Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 30 octobre 2014, n° 11-20641

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

KLS (SARL)

Défendeur :

Sonia Rykiel Création et Diffusion de Modèles (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

Mme Perrin, M. Birolleau

Conseiller :

M. Douvreleur

Avocats :

Me Belfayol Broquet, Champagner Katz, Maupas Oudinot, Baud

T.com. Paris, du 30 sept. 2011

30 septembre 2011

Le 29 janvier 2009, à l'occasion du salon de mode " who's next ", la société Sonia Rykiel a constaté que la société KLS, exploitante de la marque " Little Marcel ", présentait des collections de vêtements de cette marque présentant des rayures multicolores sur fond noir, similaires à ses propres rayures " multico ".

Le 10 avril 2009, elle a, mis en demeure la société KLS de cesser d'utiliser ces rayures multicolores et, par acte en date du 18 novembre 2009, a fait assigner la société KLS pour actes de concurrence déloyale et parasitaires.

Par jugement, assorti de l'exécution provisoire, rendu le 30 septembre 2011, le tribunal de commerce de Paris a :

- dit la société Sonia Rykiel recevable à agir ;

- dit que la société KLS s'est rendue coupable de concurrence déloyale et de parasitisme au préjudice de la société Sonia Rykiel ;

- ordonné à la société KLS de cesser de faire référence dans ses moyens de communication à la société Sonia Rykiel ;

- condamné la société KLS à verser à la société Sonia Rykiel la somme de 250 000,00 euros au titre de dommages et intérêts, pour les préjudices subis ;

- débouté la société KLS de ses demandes reconventionnelles ;

- condamné la société KLS à vers à la société Sonia Rykiel la somme de 20 000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Se prévalant de nouveaux actes de concurrence déloyale et de parasitisme commis par la société KLS postérieurement au jugement rendu le 30 septembre 2011, la société Sonia Rykiel a, par acte du 5 janvier 2012, à nouveau assigné la société KLS devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement assorti de l'exécution provisoire, rendu le 22 mai 2012, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société KLS de sa demande de sursis à statuer ;

- dit que la société KLS s'est rendue coupable de concurrence déloyale et de parasitisme au préjudice de la société Sonia Rykiel ;

- condamné la société KLS à vers à la société Sonia Rykiel 300 000,00 euros au titre des dommages et intérêt pour les préjudices subis ;

- débouté la société KLS de ses demandes reconventionnelles ;

- condamné la société KLS à verser à la société Sonia Rykiel la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile :

- débouté les parties de leur demandes autres, plus amples ou contraires.

La société KLS a formé appel le 17 novembre 2011 contre le premier jugement, la société Sonia Rykiel le 4 juillet 2012 contre le second jugement.

Les deux affaires on fait l'objet d'une jonction sous le numéro RG 11-20641.

La société KLS, par dernières conclusions signifiées par le 4 septembre 2014, demande à la cour de :

- recevoir la société KLS en ses appels et l'y déclarant bien fondée ;

- infirmer le jugement du 30 septembre 2011 en ce qu'il a jugé que la société KLS s'était rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et parasitaire et l'a condamnée à verser à la société Sonia Rykiel la somme de 250 000,00 euros à titre de dommages et intérêts ainsi qu'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- infirmer le jugement du 22 mai 2012 en ce qu'il a jugé que la société KLS s'était rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et parasitaire et en ce qu'il a condamné la société KLS à verser à la société Sonia Rykiel la somme de 300 000,00 euros à titre de dommages et intérêts ainsi qu'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;

Et statuant à nouveau :

A titre principal :

- dire que la société Sonia Rykiel ne peut revendiquer aucune identité visuelle, dans la mesure où elle ne précise pas exactement la combinaison de couleurs, et la taille des rayures qu'elle revendique ;

- dire que la seule circonstance que la presse puisse associer une marque avec un visuel multicolore ne justifie pas l'appropriation perpétuelle de ce visuel ;

- dire que le consommateur d'attention moyenne n'associe pas forcément le visuel 'rayures multicolores sur fond noir' à Sonia Rykiel ;

- dire que la société Sonia Rykiel ne peut demander la protection d'un genre, non protégé par le droit d'auteur ou par le droit des marques, par le biais d'une action en concurrence déloyale ;

- dire que la société KLS est libre d'utiliser des rayures multicolores sur les produits qu'elle commercialise ;

- constater qu'aucun produit de la société KLS ne reproduit servilement ou quasi-servilement les modèles de la société Sonia Rykiel ;

- dire qu'en l'absence de monopole, la société Sonia Rykiel ne peut demander qu'il soit fait interdiction à la société KLS de commercialiser tous produits à rayures multicolores,

- dire que la société KLS n'a commis aucune faute en commercialisant antérieurement ou postérieurement au jugement du 30 septembre 2011 des articles présentant des rayures multicolores ;

- dire qu'il n'est pas établi que la société Sonia Rykiel ait commercialisé une gamme de produits à rayures multicolores sur fond noir ;

- dire qu'il ne peut exister de confusion entre les produits revêtus des marques LITTLE MARCEL et les produits revêtus de la marque Sonia Rykiel ;

- dire qu'il ne peut exister aucune confusion entre les produits revêtus des marques LITTLE MARCEL et les produits revêtus de la marque Sonia Rykiel ;

- dire que la société Sonia Rykiel ne rapporte pas la preuve de faits constitutifs de concurrence déloyale ;

- dire que la société Sonia Rykiel ne rapporte pas la preuve de faits constitutifs de parasitisme ;

Et en conséquence,

- débouter la société Sonia Rykiel de l'ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire :

- constater que les faits incriminés au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme sont identiques ;

- constater que la société Sonia Rykiel n'établit pas ni la preuve de son préjudice, ni son quantum ;

En conséquence,

- débouter la société Sonia Rykiel de ses demandes sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme.

A titre reconventionnel :

- condamner la société Sonia Rykiel à payer à la société KLS la somme de 400 000,00 euros pour le préjudice subi par KLS du fait des deux procédures ;

- condamner la société Sonia Rykiel à verser à la société KLS la somme de 200 000,00 euros à la société KLS à titre de dommages et intérêts, pour le harcèlement judiciaire qu'elle a mis en œuvre ;

- en cas de débouté des demandes de la société intimée, ordonner à la société Sonia Rykiel de publier le dispositif à intervenir en page d'accueil de son site internet www.soniarykiel.com dans une police de taille 12, au-dessus de la ligne de flottaison, pendant 60 jours, sous astreinte de 5 000,00 euros par jour de retard, passé un délai de 31 jours suivant la signification de l'arrêt ;

- en cas de débouté des demandes de la société intimée, autoriser la publication de l'arrêt à venir, en intégralité ou par extraits, dans dix journaux ou publications internet, au choix de la société KLS, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 10 000,00 euros HT, somme qui devra être avancée par la société Sonia Rykiel sur simple présentation du devis justificatif ;

- ordonner la restitution de l'intégralité des sommes versées par la société KLS à la société Sonia Rykiel, au titre de l'exécution provisoire avec intérêts de droit à compter de leur versement ;

En tout état de cause,

- débouter la société Sonia Rykiel de l'ensemble de ses demandes, moyens, fins et conclusions ;

- condamner la société Sonia Rykiel à payer à la société KLS la somme de 85 000,00 euros au

titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société KLS conteste que la société Sonia Rykiel s'arroge un droit exclusif sur les rayures multicolores, lesquelles sont parfaitement exploitables par quiconque, ne peuvent faire l'objet d'aucun droit de propriété et ne sont pas par nature protégeables ; elle précise que l'impossibilité d'appropriation est confirmée :

- par le refus de l'INPI d'enregistrer les demandes de protection de marques constituées de visuels de rayures multicolores ;

- par le refus d'enregistrement des marques similaires auprès de l'OHMI, enregistrement qui, pour Sonia Rykiel, n'a finalement été accepté qu'après que celle-ci ait inséré un élément distinctif constitué par la marque " Sonia Rykiel ", ce qui démontre que les rayures multicolores ne pouvaient en elles-mêmes faire l'objet d'appropriation.

Elle déclare que la société Sonia Rykiel ne pouvait ignorer le caractère non monopolistique des rayures en cause, en choisissant un tel signe distinctif banal, car non identifiable et non suffisamment distinctif, et que ce ne sont pas seulement des rayures de couleurs en séquences bien déterminées dont Sonia Rykiel sollicite la protection, mais bien un monopole sur les rayures de couleurs sur fond noir. Elle ajoute qu'en l'absence de séquence déterminée, les combinaisons de rayures horizontales multicolores sur fond noir, dont la déclinaison a évolué au fil des années et des collections, sont constitutives d'un genre qui ne saurait être revendiqué.

La société KLS présente par ailleurs un sondage qu'elle a fait réaliser sur la question de la reconnaissance des rayures multicolores par des consommateurs. Il ressort de cette étude qu'aucun lien ne peut être établi entre la société Sonia Rykiel et les motifs à rayures multicolores. Elle fait en outre valoir que la société Sonia Rykiel ne bénéficie d'aucune antériorité et n'en serait pas la créatrice depuis 1965, que les produits de KLS sont " intemporels et ludiques ", et que de par sa calligraphie façon " école primaire ", qui donne à ses produits un aspect enfantin, l'image que dégage sa marque est très éloignée de celle de la société Sonia Rykiel. Elle indique avoir développé une gamme de produits présentant divers motifs, et que les accessoires commercialisés avec des rayures multicolores l'ont aussi été avec d'autres dessins et motifs, de sorte que la rayure multicolore occupe une place minoritaire dans les collections de la marque " Little Marcel ".

La société KLS soutient ainsi que la société Sonia Rykiel, qui n'a pas mis en avant les rayures multicolores avant 2010, soit postérieurement à l'arrivée sur le marché de " Little Marcel ", tente d'empêcher les acteurs du marché d'utiliser les rayures multicolores sur fond noir, et de commercialiser ne serait-ce qu'un seul de ces produits, invoquant la propriété de " ses " rayures, et le fait qu'il ne lui ait pas été demandé l'autorisation de les utiliser. Il est par ailleurs invoqué que Sonia Rykiel ne recense plus d'article à rayures multicolores après 2010.

La société KLS prétend que la rayure appartient au domaine public. Elle démontre par de nouvelles pièces qu'avant 1963, date de la création de la société Sonia Rykiel, de nombreuses sociétés commercialisaient déjà des vêtements présentant des rayures de différentes couleurs, et que cette pratique s'est poursuivie après l'année 1963. Dès lors, selon elle, les rayures font partie du fond commun de l'habillement, de sorte que la seule apposition du nom de la marque " Sonia Rykiel " sur le produit ne suffit pas à rendre le motif indisponible. Elle cite d'autres sociétés ayant présenté en 2009 des produits présentant des rayures similaires à celles de la société Sonia Rykiel et de la société KLS. Il en va de même pour les années 2010, 2011 et 2012.

Elle prétend également que le jugement du tribunal de commerce est entaché d'une contradiction, en ce qu'il n'a pas prononcé l'interdiction du comportement qu'il a pourtant condamné et que, si faute il y avait, il aurait fallu non seulement la réparer, mais aussi ordonner l'interdiction de sa réitération.

La société KLS affirme qu'elle n'a pas créé de risque de confusion, que, pour que la confusion puisse être constatée, il faudrait que les produits prétendument imités présentent des caractéristiques suffisamment distinctives et qu'ils puissent être assimilés par un consommateur moyennement attentif, que tel n'est pas le cas en l'espèce dès lors que :

- le motif de la rayure multicolore ne peut servir de moyen d'identification puisqu'il n'est pas suffisamment distinctif, original et nouveau, et que la suite des couleurs n'est pas précisée, pas plus que la largeur des rayures, ni la séquence ;

- les périodes de commercialisation très éloignées font obstacle au moindre risque de confusion possible entre, par exemple, une robe Sonia Rykiel de l'année 1996 et un tee-shirt " Little Marcel " de 2010.

Elle soutient que la notion d'effet de gamme, défini comme une addition de plusieurs produits, ne trouve pas à s'appliquer. Il aurait fallu le définir comme un ensemble de produits du même genre. Par ailleurs, il aurait fallu retenir les critères spécifiques de la gamme et non un critère générique, qui rend l'appréciation du risque de confusion trop extensive. De plus, elle soutient que la société Sonia Rykiel n'est pas fondée à invoquer l'existence d'une gamme quand sur trois types de produits (les maillots de bain, les sacs à rayures et le porte-monnaie) elle n'a commercialisé pour chacun que deux ou trois déclinaisons, datant pour les plus anciens de plus de 10 ans, il s'agit donc d'articles isolés.

Dès lors la notion de gamme qui plus est " large " ne saurait être retenue.

De plus, la société KLS fait valoir qu'il ne saurait lui être reproché d'avoir développé des produits dérivés directement liés à la nature de son exploitation. Les séquences de couleurs utilisées appartenaient par ailleurs à d'anciennes collections.

La société KLS soutient par ailleurs qu'en dehors de tout motif, l'apposition des marques respectives des parties, prévient tout risque de confusion. Or sur ses produits, la marque Little Marcel est appliquée avec un graphisme particulier, ce qui est constitutif d'un élément distinctif.

La société KLS défend qu'à défaut de droit de propriété intellectuelle sur les rayures litigieuse, aucune autorisation n'était à demander à la société Sonia Rykiel. En outre, les deux marques ne s'adressent pas du tout au même public, et que les points de vente ne présentent aucun point commun, de sorte que la concurrence déloyale ne saurait lui être reprochée.

La société KLS soutient que le parasitisme n'est pas davantage caractérisé dans la mesure :

- où KLS, distributeur désormais connu, n'a pas besoin de se placer dans le sillage d'une autre marque pour s'en approprier la notoriété ;

- où aucune intention de nuire n'est constatée ;

- où il n'y a eu aucun détournement d'un travail intellectuel ou de création et où Sonia Rykiel ne démontre aucun investissement spécifique pour les rayures en cause.

Elle ajoute enfin que Sonia Rykiel ne démontre pas avoir subi un préjudice dès lors qu'elle n'établit ni que la rayure multico présente une valeur économique, ni que ses produits aient été dévalorisés, ni qu'elle ait subi un préjudice financier, aucun chiffre d'affaires de Sonia Rykiel n'étant versé aux débats.

La société Sonia Rykiel Création et Diffusion de Modèles, par dernières conclusions signifiées le 2 juillet 2014, demande à la Cour de :

- confirmer les jugements des 30 septembre 2011 et 22 mai 2012, en ce qu'ils ont :

- reconnu que les rayures Multico constituent un élément de l'identité visuelle de la société Sonia Rykiel ;

- dit que la société KLS s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale par risque de confusion et par parasitisme ;

- ordonné la société KLS de cesser de faire référence dans ses moyens de communication à la société Sonia Rykiel ou à Madame Sonia RYKIEL ;

- débouté la société KLS de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive et harcèlement ; et statuant à nouveau,

- constater la persistance des actes de concurrence déloyale par risque de confusion et parasitisme de la part de la société KLS ;

- interdire à la société KLS de fabriquer, faire fabriquer, importer, détenir, offrir à la vente, vendre, promouvoir et/ou faire la publicité, directement ou indirectement, par tout moyen (et notamment via Internet) les modèles incriminés spécifiques, qui se présentent sous la forme de bandes horizontales de même largeur multicolores, en alternance avec des rayures noire, déclinées sous forme de séquences, dont le nombre et l'alternance dépendent de la taille des articles ainsi que du parti pris du créateur, et d'une manière générale tout modèle, article ou document, ou élément à caractère promotionnel ou commercial reproduisant les caractéristiques des Rayures Multico de la société Sonia Rykiel dans les 10 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 000,00 euros par jour et par infraction constatée ;

- ordonner la confiscation et la destruction de l'intégralité des modèles incriminés restant en stock, ainsi que de tous éventuels documents commerciaux, sur lesquels ils seraient reproduits dans un délai de quinze jours à compte de la signification de l'arrêt et ce, sous astreinte de 1.000,00 euros par jour de retard ;

- condamner la société KLS à payer à la société Sonia Rykiel une somme de 5.180.524,81 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale, par risque de confusion et par parasitisme pour la période allant jusqu'au 30 septembre 2011, commis à l'encontre de la société Sonia Rykiel ;

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans son intégralité ou par extraits sur le site internet institutionnel de la société KLS (aujourd'hui : www.littlemarcel.com) de façon visible et facilement accessible grâce à un lien figurant sur la page d'accueil de ce site pendant trois mois et dans dix journaux ou magazines au choix de la société Sonia Rykiel, et ce aux frais avancés de la société KLS, le coût de chaque publication ne pouvant excéder la somme de 4 000 euros ;

- autoriser la société Sonia Rykiel à publier l'arrêt à intervenir dans son intégralité, ou par extraits sur son site internet ;

- débouter la société KLS de l'intégralité de ses demandes ;

- condamner la société KLS à payer à la société Sonia Rykiel la somme de 80 000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle souligne tout d'abord le bien- fondé de son action en réparation résultant du comportement déloyal de KLS au motif que l'action ayant pour fondement le parasitisme et la confusion peut être exercée indépendamment de la reconnaissance d'un droit privatif sur la création et qu'il suffit qu'il existe un risque de confusion sur l'origine des produits.

Elle fait valoir que la société appelante a commis une faute en reprenant dans ses collections des rayures très similaires aux siennes et en ce que cette reprise a créé une confusion dans l'esprit des consommateurs quant à l'origine et à l'usage des produits. Elle met en exergue le caractère volontaire et entretenu de la faute que constitue la création d'une confusion sur l'origine des produits, confusion qui existe dans les médias et par la référence constante faite à Sonia Rykiel pour désigner les produits de KLS, y compris par KLS elle-même. Elle invoque encore la proximité, au sein des enseignes multimarques, existant entre les produits des deux parties. Elle souligne que le risque de confusion est constitué non seulement par un risque d'erreur du consommateur sur l'origine du produit, mais aussi par une croyance des consommateurs et des professionnels en l'existence d'un partenariat entre les deux parties.

Elle fait également valoir que la société appelante s'est rendue coupable de parasitisme, qu'alors que le succès procuré par les rayures Sonia Rykiel est le résultat d'importants investissements, KLS, qui ne fait état que de faibles dépenses de recherche en ce qui la concerne, a profité de ces investissements sans aucun partenariat et a tiré profit de l'image de marque de Sonia Rykiel, image qu'elle a banalisée.

Sonia Rykiel soutient enfin que son préjudice est important, qu'il consiste d'une part en un gain manqué correspondant à la fois aux redevances que Sonia Rykiel aurait dû percevoir si elle avait autorisé l'usage des " Rayures Multico " par un tiers et aux ventes non réalisées - une partie de la clientèle ayant été détournée sur les produits de la société KLS - d'autre part en une perte liée à la dévalorisation et à la banalisation durable de son image du fait de l'utilisation massive des rayures multico et de leur très large diffusion par KLS, la perte de Sonia Rykiel ayant pour corollaire la croissance exponentielle du chiffre d'affaires de KLS, de l'ordre de 4.000 % sur la période de 2006 à 2011.

Motifs

Considérant que Sonia Rykiel fait grief à KLS d'avoir commis des actes de concurrence déloyale par risque de confusion et par parasitisme en utilisant, sur les modèles qu'elle commercialise, les rayures multicolores des créations de Sonia Rykiel ; que KLS ne saurait dénier à Sonia Rykiel son droit d'agir en l'absence de droit privatif sur les rayures litigieuses, l'action en responsabilité pour concurrence déloyale et agissements parasitaires étant ouverte à ceux qui ne se prévalent d'aucun droit privatif sur une création ;

Sur la concurrence déloyale par risque de confusion

Considérant que Sonia Rykiel commercialise de façon constante, depuis 1963, des vêtements ornés de rayures horizontales de couleurs - vives - différentes, de même largeur, en alternance avec des rayures noires, sous forme de séquences régulières ; que Sonia Rykiel utilise ces rayures, dites " rayures multico ", non seulement dans ses collections de vêtements, mais aussi sur une gamme d'accessoires et d'articles de maison, ainsi que dans le cadre d'événements qu'elle organise ou auxquels elle est associée ; que la déclinaison originale et très caractéristique de couleurs utilisée par Sonia Rykiel est aisément identifiable et mémorisable par le consommateur ; que l'ancienneté et l'utilisation ininterrompue et très large - sans qu'elle soit pour autant systématique - de ces rayures témoignent de la volonté de Sonia Rykiel d'en faire un symbole emblématique de ses produits ;

que les rayures multico présentent ainsi un caractère propre et distinctif qui identifie les produits Sonia Rykiel aux yeux de la clientèle et constituent un élément majeur de l'identité visuelle de cette marque, le fait que les créations Sonia Rykiel comportent d'autres éléments caractéristiques n'enlevant rien à la fonction d'identification des rayures litigieuses ;

Considérant qu'il est par ailleurs constant que KLS, en situation de concurrence avec Sonia Rykiel, utilise, pour une part importante de ses produits, notamment pour sa gamme " Little Marcel ", des rayures formées de bandes horizontales de couleurs vives, alternant avec une bande noire, et déclinées sous forme de séquences régulières, soit un visuel très similaire à celui de Sonia Rykiel ; que, bien plus, les ressemblances portent sur les déclinaisons de couleurs elles-mêmes, ainsi que, comme l'indique Sonia Rykiel sans être contredite par KLS, cela résulte notamment :

- de la succession de bandes horizontales de six couleurs (bleu, vert, rosé, rouge, jaune foncé, jaune clair), placées dans un ordre spécifique et alternant avec une bande noire, sur le modèle de tee shirt " Charlotte MC 122 " proposé par KLS en 2010, agencement semblable à celui mis en œuvre par Sonia Rykiel pour sa collection printemps - été 2005 comprenant des rayures en bandes horizontales des six couleurs vives - bleu, vert, jaune foncé, jaune pâle, rouge, rosé - alternant avec une bande noire ;

- du tee shirt " Charlotte MC 120 " de KLS (2010), assorti de rayures de sept couleurs différentes (bleu, rouge, prune, orange, vert, jaune, marron) en alternance avec une bande noire, alors que, pour sa collection enfant automne - hiver 2007, Sonia Rykiel avait proposé, selon certes une séquence légèrement différente, des modèles (bonnets, collants, pull) ornés de rayures alternant ces sept mêmes couleurs ;

- du pull " Little Marcel " 2011 qui reproduit la même succession de trois rayures jaunes entrecoupées de rayures noires proposée par Sonia Rykiel sur une robe de sa collection de 2006 ;

Considérant que les fortes similitudes des rayures utilisées par KLS - d'ailleurs reconnues par celle-ci lorsqu'elle évoque un " look rykielien " (procès-verbal de constat d'huissier du 3 novembre 2009 - pièce n° 29 communiquée par Sonia Rykiel) - sont de nature à induire en erreur la clientèle sur l'origine des produits concernés, sans que la différence de marque n'exclut le risque de confusion ou de croyance en une association des deux entreprises à la commercialisation des produits en cause ; que ce risque est d'ailleurs accru par la mention, sur certains produits diffusés par KLS, de la marque " Little Marcel' "selon une écriture manuelle de même style celle utilisée par Sonia Rykiel sur ses propres produits ; que c'est, dans ces circonstances, à raison que les premiers juges ont retenu que la confusion ainsi créée caractérise des faits de concurrence déloyale ; que les jugements entrepris seront confirmés sur ce point ;

Sur la concurrence déloyale par parasitisme

Considérant que le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'une entreprise en profitant indûment des investissements consentis ou de sa notoriété ;

Considérant que Sonia Rykiel justifie des investissements importants - entre 4,7 et 8 millions d'euros par an - consentis dans la création de ses modèles entre 2001 et 2012 (pièces n° 120a, 120b, 203 et 292 communiquées par Sonia Rykiel) ; qu'il est indifférent que la part des rayures multico dans les budgets d'investissement et de promotion de la marque ne soit pas individualisée dès lors que la définition du motif ornemental et des couleurs s'inscrit à l'évidence dans l'activité de création ; que les rayures Sonia Rykiel contribuent, par leur caractère identifiant depuis près de 50 ans, à la notoriété de la marque ; qu'elles ont nécessairement une valeur économique ;

Considérant qu'il résulte de la procédure que KLS :

- ne justifie pas avoir procédé à un investissement propre pour la mise au point de ses propres rayures, KLS ne faisant état, pour la période débutant en 2006 - année à compter de laquelle elle a développé ses rayures multicolores - d'aucun d'investissement de 2006 à 2008 en matière de création, recherche et développement, et ne mentionnant, au titre des années 2009 et 2010, que des dépenses hors de proportion avec celles de Sonia Rykiel (301 790,00 euros en 2009, 143 528,00 euros en 2010) ;

- a amplement profité de l'usage de plus en plus massif des rayures multicolores, ainsi que l'établit la progression de son chiffre d'affaires, en augmentation de près de 300 % de 2005 à 2006 et de 100 % de 2006 à 2007, pour atteindre en 2011 un niveau égal à dix fois celui de 2006 ;

- a suivi les innovations de sa concurrente, ainsi que cela ressort de l'utilisation, par KLS, des variations chromatiques des rayures multico de collections plus anciennes de Sonia Rykiel (pages 80 et 81des conclusions de Sonia Rykiel) ;

Qu'il s'en déduit que KLS s'est immiscée dans le sillage de Sonia Rykiel, tant dans le principe des rayures multicolores que dans leur assemblage et leurs variations, en profitant indûment des investissements consentis ou de sa notoriété ; que c'est en conséquence à raison que les premiers juges ont retenu des faits de parasitisme à l'encontre de KLS ; que les jugements entrepris seront confirmés sur ce point ;

Sur la réparation du préjudice

Considérant que Sonia Rykiel réclame la réparation de son préjudice au titre d'une part du gain manqué calculé au regard des redevances qu'elle aurait dû percevoir de KLS, d'autre part de la perte subie constituée par la dévalorisation et la banalisation de son image de marque ;

Considérant, sur le gain manqué, que Sonia Rykiel ne saurait se prévaloir d'une convention de licence "qui aurait pu être conclue avec KLS" ; qu'aucune convention n'a en effet été ni signée, ni même envisagée ; que Sonia Rykiel ne démontre pas l'existence d'une probabilité de l'autorisation invoquée, alors qu'elle souligne les risques qu'il y a à consentir " permissivement et massivement des licences pour écouler et diversifier ses produits " et qu'elle dénonce comme dévalorisante l'utilisation des multico par KLS ; qu'elle sera déboutée de sa demande de ce chef ;

Considérant, sur la perte d'image, qu'il est constant que KLS a diffusé massivement les rayures multico sur des produits vendus à des prix très inférieurs à ceux de Sonia Rykiel ; que les agissements de KLS ont eu pour effet d'altérer la singularité, le caractère exclusif et les valeurs de luxe et de prestige véhiculées par Sonia Rykiel, acteur reconnu de l'industrie de la mode et du luxe ; que cette dernière est, dans ces conditions, fondée à être indemnisée au titre de la dévalorisation de son image par la banalisation des rayures multico ; que les premiers juges ont fait une exacte appréciation des éléments de la cause en allouant à Sonia Rykiel les sommes de 250 000,00 euros et 300 000,00 euros de dommages et intérêts ; que les jugement déférés seront confirmés sur ce point ;

Considérant qu'il convient de faire droit aux demandes de Sonia Rykiel tendant à la publication du présent arrêt sur le site internet de KLS et sur celui de Sonia Rykiel selon les modalités prévues au dispositif ; que les jugement entrepris seront réformés en ce sens ; qu'ils seront confirmés en ce qu'ils ont débouté Sonia Rykiel de ses demandes tendant à interdire de fabriquer, faire fabriquer, promouvoir et diffuser les modèles incriminés et ordonner la confiscation et la destruction de ces modèles, le préjudice étant suffisamment réparé par les dommages et intérêts alloués et par les mesures de publication autorisées ;

Considérant que les jugements seront également confirmés en ce qu'ils ont rejeté les demandes reconventionnelles de KLS qui succombe ; que l'équité commande de condamner cette dernière à payer à Sonia Rykiel la somme de 20 000,00 euros au titre des frais hors dépens exposés en cause d'appel ;

Par ces motifs : La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme les jugements entrepris, sauf sur les mesures de publication, Statuant à nouveau de ce chef, Ordonne la publication de l'arrêt à intervenir dans son intégralité ou par extraits sur le site internet institutionnel de la SARL KLS de façon visible et facilement accessible grâce à un lien figurant sur la page d'accueil de ce site pendant trois mois et dans dix journaux ou magazines au choix de la SA Sonia Rykiel Création et Diffusion de Modèles, et ce aux frais avancés de la SARL KLS, le coût de chaque publication ne pouvant excéder la somme de 4 000 euros, Autorise la SA Sonia Rykiel Création et Diffusion de Modèles à publier l'arrêt à intervenir dans son intégralité, ou par extraits sur son site internet, Condamne la SARL KLS à payer à la SA Sonia Rykiel Création et Diffusion de Modèles la somme de 20 000,00 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Condamne la SARL KLS aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.