément à l'exigence d'un niveau élevé de protection des consommateurs, les pratiques commerciales déloyales soient combattues de manière efficace" ;

Que les conclusions de l'avocat général présentées à l'appui de l'audience de la CJUE, le 4 juillet 2013, viennent éclairer la ratio legis de la Directive, qui vise à garantir que les consommateurs ne soient pas trompés ou exposés à un "marketing" agressif et que toute allégation faite par un professionnel dans le cadre de son activité commerciale soit claire, exacte et justifiée, de sorte que les consommateurs puissent faire des choix éclairés et pertinents ;

Considérant qu'il résulte de ces constatations que les mise en demeure adressées à Monsieur Kamel le 9 avril 2008, le 3 mars 2009, le 19 octobre 2009, le 8 juillet 2010, le 18 avril 2011, ainsi que les contraintes y afférent n'ont pas le caractère d'un "marketing agressif" de nature à tromper le consentement du consommateur mais ressortent de la mise en œuvre légale du recouvrement de cotisations sociales et des majorations de retard régulièrement poursuivi à l'encontre de Monsieur Kamel en vertu des dispositions impératives des articles L. 244-9, L. 244-2 et R. 133-3 et R. 244-1 du Code de la sécurité sociale;

Qu'au surplus il n'est pas inutile de rappeler que Monsieur Kamel, en sa qualité de débiteur des cotisations dues en vertu du régime de retraite obligatoire dont dépend la Caisse Autonome de Retraite des Chirurgiens-Dentistes et des Sage Femmes, n'a pas la qualité de consommateur mais celle de cotisant à ce même régime dont l'affiliation présente un caractère obligatoire ;

Qu'il s'en suit que le jugement doit être confirmé et Monsieur Kamel débouté de son appel ;

Considérant que le paiement des majorations de retard est de droit, que le caractère dilatoire ou abusif de la procédure intentée par Monsieur Kamel n'est pas démontré au sens des dispositions de l'article R. 144-10 et que l'application des dispositions de l'article R. 133-6 est également de droit de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes accessoires formées à ce titre ;

Considérant néanmoins que l'équité commande qu'il soit fait droit à la demande présentée au titre des frais irrépétibles et que Monsieur Kamel sera condamné à régler à la CARCDSF une indemnité de 2 000 euro au titre des frais irrépétibles ;

Par ces motifs, Déclare Monsieur Mohamed Ali Kamel recevable mais mal fondé en son appel, Confirme le jugement, Statuant à nouveau, Condamne Monsieur Mohamed Ali Kamel à régler à la Caisse Autonome de Retraite des Chirurgiens-Dentistes et des Sage-Femme une indemnité de 2 000 euro au titre des frais irrépétibles, Dit n'y avoir lieu à statuer sur les autres demandes, Fixe le droit d'appel prévu par l'article R. 144-10 alinéa 2 du Code de la sécurité sociale à la charge de l'appelant qui succombe au 10e du montant mensuel du plafond prévu à l'article L. 241-3 et condamne Monsieur Mohamed Ali Kamel au paiement de ce droit ainsi fixé à la somme de 312,90 euro (trois cent douze euro et quatre-vingt-dix centimes).