CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 6 novembre 2014, n° 2013-01128
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
SNCF (Sté), ECR (Sté)
Défendeur :
Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Remenieras
Conseillers :
Mmes Leroy, Luc
Avocats :
Mes Choffel, Salzmann, Brunet, Medina
Par décision n° 08-SO-01 en date du 8 janvier 2008, enregistrée sous le numéro 08-0005 F, le Conseil de la concurrence (le Conseil) s'est saisi d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport ferroviaire de marchandises.
Des opérations de visite et saisie ont eu lieu le 20 novembre 2008 dans les locaux de la société nationale des chemins de fer français (ci-après "SNCF") et des sociétés Voies Ferrées Locales et Industrielles (ci-après "VFLI"), France Wagons (devenue Ermewa Ferroviaire), Société de Gérance de Wagons de grande capacité (ci-après "SGW") et Compagnie de Transport de Céréales (ci-après "CTC").
Le 19 octobre 2009, la société Euro Cargo Rail (ci-après "ECR") a saisi l'Autorité de la concurrence d'une plainte relative à certaines pratiques mises en œuvre dans le secteur ferroviaire.
Cette saisine a été enregistrée sous le numéro 09-0112 F.
Les deux affaires ont été jointes par une décision en date du 3 décembre 2009.
Les saisines ont été communiquées à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ci-après "l'ARAF") le 27 janvier 2011, qui a transmis un avis à l'Autorité de la concurrence (l'Autorité ou l'ADLC) le 23 mars 2011.
La cour se réfère aux développements non contestés (paragraphes 9 à 71) de la décision n° 12-D-25 de l'Autorité de la concurrence déférée à la cour (la décision) sur le secteur concerné du transport ferroviaire de marchandises et sur la réglementation applicable ainsi que sur les entreprises de ce secteur.
Il suffit de rappeler, en synthèse, que le transport ferroviaire de marchandises, également appelé "fret ferroviaire", comprend plusieurs activités :
- le transport massifié de point à point, régulier ou irrégulier (également appelé "train massif") ;
- la messagerie ferroviaire (également appelée "transport par wagon isolé") ;
- les autoroutes ferroviaires ;
- le transport combiné de marchandises, associant au moins un autre mode de transport avec le transport ferroviaire.
La réglementation européenne applicable au secteur du transport ferroviaire s'inscrit dans le cadre général d'une ouverture à la concurrence ayant pour objectif de revitaliser le transport ferroviaire dans son ensemble et, en particulier, de rendre les entreprises ferroviaires plus compétitives.
La directive n° 91-440-CEE du Conseil du 29 juillet 1991 relative au développement de chemins de fer communautaires, ainsi que les deux directives qui l'ont complétée, ont posé les premiers jalons de cette libéralisation sur le territoire de l'Union européenne. Cette directive a été modifiée et complétée par l'adoption successive de directives et de règlements européens regroupés en trois "paquets ferroviaires" en 2001, 2004 et 2007.
Les principaux textes qui régissent le secteur sont, actuellement :
- la directive n° 91-440-CEE modifiée, précitée ;
- la directive n° 95-18-CE du Conseil du 19 juin 1995 concernant les licences des entreprises ferroviaires, modifiée ;
- la directive n° 2001-14-CE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2001 concernant la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire, la tarification de l'infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité, modifiée.
Cette réglementation sectorielle spécifique a posé le cadre général de la libéralisation du secteur, structuré par quatre principes centraux que les États membres doivent respecter :
- l'indépendance de gestion des entreprises ferroviaires à l'égard des États membres ;
- la séparation de la gestion de l'infrastructure ferroviaire et de l'exploitation des services de transport des entreprises ferroviaires ;
- l'assainissement de la structure financière des entreprises ferroviaires ;
- la garantie de droits d'accès aux réseaux ferroviaires des États membres pour les entreprises ferroviaires détentrices d'une licence conformément à la législation communautaire applicable.
Aux termes de cette réglementation, l'ouverture à la concurrence des services de transport ferroviaire de marchandises devait être effective, au plus tard, le 1er janvier 2006 pour les services internationaux à l'intérieur de l'Union européenne, et le 1er janvier 2007 pour les services purement nationaux (article 10 de la directive n° 91-440-CEE modifiée, précitée).
Concernant la réglementation française, désormais codifiée dans le Code des transports, il est rappelé que le transport ferroviaire est organisé par la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs, dite "LOTI" qui a été modifiée et complétée à plusieurs reprises, notamment pour être mise en conformité avec les textes européens précités plus haut. Elle a ainsi été modifiée par :
- la loi n° 97-135 du 13 février 1997 portant création de l'établissement public "Réseau ferré de France" en vue du renouveau du transport ferroviaire, qui a séparé les activités de gestionnaire de l'infrastructure ferroviaire pour les confier à Réseau ferré de France (RFF) de celles de transporteur ferroviaire exercées par la SNCF ;
- la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports, qui a créé l'Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF), chargé de délivrer les autorisations requises pour l'exercice des activités ferroviaires et d'en assurer le suivi et le contrôle ;
- la loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports, dite "ORTF", qui a instauré l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), chargée de concourir au bon fonctionnement du service public et des activités concurrentielles de transport ferroviaire, au bénéfice des usagers et clients des services de transport ferroviaire.
Ce cadre législatif est complété par des décrets et, en particulier, par le décret n° 2003-194 du 7 mars 2003 relatif à l'utilisation du réseau ferré national, modifié, en dernier lieu, par le décret n° 2012-70 du 20 janvier 2012 relatif aux gares de voyageurs et aux autres infrastructures de services du réseau ferroviaire.
Il est précisé qu'en France, l'ouverture à la concurrence des services nationaux de transport ferroviaire de marchandises a eu lieu le 31 mars 2006.
Concernant l'exercice de l'activité d'entreprise ferroviaire, il suffit de rappeler que, pour circuler sur le réseau ferroviaire français, les entreprises doivent être titulaires d'une licence d'entreprise ferroviaire, d'une part, et d'un certificat de sécurité, d'autre part.
De plus, elles doivent, au cas par cas, pour chaque opération de transport ferroviaire se voir autorisées à accéder au réseau ferroviaire en obtenant des sillons, c'est-à-dire la capacité d'infrastructure requise pour faire circuler un train donné d'un point à un autre à un moment donné.
La gestion du réseau ferroviaire appartient à RFF, qui a la qualité de gestionnaire d'infrastructure (ci-après "GI") et attribue, sans discrimination, les sillons aux entreprises ferroviaires qui formulent des demandes en ce sens.
L'activité d'entreprise ferroviaire est, par ailleurs, surveillée et contrôlée par une autorité de régulation, l'ARAF.
Enfin, concernant les entreprises ferroviaires, il est rappelé que la SNCF, opérateur ferroviaire historique, est un établissement public industriel et commercial (Epic) national. Elle a pour objet l'exploitation de services de transport ferroviaire, ainsi que certaines missions de gestion de l'infrastructure ferroviaire dont elle a la propriété.
La SNCF est également gestionnaire d'infrastructure déléguée (ci-après "GID") et réalise, en cette qualité, la gestion du trafic et des circulations sur le réseau ferré national ainsi que le fonctionnement et l'entretien des installations techniques et de sécurité de ce réseau pour le compte et selon les objectifs et principes de gestion définis par Réseau ferré de France qui la rémunère à cet effet.
La SNCF est, en outre, habilitée à exercer des activités qui se rattachent directement ou indirectement à son domaine d'activité principal. A cet effet, elle peut créer des filiales ou prendre des participations dans des sociétés, groupements ou organismes ayant un objet connexe ou complémentaire du sien.
Le groupe SNCF se présente en cinq branches d'activités correspondant, chacune, à une division de l'Epic SNCF, d'une part, et à des sociétés dont la SNCF détient tout ou partie du capital via SNCF Participations, d'autre part :
- la branche SNCF Infra ;
- la branche SNCF Proximités ;
- la branche SNCF Voyages ;
- la branche SNCF Geodis ;
- la branche Gares & Connexions.
Dans la présente affaire sont en cause, d'une part, la branche SNCF Infra, de laquelle relève la DCF qui assure la gestion, l'exploitation et la maintenance de la partie du réseau ferré dévolue à la SNCF, notamment, dans le cadre de la convention qui lie la SNCF à RFF en tant que GID et, d'autre part, la branche SNCF Geodis (anciennement dénommée branche Fret), qui regroupe les activités de transport de marchandises et de logistique du groupe SNCF.
Cette branche d'activité se compose d'une partie de l'Epic SNCF en lui-même, la division Fret SNCF qui est l'opérateur historique de fret ferroviaire en France, et de filiales de l'Epic SNCF dont il détient l'intégralité du capital, directement ou indirectement, par le biais de la holding SNCF Participations.
Concernant les autres entreprises ferroviaires, il sera seulement mentionné que Euro Cargo Rail (ECR), créée en 2005, est une filiale de DB Schenker Rail, opérateur de fret ferroviaire au Royaume-Uni, qui depuis novembre 2007 appartient à l'opérateur historique allemand Deutsche Bahn.
Active sur le marché français depuis octobre 2005, ECR est une entreprise ferroviaire à vocation généraliste, qui opère des trains de marchandises conventionnels et de transport combiné. Elle est, à l'heure actuelle, le principal concurrent de la SNCF dans le secteur du fret ferroviaire. Cette entreprise a réalisé un chiffre d'affaires d'environ 109,5 millions d'euros en 2010.
Concernant enfin les chargeurs, clients finaux des entreprises ferroviaires, qui assurent pour eux des services de transport ferroviaire de marchandises et dont les principaux sont les industriels de la chimie, de la sidérurgie, du secteur automobile, les carrières et les fabricants de produits de grande consommation, il suffit de rappeler que les chargeurs faisant appel à des services de transport ferroviaire de marchandises dits "conventionnels" en cause au cas d'espèce (par opposition aux services de transport combiné de marchandises) soit disposent d'un accès à des installations terminales embranchées ("ITE"), c'est-à-dire reliées au réseau ferré national, leur permettant d'accueillir les trains et les décharger dans leurs locaux, soit acheminent les marchandises par camions vers leurs sites de production depuis l'ITE appartenant à RFF ou à la SNCF.
Les clients ayant un volume très important de marchandises à faire transporter utilisent le plus souvent les services de train massif, c'est-à-dire uniquement composés de leurs propres marchandises (par opposition aux services de wagons isolés).
Au regard des constatations opérées au cours de l'instruction qui ont révélé l'existence de pratiques d'abus de position dominante prohibées par les articles 102 TFUE et L. 420-2 du Code de commerce, par lettre en date du 28 juillet 2011, la rapporteure générale a notifié treize griefs, soit retenus et imputés à l'encontre de l'Epic SNCF (grief n° 2), soit retenus à l'encontre de Fret SNCF et imputés à l'Epic SNCF (griefs n° 3, n° 4, n° 8, n° 10).
Seuls cinq griefs sont désormais en cause dans le cadre du présent recours, soit :
- grief n° 2 : "Une pratique d'abus de position dominante de la SNCF en tant que GID sur le marché de l'accès à l'infrastructure consistant en la transmission d'informations confidentielles à sa branche Fret entre avril 2006 et septembre 2008." ;
- grief n° 3 : "Une pratique d'abus de position dominante de Fret SNCF sur le marché de l'accès à l'infrastructure consistant en une surréservation de capacités et une non-restitution des sillons qu'elle n'utilise pas aux fins de limiter l'accès de ses concurrents à cette ressource pendant la période allant de janvier 2006 à février 2009 ".
- grief n° 4 : "Une pratique d'abus de position dominante de Fret SNCF, pendant la période allant du 31 mars 2006 à nos jours, sur le marché des cours de marchandises dites CM4 consistant en une publication tardive et incomplète des cours de marchandises dans le DRR" ;
- grief n° 8 : "Une pratique d'abus de position dominante de Fret SNCF consistant à sur-réserver des wagons de type EX spécialisés dans le transport de granulat pendant une période allant de mai 2006 à février 2008, afin de limiter l'accès de ses concurrents à cette ressource et de retarder ainsi leur entrée sur le marché des services ferroviaires offerts aux chargeurs" ;
- grief n° 10 : "Une pratique d'abus de position dominante de Fret SNCF sur le marché des services ferroviaires de train massif consistant en la mise en œuvre des prix d'éviction ne couvrant pas ses coûts totaux et ayant pour effet de fausser le jeu de la concurrence par d'autres moyens que la concurrence par les mérites, pendant la période allant du 31 mars 2006 à nos jours".
Par décision n° 12-D-25 du 18 décembre 2012, l'Autorité de la concurrence a décidé :
"Article 1er : Il est établi que l'Epic SNCF a enfreint les dispositions de l'article 102 du TFUE et de l'article L. 420-2 du Code de commerce en utilisant à son profit, sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif, les informations confidentielles dont elle disposait aux fins exclusives de la gestion de l'accès à l'infrastructure ferroviaire française dont elle avait la charge en tant que GID.
Article 2 : Il est établi que l'Epic SNCF a enfreint les dispositions de l'article 102 du TFUE et de l'article L. 420-2 du Code de commerce en publiant de façon tardive et incomplète la liste des cours de marchandises dont elle est propriétaire dans le document de référence du réseau.
Article 3 : Il est établi que l'Epic SNCF a enfreint les dispositions de l'article 102 du TFUE et de l'article L. 420-2 du Code de commerce en rendant indisponibles, de façon massive et injustifiée, des sillons ferroviaires indispensables au développement des autres entreprises ferroviaires sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif.
Article 4 : Il est établi que l'Epic SNCF a enfreint les dispositions de l'article 102 du TFUE et de l'article L. 420-2 du Code de commerce en rendant indisponibles des wagons EX indispensables au développement des autres entreprises ferroviaires sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif.
Article 5 : Il est établi que l'Epic SNCF a enfreint les dispositions de l'article 102 du TFUE et de l'article L. 420-2 du Code de commerce en pratiquant des prix d'éviction sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif. (...)
Article 7 : Est infligée à l'Epic SNCF, au titre des pratiques visées aux articles 1er, 2, 3 et 4 une sanction pécuniaire de 60 966 000 euros.
Article 8 : Il est enjoint à l'Epic SNCF, au titre des pratiques visées à l'article 5, de se conformer, en tous points, aux injonctions ordonnées au paragraphe 779 de la présente décision.
Il est rappelé que les injonctions ordonnées au paragraphe 779 de la décision consistaient :
- à mettre en place, dans un délai de dix-huit mois à compter de la notification de la décision de l'ADLC, une comptabilité analytique séparée pour son activité de fret ferroviaire par train massif, d'une part, et pour son activité de fret ferroviaire par wagon isolé, d'autre part ;
- à établir, dans un délai de dix-huit mois à compter de la notification de la décision, un rapport d'étape identifiant le montant des coûts qui pourraient être évités à horizon de trois ans dans l'hypothèse d'un abandon de l'activité de train massif, et justifiant les conclusions relatives aux différentes catégories de coûts évitables par des éléments précis s'appuyant sur des données d'exploitation effective actualisées, ce rapport devant permettre de vérifier les progrès réalisés en vue de garantir la mise en œuvre de l'injonction ;
- à garantir, dans un délai de trois ans à compter de la notification de la décision de l'ADLC, que les prix des services de train massif qu'elle offre aux chargeurs couvrent les coûts moyens évitables à horizon de trois ans relatifs à l'activité de fret ferroviaire par train massif, un rapport attestant de la couverture de ces coûts évitables, répondant aux mêmes exigences que le rapport d'étape, devant également être remis à l'Autorité à cette échéance.
Enfin, l'Autorité de la concurrence a ordonné la publication aux frais de la SNCF d'un résumé de sa décision dans les éditions des journaux "Les Echos" et "La vie du rail".
LA COUR :
Vu le recours en annulation et subsidiairement en réformation, déposé le 18 janvier 2013 par la SNCF ;
Vu le mémoire comprenant l'exposé des moyens présentés au soutien du recours, déposé le 21 février 2013 par la SNCF,
Vu le mémoire complémentaire de la SNCF, déposé le 30 janvier 2014;
Vu les observations complémentaires de la SNCF, déposées le 18 mars 2014 ;
Vu la déclaration d'intervention de la société Euro Cargo Rail, déposée le 21 février 2013 ;
Vu les observations récapitulatives en réplique de la société Euro Cargo Rail, déposées le 30 janvier 2014 ;
Vu les observations complémentaires de la société Euro Cargo Rail, déposées le 16 avril 2014 ;
Vu les observations de l'Autorité de la concurrence, déposées au greffe de la cour le 28 novembre 2013 ;
Vu les observations du ministre de l'économie et des finances, déposées au greffe de la cour le 28 novembre 2013 ;
Vu les observations écrites du ministère public, mises à la disposition des parties ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 22 mai 2014, les conseils de la SNCF, qui ont été mis en mesure de répliquer, ainsi que le conseil de la société Euro Cargo Rail, le représentant de l'Autorité de la concurrence et le représentant du ministre de l'économie et des finances et le ministère public ;
SUR CE,
Sur l'application du droit de l'Union
Considérant que la cour - qui renvoie en tant que de besoin aux développements non critiqués de la décision consacrés à l'application du droit de l'Union - constate que, pas plus que devant l'Autorité, la SNCF ne conteste que les pratiques en cause sont susceptibles d'affecter sensiblement le commerce entre États membres et qu'elles doivent, par conséquent, être analysées au regard des règles de concurrence tant internes que de l'Union ;
Sur les marchés pertinents et la position de la SNCF sur ces marchés
Considérant qu'il n'est, ni contesté, ni contestable, que l'analyse des pratiques en cause au regard des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du Code de commerce nécessite, au préalable, de définir les marchés pertinents et de déterminer la position de la SNCF sur ces différents marchés ;
Que, sur les principes applicables, l'Autorité a utilement rappelé :
- que, dans sa communication n° 97-C 372-03 du 9 décembre 1997 sur la définition du marché en cause, la Commission européenne a rappelé que le marché de produits "comprend tous les produits et-ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l'usage auquel ils sont destinés" (JOCE C 372 du 9 décembre 1997, p. 5, point 7) ;
- que le marché géographique, quant à lui, comprend "le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l'offre des biens et des services en cause, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué de zones géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable" (communication n° 97-C 372-03 précitée, point 8) ;
Considérant qu'en l'espèce, l'Autorité :
- a retenu, d'une part, que le marché de produits doit être défini comme étant le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif (paragraphe 331) et, d'autre part, que le marché géographique était le marché français (paragraphes 332 et 333) ;
- a constaté (paragraphes 334 à 340) qu'au regard notamment de ses parts de marchés, la SNCF occupe une position dominante sur le marché ainsi défini ;
- a décidé que chaque cour de marchandises reliée à une installation terminale embranchée - ITE constitue un marché pertinent et que la SNCF, qui dispose d'environ 1 000 cours de marchandises sur 1 400 cours existantes détient une position dominante sur chacune de ces cours ;
En ce qui concerne le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif :
Considérant que la SNCF maintient, devant la cour, que la définition du marché pertinent ne peut se limiter au seul transport ferroviaire de marchandises par train massif, en excluant ainsi la très forte concurrence du transport routier de marchandises, et qu'il y a lieu d'élargir le marché de produits au transport routier ;
Que la requérante soutient, tout d'abord, qu'une analyse objective des conditions de fonctionnement du transport terrestre de marchandises doit conduire à retenir le rail et la route au sein d'un même marché pertinent, dès lors qu'il existe une concurrence intermodale pour le transport de fret par rail et par nature ; qu'en particulier, dans le cadre général du déclin du rail au profit de la route la Commission :
- a déjà mis en lumière une substituabilité sur moyenne et longue distance entre le rail et la route dans une décision n° N. 386 du 2 mars 2005, dans laquelle elle insistait également sur la "très forte pression sur les prix" exercée par les entreprises du secteur routier sur les entreprises ferroviaires et constatait, en outre, l'érosion continue du fret ferroviaire au profit du transport ;
- a relevé aussi dans ses Lignes directrices communautaires sur les aides d'Etat aux entreprises ferroviaires du 22 juillet 2008 (considérant n° 3) "un transfert du trafic du rail vers les autres modes de transport, et principalement vers la route" ;
Que la SNCF affirme encore que la définition du marché pertinent retenue par l'Autorité est contredite par la constatation des pertes subies par Fret SNCF avant même l'ouverture à la concurrence, qui illustre cette pression concurrentielle de la route, que l'Autorité aurait dû ainsi prendre en considération ; que la SNCF souligne que l'Autorité était d'autant plus tenue de le faire qu'elle a elle-même souligné que, du fait de cette situation, il n'existait pas de logique de prédation de la part de la SNCF à l'encontre des nouveaux entrants et précise encore que Fret SNCF n'a pas tiré profit de sa position monopolistique pour augmenter ses prix et résorber ses déficits avant l'ouverture du marché à la concurrence, dans la mesure où il existait déjà une pression concurrentielle forte de l'activité de transport routier de marchandises sur l'activité de fret ferroviaire ;
Que la requérante précise aussi que la position de l'Autorité sur l'absence de substituabilité entre le rail et la route est en contradiction avec le fait qu'elle reconnaît à plusieurs reprises l'existence d'une pression concurrentielle ainsi qu'avec les positions adoptées par des concurrents de la SNCF ou des chargeurs dans le cadre de l'instruction, qui font état d'un arbitrage effectif entre les modes routiers et ferroviaires et l'intérêt qu'ils y trouvent ;
Qu'enfin, la SNCF critique l'application faite au cas d'espèce par l'Autorité du test du monopoleur hypothétique, en faisant valoir :
- que l'utilisation, par l'Autorité, des données figurant dans le rapport interne intitulé "Pertinence du fret ferroviaire" daté d'avril-mai 2009 - rapport Bain - comportant des comparaisons de coûts du fret routier et du fret ferroviaire qui a été saisi dans ses locaux est contestable ;
- que le parti pris de l'Autorité de prendre en compte, pour la définition du marché, des coûts des concurrents de Fret SNCF et non de ceux de la SNCF, pour mettre en œuvre ce test est en contradiction avec le raisonnement adopté pour analyser la pratique de prix d'éviction au titre du grief n° 10 : il est en effet incohérent de prétendre que Fret SNCF tarifie ses services à un niveau trop bas et que ses prix ont un effet d'éviction sur ses concurrents, tout en considérant que les prix concurrents pour le test du monopoleur hypothétique seraient de 15 à 30 % plus bas que les prix d'éviction pratiqués par Fret SNCF ;
- que cela revient en effet à dire que les prix pratiqués par la SNCF seraient à la fois trop élevés supra-concurrentiels- pour servir de référence à la réalisation du test du monopoleur hypothétique et la définition du marché pertinent mais seraient trop bas lorsqu'il s'agit d'analyser un risque de pratique d'éviction sur le seul marché du transport ferroviaire par train massif ;
- qu'alors que l'Autorité rappelle elle-même que la position dominante est "une situation dans laquelle une entreprise est susceptible de s'abstraire des conditions du marché et d'agir librement, sans tenir compte du comportement et de la réaction de ses concurrents", telle n'est pas sa situation puisqu'elle se trouve contrainte, dans la détermination de sa politique commerciale, de prendre en compte, tant le comportement des acteurs du transport routier que, depuis l'ouverture du marché, le comportement des autres entreprises ferroviaires, alors que la décision s'en tient au seul indice de la part de marché, qui ne suffit pas, seul, à caractériser une position dominante ;
Considérant qu'alors que, devant l'Autorité, la SNCF avait soutenu que la pression concurrentielle significative que le fret routier exerce sur le fret ferroviaire était attestée notamment par les élasticités-prix croisées élevées entre ces deux modes de transport, liée au fait que la plupart des services de transport ferroviaire pourraient techniquement être pris en charge par la route et que les chargeurs mettraient les deux modes de transport en concurrence en comparant les offres de l'un et de l'autre, l'Autorité avait alors apprécié la délimitation du marché au regard du test du monopoleur hypothétique ;
Considérant qu'ainsi que le rappelle l'Autorité dans ses observations déposées devant la cour, il n'est pas contesté :
- que ce test, qui permet d'apprécier la substituabilité entre différents produits ou services, constitue l'un des fondements théoriques pertinents pour la définition du marché (communication de la Commission sur la définition du marché en cause, 9 décembre 1997, points 15 et suivants ; Tribunal, 7 mai 2009, Nederlandse Vakbond Varkenshouders (NVV), T-151-05, point 122) ;
- qu'il s'agit d'une approche quantitative qui peut utilement compléter l'approche qualitative ou descriptive lorsque des données suffisamment fiables sont disponibles ;
Considérant qu'il est acquis (paragraphe 314 de la décision et point 78 des observations de l'Autorité) que ce test consiste à évaluer si une augmentation faible, mais significative et non transitoire, du prix d'un bien ou d'un service au-delà du niveau concurrentiel serait profitable pour un offreur supposé en monopole sur ce service, compte tenu de la baisse de demande résultant de l'augmentation du prix ;
Que, dans ses observations, l'Autorité explique encore sans qu'il soit non plus sérieusement contesté :
- que le test consiste à identifier le plus petit ensemble de produits ou de services pour lequel un monopoleur hypothétique pourrait appliquer, de façon profitable, une hausse de prix limitée mais significative et durable ;
- que la question posée est de savoir, du côté de la demande, si les clients se tourneraient vers des produits de substitution facilement accessibles en cas d'augmentation de 5 % à 10 % des prix des produits considérés et, du côté de l'offre, si de nouveaux entrants intégreraient le marché ;
- que si la substitution suffit, en raison du recul des ventes qui en découlerait pour le monopoleur, à ôter tout intérêt à une augmentation des prix, les produits de substitution sont intégrés dans le marché en cause ;
- que, pour appliquer ce test, il n'est pas approprié de partir du prix observé : il faut partir d'une situation concurrentielle, donc d'un prix proche du coût d'un opérateur efficace ;
Considérant que la décision de l'Autorité relève, tout d'abord, que , selon le rapport "Pertinence du fret ferroviaire" daté d'avril-mai 2009 et saisi dans les locaux de la SNCF, les nouveaux entrants ont un coût complet de 15 à 30 % inférieur à celui de Fret SNCF et que ce rapport indique, par ailleurs, qu'en ce qui concerne le train massif régulier, 100 % des trafics sont compétitifs par rapport à la route, sur la base des coûts de Fret SNCF ;
Considérant que l'Autorité en conclut que, dans ces conditions, il est peu probable qu'un opérateur efficace pratiquant des tarifs alignés sur des coûts plus faibles de 15 à 30 % ait à craindre un report des trafics vers la route en cas de hausse de prix de 5 à 10 % ;
Considérant qu'en ce qui concerne le train massif irrégulier, la décision souligne que ce même rapport compare, dans un tableau, les coûts du fret routier et du fret ferroviaire pour différentes catégories de trafics et que ces données permettent de déterminer la proportion de clients d'un monopole efficace (alignant ses tarifs sur des coûts de 15 à 30 % inférieurs à ceux de Fret SNCF) qui passeraient au mode routier suite à une hausse de prix de 5 à 10 %, dans l'hypothèse où le prix serait le seul critère pris en compte ;
Considérant que l'Autorité relève :
- que, dans cette hypothèse, on constate que, sur 75 % des trafics (en tonnes kilomètres) de train massif irrégulier, le mode ferroviaire resterait moins cher que la route à la suite d'une hausse de prix de 5 à 10 % ; qu'en réalité, compte tenu du fait que certains trafics ne peuvent techniquement pas être transférés vers la route, d'une part, et que les coûts liés au changement d'opérateur pourraient dissuader certains chargeurs d'opter pour le fret routier, d'autre part, la proportion de trafics perdus serait très probablement sensiblement inférieure à 25 % ;
- qu'à supposer que, suite à une hausse du prix du fret ferroviaire de 5 à 10 % (au-dessus d'un niveau de référence proche du coût d'un concurrent efficace), 25 % des trafics de train massif irrégulier et aucun des trafics de train massif régulier soient redirigés vers la route, les opérateurs de fret ferroviaire ne perdraient que 15 % des trafics par train massif ;
- que, par conséquent, la perte de volumes liée à cette hausse de prix serait faible, et la baisse de profit en résultant compte tenu du taux de marge de l'activité serait compensée par l'augmentation des recettes sur les clients fidèles au mode ferroviaire (à titre d'illustration, selon les calculs de l'étude économique de la SNCF , pour le train massif, le taux de marge sur coûts évitables à court terme était, respectivement, 16 %, 11 % et 4 % en 2007, 2008 et 2009);
- que, par conséquent, ce monopole hypothétique pourrait, de façon profitable, augmenter ses prix de 5 à 10 % au-dessus du niveau concurrentiel, ce qui confirme que l'activité de fret ferroviaire par train massif doit être considérée comme un marché pertinent ;
Considérant que s'il est vrai que le rapport qui a été utilisé par l'Autorité dans le cadre de la mise en œuvre du test constitue un outil interne de réflexion qui ne repose pas sur un test économique, il n'en demeure pas moins que ce document comporte des données économiques objectives, dont la requérante n'a pas contesté l'authenticité, qu'il était loisible à l'Autorité d'exploiter en tant que telles ;
Considérant, par ailleurs, que la SNCF n'est pas fondée à invoquer le fait que la structure de ses coûts aurait dû être prise en compte, dès lors qu'il vient d'être précisé et qu'il n'est de toute façon pas utilement contesté que, pour appliquer le test du monopoleur hypothétique, il convient de partir d'une situation concurrentielle, donc du prix proche du coût d'un opérateur efficace ;
Considérant, dès lors, qu'au regard de cette donnée, l'Autorité est, dans ses observations, fondée à opposer à la requérante :
- que si le test était mené à partir d'un prix supra-concurrentiel, il conduirait à tort à élargir le marché pertinent ;
- qu'il ressort du rapport en cause que les coûts de la SNCF sont précisément de 15 à 30 % supérieurs à ceux des autres opérateurs présents sur le marché ;
- que c'est donc en se fondant sur des coûts inférieurs de 15 à 30 % à ceux de Fret SNCF et correspondant à ceux d'un opérateur efficace qu'il convient de fixer le prix de référence pour l'application du test du monopoleur hypothétique ;
Considérant, enfin, sur la mise en œuvre proprement dite du test en question, que, contrairement à ce qui est soutenu, les constatations concernant les prix de référence correspondant à une situation concurrentielle auxquelles l'Autorité a procédé pour déterminer le marché pertinent ne lui interdisaient pas, dans le cadre distinct de l'examen du bien- fondé du grief n° 10, qui fera l'objet de développements ultérieurs, de s'interroger sur la pratique de prix d'éviction ne couvrant pas ses coûts totaux présentés par le grief comme ayant pour effet de fausser le jeu de la concurrence ;
Considérant, dès lors, que la SNCF ne démontre pas que l'Autorité a mis en œuvre le test du monopoleur hypothétique dans des conditions ne permettant pas de parvenir à une telle conclusion sur la délimitation du marché pertinent ;
Considérant que ce n'est qu'au surplus que la cour relève que la SNCF n'a pas utilement contesté les appréciations complémentaires de l'Autorité - paragraphes 323 à 327 de la décision - confortant ses constatations sur la détermination du marché pertinent et dont il résulte :
- que, du point de vue de l'offre, le transport ferroviaire de marchandises par train massif et le transport routier présentent des organisations différentes : les services de transport routier sont plus flexibles en raison, notamment, de l'absence de contrainte liée à l'obtention de sillons et ils fonctionnent, par ailleurs, sur la base de contrats d'une durée plus courte, les contrats de transport ferroviaire par train massif ayant fréquemment une durée de 3 à 5 ans ;
- que les conditions pour accéder aux professions d'entreprise ferroviaire et de transporteur routier sont également différentes, les barrières, notamment réglementaires, étant beaucoup plus élevées pour la première que pour la seconde ;
- que du point de vue de la demande, certains chargeurs ne disposent pas d'infrastructures logistiques adaptées au basculement de leurs marchandises du train vers la route : en effet, les chargeurs ne disposent pas nécessairement d'installations permettant d'accueillir 40 camions (quantité équivalente à un train d'une vingtaine de wagons) et pour les chargeurs, l'abandon du rail au profit de la route ne pourrait donc pas se faire sans un certain délai nécessaire pour adapter leur organisation et leur logistique ;
- qu'un éventuel report ne pourrait donc être ni immédiat, ni total, et resterait matériellement difficile, également en raison de la nature et des volumes de marchandises transportées ;
Considérant qu'à tout le moins, les documents internes - annexes 14, 15 et 16 de la déclaration de recours - produits pour la première fois devant la cour et pour certains non datés, ne sont pas de nature à remettre en cause les constatations précitées de la décision, dès lors que, ainsi que le fait valoir l'Autorité dans ses observations déposées devant la cour, s'ils permettent d'identifier des possibilités de report vers les autres modes de transport, ils mentionnent aussi des éléments traduisant l'existence d'importantes limites à la substituabilité par le transport routier telles que, notamment :
- le fait que le transport ferroviaire n'est concurrencé que "marginalement" par le transport routier pour les combustibles solides, les produits plats, les tubes et tuyaux ou ne subit aucune concurrence de ce mode de transport pour les minerais et les marchandises très dangereuses, notamment radioactives ;
- le mode ferroviaire dispose "d'un avantage en terme de capacité d'emport par rapport à la route" (annexe 14 de la déclaration de recours de la SNCF, point 4) ce qui le rend peu substituable pour le transport de volumes importants en un temps très court ;
- le transport ferroviaire sera privilégié dans le cas où le site n'est pas équipé d'un poste de chargement routier ;
Considérant que tel est également le cas des déclarations des chargeurs entendus dans le cadre de l'instruction qui sont mises en avant par la requérante dont il résulte que, ainsi que le mentionne à juste titre l'Autorité dans ses observations, si les conséquences financières d'une augmentation tarifaire de 10 % seraient particulièrement lourdes pour certains chargeurs et constitueraient effectivement une incitation à un réexamen du choix du mode de transport, un éventuel report ne pourrait être ni immédiat, ni total, et resterait matériellement très difficile en raison des tonnages et produits concernés, des infrastructures et de la logistique spécifiques dans laquelle il leur faudrait investir et de l'éventuel refus de leurs clients (paragraphes 326 et 327 de la décision) ; qu'au surplus, certains chargeurs l'excluent même totalement pour le train massif, quelles que puissent être les évolutions tarifaires ;
Considérant que les pertes subies par la SNCF dans son activité de fret ferroviaire et que l'entreprise publique déclare imputables pour partie à la concurrence du transport routier, ne constituent pas un élément déterminant pour la définition du marché pertinent ;
Considérant, enfin, que la SNCF n'est pas non plus fondée à se prévaloir de la pratique décisionnelle de la Commission pour affirmer que, contrairement à ce qui a été décidé par l'Autorité, le degré de substituabilité entre ces modes de transport serait tel qu'il nécessiterait de ne retenir, en l'espèce, qu'un seul marché englobant le transport ferroviaire par train massif et le transport routier ;
Que s'il est vrai que, dans la décision précitée rendue en matière d'aide d'Etat (décision de la Commission, 2 mars 2005, n° 386-2004 - aide à la restructuration à Fret SNCF, point 14) évoquant la concurrence entre les modes de transport ferroviaire, terrestre et par voie navigable, la Commission souligne que le mode ferroviaire est "en grande partie substituable sur moyenne et longue distance soit par celui de la route soit par celui des voies navigables", force est de constater, non seulement, que cette décision de la Commission ne se prononce pas sur l'existence d'un marché pertinent pour l'appréciation d'une exploitation abusive de position dominante, mais encore que cette décision ne se prononce pas davantage sur l'existence d'un degré suffisant de substituabilité entre le transport ferroviaire de marchandises par train massif et le transport routier ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
Et considérant que la SNCF ne développe aucun moyen de nature à remettre en cause les appréciations pertinentes de l'Autorité dont il résulte que le marché géographique est le marché français et que l'entreprise publique occupe une position dominante - paragraphes 332 à 340 de la décision - sur le marché considéré ;
En ce qui concerne le marché des cours de marchandises :
Considérant que l'Autorité, qui n'est pas utilement critiquée sur ces points par la SNCF :
- a relevé (paragraphe 341 de la décision) que la pratique décisionnelle des autorités de concurrence et la jurisprudence relatives aux terminaux de transport et en particulier aux infrastructures ferroviaires considère généralement ces dernières comme des facilités essentielles, c'est-à-dire comme des infrastructures, des produits ou des services indispensables ou essentiels pour l'accès au marché pertinent, qui ne sont pas interchangeables et pour lesquels, en raison de leurs caractéristiques particulières et notamment du coût prohibitif de leur reproduction et-ou du temps raisonnable requis à cette fin, il n'existe pas d'alternative viable pour les concurrents potentiels de l'entreprise commune, qui se trouveraient, de ce fait, exclus du marché ;
- a constaté qu'en l'espèce (paragraphes 342 et 343 de la décision), les entreprises ferroviaires doivent charger et décharger leurs marchandises dans des terrains embranchés au réseau ferré national et que les entreprises ferroviaires peuvent ainsi opérer leurs trains :
soit chez le client quand celui-ci dispose d'un terrain embranché et des capacités logistiques nécessaires ;
soit dans une cour de marchandises, qui se compose d'une voie, d'un terrain accolé permettant le déplacement des camions et d'un accès routier ;
- que, lors de la répartition entre RFF et la SNCF, la SNCF s'est vu confier environ 1 000 des 1 400 cours de marchandises ;
- que les entreprises ferroviaires interrogées - ECR et Colas Rail - considèrent que chaque cour de marchandises permet de desservir un client final et que les cours dont dispose la SNCF ne sont substituables à aucune autre ;
Considérant qu'alors que la SNCF avait soutenu que d'autres cours de marchandises étaient substituables aux siennes, notamment celles de RFF dont les coûts d'accès sont moins élevés, l'Autorité a écarté de telles objections en se fondant sur les déclarations des autres entreprises ferroviaires (paragraphes 346 et 347 de la décision) et finalement décidé :
- que, sauf exception particulière, et dans tous les cas lorsque la cour de marchandises est reliée à une ITE, chaque cour est un marché pertinent ;
- que la SNCF dispose d'environ 1 000 cours des 1 400 cours de marchandises existantes, les autres étant détenues par RFF ;
- que toutes les cours de marchandises en cause en l'espèce appartenaient à la SNCF à l'époque des faits ;
- que la SNCF détient donc une position dominante sur chacune de ces cours ;
Considérant qu'au soutien de son recours, la SNCF fait valoir que la décision déférée est entachée d'une contradiction de raisonnement, dès lors que l'Autorité ne peut pas constater l'existence d'un "marché des cours de marchandises", si chacune de ces infrastructures constitue un marché en soi ;
que la requérante précise, qu'en outre, la définition du marché et la qualification de la position de la SNCF sur ce marché sont critiquables, dès lors :
- que la décision reconnaissant que les cours de marchandises de la SNCF ne sont pas toujours des infrastructures essentielles ("sauf exception particulière"), l'Autorité ne pouvait se dispenser d'une analyse concrète des cours en question alors qu'elle prétend avoir démontré, à l'aide d'un tableau comportant des éléments de comparaison chiffrés, que les cours de marchandises évoquées connaissaient toutes une cour de marchandises substituable appartenant à RFF ;
- que pour contester son objection tirée de la substituabilité, l'Autorité a limité sa motivation aux réponses données au cours de l'instruction par deux entreprises ferroviaires seulement dont elle conteste la pertinence ;
- qu'ainsi, l'Autorité n'a pas démontré à suffisance de droit l'existence d'une position dominante de la SNCF sur un "marché des cours de marchandises", pas plus que sur chacune des cours de marchandises qui ont été étudiées durant l'instruction et, qu'en conséquence, les pratiques reprochées à la SNCF sont intervenues sur un marché non dominé ce qui, pour permettre la constatation d'une infraction imputable à la SNCF, nécessitait la démonstration par l'Autorité d'un lien de connexité particulier entre le marché non dominé des cours de marchandises et le marché dominé du train massif, à le supposer constitutif d'un marché pertinent ;
- que, cependant, cette démonstration, qui n'est pas proposée par l'Autorité, serait de toute façon impossible au vu du caractère marginal de l'utilisation des cours de marchandises pour la réalisation de transports ferroviaires par train massif ;
- que l'utilisation par la SNCF de ses cours de marchandises ne concerne ainsi que 3 % de ses propres trafics alors que les nouveaux entrants concentrent leurs trafics sur des liaisons d'ITE à ITE sans recours à des cours de marchandises sauf dans un nombre très limité de cas ;
Considérant, cependant, que les affirmations de la requérante sur le caractère substituable des cours de marchandises sont contredites par les données objectives qui ressortent des déclarations précises et circonstanciées, voire chiffrées, en tout cas concordantes des représentants des autres entreprises ferroviaires qui pourraient utiliser les cours de marchandises et qui, au regard des contestations de la SNCF, doivent être rappelées (paragraphes 346 et 347) :
- "Il n'existe pas de cours substituables. Si un choix avait existé, Colas Rail aurait choisi les voies dépendantes de RFF. (...) Dans tous les cas, Colas Rail a donc pris contact avec le responsable local de RFF. Colas Rail ne s'oriente vers une emprise SNCF que lorsqu'il n'existe pas d'autres solutions.
Colas Rail rappelle que Fret SNCF détient 80 % de part de marché, c'est donc elle qui fait ce marché. De plus, elle possède 90 % des cours de gare intéressantes pour le fret, 100 % des accès pour les pleins et visites de toiture, 100 % des gares voyageurs..." (réponse de Colas Rail du 29 novembre 2011) ;
- "Les cours de marchandises louées par ECR à la SNCF servent principalement au déchargement des granulats. Elles appartiennent à la SNCF pour la simple raison qu'au moment du partage du patrimoine entre la SNCF et RFF, la SNCF a conservé la propriété de ces cours.
Dans la majorité des cas, il n'existe pas de cours qui soient substituables aux cours utilisées par ECR.
En effet, dans la majorité des cas, une cour de marchandises donne accès à une installation terminale embranchée ("ITE") d'un client. Ainsi, si ECR choisissait de décharger les marchandises transportées pour un client dans une autre cour que celle qui donne accès à l'ITE du client, ECR serait alors contrainte d'organiser le transport des marchandises du client par camion depuis la cour de déchargement jusqu'à l'ITE du client. Un tel transport par camion représenterait un coût qui peut être évalué à 1,48 par tonne par tranche de 20 kms entre la cour de déchargement et l'ITE du client, ce qui est un coût très important au regard du prix moyen d'un train qui représente 10 à 14 par tonne. Ainsi, le déchargement dans une autre cour de marchandises que la cour qui donne accès à l'ITE aurait pour conséquence de placer ECR hors marché. Pour que ECR soit rentable, ECR doit donc décharger les marchandises de ses clients dans les cours de marchandises qui donnent accès aux ITE de ses clients" (Réponse d'ECR du 29 novembre 2011 sur les cours de marchandises) ;
Considérant, en outre, que s'il est vrai que les cours de marchandises de la SNCF et de RFF sont situées à une relative proximité - de 0 à 45,1 km selon le tableau produit par la SNCF - cette circonstance ne permet cependant pas de remettre en cause leur caractère non - substituable, dès l'instant que la cour de marchandise de la SNCF considérée est reliée à une ITE ;
Que cette liaison directe avec les terrains appartenant à l'entreprise cliente constitue une caractéristique technique particulière rendant l'infrastructure non substituable dès lors que l'utilisation d'une cour de marchandises appartenant à RFF plutôt qu'une cour de marchandises de la SNCF reliée à une ITE rendrait nécessaire l'organisation d'un transport complémentaire par camion entre la cour de marchandise de RFF et l'ITE du client, ce qui représente une contrainte importante et un surcoût ayant pour effet d'exclure du marché les concurrents potentiels ;
Considérant, au demeurant, qu'alors que la SNCF fait valoir que l'existence d'un surcoût lié à l'utilisation d'une cour de marchandise de RFF en raison d'un transport additionnel par la route, avancé par ECR n'a pas été vérifié et qu'il n'a pas été tenu compte du coût moins élevé de l'utilisation des cours de marchandises de RFF, la cour ne peut que constater sur ce point, comme l'Autorité le fait dans ses observations, que la SNCF n'a pas étayé son argumentation par un élément de chiffrage plus précis que celui fourni par ECR -1,48 euros-t par tranche de 20 km - permettant de l'invalider ;
Que le moyen sera écarté ;
Et considérant que la SNCF ne développe aucun moyen de nature à remettre en cause les appréciations pertinentes de l'Autorité - paragraphes 349 à 351 - dont il résulte que l'entreprise publique occupe une position dominante sur le marché considéré ;
Sur la motivation de la décision
Considérant que la SNCF prétend que, concernant l'analyse du bien fondé des griefs n° 2 et n° 8 la décision déférée est entachée d'un défaut ou d'une insuffisance de motivation qui doit conduire à son annulation par la cour ;
Mais considérant que sous couvert d'un moyen présenté comme relevant de l'appréciation de la régularité de la légalité externe de la décision, SNCF critique, en réalité, le bien-fondé de l'analyse des griefs par l'Autorité , ce qui relève du débat de fond, qui sera abordé dans les développements qui vont suivre ;
Que le moyen sera rejeté ;
Sur le grief n° 2 relatif à l'utilisation d'informations confidentielles en possession de la SNCF En ce qui concerne la compétence de l'Autorité pour apprécier le bien-fondé du grief n° 2 :
Considérant que le Code de commerce dispose :
- en son article L. 410-1 : "Les règles définies au présent livre s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public" ;
- en son article L. 420-2 : "Est prohibée, dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante (...)".
- en son article L. 462-5, que l'Autorité de la concurrence peut être saisie par le ministre chargé de l'économie ou selon le cas par les entreprises de toute pratique mentionnée à l'article L. 420-2 ;
Considérant, sur la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître du contentieux de la concurrence, qu'il est rappelé que, par la décision Aéroports de Paris du 18 octobre 1999, le tribunal des conflits a jugé que ' si dans la mesure où elles effectuent des activités de production, de distribution ou de services les personnes publiques peuvent être sanctionnées par le Conseil de la concurrence agissant sous le contrôle de l'autorité judiciaire, les décisions par lesquelles ces personnes assurent la mission de service public qui leur incombe au moyen de prérogatives de puissance publique, relèvent de la compétence de la juridiction administrative pour en apprécier la légalité et, le cas échéant, pour statuer sur la mise en jeu de la responsabilité encourue par ces personnes publiques (...)" ;
Considérant que le critère retenu par le tribunal des conflits pour déterminer la juridiction compétente étant celui du caractère "détachable" ou non des pratiques en cause à l'égard des actes administratifs, l'Autorité de concurrence est ainsi compétente pour connaître des pratiques susceptibles de constituer un abus de position dominante "détachables de l'appréciation de la légalité d'un acte administratif" ;
Considérant que la SNCF prétend que la pratique d'utilisation d'informations confidentielles (grief n° 2) qui lui est reprochée ne pouvait faire l'objet d'une sanction de la part de l'Autorité, car relevant de la compétence exclusive des juridictions administratives ; qu'en effet, elle concerne sa mission de GID, qui la conduit à prendre des décisions, soumises à l'obligation réglementaire de confidentialité, portant sur l'organisation du service public ferroviaire ou mettant en œuvre des prérogatives de puissance publique, et alors que les pratiques poursuivies sont indissociables de l'organisation même du service public considéré ; que la requérante rappelle ainsi :
- qu'elle participe en tant que GID à l'organisation du service public ferroviaire et que, dans le cadre de la réalisation des "études techniques d'exécution nécessaires à l'instruction des demandes de sillons", elle est précisément amenée, en qualité de GID, à prendre de telles mesures, qui se rapportant à la répartition du trafic sur les infrastructures ferroviaires, constituent des actes d'organisation du service public ferroviaire ; que, même si certaines de ces mesures pourraient être regardées comme de simples actes préparatoires de décisions prises, in fine, par RFF, celles-ci ne s'inscrivent pas moins dans le processus d'organisation du service public ferroviaire et ne sont pas dissociables des décisions finales d'organisation du service public ;
- qu'en sa qualité de GID, elle met en œuvre des prérogatives de puissance publique, dès lors que les missions déléguées à la SNCF dans un tel cadre , et notamment les études techniques d'instruction des demandes de sillon, participent au processus d'allocation et de répartition par RFF des capacités d'infrastructure sur le réseau ferré national et qu'ainsi les pratiques poursuivies, qui résultent d'activités liées à l'accès ou à la répartition d'infrastructures du domaine public, relèvent de la compétence du juge administratif ;
- que, dans un tel cadre, les pratiques sanctionnées au titre du grief n° 2 sont indissociables de l'organisation du service public ferroviaire et de la gestion du domaine public ferroviaire ;
Mais considérant qu'il est constant que le grief n° 2 ne vise pas la détention et la diffusion, en soi, d'informations confidentielles par la SNCF en sa qualité de GID mais seulement l'utilisation à des fins commerciales qui en a été faite dans le cadre de son activité d'entreprise ferroviaire soumise aux règles de la concurrence ;
Considérant qu'il s'ensuit que l'Autorité était compétente pour apprécier le bien - fondé du grief en question ;
En ce qui concerne le respect du principe du contradictoire au regard du grief retenu par l'Autorité :
Considérant que la SNCF soutient que le principe du contradictoire a été méconnu dans des conditions portant atteinte aux droits de la défense et entachant la décision d'irrégularité, dès lors que, alors que le grief notifié visait la transmission d'informations confidentielles par la SNCF en sa qualité de GID sur le marché de l'accès à l'infrastructure, la décision a finalement retenu l'utilisation d'informations confidentielles par la branche Fret sur le marché du transport ferroviaire par train massif, en procédant à une modification, à la fois, de la nature de l'infraction initialement poursuivie, du marché pertinent et de l'identité de la division SNCF supposée en être l'auteur, ce qui lui permettait ainsi d'éluder l'obstacle de son incompétence ;
Mais considérant qu'il suffit de constater qu'en ce qui concerne le grief n° 2, comme en ce qui concerne les autres griefs notifiés, la requérante a été mise en mesure de présenter, dans le cadre du débat contradictoire, ses observations et de contester la réalité des faits, leur qualification juridique et leur imputation, ce qu'elle n'a d'ailleurs pas manqué de faire au cours de l'instruction ;
Considérant, par surcroît, qu'il n'est pas sérieusement allégué, que, dans ses développements consacrés au grief n° 2, la décision se serait fondée sur des éléments de droit ou de fait qui n'auraient pas été soumis au débat contradictoire ;
Considérant que, sous couvert d'un reproche d'atteinte au principe du contradictoire et aux droits de la défense procédant de la modification du grief initialement notifié et de l'imputation d'un grief nouveau, la SNCF critique, en réalité, le fait que l'Autorité a, en définitive, motivé sa décision en retenant une analyse différente, sur certains points, de celle du rapporteur, ce qui relève, tout au plus, du débat de fond ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
En ce qui concerne le bien fondé du grief n° 2 :
Considérant qu'ainsi que le rappelle la décision (paragraphe 360), il est constant que l'utilisation, par une entreprise en position dominante, d'informations stratégiques obtenues dans l'exercice de la mission de gestion d'accès au réseau qu'elle détient peut constituer un abus de cette position dominante, prohibé par les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du Code de commerce ;
Considérant qu'il est rappelé que, ainsi que l'expose, en substance, la notification des griefs, le comportement reproché à la SNCF tient à la fois au fait d'avoir procédé à la transmission d'informations confidentielles reçues dans le cadre de ses fonctions de GID à une de ses divisions commerciales, et d'avoir ensuite utilisé, en tant qu'entreprise ferroviaire, ces informations sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif, afin de renforcer ou à tout le moins de maintenir sa position dominante sur ce marché ;
Qu'il est ainsi reproché à la SNCF d'avoir pu "bénéficier d'un avantage concurrentiel, grâce à sa position de GID, sur le secteur du fret ferroviaire en utilisant des informations confidentielles des entreprises ferroviaires concurrentes à des fins stratégiques et commerciales" ;
Considérant que la cour renvoie aux développements de la décision (points 72 à 78) sur les pratiques constatées dans la notification de griefs dont il résulte, en synthèse, que compte tenu des procédures mises en place pour permettre aux entreprises ferroviaires de demander l'accès au réseau ferré national, certaines informations stratégiques et confidentielles, dont l'utilisation est uniquement réservée à la SNCF en sa qualité de GID pour le compte de RFF, sont transmises à la branche Infra de la SNCF par les entreprises ferroviaires de deux manières :
- les entreprises ferroviaires sont, en premier lieu, dans l'obligation de communiquer aux services de la branche Infra de la SNCF, dans le cadre de leurs demandes de sillons, des informations commerciales stratégiques qui permettent d'identifier les marchés de fret concernés ; que ces demandes contiennent de nombreuses informations commercialement sensibles, propres au trafic prévu sur le sillon demandé (type de locomotive, poids et longueur du train, nombre d'unités qui composent le train, provenance et destination du train) ; qu'elles sont parfois complétées par des observations qui permettent de déterminer l'identité du client concerné ou le trafic concerné ; que la demande de sillon, qui précise la provenance et la destination du trafic en cause, est également un élément qui, à lui seul, permet de déterminer, dans de nombreux cas, le client démarché par l'entreprise ferroviaire concurrente ;
- les entreprises ferroviaires communiquent, en second lieu, des informations commercialement sensibles aux services de la branche Infra de la SNCF, dans le cadre de leurs demandes de visites de sites techniques ; que lorsqu'une entreprise ferroviaire souhaite utiliser de tels sites pour les besoins d'un nouveau client, elle doit contrôler in situ les connexions et les infrastructures qui relient la ligne principale aux installations du client ; qu'elle doit en pratique adresser une demande écrite de visite de la gare au guichet unique GID de la branche Infra de la SNCF ; que cette demande comporte de nombreuses informations relatives à la nature du trafic envisagé, aux services proposés et à l'identité du client, ainsi que sur la date de première exploitation des sites en question ; que l'ensemble de ces informations est recueilli par la SNCF en sa qualité de GID à l'occasion de l'attribution des sillons ou des visites de sites, pour accomplir sa mission de gestionnaire d'infrastructure délégué pour le compte de RFF ;
Considérant qu'il n'est, ni contesté, ni contestable, que ces informations sont, par leur nature même, confidentielles et qu'à cet égard, il est rappelé que les dispositions qui encadrent l'activité de GID font peser sur la SNCF une obligation de confidentialité ;
Qu'ainsi, le IV de l'article 3 du décret n° 2003-194 du 7 mars 2003 relatif à l'utilisation du réseau ferré national, précité, prévoit que :
"Dans le cadre des missions qui lui sont confiées par l'article L. 2111-9 du Code des transports, la Société nationale des chemins de fer français prend les mesures nécessaires pour garantir l'absence de discrimination dans la gestion de l'accès aux infrastructures de services et aux prestations qui y sont fournies. A ce titre, elle respecte la confidentialité des informations à caractère industriel ou commercial qui lui sont communiquées par les entreprises ferroviaires qui souhaitent y accéder. De même, ces entreprises respectent la confidentialité des informations de même nature qui leur sont, le cas échéant, communiquées par la Société nationale des chemins de fer français".
Que, par ailleurs, l'article 1er du décret n° 2011-891 du 26 juillet 2011 relatif au service gestionnaire du trafic et des circulations et portant diverses dispositions en matière ferroviaire liste les informations détenues par le service gestionnaire du trafic et des circulations dont ce service est tenu, en application de l'article L. 2123-7 du Code des transports, de préserver la confidentialité ;
Considérant que, s'agissant des pratiques relevées au soutien de la notification des griefs, la décision déférée relate, tout d'abord, (paragraphes s 78 à 85) qu'il ressort des pièces du dossier que la branche Fret de la SNCF, agissant en sa qualité d'entreprise ferroviaire, a eu accès à de telles informations confidentielles, en connaissant leur caractère confidentiel au titre de la réglementation précitée et que ces informations ont ensuite circulé au sein de cette branche d'activité et, pour certaines d'entre elles, ont été utilisées pour modifier sa politique commerciale sur certains trafics ;
Considérant qu'il est rappelé qu'après avoir énuméré les diverses informations confidentielles dont la branche Fret de la SNCF a disposé, la décision affirme qu'il ressort des pièces du dossier que les cadres de la branche Fret qui ont retransmis au sein de cette branche ces informations confidentielles avaient connaissance, soit que ces informations provenaient de l'activité de GID de la SNCF, soit qu'elles revêtaient un caractère confidentiel et n'avaient pas à être utilisées dans un cadre commercial ;
Que l'Autorité relève, ensuite, que l'attitude et la façon dont sont présentées certaines de ces informations par les cadres de la branche Fret qui les ont fait circuler montrent leur connaissance de ce caractère confidentiel ;
Que la décision souligne, enfin :
- que ces informations confidentielles ont circulé au sein des équipes commerciales de la branche Fret de la SNCF, notamment entre cadres au niveau régional ;
- qu'elles sont, par ailleurs, systématiquement remontées au niveau de la direction nationale de cette branche de la SNCF, notamment du directeur commercial national pour le secteur "agriculture et produits de carrière", dont la messagerie électronique a été saisie lors des opérations de visite et saisie ;
- que certaines pièces montrent également que des informations sont remontées jusqu'au directeur financier de la branche Fret à l'époque des faits ou du directeur général adjoint de la SNCF en charge de l'activité de transport de marchandises ;
- que, surtout, il ressort des pièces du dossier que, dans de nombreux cas, la communication de ces informations a conduit la SNCF à cibler sa stratégie commerciale sur les trafics visés par ses concurrents dont les intentions étaient révélées par ces informations ;
Considérant que la SNCF soutient, à titre liminaire, que la décision est entachée d'une insuffisance de motivation résultant d'une contradiction entre, d'une part, l'objet de l'infraction, constitué par l'utilisation par la SNCF, à son profit, sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif, d'informations confidentielles dont elle disposait aux fins exclusives de la gestion de l'accès à l'infrastructure ferroviaire française dont elle avait la charge en tant que GID, et, d'autre part, du caractère estimé contre toute attente, non déterminant par l'Autorité de l'origine des pièces retenues à charge et des informations qu'elles contiennent ;
Que, plus généralement, la SNCF conteste le bien-fondé du grief retenu à partir d'éléments dépourvus de caractère probant, alors que des "zones de transparence" permettent d'expliquer l'origine des informations en sa possession, qui sont liées :
- à la réglementation ferroviaire dès lors que les sillons accordés par RFF pour l'année N sont diffusés à l'ensemble des demandeurs de sillons au mois de juillet de l'année N-1 dans le cadre du projet de graphique de circulation ("horaire de service") accessible sur le logiciel Houat ;
- à la présence physique des agents de Fret SNCF sur les sites ferroviaires qui transmettent à leur hiérarchie des informations résultant des constatations effectuées sur le terrain ;
- au fait que des clients eux-mêmes diffusent à la SNCF un certain nombre d'informations commerciales concernant la concurrence ;
Que la requérante affirme encore qu'au-delà de formules inappropriées ou maladroites figurant dans un certain nombre de pièces, rien ne permet pour autant d'affirmer une provenance du GID alors par surcroît que la diffusion interne à Fret SNCF d'informations sur ses concurrents correspond à une activité de veille concurrentielle normale ;
Qu'enfin, la SNCF conteste avoir utilisé ces informations pour adapter sa stratégie commerciale, ce qui prive la pratique d'objet anticoncurrentiel et alors que, selon elle, l'Autorité a également échoué à démontrer l'existence d'un effet anticoncurrentiel de la pratique compte tenu, à la fois, du caractère isolé des faits prétendus et du rythme soutenu de pénétration du marché ferroviaire par ses concurrents ;
Mais considérant que c'est par des appréciations pertinentes, que la cour fait siennes, qu' au vu des pièces du dossier (paragraphes 72 à 85 et paragraphes 364 à 385 de la décision) dont elle a justement apprécié le caractère probant et dont elle a fait une exacte analyse, l'Autorité a décidé qu'il était établi que la SNCF a abusé de sa position dominante sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif, en utilisant à son profit les informations confidentielles dont elles disposait aux fins exclusives de la gestion de l'accès à l'infrastructure ferroviaire française dont elle avait la charge en tant que GID, comportement qui lui a permis de protéger artificiellement sa position dominante en réduisant le degré d'incertitude existant sur ce marché et en évinçant certains concurrents de trafics stratégiques, alors que ce comportement enfreint les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du Code de commerce ;
Considérant qu'au vu du dossier, il ne peut être utilement contesté que la branche Fret de la SNCF a eu accès à des informations confidentielles du mois d'avril 2006 au mois de septembre 2008 ;
Considérant, en effet, que si la SNCF peut effectivement disposer d'informations ne présentant pas un caractère confidentiel par l'intermédiaire du logiciel Houat ou de ses clients, il résulte clairement des pièces du dossier mentionnées aux paragraphe 81 de la décision que "l'origine GID" des informations - notamment comptes - rendus de visites de sites, formulaires de demandes de visites de sites, organisation de la visite d'un site... - est parfaitement établie, ce qui prive de portée les objections de la SNCF sur la transmission de ces informations par un client par d'autres moyens ou que la transmission d'informations par les services de l'Infra serait dénuée de caractère organisé ;
Considérant qu'ainsi que le rappelle exactement l'Autorité (paragraphe 364 à 367 de la décision), ces informations avaient, en application des dispositions du IV de l'article 3 du décret n° 2003-194 du 7 mars 2003 précité et de l'article 1er du décret n° 2011-891 du 26 juillet 2011, par leur nature même, un caractère confidentiel, dès lors que, provenant des demandes de réservation de sillons ferroviaires qui étaient communiquées par les entreprises ferroviaires et des demandes de visite de sites techniques ferroviaires, elles n'étaient communiquées à la SNCF qu'en sa seule qualité de GID, et aux fins d'une utilisation dans le but de mettre en œuvre la mission de GI et de GID, consistant à garantir un accès non-discriminatoire et équitable au réseau ferroviaire français ;
Considérant que la liste des informations confidentielles mentionnées par la décision (paragraphe 79) confirme, en tant que de besoin, que ces informations sont bien, compte tenu de leur degré de précision, de nature à dévoiler les intentions commerciales futures des entreprises ferroviaires qui les communiquent, en fournissant, par exemple, des indications circonstanciées sur les clients qui sont démarchés, sur les appels d'offres auxquels les entreprises concernées envisagent de répondre ou encore sur les plans de transport qu'elles comptent mettre en place (sillons utilisés, type de traction, longueur des trains, tonnages transportés, etc.) ;
Considérant que la SNCF, qui n'a connaissance de ces informations qu'en sa qualité de GID, ne peut ainsi prétendre ignorer qu'elle ne doit pas en faire usage à d'autres fins que celles pour lesquelles elles lui ont été communiquées ;
Considérant que ce n'est qu'au surplus que la cour observe que l'Autorité a, en tant que de besoin, relevé que tant l'attitude même des agents de la SNCF qui traitent ces informations que les mentions apposées sur certains documents suffisent à établir que ces agents les considéraient expressément comme confidentielles ou, à tout le moins, n'en ignoraient pas le caractère confidentiel et que ces informations ne devaient pas être utilisées dans un cadre commercial ; qu'il ressort ainsi du dossier :
- qu'à l'occasion de la transmission aux cadres dirigeants de la branche Fret, les agents en cause prennent par exemple la précaution d'insérer des mentions telles que : "Information confidentielles" ou encore "Merci de ne pas citer les sources de ce document, il m'a été transmis à titre personnel" ;
- qu'une autre pièce mentionne de même que : "Cette visite de site est dans notre responsabilité de GID et la convention de gestion nous rémunère pour cela. Par contre, je trouve maladroit d'aborder le sujet avec le client (...) Je te rappelle que l'Infra EX a un devoir d'impartialité et de confidentialité et que je me suis engagé auprès de RFF pour que cela soit respecté sur la région" ;
- que, pour d'autres, la manière dont l'agent en cause se réfère à leur mode d'obtention suffit à établir qu'il sait qu'il ne devrait, ni les avoir en sa possession, ni à plus forte raison les utiliser à des fins commerciales : les agents de la SNCF qui retransmettent les informations reçues les présentent par exemple de la façon suivante : "les demandes de sillons adressées par EWSI à RFF se sont retrouvées sur mon bureau" ou "de nouvelles informations se sont égarées" ;
Considérant que, contrairement à ce qui est soutenu, les pièces du dossier analysées par l'Autorité démontrent que la SNCF a utilisé les informations confidentielles en cause pour modifier ou adapter sa stratégie commerciale de façon ciblée, sur les trafics et les clients visés par ses concurrents : questionnement sur les positions stratégiques déjà adoptées ou en cours de négociations, analyse des informations confidentielles pour écarter la crédibilité des intentions dévoilées d'un concurrent, prise de contact immédiate avec certains clients pour mieux définir leurs besoins et ce "qu'ils attendent exactement" de la SNCF ou discuter des prix et des raisons pour lesquelles le client veut changer d'opérateur, remise à plat de la stratégie commerciale sur certaines zones géographiques et pour certains types de marchandises, reconstruction du plan de transport d'un concurrent sur la base des informations fournies afin d'en "tirer avantage" et de formuler des offres commerciales agressives et ciblées sur certains trafics ;
Considérant que le fait que les informations en cause ont été prises en compte par la SNCF dans sa stratégie commerciale suffit, en soi, à établir que la pratique poursuivie a eu des effets anticoncurrentiels non seulement potentiels mais aussi bien réels, dès lors que la connaissance de ces informations confidentielles a, en particulier, permis dans plusieurs cas à l'entreprise publique d'écarter la menace d'une concurrence crédible sur un trafic donné, et donc de poursuivre sans risque sa politique commerciale initiale (paragraphe 384 de la décision) ou de formuler des offres en riposte particulièrement agressives afin de reconquérir un client sur le point de changer d'opérateur de transport ferroviaire ;
Que l'utilisation de ces informations à des fins commerciales a donc faussé la concurrence, en renforçant ou en maintenant sa position dominante sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif par d'autres moyens que ses mérites propres ;
Que le moyen doit être rejeté ;
Sur le bien-fondé du grief n° 4 relatif à la publication tardive et incomplète de cours de marchandises (grief notifié à Fret SNCF et imputé à l'Epic SNCF) :
Considérant que la cour renvoie aux développements de la décision (paragraphes 86 à 100 et 111 à 127) explicitant la notification des griefs sur ce point, dont il résulte, concernant la répartition des cours de marchandises - terrains adaptés et reliés au réseau permettant de charger et décharger les marchandises entre le rail et la route - entre RFF et la SNCF, qu'alors que jusqu'à la création de RFF en 1997, le réseau ferroviaire appartenait à l'État et était géré par la SNCF, après cette date, l'ensemble du réseau a été apporté en pleine propriété à RFF à l'exception de biens identifiés demeurant gérés par la SNCF, comme certaines cours de marchandises, étant précisé que la réglementation prévoyait, dès 1997, la répartition de ce patrimoine ferroviaire entre RFF et la SNCF, mais que cette répartition n'a été effective qu'avec la publication d'un arrêté ministériel du 27 novembre 2006 ;
Que la SNCF, qui a conservé la propriété des cours présentant une utilité dans le cadre de son activité d'entreprise ferroviaire, est ainsi, à la fois, utilisateur de ces infrastructures mais également gestionnaire de celles-ci en ce qui concerne l' accès des autres entreprises ferroviaires qui auraient besoin des cours en question au titre de leur activité de transporteur ;
Considérant qu'il est précisément reproché à la SNCF d'avoir, dans un premier temps, retardé la publication au sein du document de référence du réseau (DRR) de la liste de ses cours de marchandises, grief attesté par le fait que les premières prises de position de la direction de la SNCF font état, dès la fin de l'année 2006, d'importantes réticences vis-à-vis de cette publication, notamment de la part de sa branche Fret ;
Que, selon la notification des griefs (paragraphes 89 et 90 de la décision), cette position initiale, qui a causé un retard dans la publication de la liste de ses cours de marchandises, est notamment illustrée par deux documents saisis dans les locaux de la SNCF - notes manuscrites saisies dans les locaux de la direction audit et risques et un courrier électronique datant du mois de février 2007 - qui montrent que le refus initial de publication était délibéré de la part de la SNCF, dès lors que l'accès aux cours de marchandises avait été identifié comme un avantage concurrentiel dont la SNCF voulait continuer de bénéficier au détriment des autres entreprises ferroviaires, ce qui est illustré par un document de la direction de la stratégie en date du 1er décembre 2006 ;
Que si, confrontée à l'insistance de RFF et de la MCAF, la SNCF a finalement communiqué en avril 2007 la liste de ses cours de marchandises pour les inclure dans le DRR, avec une inscription effective dans ce document constatée à partir de l'année 2009, la SNCF n'a cependant n'a pas donné suite aux autres demandes de RFF et de la MCAF, qui portaient sur la nécessité de diffuser des conditions d'accès et de tarification transparentes et documentées pour ces infrastructures, qui étaient nécessaires pour permettre aux autres entreprises ferroviaires d'exploiter utilement la liste en question ; que la liste des cours de marchandises n'était ainsi accompagnée d'aucun élément précis concernant les conditions d'accès et de tarification, renvoyant à un examen au cas par cas de chaque demande d'accès à traiter par le guichet unique de la SNCF ; que cette position a été prise par le comité exécutif de la SNCF, en dépit de nouvelles demandes de RFF et de la MCAF demandant la publication "des conditions d'utilisation et une tarification les plus précises possibles, éventuellement par catégorie de gares" ;
Que, selon l'ADLC, il en résulterait que, selon une note de stratégie du 29 avril 2008 de la direction audit et risques saisie dans les locaux de la SNCF, "ne figurent au DRR que les principes d'accès aux gares marchandises, pour une analyse au cas par cas" dans le but de "volontairement limiter l'accès à différents types d'installations" et qu'"en définitive cette liste des cours fret n'est pas lisible et compréhensible pour les autres entreprises ferroviaires qui la jugent donc inexploitable dans sa forme actuelle", ce document expliquant par ailleurs le caractère délibéré de ce refus de publication des principes détaillés des conditions d'accès, d'utilisation et de tarification des cours de marchandises ;
Que le contenu des différents DRR pour les années 2006 à 2012 analysés dans le cadre de l'instruction attesterait le caractère incomplet de cette publication, s'agissant des conditions d'utilisation et de tarification des cours de marchandises :
- pour les années 2006, 2007 et 2008, les DRR ne contiennent pas de liste de cours de marchandises ni, a fortiori, de conditions d'accès ou de critères de tarification pour leur utilisation ;
- le DRR pour l'année 2009 contient dans son annexe 7.3 une liste de cours de marchandises distinguant celles appartenant à RFF et à la SNCF : la liste est établie par département puis par localité, mais cette annexe ne contient aucune indication sur les conditions d'accès ou les principes de tarification afférents ; que l'annexe 11 de ce DRR, dédiée aux conditions de fourniture de prestations par la SNCF, contient une fiche spécifique sur l'"utilisation des cours fret de la SNCF en vue d'assurer du trafic ferroviaire" ; qu'elle précise que : "Cette prestation a pour objet d'autoriser une Entreprise Ferroviaire à accéder à une cour FRET de la SNCF pour réaliser des opérations logistiques connexes à un transport ferroviaire.(...) L'accès aux cours FRET de la SNCF, ainsi que leur utilisation, donnent lieu à la perception par la SNCF de redevances dont le montant, compte tenu de la diversité des situations rencontrées, reste déterminée au cas par cas selon les conditions techniques définies par la Convention d'Utilisation" ;
- pour l'année 2010, la liste de cours de marchandises dans le DRR reste inchangée et l'appendice 6 de l'annexe 9 du DRR relatif à l'utilisation des cours de marchandises de la SNCF reprend en substance les termes de l'annexe 11 du DRR pour l'année 2009 en confirmant une tarification au cas par cas ; que la seule modification dans cette version du DRR est opérée par l'article 5.3.2 du DRR qui recense désormais l'ensemble des équipements ferroviaires dont l'accès est géré par la SNCF, parmi lesquels figurent les cours de marchandises ; que, sans donner de principes de tarification transparents et concrets, cet article se contente de prévoir que l'accès à ces équipements "est régi par le décret n° 2003-194 précité (il donne lieu au versement d'une rémunération au coût directement imputable à l'exploitation du service considéré) et par les dispositions définies dans les conditions de fourniture de prestations de la SNCF, objet de l'annexe 9 [précité]" ;
- pour l'année 2011, la situation relevée dans le DRR 2010 est restée inchangée en substance, l'annexe 9 ne dédiant qu'un nouveau paragraphe aux cours de marchandises qui prévoit : "L'accès aux cours et voies marchandises de la SNCF, ainsi que leur utilisation, donnent lieu à la perception d'une rémunération par la SNCF dont le montant, compte tenu de la diversité des situations rencontrées, reste déterminé au cas par cas selon les conditions techniques définies par la convention d'utilisation. Ces rémunérations peuvent, suivant les cas, prendre en compte, les éléments suivants : étude et la préparation de la prestation, maintenance des installations, utilisation des installations, accès au site" ;
- que pour l'année 2012, le DRR introduit un changement significatif puisque les notions de coût directement imputable à l'exploitation du service et de coût du service disparaissent pour les équipements dont l'accès est géré par la SNCF ; qu'ainsi, l'article 5.7 du DRR intitulé "Accès et services fournis par la SNCF" renvoie désormais à l'Offre de Référence de la SNCF, qui reprend le paragraphe sur les critères de tarification issus de la version 2011, en y ajoutant un cinquième élément s'agissant de la co-activité dans une même cour de marchandises ;
Considérant que, concernant cette fois-ci les principes de tarification applicables à l'utilisation des cours de marchandises, il est rappelé que la réglementation sectorielle applicable au moment de la mise en œuvre des pratiques était constituée :
- par la directive n° 2001-14 précitée dont :
l'article 5, paragraphe 1, dispose que "les entreprises ferroviaires peuvent prétendre, sur une base non discriminatoire, à l'ensemble des prestations minimales ainsi qu'à l'accès par le réseau aux infrastructures de services décrits à l'annexe II" ;
l'annexe II prévoit que l'accès aux infrastructures de services et les services fournis comprennent, notamment, les terminaux de marchandises ;
s'agissant des principes de tarification, l'article 7, paragraphe 1, prévoit que "les redevances perçues pour l'ensemble des prestations minimales et l'accès par le réseau aux infrastructures de services, sont égales au coût directement imputable à l'exploitation du service ferroviaire" ;
- par l'article 3 du décret n° 2003-194 du 7 mars 2003, qui transpose la directive n° 2001-14, disposait dans sa version applicable en l'espèce, à savoir celle antérieure au décret n° 2020 janvier 2012 relatif aux gares de voyageurs et aux autres infrastructures de services du réseau ferroviaire (JORF du 22 janvier 2012 p. 1291) publié après l'envoi de la notification de griefs, que :
"I.- Le droit d'accès au réseau ferré national comprend pour toute entreprise ferroviaire mentionnée à l'article 2 le droit aux prestations minimales suivantes : le traitement de ses demandes de capacités d'infrastructure, le droit d'utiliser les capacités qui lui sont attribuées, l'utilisation des branchements et aiguilles du réseau, la signalisation, la régulation, la gestion des circulations, la communication et la fourniture d'informations concernant la circulation des trains ainsi que toute autre information nécessaire à la mise en œuvre ou à l'exploitation du service pour lequel les capacités lui ont été attribuées.
Le droit d'accès au réseau ferré comporte également le droit d'accès aux équipements suivants : les installations de traction électrique, y compris les installations de transport et de distribution de l'électricité de traction, les infrastructures d'approvisionnement en combustible, les gares de voyageurs comprenant leurs bâtiments et les autres infrastructures, les terminaux de marchandises, les gares de triage, les gares de formation, les gares de remisage, les centres d'entretien et les autres infrastructures techniques.
(...)
III.- L'accès par le réseau aux prestations minimales mentionnées au premier alinéa du I donne lieu au versement de redevances d'infrastructure dans les conditions prévues par le décret n° 97-446 du 5 mai 1997 susvisé.
L'accès par le réseau aux équipements de service mentionnés au second alinéa du I donne lieu au versement d'une rémunération égale au coût directement imputable à l'exploitation du service considéré".
- par l'article 3 du décret n° 2003-194 tel que modifié par le décret n° 2012-70 précité, précité qui dispose désormais que :
"(...) III.- L'usage des infrastructures de services accessibles par le réseau ferré national est régi par les dispositions du décret n° 2012-70 du 20 janvier 2012 relatif aux gares de voyageurs et aux autres infrastructures de services du réseau ferroviaire".
- par l'article 3 du décret n° 2012-70 précité qui dispose que :
"La fourniture des prestations régulées donne lieu à la perception d'une redevance liée au coût de la prestation calculé d'après le degré d'utilisation réel. Le montant de chaque redevance peut être modulé, en tenant compte de la situation de la concurrence et dans des conditions transparentes et non discriminatoires, pour tenir compte, selon la prestation régulée :
a) Du type de convoi, notamment de sa capacité d'emport ou de sa longueur ;
b) Du type de service de transport qu'assure le convoi ;
c) Du nombre de voyageurs susceptibles de bénéficier de la prestation ;
d) De la période horaire d'utilisation ;
e) Du délai entre la demande et la date prévue de fourniture de la prestation ;
f) De la quantité de marchandises exprimée en unités de transport intermodal ou en tonnes".
Que, concernant la grille tarifaire de la SNCF, il est rappelé, en synthèse :
- que la SNCF a constitué une grille de tarification pour l'utilisation des cours de marchandises par les entreprises ferroviaires à la suite de la demande de Sécorail d'accéder à la cour de Melun ;
- que la mise en place de cette grille a été précédée par une réflexion interne à la SNCF portant, notamment, sur la question de savoir si les cours de marchandises constituent ou non des facilités essentielles, sur les coûts à prendre en compte au regard de la directive n° 2001-14 et du décret n° 2003-194 précités et sur la distinction entre les cours de marchandises et les services associés (document de la direction de la stratégie de la SNCF en date du 1er décembre 2006 analysant ainsi la question de la tarification des cours de marchandises intitulé "Les services aux autres entreprises ferroviaires sur le RFN. Cas des gares marchandises et des centres d'entretien) ;
- que les critères finalement appliqués aux entreprises ferroviaires dans les contrats qui ont suivi le contrat d'accès à la cour de Melun (point 121 de la décision) sont les suivants :
"- La préparation du dossier (étude, plan de prévention, visite préalable)
- Les coûts de maintenance (préventive avec un coût au mètre carré, un coût d'utilisation et d'usure de la cour et des forfaits de maintenance régulière)
- L'emprise foncière. Nous nous sommes basés sur la Côte Callan
- Taxes
- Provision pour risque".
- que la SNCF a ensuite établi des grilles de tarification pour plusieurs cours utilisées par ses concurrents :
Le Boulou pour Veolia ;
Mézy pour Sécorail ;
Melun pour Sécorail ;
Nice Saint-Roch pour ECR.
- que les tableaux de facturation pour les différentes entreprises ferroviaires se composent des cinq critères suivants :
l'instruction du dossier ;
la préparation de la prestation ;
la maintenance des installations ;
l'utilisation des installations, comprenant le temps d'utilisation des voies ferrées, le temps d'utilisation de la cour par rapport à la valeur vénale de référence (cote Callon) et les impôts et taxes ;
l'accès au site.
Que l'entreprise ferroviaire doit ainsi verser des frais d'instruction du dossier et de préparation de la prestation, ces frais étant indépendants du nombre de trains opérés et doit, en outre, contribuer aux frais de la maintenance et d'utilisation des installations, ainsi que d'accès au site, ces frais étant fixés en fonction du nombre de trains opérés et du coefficient d'utilisation de la cour ;
Qu'ainsi, la SNCF considère qu'il y a 520 séquences annuelles possibles d'utilisation d'une cour, ce qui correspond à deux trains par jour ouvrable ; qu'une fois calculé le coût de maintenance et le coût d'utilisation, le montant obtenu est divisé par 520 et multiplié par le nombre de trains opérés ; que le résultat obtenu est multiplié par le coefficient d'utilisation de la cour (100 % si l'entreprise ferroviaire est la seule utilisatrice de la cour, inférieur à 100 % lorsqu'elles sont plusieurs entreprises ferroviaires) ;
Qu'enfin, un taux de 15 % est appliqué pour les charges générales, ainsi qu'un taux de 15 % au titre de provisions sur risques (Grille d'évaluation des coûts d'utilisation d'une installation Fret) ;
Considérant que, pour caractériser le grief notifié à Fret SNCF, la décision énonce qu'il ressort des pièces du dossier que les entreprises ferroviaires concurrentes ont rencontré des difficultés pour accéder aux cours de marchandises de l'entreprise publique ; que l'Autorité se fonde pour cela :
- en premier lieu, s'agissant des conditions d'accès aux cours de marchandises prévues dans le DRR, sur le fait que les entreprises ferroviaires concurrentes considèrent que les différentes versions de ce document ne sont pas assez complètes pour leur permettre de répondre à la demande de leurs clients (paragraphe 102 de la décision) ;
- en deuxième lieu, sur le fait que la SNCF constate elle-même (paragraphes 103 à 107 de la décision) que ses concurrents éprouvent de grandes difficultés pour accéder à ses cours, en raison de son comportement ;
- en dernier lieu, sur le fait que si les entreprises ferroviaires nouvelles entrantes ont pu utiliser des cours de marchandises de la SNCF, l'attitude de cette dernière, s'agissant de leur tarification, a engendré d'importantes difficultés pour elles et qu'en raison des tarifs proposés, toutes ont eu des difficultés à l'occasion de la signature des contrats d'utilisation ;
Considérant qu'au soutien de son recours, la SNCF affirme que le grief n'est pas fondé dès lors que la publication de la liste des cours de marchandises n'est, ni tardive, ni incomplète, et, qu'en tout état de cause, son comportement n'a pas eu d'effets anticoncurrentiels ;
Que la requérante fait valoir, en premier lieu, sur le caractère tardif de la publication, que l'arrêté du 27 novembre 2006 qui a uniquement fixé la répartition des actifs immobiliers entre la SNCF et RFF, et non la répartition des cours de marchandises entre ces deux établissements a été précédé par de très longues négociations entre les deux établissements et qu'elle a pourtant fait valoir au cours de l'instruction qu'alors que, dans un tel contexte, elle avait été confrontée à de sérieuses difficultés d'identification des cours de marchandises qui lui étaient affectées, elle avait cependant accompli dans de brefs délais toutes les diligences requises en procédant à l'établissement de la liste de ces cours, au tout début d'avril 2007, soit quatre mois après la publication de l'arrêté en cause ;
Que la requérante précise, au surplus, qu'il était impossible de préparer la publication de la liste de ses cours de marchandises avant cet arrêté, dont la date constitue le point de départ de l'infraction ce qui prive par là-même de fondement le reproche qui lui est fait de ne pas s'y être préparée avant l'ouverture effective à la concurrence du fret ferroviaire le 31 mars 2006 ;
Que la requérante reproche encore à l'Autorité de ne pas avoir pris en compte ses explications tirées de la difficulté de procéder à de lourds travaux de répartition et d'identification des actifs immobiliers au sein de l'entreprise qui étaient pourtant de nature à justifier l'impossibilité dans laquelle Fret SNCF s'est trouvé d'établir une liste des cours de marchandises dès le 27 novembre 2006, alors, par surcroît, que les procédures d'élaboration des DRR sont caractérisées, au regard de leurs délais et de leurs calendriers particuliers, par d'importantes contraintes ;
Que SNCF affirme, qu'en tout état de cause, elle a bien, finalement, en dépit de ces difficultés, rendu les informations disponibles auprès des entreprises ferroviaires concernées puisque elle a adressé à RFF la liste de ses cours de marchandises les 3 avril et 8 juin 2007 pour l'horaire de service 2007 et le 3 août 2008 pour l'horaire de service 2008 ;
Que la requérante critique enfin la réticence qui lui est imputée par l'ADLC en ce qui concerne la publication de la liste des cours de marchandises qui repose sur une interprétation erronée de celle-ci d'un échange de courriels les 30 janvier et 1er février 2007, qu'une analyse objective de ces pièce démontre, à l'opposé, la réelle implication des plus hautes instances décisionnelles de la SNCF (Comex) pour mener à bien cette tâche dans les meilleurs délais, étant observé que le Comex s'est prononcé en faveur de l'établissement de cette liste dès le 1er décembre 2006, soit trois jours après l'arrêté du 27 novembre 2006 portant répartition patrimoniale entre RFF et SNCF et que les positions qui ont pu être exprimées en interne à ce sujet n'ont aucune valeur probante ;
Que la SNCF soutient, en deuxième lieu, que le reproche de publication incomplète de la liste des cours de marchandises n'est pas fondé, faute d'obligation réglementaire en ce sens et, qu'en tout état de cause, elle était dans l'impossibilité de procéder à la publication de conditions d'utilisation plus précises ;
Que la requérante fait en effet valoir, qu'avant la publication du décret n° 2012-70 du 20 janvier 2012 modifiant le décret n° 2003-194 du 7 mars 2003, elle n'était pas tenue de publier le contenu des modalités d'utilisation et de tarification des cours de marchandises et qu'elle a par ailleurs, justifié l'impossibilité où elle se trouvait d'établir une tarification affichée à l'avance, spécialement en raison :
- de la diversité des situations susceptibles de se présenter en ce qui concerne l'utilisation d'une cour de marchandises par une entreprise ferroviaire (caractéristiques, conditions techniques d'utilisation et capacités d'accueil de chaque cour, co-activité au sein de ces cours, caractéristiques des trains et besoins des entreprises ferroviaires, longueur des voies et des trains, durée et périodicité d'occupation des voies, etc.);
- de la nécessité pour chaque entreprise ferroviaire de fournir un certain nombre d'informations pour le traitement approprié d'une demande d'utilisation d'une de ces cours ;
Que la requérante prétend également que le principe du devis et du traitement au cas par cas de ces demandes n'est pas susceptible d'affecter sérieusement le fonctionnement de la concurrence dans ce secteur, dès lors que les entreprises ferroviaires concurrentes n'utilisent qu'un nombre réduit de cours de marchandises et que la tarification sur devis apparaît non seulement cohérente avec le degré réel d'utilisation de ces infrastructures mais encore justifiée par le fait que la SNCF ne peut pas anticiper chaque année lesquelles de ses cours allaient potentiellement faire l'objet d'une demande d'utilisation, ce qui rendait ainsi nécessaire une demande "sur mesure" ;
Que la SNCF affirme aussi que c'est à tort que l'Autorité lui reproche de ne pas avoir publié des "principes tarifaires plus précis" alors même qu'elle disposait en interne d'une "grille standard de tarification pour les cours de marchandises", dès lors que les besoins d'une entreprise ferroviaire ne correspondent pas forcément à la simple application des critères internes de tarification et qu'il faut aussi tenir compte de la disponibilité de la cour et des contraintes organisationnelles de co-activité, critères internes qui ne pouvaient donner, ni aux entreprises concurrentes, ni à Fret SNCF, une visibilité de tarification leur permettant d'anticiper de façon précise le coût de ces services ;
Que la requérante fait encore valoir :
- que la réglementation en vigueur lors de l'instruction (Décret n° 2003-194), qui ne visait pas les conditions d'utilisation et de tarification des infrastructures de services, telles que les cours de marchandises, mais uniquement les conditions d'accès aux capacités d'infrastructure ferroviaire (les sillons par exemple), a évolué depuis l'adoption du Décret n° 2012-70 du 20 janvier 2012 qui contraint désormais à produire, notamment, un document annexé au DRR et qui précise les modalités de tarification de ces prestations et des exemples types de tarifs ;
- que, cependant, le fait que cette obligation réglementaire n'ait été instaurée qu'à partir du 20 janvier 2012 suffit pour constater que les conditions d'utilisation et de tarification précédemment publiées au DRR pour les cours de marchandises de la SNCF ne sont pas critiquables du point de vue de la réglementation sectorielle ;
- qu'alors qu'elle a mis en œuvre ces nouvelles obligations réglementaires dans son offre de service annexée au DRR pour 2014, publié en 2012, l'Autorité n'en a toutefois pas tenu compte dans sa décision ;
- que, pourtant, les tarifs types désormais publiés par la SNCF ne font que confirmer l'importance des écarts de prix pouvant exister selon la cour de marchandises concernée et - ou la nature de l'utilisation qui en est souhaitée par une entreprise ferroviaire ;
- qu'en outre, les informations techniques détaillées prévues dans les documents particuliers exigés par la nouvelle réglementation sectorielle seront progressivement enrichies en liaison avec l'établissement, qui demande un travail particulièrement long et coûteux, de l'inventaire des installations ;
Considérant que la SNCF reproche enfin à l'Autorité, qui n'a pas établi que son comportement avait un objet anticoncurrentiel, de ne pas avoir démontré non plus l'existence d'effets anticoncurrentiels réels, concrets ou à tout le moins probables alors que les entreprises ferroviaires concurrentes n'ont utilisé des cours de marchandises dans le cadre de leurs activités que de manière marginale, soit 10 à 20 cours par an, alors qu'une liste de plusieurs centaines de cours était déjà publiée au DRR à l'époque ; que cette situation s'explique par le fait que les nouveaux entrants ont concentré leurs activités sur des trafics reliant directement des installations terminales embranchées de chargeurs, sans nécessité de passer par un transbordement dans une cour de marchandises et qu'à tout le moins, rien ne vient démontrer que ce très faible taux d'utilisation des cours de marchandises de Fret SNCF par les entreprises ferroviaires concurrentes pourrait avoir été causé par la date de publication de la liste des cours ou le contenu des conditions générales d'utilisation et de tarification de la SNCF ;
Mais considérant que c'est par des appréciations pertinentes, que la cour fait siennes, qu'au vu des pièces du dossier (paragraphes 86 à 127 et 388 à 416 de la décision) dont elle a justement apprécié le caractère probant et dont elle a fait une exacte analyse, l'Autorité a décidé qu'il était établi que la SNCF a enfreint les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du Code de commerce en commettant un abus de position dominante consistant à publier, de manière tardive et incomplète, la liste de ses cours de marchandises dans le DRR, ce qui lui a permis de protéger sa position dominante sur le marché des services ferroviaires de marchandises par train massif, notamment en évinçant certains concurrents de trafics stratégiques ;
Que, compte tenu des éléments présents au dossier, cette infraction est établie à partir du moment où la répartition des cours de marchandises entre RFF et la SNCF a été effective, le 27 novembre 2006, et elle se poursuivait au jour de l'envoi de la notification des griefs, le 28 juillet 2011 ;
Considérant, en effet, qu'il ressort suffisamment des constatations effectuées par l'Autorité et qui ont été rappelées, que la SNCF s'est abstenue de mettre à la disposition des entreprises ferroviaires nouvelles entrantes les informations nécessaires à l'utilisation des cours de marchandises, dans les différentes versions applicables du DRR, à compter de la date à laquelle la répartition des cours de marchandises entre elle-même et RFF a été effective et qu'en ne publiant la liste des cours de marchandises qu'avec un retard de quatre mois, dans un premier temps, et surtout en s'abstenant de préciser, y compris dans les dernières versions du DRR, les conditions d'utilisation de ces cours de marchandises, notamment en termes de tarification, la SNCF a entravé l'accès des autres entreprises ferroviaires aux cours de marchandises ;
Que l'Autorité retient exactement que le caractère incomplet de cette publication, prévue par les textes réglementaires applicables à l'époque des faits (article 17 du décret n° 2003-194 modifié en dernier lieu par le décret n° 2012-70 du 20 janvier 2012), tient à l'absence de toute référence aux spécifications techniques des cours de marchandises en cause, à leurs conditions d'utilisation et aux principes qui leur sont applicables en matière de tarification ;
Considérant que si la décision déférée mentionne et analyse à juste titre les obligations légales qui s'imposaient à SNCF dans ce domaine, force est cependant de constater que, contrairement à ce qui est soutenu, les développements de la décision (paragraphe 392 de la décision notamment ) révèlent que l'Autorité ne s'est pas à proprement parler fondée sur une méconnaissance de dispositions réglementaires spécifiques - en l'occurrence des dispositions du décret n° 2003-194 du 7 mars 2003 modifiant le décret n° 2012-70 du 20 janvier 2012 - pour qualifier d'abus de position dominante la pratique de la SNCF, mais exclusivement sur le comportement de l'entreprise en position dominante qui a expressément reconnu que "la liste des cours fret n'est pas lisible et compréhensible par les autres entreprises ferroviaires qui la jugent inexploitable en sa forme actuelle";
Considérant, à cet égard, que rien ne permet de remettre en cause les appréciations de l'Autorité qui relève qu'il ressort des pièces du dossier que l'absence de mise à disposition des concurrents de données précises et complètes est le résultat d'un choix stratégique de la SNCF, qui a imposé aux entreprises ferroviaires de s'adresser de façon systématique à son guichet unique pour avoir accès à ses cours, faute pour ces entreprises de pouvoir en prendre connaissance par le biais d'une publication conforme aux demandes de RFF et de la MCAF ;
Que le caractère délibéré de la réponse tardive et partielle de SNCF aux exigences de RFF et de la MCAF ressort ainsi suffisamment de la teneur d'un document de la direction audit et risques ainsi libellé :
"- En réponse à [la demande de RFF et de la MCAF], à l'automne 2006, la SNCF a simplement proposé d'indiquer dans le Document de Référence du Réseau (DRR) que son guichet unique instruirait, au cas par cas, les demandes des entreprises ferroviaires concernant l'accès aux cours Fret et proposerait des modalités de mise à disposition de ses installations, en fonction de leur configuration et de leur disponibilité effective
- Devant l'insistance de RFF et de la MCAF, Fret SNCF a dû se résoudre en 2007 à inclure dans le DRR du service annuel suivant, la liste des cours fret accessibles aux entreprises ferroviaires (annexe 7.3. du DRR).
- La liste fournie par la SNCF se borne cependant à énumérer par département et par ville les sites existants sans aucune description des modalités d'accès (ex : horaires d'ouverture, consistance des installations, éventuelles restrictions...) et sans aucune publication de tarifs (...)" ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, ainsi que le constate la décision, ce comportement de la SNCF a contribué à une asymétrie d'informations entre ses concurrents et elle, en ne leur permettant pas d'apprécier, d'un point de vue tant technique que tarifaire, leurs besoins en matière d'accès aux cours ;
Qu'en effet, sans accès aux principes de tarification, les autres entreprises ferroviaires se sont retrouvées privées de la possibilité de chiffrer correctement, même de façon approximative, le recours à cet équipement et ont, par voie de conséquence, été empêchées de formuler des offres commerciales précises aux chargeurs ainsi que de la faculté de déterminer, sans avoir à prendre contact au préalable avec la SNCF, si les options techniques retenues pour certains clients étaient effectivement viables ou non ;
Que l'absence de publication s'est donc traduite par des conditions d'accès dégradées aux infrastructures, tandis que la SNCF disposait de son côté de la maîtrise complète des coûts et des données en cause, qu'elle pouvait valoriser au mieux de ses intérêts ;
Considérant, en outre, qu'alors que la SNCF avait l'obligation de publier la liste au plus tard au moment de l'ouverture effective à la concurrence du secteur du fret ferroviaire (article 17 du décret n° 2003-194 du 7 mars 2003 relatif à l'utilisation du réseau ferré national modifié, en dernier lieu, par le décret n° 2012-70 du 20 janvier 2012 relatif aux gares de voyageurs et aux autres infrastructures de services du réseau ferroviaire), il est constant qu'elle n'a finalement procédé à cette publication et à la communication de la liste de ses cours à RFF qu'au mois d'avril 2007, soit avec un retard de quatre mois à compter de l'arrêté ministériel du 27 novembre 2006 fixant la répartition des cours de marchandises entre SNCF et RFF ;
Considérant qu'ainsi que l'a relevé la décision déférée l'appréciation du caractère tardif de la publication de la liste des cours de marchandises doit surtout être opérée au regard du fait que la SNCF ne pouvait ignorer que la répartition des infrastructures devait être effectuée depuis 1997 et qu'elle avait l'obligation de publier une telle liste, au plus tard au moment de l'ouverture effective à la concurrence du secteur du fret ferroviaire, ce d'autant qu'elle avait déjà été destinataire de demandes insistantes de RFF et de la MCAF à partir de 2005 ;
Considérant qu'à tout le moins, les justifications que la requérante prétend donner à ce retard en raison du caractère technique de la mise à jour dans un contexte temporel contraint, sont contredites par les réticences à une éventuelle publication, et ce jusqu'au moins de février 2007, qui sont attestées par la réaction initiale de la branche Fret s'agissant d'une éventuelle publication : "Pour [CS], suite à la réunion de concertation préalable au Comex, notre position Fret est très claire, et a été retenue par S : il est hors de question de publier une liste de cours marchandises (vraisemblablement occupées par des activités commerciales, donc non disponibles "principe de répartition retenus en 1997 )" ;
Considérant, par ailleurs, que, contrairement à ce qui est soutenu, l'Autorité ne reproche pas à la SNCF de ne pas avoir publié des conditions d'utilisation et de tarification spécifiques et exhaustives pour chacune de ses cours de marchandises dans le DDR ;
Qu'en effet, ainsi que cela vient d'être rappelé, le comportement incriminé consiste à ne pas avoir procédé, de façon globale pour l'ensemble de ses cours de marchandises, à la publication de conditions d'utilisation et de tarification suffisamment précises et compréhensibles pour permettre aux autres entreprises ferroviaires d'anticiper les conditions dans lesquelles cette utilisation aurait lieu, d'une part, et les coûts y afférents, d'autre part, de manière à pouvoir formuler des offres compétitives aux chargeurs ;
Considérant, par ailleurs, que s'il est vrai que, ainsi que le fait valoir SNCF, les conditions d'utilisation ont été communiquées à RFF dès 2007 pour être annexées au DRR, d'une part, et que certains principes relatifs aux conditions d'utilisation et de tarification figurent dans le DRR, à tout le moins dans ses versions les plus récentes, d'autre part, figurent bien dans les DRR communiqués à RFF dès le mois de juin 2007, force est cependant de relever qu'il ressort du dossier (paragraphe 404 de la décision) que les indications qui y figurent demeurent trop lacunaires et imprécises pour pouvoir être utilisées par les entreprises ferroviaires, qui restent donc tenues, en pratique, de se tourner vers le guichet unique de la SNCF ;
Considérant que, pour le surplus, la cour fait siennes les appréciations pertinentes de la décision déférée procédant de constatations opérées dans le cadre de l'instruction non utilement remises en cause par la requérante et dont il ressort :
- que, s'agissant des conditions d'utilisation des cours de marchandises, il a été constaté comme ressortant du dossier (paragraphes 96 à 100 de la décision) que les annexes pertinentes du DRR se bornent à indiquer qu'une convention d'utilisation doit être conclue, ainsi qu'un plan de prévention, et qu'une liste d'informations, dont les entreprises ferroviaires ne peuvent d'ailleurs disposer qu'une fois que la négociation avec un chargeur est très avancée, doit être fournie au cas par cas au guichet unique de la SNCF ;
- que, pour leur part, les principes de tarification, tels qu'ils figurent dans la version du DRR de 2011, qui est la plus complète sur ce point, sont présentés sous la forme suivante : "L'accès aux cours et voies marchandises de la SNCF, ainsi que leur utilisation, donnent lieu à la perception d'une rémunération par la SNCF dont le montant, compte tenu de la diversité des situations rencontrées, reste déterminé au cas par cas selon les conditions techniques définies par la convention d'utilisation. Ces rémunérations peuvent, suivant les cas, prendre en compte, les éléments suivants :
étude et la préparation de la prestation, maintenance des installations, utilisation des installations, accès au site" ;
- que cette description, exactement qualifiée par l'Autorité de trop abstraite, ne permettait pas d'anticiper les coûts d'utilisation, ni la pondération que la SNCF accorde à chacun de ces facteurs de prix ;
- que la SNCF ne peut sérieusement soutenir qu'elle se trouvait dans l'impossibilité de publier des principes tarifaires plus précis, dès lors que, antérieurement même à la publication de ces principes, elle disposait pour elle-même d'une grille standard de tarification pour les cours de marchandises, donnant à chaque élément un poids précis, en fonction d'une formule de calcul préétablie pour l'ensemble de ses cours ;
- que ce constat confirme que la SNCF s'est abstenue de communiquer à ses concurrents des informations dont elle disposait et qu'elle aurait dû porter à leur connaissance dans des conditions objectives et transparentes, abstention qui a abouti à lui réserver un avantage injustifié et, corrélativement, à entraver la capacité des autres entreprises ferroviaires à lui livrer concurrence ;
- qu'il est également établi qu'au moins initialement, les services compétents de la SNCF n'ont pas été formés pour traiter ce type de demandes d'accès, conformément à ses indications, ce que la direction audit et risques de SNCF souligne elle-même dans un bilan dépourvu d'ambiguïté (paragraphe 410 de la décision) sur l'absence de préparation de la SNCF ;
Considérant, enfin, sur les effets des pratiques, qu'ainsi que l'a relevé à bon droit l'Autorité, il résulte de la jurisprudence communautaire précitée, qu'il n'est pas déterminant, aux fins de la qualification juridique du comportement de la SNCF, que les effets réellement observables de celui-ci sur le marché, aient pu demeurer limités ;
Considérant qu'il est ainsi établi que le comportement de SNCF tendait à restreindre l'accès des autres entreprises ferroviaires à ses cours de marchandises, alors que celles-ci en avaient besoin pour se développer sur le marché de transport ferroviaire de marchandises par train massif ; que ce comportement a faussé la concurrence en rehaussant les barrières à l'entrée sur ce marché, et plus précisément en empêchant les autres entreprises ferroviaires d'utiliser les informations nécessaires à l'exploitation de ces cours de marchandises pour démarcher utilement des clients ;
Que le moyen sera rejeté ;
Sur l'indisponibilité des capacités ferroviaires
En ce qui concerne la surréservation et la non-restitution de sillons (grief n° 3) :
Considérant que la cour renvoie aux développements à caractère général de la décision déférée (point 128), dont il résulte :
- que les sillons sont les capacités d'infrastructure requises pour faire circuler un train donné d'un point à un autre dans un créneau horaire précis ;
- que leur attribution, sur demande des entreprises ferroviaires, est effectuée par RFF en sa qualité de GI ;
- que leur capacité est contrainte en nombres et en tracés, un seul train pouvant circuler sur un sillon pour se rendre d'un point à un autre du réseau ;
- qu'il est donc fréquent que RFF refuse des demandes d'attribution de sillons lorsque ceux-ci sont indisponibles, cette indisponibilité étant généralement causée par deux motifs : la réservation préalable du sillon par un autre opérateur ou des travaux à effectuer sur les voies en cause.
Considérant que, dans sa plainte, ECR dénonçait le comportement de la SNCF qui, dans le cadre de son activité de fret ferroviaire, réservait un nombre de sillons plus important que celui correspondant à ses besoins et ne restituait pas, par la suite, les sillons réservés dont elle n'avait pas effectivement l'utilité, ce comportement privant les autres entreprises ferroviaires des sillons qui leur étaient nécessaires, alors pourtant qu'ils n'étaient pas utilisés ;
Considérant, sur les pratiques constatées qui ont justifié la notification des griefs, que la cour renvoie aux développements de la décision (paragraphes 130 à 157) dont il résulte, en synthèse, concernant tout d'abord la politique de surréservation de la SNCF :
- que la politique de réservation des sillons est propre à chaque entreprise ferroviaire en fonction de l'organisation de son plan de transport et des rotations de rames qu'elle envisage ou pour lesquelles elle s'est engagée vis-à-vis de ses clients, la surréservation de sillons ferroviaires étant une pratique courante, mise en œuvre par l'ensemble des entreprises ferroviaires, qui leur permet d'anticiper les aléas inhérents à l'activité de transport ferroviaire et d'assurer la continuité de leur plan de transport ;
- que sur la base des informations fournies par la SNCF, les taux de sillons effectivement utilisés, c'est-à-dire circulés, par rapport à ceux réservés, sont les suivants :
Année 2006 : 78,27 %
Année 2007 : 78,19 %
Année 2008 : 75,80 %
Année 2009 : 82,06 %
Année 2010 : 77,38 %
Année 2011 : 74,14 % ;
- que, pour justifier ces taux, la SNCF a donné les explications suivantes : "En 2009, le rapport des kilomètres circulés sur les kilomètres réservés a été de 79 %. Ce ratio s'explique, d'une part, par la nécessité qu'ont toutes les entreprises ferroviaires de réserver plus de sillons pour pallier les risques de réponses négatives ainsi que les aléas de production (les grèves, accidents, incidents caténaires) et les aléas de travaux RFF. L'appréciation de ces risques est faite sur la base de l'expérience de l'année précédente. D'autre part, l'absence d'utilisation de la totalité des sillons réservés s'explique par la perte de certains marchés en cours d'année. L'objectif 2010 est un ratio d'utilisation de 80 %.
A fin mars, le rapport des kilomètres circulés sur les kilomètres réservés était de 78 %" ;
- qu'au vu de l'ensemble des éléments du dossier, il ressort que, sur des périodes plus courtes, ce taux peut être plus bas, montrant une forte propension de la SNCF à la surréservation : par exemple, en mars 2008, le taux d'utilisation des sillons réservés en 2007 était évalué par les services de la SNCF à 69 % de la réservation initiale, avant restitution de certains sillons ; qu'un document de la direction financière de Fret SNCF montre également que, pour les trois premiers mois de l'année 2008, le taux d'utilisation des sillons réservés rapportés aux kilomètres circulés était, de façon effective après restitution de sillons, de 69 %, alors qu'il était estimé budgétairement pour l'ensemble de cette année à 80 % ;
- que ce taux d'utilisation effective des sillons réservés montre qu'un nombre substantiel de sillons ne sont pas utilisés par la SNCF ; qu'en effet, ce taux doit être mis en relation avec les volumes de sillons réservés par la SNCF pour le fret : 157 millions de kilomètres de sillons réservés en 2006, 149 en 2007 et 142 en 2008 ; que les proportions indiquées plus haut appliquées à ces chiffres montrent que la SNCF a réservé, sans les utiliser, 34,11 millions de kilomètres de sillons en 2006, 32,46 millions en 2007 et 34,36 millions en 2008 ;
- que ces chiffres sont, en valeur absolue, sans commune mesure avec les réservations effectuées par les autres entreprises ferroviaires actives dans le fret qui représentaient, toutes ensemble, moins de 3 % des réservations de sillons en France en 2009, toutes utilisations confondues ;
Que concernant le coût de la surréservation et la politique de restitution, la décision relate également :
- que si la surréservation de sillons est courante, les entreprises ferroviaires restituent, en principe, les sillons réservés dès lors qu'elles n'en ont plus l'utilité, en particulier à la suite de la perte d'un client ou d'un trafic au profit d'une autre entreprise ferroviaire et que la restitution est fortement encouragée du fait du coût que représentent les sillons non utilisés ;
- que, dans le cas de la SNCF, la pratique de surréservation de sillons a généré des charges financières importantes, dans la mesure où une grande partie des sillons réservés et non utilisés n'était pas restituée : la SNCF a en effet dû acquitter à RFF pour l'occupation de ces sillons non-utilisés des redevances et péages substantiels, d'autant plus que le montant de ces droits d'utilisation a doublé entre 2003 et 2008 ;
- que des documents saisis dans les locaux de la SNCF montrent que la réservation de sillons non-utilisés et non-restitués à RFF lui a coûté, du 1er janvier 2008 au 31 août 2008, 21,3 millions d'euros, soit, selon les propres calculs de la SNCF par projection linéaire, 32 millions d'euros pour l'année 2008, soit une politique de surréservation de la SNCF est donc pour elle, particulièrement coûteuse ;
- que pour minimiser ces coûts, il ressort des pièces du dossier que la SNCF a formalisé une politique générale de restitution des sillons non utilisés (dite "dé-réservation") à compter de novembre 2007, à la suite d'une réunion de son directoire, justifiée par les besoins de maîtrise de ce poste de coûts qui était devenu conséquent compte tenu de l'augmentation continue du niveau des péages de RFF et que cette politique a, notamment, conduit ponctuellement à des libérations massives de sillons réservés et non- utilisés ;
- que, néanmoins, après cette date, cette politique de restitution a tardé à s'appliquer en l'absence de consignes claires et immédiates diffusées au personnel opérationnel et qu'ainsi, elle n'a pas immédiatement été suivie d'effets, compte tenu de la "frilosité opérationnelle concernant la restitution de sillons" en particulier au cours de l'année 2008 ;
- qu'aucune politique systématique de restitution de sillons n'a été organisée avant novembre 2007 : cette politique a donc été laissée à la gestion au cas par cas des opérationnels en charge des trafics que la SNCF opérait et cette situation a perduré, de façon générale et en l'absence de consignes précises, au moins jusqu'à la fin de l'année 2008 ;
Que, concernant les difficultés d'accès aux sillons pour les entreprises ferroviaires concurrentes, la décision relate les constatations des services d'instruction, dont il ressort :
- que la politique de réservation de sillons de la SNCF semble particulièrement active pour certains trafics, en particulier quand elle connaît l'intérêt d'un concurrent pour un trafic donné ;
- qu'il ressort des pièces du dossier que la réservation et l'utilisation de sillons par la SNCF ont parfois été utilisées pour empêcher des concurrents d'avoir accès à certains sillons qui étaient pertinents pour eux (paragraphe 145 de la décision) et que des entreprises ferroviaires concurrentes de la SNCF ont connu des difficultés d'accès à certains sillons en raison des surréservations de sillons par la SNCF ;
- que les difficultés d'accès aux sillons ont été plus prononcées encore dans le cas des voies uniques à trafic restreint (ci-après "VUTR") : les difficultés ont rendu nécessaire à de multiples reprises l'intervention de RFF, pour forcer la restitution de sillons non-utilisés ;
- qu' alors qu'en raison de la vétusté de ces voies, le nombre de trains qui peuvent y circuler est limité, en général, à quatre par jour, la SNCF a, par le passé, réservé l'ensemble des sillons disponibles sur ces voies, indépendamment d'une utilisation effective de ceux-ci, privant ainsi ses concurrents de toute capacité de transport ;
Que, concernant enfin les mesures prises par RFF, confrontée à des pénuries manifestes de certains sillons et à des pratiques de surréservation massives de certaines entreprises ferroviaires sans restitutions subséquentes, RFF a décidé de réagir et a mis en place deux procédures nouvelles :
- en premier lieu, une procédure de retrait de sillons attribués avec préavis lorsqu'ils sont utilisés, sans justification, à moins de 75 % de leur capacité : c'est ainsi que RFF a informé la SNCF, le 4 février 2009, qu'en raison d'une sous-utilisation de 50 sillons, ceux-ci lui seraient retirés pour être rendus disponibles aux autres entreprises ferroviaires, ce retrait se fondant sur le point 4.6 du Document de référence du Réseau ferré national dans sa version 2009 concernant les "sillons mal utilisés, et qui entravent l'octroi de sillons à d'autres EF"; qu'interrogée sur l'efficacité de cette procédure, RFF a déclaré : "Cette procédure a été mise en œuvre mais est maintenant derrière nous. Fret SNCF a compris qu'elle n'a plus d'intérêt à conserver les sillons qu'elle n'utilise pas et annule à présent les sillons dont elle n'a pas besoin" ;
- en second lieu, pour limiter les difficultés liées à la restitution de sillons sur les VUTR, RFF a mis en place une procédure spécifique dite de "sillons catalogue", dans l'hypothèse où plusieurs entreprises ferroviaires demanderaient des sillons identiques en vue de leur réponse à un même appel d'offres : au lieu de les attribuer immédiatement, RFF met ces sillons en "réserve" pour les attribuer à l'entreprise ferroviaire qui remportera le trafic ;
Considérant que la SNCF demande à la cour d'annuler la décision en ce qui concerne l'infraction retenue au titre du grief n° 3,en prétendant, tout d'abord, qu'il appartenait à l'Autorité, dès lors qu'elle retenait le marché du fret ferroviaire par train massif comme un marché pertinent et que la pratique dénoncée au titre du grief n° 3 était constatée sur le marché distinct du marché de "l'accès aux sillons" sur lequel la SNCF n'est pas en position dominante, de démontrer l'existence d'un lien entre le marché dominé et le marché sur lequel a eu lieu la pratique poursuivie, ce qu'elle s'est abstenue de faire ;
Que la requérante affirme, ensuite, que la décision a imputé à tort à Fret SNCF une politique de surréservation ayant conduit, à partir d'un postulat de rareté des sillons, à un reproche d'indisponibilité massive de sillons qui repose, en réalité, sur une incompréhension du fonctionnement du réseau et du système d'allocation des sillons ;
Que SNCF prétend ainsi que les sillons ne sont pas une ressource rare, situation qui est confirmée par RFF qui confirme qu'en France, la saturation des sillons est très peu fréquente et qu'elle n'a d'ailleurs jamais mis en œuvre une procédure dite de "saturation", pourtant spécialement prévue par les textes ; que, contrairement à ce que retient la décision (paragraphe 128), les sillons sont plutôt modulables dans la détermination de leurs éléments constitutifs (lieux d'origine et de destination, horaires de départ et d'arrivée, la fréquence, la vitesse, etc.), de sorte que si une entreprise ferroviaire ne trouve pas d'offre adéquate parmi les sillons proposés, elle peut aussi faire des demandes de sillons dits "sur mesure" ; que le mécanisme d'attribution des sillons est conçu de telle manière que, dans la majorité des cas, lorsqu'un sillon demandé n'est pas disponible, un sillon alternatif est systématiquement proposé par RFF : une procédure de coordination est ainsi prévue lorsque des sillons demandés sont "'incompatibles entre eux sur tout ou partie de leur tracé pour la même date de réservation" ; que seules les voies uniques à trafic restreint (VUTR) échappent à cette logique d'adaptation et souffrent de saturation pour des raisons objectives totalement indépendantes du comportement de la SNCF, en raison de leur spécificité et de leur petit nombre - pas plus de 180 sur le réseau ferré national ce qui est très faible par rapport à la capacité totale - de sorte que si la majorité des cas de conflits entre entreprises ferroviaires concernant des VUTR , ces exemples ne sont pas pertinents pour démontrer le caractère abusif des surréservations de Fret SNCF ;
Que la requérante souligne encore que les sillons réservés par Fret SNCF sont en adéquation avec ses besoins et intéressent peu les nouvelles entreprises ferroviaires et, en outre, que l'Autorité n'est pas fondée à affirmer que la 'politique de surréservation de Fret SNCF a porté sur un nombre considérable de sillons, alors que cette politique n'a eu aucun impact sur le réseau et sur les nouveaux entrants, dès lors :
- que le réseau est loin d'être exploité dans sa totalité et les réservations des entreprises ferroviaires ne représentent qu'une partie des sillons disponible ;
- que la part de sillons réservés pour le fret (toutes entreprises confondues) est bien plus faible que la part réservée pour le voyage (le fret représentait 20,5% du total des réservations de sillons en 2009, contre 26,8% en 2006) ;
- que si Fret SNCF est amenée à réserver un plus grand nombre de sillons par rapport aux autres entreprises de fret ferroviaire, c'est aussi pour couvrir ses besoins afin d'assurer le transport par wagon isolé, qui implique un maillage du réseau beaucoup plus dense que le train massif - le wagon isolé représente plus de la moitié des sillons réservés par la SNCF - et que cela a des conséquences directes sur les types de sillons commandés et utilisés ; qu'alors que l'Autorité ne fait aucune distinction entre les sillons destinés au transport par train massif et ceux destinés au transport par wagon isolé, il est pourtant évident que les surréservations - non-restitutions de sillons concernant le wagon isolé n'intéressent en rien les concurrents et ne peuvent donc avoir aucun effet sur leurs activités ;
Que la SNCF affirme aussi que le mécanisme d'attribution des sillons privilégie les demandes formulées avant le mois d'avril de l'année précédant le début de l'horaire de service - demandes dites précoces - pour lesquelles RFF a mis en place un système de dialogue visant à apporter une solution pour chaque confit entre deux demandes de sillons concurrentes (procédure dite de coordination) alors que les demandes formulées après cette date, considérées comme "tardives", ne bénéficient pas de la procédure de coordination et sont attribuées en fonction de la "capacité résiduelle"; qu'il ressort précisément de l'instruction que les nouvelles entreprises ferroviaires ont privilégié de telles demandes de sillons, soit en liaison avec leur stratégie commerciale, soit en raison d'un défaut d'organisation, situation qui est à l'origine de nombreuses pertes de trafics ;
Que la requérante reproche encore à l'Autorité d'avoir ignoré que les difficultés survenues au niveau des obtentions de sillons étaient dans leur très grande majorité, liées à l'impact des travaux en cours sur les infrastructures ;
Considérant, enfin, que la SNCF critique la décision en ce qu'elle a écarté les justifications objectives à la pratique de surréservation et de non-restitution de sillons qui étaient avancées, alors pourtant :
- que l'instruction n'a jamais démontré de non-restitution de sillons "'non utilisés'" et que, dans les deux cas où Fret SNCF s'est opposée à la restitution de sillons, ceux-ci étaient bel et bien utilisés ;
- que, dans un contexte où la majeure partie des sillons sur-réservés n'intéressent pas les concurrents, la qualification de surréservation ou d'indisponibilité "massive" est inexacte et que, même si la surréservation a pu, par ailleurs paraître "disproportionnée", c'est surtout la SNCF elle-même qui en a subi les conséquences, en raison du coût impliqué par les péages ;
- que la SNCF a mis en œuvre une politique dite de dé-réservation d'une grande ampleur à partir de 2008 et qu'elle a opéré d'autre part, les restitutions systématiques de sillons opérées à la demande de RFF, le terme "généralisée" ne parait pas non plus adapté ;
- que le pourcentage de surréservation des nouvelles entreprises ferroviaires est, proportionnellement, plus élevé que le sien ;
- qu'enfin, la restitution d'un grand nombre de sillons ne peut, en soi, suffire à démontrer un abus ;
Que la SNCF ajoute que l'Autorité aurait dû prendre en considération les justifications objectives à la surréservation de sillons, découlant en particulier du fait que, lorsque les entreprises ferroviaires passent commande à RFF, elles n'ont pas connaissance de la capacité disponible, et qu'un certain nombre d'événements peuvent avoir un impact sur les demandes de sillons (en particulier travaux, incidents de production imputables aux entreprises ferroviaires, changements d'orientation des clients, problèmes de capacité liés aux voies uniques, etc.) et que l'importance et le coût de ces aléas pour les entreprises ferroviaires justifient que ces dernières limitent la prise de risque en réservant davantage de sillons que la quantité dont elles ont besoin au moment où elles passent commande ;
que cette pratique est simplement conforme une obligation de gestion raisonnable des ressources par les entreprises ferroviaires, confrontées à des clients particulièrement exigeants en ce qui concerne la qualité et la fiabilité des plans de transport proposés ;
Que la requérante explique encore que la restitution des sillons se heurte à d'importantes difficultés matérielles, en raison des aléas inhérents aux modalités d'organisation et de fonctionnement de Fret SNCF du gestionnaire de l'infrastructure qui ont depuis fait l'objet d'amélioration ainsi qu'aux aléas liés aux des trafics eux-mêmes, alors que la SNCF devait en 2012 gérer plus de 660 000 sillons par jour, ce qui ne permet pas de les suivre quotidiennement avec précision sans un outil adapté, tel que celui de RFF ;
Considérant, cependant, sur la délimitation du marché pertinent, que la cour relève, à titre liminaire, que la pratique de surréservation de sillons ferroviaires étant exclusivement intervenue sur le marché dominé du transport ferroviaire de marchandises par train massif qui a été précédemment constaté, la SNCF n'est pas fondée à se prévaloir de l'existence d'un marché prétendument distinct et non dominé de "l'accès aux sillons" ;
Considérant que la SNCF n'est pas non plus en droit de remettre en cause le caractère indispensable de l'accès aux sillons et, dès lors, la qualification, exactement retenue par la décision, de ressources rares qui conditionne, à l'évidence, la capacité des entreprises nouvelles entrantes à offrir des services de transport ferroviaire sur le marché et que, ainsi que l'a constaté à juste titre l'Autorité (paragraphe 433 de la décision), l'indisponibilité des sillons a porté sur un bien auquel il est indispensable d'accéder pour pénétrer sur le marché et s'y développer ;
Considérant, en outre, qu'il n'est pas reproché à la SNCF d'avoir mis en place, à l'instar d'autres entreprises ferroviaires, une politique de surréservation de sillons ferroviaires en tant que telle, notamment, en ce que celle-ci se limite à pallier certains aléas susceptibles d'affecter le plan de transport ou encore d'avoir procédé à une surréservation des sillons dans des conditions et selon des modalités appelant seulement, le cas échéant, des explications ou des justifications tirées de l'application de la réglementation ferroviaire ou du fonctionnement du transport ferroviaire, mais, plus amplement, en substance, selon les termes de la notification de griefs, alors que cette entreprise occupait une position dominante, héritée de son monopole légal, sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif, d'avoir continué à réserver, à son seul profit, une part substantielle des sillons disponibles en France afin, notamment, d'offrir ses services sur ce marché, exactement défini par l'Autorité comme un marché pertinent ;
Considérant, sur la pratique de surréservation proprement dite, que, contrairement à ce qui est soutenu, l'Autorité a bien démontré, par des appréciations pertinentes que la cour fait siennes et sur le fondement d'éléments procédant de constatations objectives effectuées dans le cadre de l'instruction et exactement analysées dans la décision, que la SNCF a sur-réservé des sillons dans des proportions importantes et n'a pas restitué ceux qu'elle n'utilisait pas, ou ne les a rétrocédés que très tardivement, privant ainsi les autres entreprises ferroviaires actives dans le secteur du fret de la possibilité de les utiliser, alors même que certaines d'entre elles en avaient fait la demande en vue d'honorer des commandes d'ores et déjà reçues ;
Considérant qu'il sera ainsi renvoyé aux développements de la décision (paragraphes 425 à 432) dont il résulte, en synthèse :
- qu'il a été constaté que l'activité fret de la SNCF représentait au moins 23 % de la réservation de sillons en France, tous types de transport confondus, proportion qui doit être comparée avec la part de 3 % que représentait l'ensemble de ses concurrents actifs dans le fret, pour un total d'au moins 142 millions de kilomètres de sillons réservés sur la période comprise entre 2006 et 2008 ;
- que cette prééminence objective a permis à la SNCF de se comporter de manière indépendante par rapport aux autres acteurs du marché : les chiffres fournis par la SNCF elle - même font apparaître que la proportion de sillons réservés et non utilisés pour sa seule activité de fret a été de 21,73 % en 2006, de 21,81 % en 2007 et de 17,94 % en 2008 et que, pour les huit premiers mois de l'année 2008, la direction financière de la SNCF a elle-même estimé que cette proportion était de 31 % ;
- qu'au-delà de la seule surréservation, la SNCF s'est longtemps abstenue de restituer de nombreux sillons qu'elle n'utilisait pas et que, confrontée à des demandes d'accès d'autres entreprises ferroviaires, elle a fait preuve de beaucoup de réticences à les restituer, malgré les pressions en ce sens de RFF, entraînant d'importants délais dans leur réattribution et des incertitudes quant à la possibilité pour ses concurrents d'opérer certains trafics ;
- qu'en effet, ainsi que cela a été constaté de manière précise et circonstanciée aux paragraphes 150 à 153 de la décision - déclarations du représentant d'Europorte et constatations concernant ECR - ci-dessus, les interventions répétées du gestionnaire du réseau (RFF), saisi par les concurrents de la SNCF, confirment, dans de nombreux cas, l'absence de restitution de sillons non-utilisés par la SNCF, alors même qu'ils étaient nécessaires à l'activité d'autres entreprises ferroviaires ;
- que, pour faire face à cette difficulté, RFF a dû mettre en place une politique de retrait de sillons pour les appels d'offres non remportés par la SNCF : elle a, par exemple, mis en œuvre cette politique pour récupérer 50 sillons manifestement non utilisés en février 2009 et, s'agissant de l'efficacité de cette procédure et des répercussions qu'elle a eues sur la SNCF, les déclarations de RFF confirment que la SNCF ne restituait pas à l'époque des faits les sillons qu'elle n'utilisait pas : "Cette procédure a été mise en œuvre mais est maintenant derrière nous. Fret SNCF a compris qu'elle n'a plus d'intérêt à conserver les sillons qu'elle n'utilise pas (...)" ;
- que RFF a également mis en place des incitations économiques, en augmentant fortement les redevances dues en cas d'inutilisation des sillons réservés ; que si ces augmentations ont incité la SNCF à lancer une politique générale de restitution de sillons non-utilisés à la fin de l'année 2007, cette politique n'a cependant guère produit d'effets durant l'année 2008 en raison, selon les termes mêmes de la direction financière de la branche Fret, de la "frilosité opérationnelle" sur ce sujet, ne permettant que des libérations ponctuelles de sillons ;
- que certaines pièces du dossier indiquent que c'est en connaissance de cause que la SNCF a utilisé sa politique de réservation de sillons à d'autres fins que la seule couverture des aléas de son plan de transport, ainsi qu'en témoignent notamment les propos de certains de ses cadres opérationnels (paragraphe 431 de la décision) ;
- que cette politique de surréservation a porté sur un nombre de sillons considérable : sur la base des seuls chiffres communiqués par la SNCF, ce sont au minimum 34,11 millions de kilomètres sillons qui ont été sur-réservés et non-utilisés en 2006, 32,46 millions en 2007 et 34,36 millions en 2008, soit une indisponibilité massive de sillons ;
Considérant, par ailleurs, que, contrairement à ce qui est soutenu, il résulte du dossier (paragraphes 435 et 436 de la décision) que l'indisponibilité des sillons résultant de la pratique de surréservation était d'autant plus marquée en ce qui concerne les sillons opérant sur des voies uniques à trafic restreint (VUTR) qui, en raison de leur vétusté, ne permettent qu'un nombre limité - généralement quatre - de passages de trains par jour ;
Qu'en effet, il est établi par les déclarations et par les éléments du dossier - paragraphes 150 à 153 de la décision notamment - qui sont mis en exergue par l'Autorité, que cette situation réduit d'autant le nombre de sillons disponibles sur ces voies qui, bien que secondaires par rapport au réseau principal, sont largement employées par les opérateurs de fret ferroviaire pour atteindre les sites de déchargement et les terrains embranchés des clients ;
Que, dès lors, le fait de sur-réserver et de préempter des sillons sur ces voies aboutit bien à priver les autres opérateurs d'une ressource rare, indispensable pour présenter des offres aux chargeurs et qu'il ressort du dossier (paragraphes 428, 435 et 436 de la décision) :
- que pour remédier à ces dysfonctionnements, RFF a dû d'ailleurs mettre en place une procédure spécifique d'attribution "sous réserve" des appels d'offres des chargeurs ;
- que c'est précisément sur ce type de voies qu'une partie importante des pratiques de non - restitution de sillons en cause dans la présente affaire a été mise en œuvre et que ces pratiques ont, le plus souvent, nécessité une intervention de RFF en vue d'obtenir la libération des sillons ;
Considérant que rien ne permet non plus d'invalider les constatations de l'Autorité sur les deux types d'effets de la pratique dont il résulte qu'elle a restreint la concurrence en rendant indisponibles des sillons qu'un concurrent aussi efficace que la SNCF aurait pu exploiter utilement pour offrir ses services sur le marché ; que :
- d'une part, l'indisponibilité de sillons sur certains tracés a pu empêcher les concurrents de la SNCF d'accéder à de nouveaux clients, situation illustrée concrètement : en ce qui concerne ECR qui, en l'absence de sillons disponibles du fait de leur réservation par la SNCF, n'a pas pu effectuer, en 2008, les prestations de transport pour lesquelles elle avait été sélectionnée par l'entreprise Lafarge (point 152 de la décision) ; plus largement par le fait que les retards chroniques de la SNCF dans la libération de sillons non-utilisés, en cas de demandes de concurrents, et la nécessité qui en a découlé pour RFF d'intervenir, ont dissuadé les concurrents de concourir lors de certains appels d'offres ( paragraphes 147 à 153 et 428 de la décision) ;
- d'autre part, l'indisponibilité de sillons, et en particulier de ceux d'entre eux qui étaient stratégiques (VUTR notamment), a eu pour effet d'élever les barrières à l'entrée sur le marché, retardant ainsi la pénétration de concurrents aussi efficaces : en effet, la nécessité, dans les cas où cela était techniquement envisageable, de recourir à des solutions alternatives aux sillons réservés par la SNCF a tendu à dégrader la qualité du service offert aux chargeurs, ainsi que les conditions tarifaires proposées ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient la requérante, les exemples précis et circonstanciés donnés par la décision (paragraphe 441 de la décision : concernant ECR l'absence de sillons permettant de desservir le groupe Basaltes au début de l'année 2007 sur le site de la carrière de Vignats), illustrent à suffisance de droit les effets de la pratique énoncés par l'Autorité et que, par surcroît, outre ces effets directs sur les concurrents, il ne peut être utilement contesté que, en soi, le retard dans le développement de ces entreprises ferroviaires a eu pour effet de réduire les sources d'approvisionnement offertes aux chargeurs, ces derniers pâtissant de prestations de qualité moindre ou d'offres tarifaires moins attractives ;
Considérant que, concernant encore les effets de la pratique, rien ne permet non plus de remettre en cause les constatations de l'Autorité ( paragraphes 144, 443 et 444 de la décision ) dont il ressort que, dans certains cas, la SNCF, consciente du caractère stratégique de la réservation de sillons, y a recouru, au vu de certaines pièces du dossier, comme un instrument commercial lorsqu'elle a préconisé en interne la réservation préventive, ou la non-restitution de sillons, en vue d'empêcher ses concurrents de se positionner de façon crédible sur un trafic soit, par exemple :
- le cas du sillon correspondant au tronçon "Laragne-Chambéry", sur-réservé dans le but de devancer ECR sur le trafic d'un client qui procédait à un appel d'offres ;
- dans des circonstances similaires, concernant un trafic des Carrières de Luché, les déclarations de l'agent de la SNCF montrent , de toute évidence, qu'il avait pleine conscience de la stratégie à l'œuvre : "D'autre part ECR aurait signifié son intérêt de récupérer le ou les sillons de soirées. Sans faire d'obstruction, nous ne sommes pas payés pour favoriser ce type de demande. Je suggère que d'ores et déjà nous utilisions tous les sillons (en alternance d'un jour sur l'autre)" ;
Considérant, enfin, concernant les justifications objectives alléguées par la SNCF, que s'il est vrai que si une entreprise en position dominante peut, comme en l'espèce, faire valoir que le comportement qui lui est reproché est objectivement justifié ou engendre des gains d'efficacité dont une partie équitable est répercutée sur les utilisateurs, il lui incombe, ainsi que le rappelle l'Autorité (paragraphe 446 de la décision), de démontrer le bien-fondé d'une telle justification objective, au moyen d'arguments et d'éléments de preuve ; que, selon la jurisprudence communautaire, il appartient à l'intéressée de démontrer :
- premièrement, que les gains d'efficacité engendrés par son comportement sont tels, eu égard à leur nature et à leur étendue, qu'ils compensent les effets préjudiciables de ce comportement sur le jeu de la concurrence et sur les consommateurs ;
- deuxièmement, que ces gains d'efficacité sont bien la conséquence de son comportement,
- troisièmement, que ce dernier est indispensable à la réalisation de ces gains,
- quatrièmement, qu'il n'élimine pas une concurrence effective en supprimant la totalité ou la plupart des sources existantes de concurrence actuelle ou potentielle sur le marché (arrêt Post Danmark précité, point 42) ;
Considérant que, contrairement à ce qui est soutenu, la SNCF ne démontre pas l'existence de raisons objectives justifiant son comportement, notamment au regard des aléas affectant la réservation des sillons, qui est bien intervenue en violation des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du Code de commerce ; qu'en effet, ainsi que le constate à bon droit la décision (paragraphes 451 à 453) :
- il ressort du dossier que la politique de surréservation de la SNCF excédait ses besoins et manquait souvent de justification tangible, cette situation étant confirmée par le fait que la SNCF a pu opérer ponctuellement des libérations massives de sillons réservés, pour des raisons financières liées aux nouvelles redevances exigées par RFF, et non pour des raisons liées à la disparition d'aléas, démarche qui atteste que la SNCF avait la capacité de libérer, quand elle le voulait, un nombre de sillons importants sans porter atteinte à son plan de transport ;
- qu'au demeurant, le risque d'aléas ne peut justifier l'absence de restitution de certains sillons, quand la SNCF ne dispose plus de trafics à exploiter sur les tracés correspondants, comme dans des cas relevés sur des VUTR, ou encore quand elle perd des clients et des trafics au profit d'autres opérateurs, situation qui a, par exemple, conduit RFF à prononcer en février 2009 un retrait préventif de 50 sillons que la SNCF ne prévoyait pas d'utiliser lors de l'année 2009, pour les remettre à la disposition de l'ensemble des entreprises ferroviaires ;
- qu'enfin, la SNCF ne pouvait ignorer, dans l'exercice de la pratique de surréservation de sillons, qu'il lui incombait, en tant qu'opérateur historique dominant, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte à la concurrence et qu'elle a méconnu cette exigence en pratiquant une politique massive de surréservation de sillons et a, de ce fait, faussé le jeu normal de la concurrence ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'Autorité a décidé, à bon droit, que durant la période comprise entre les mois de mai 2006 et de février 2009 la SNCF a abusé de sa position dominante en rendant indisponibles, de façon aussi massive qu'injustifiée, des sillons indispensables à la pénétration de ses concurrents sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif, retardant ainsi de façon artificielle leur développement et, qu'à supposer même que ce comportement ait pu s'inspirer d'une pratique au départ commune à l'industrie et destinée à faire face à des aléas ponctuels, il est en l'espèce abusif compte tenu de son échelle, de ses effets aussi bien potentiels que concrètement observables sur les concurrents, et de son absence de justification objective ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
En ce qui concerne l'indisponibilité de wagons de type "EX" (grief n° 8) :
Considérant qu'il est rappelé que les wagons de type "EX" (EX 80, EX 90 et EX 100) (ci-après "wagons EX") sont des wagons à trois trémies à déchargement axial contrôlé d'une capacité de 58 à 60 m3environ et pouvant transporter une charge utile maximale de 63 à 67,5 tonnes ;qu'il s'agit de wagons spécialisés pour le transport de granulats que leurs spécificités les rendent particulièrement adaptés pour livrer les produits de carrière et les centrales à béton ou à bitume ;
Considérant que, sur les pratiques constatées qui ont justifié la notification des griefs, la cour renvoie aux développements de la décision (paragraphes 158 à 188) dont il résulte, en synthèse :
- concernant le parc de wagons EX :
qu'en 2006, au moment de l'ouverture du secteur du fret ferroviaire à la concurrence, le seul loueur de ce type de wagons en France était la société SGW, qui appartient au groupe SNCF : en effet, tous les propriétaires ou détenteurs de wagons EX (les sociétés VTG, Ermewa, Sogewag, France Wagons, Tranord, SCRC et Roy) les lui avaient confiés pour être gérés au sein du "pool" de wagons Transvrac ;
qu'au 1er novembre 2006, SGW gérait pour le compte de leur propriétaire au sein du "pool" Transvrac 2375 wagons EX , chiffre qui est confirmé par un document du 12 juillet 2005, saisi dans les locaux de la SNCF, relatif aux wagons aptes à transporter des granulats, document qui confirme également que, à cette date, la gestion technique et commerciale de l'ensemble des wagons EX disponibles en France était confiée à SGW ;
le nombre de wagons EX gérés par SGW au sein du "pool" Transvrac a diminué de 150 unités au début de l'année 2007, en raison du retrait de ce pool des wagons des sociétés Roy et Nacco ;
- concernant la réservation du parc de wagons EX par la SNCF qu'il ressort des pièces du dossier :
que la SNCF, par le biais de sa branche Fret, a disposé au moment de l'ouverture du secteur à la concurrence de l'exclusivité d'utilisation du parc de wagons EX géré par SGW, dans la mesure où elle le réservait dans son intégralité ; que si, eu égard au mode de fonctionnement de SGW, les prévisions d'utilité et les réservations de wagons s'effectuaient à l'époque des faits pour six mois, des ajustements devaient néanmoins, être effectués "au fur et à mesure" donnant lieu, le cas échéant, à des libérations de wagons ;
que la seule exception à cette exclusivité est, pour des raisons historiques, la location directe de wagons, non pas à d'autres entreprises ferroviaires, mais à trois chargeurs pour leurs besoins internes,
étant observé que ces locations concernent moins d'une centaine de wagons EX à trois chargeurs :
Malet, Arvel et Calcia ;
que ECR (à l'époque des faits EWS) a été la première entreprise ferroviaire à contacter SGW en vue de lui louer des wagons EX : sa première demande a été formulée le 13 mars 2006, des contacts préliminaires ayant eu lieu dès novembre 2005, et elle concernait la location d'une quarantaine de wagons EX à compter du 1er mai 2006 et d'une soixantaine de wagons à compter du 1er septembre 2006, afin d'exécuter les commandes de chargeurs qu'elle avait reçues ;
que le refus de location a été formalisé par SGW le 23 novembre 2006 à la suite d'un courrier d'ECR du 6 novembre 2006, refus de location qui fait suite à la confirmation auprès de la SNCF de ses besoins effectifs en location de wagons EX, qui étaient, selon cette dernière, supérieurs à 2 200 wagons ;
qu'entre les mois de mai 2006 et octobre 2007, SGW a systématiquement refusé de louer des wagons EX à d'autres entreprises ferroviaires que la SNCF, au motif que l'ensemble de son parc de wagons EX était utilisé par la SNCF, ainsi que les représentants de SGW l'ont déclaré lors de l'instruction et ils évoquent, par ailleurs, une pénurie de wagons EX pour le deuxième semestre de l'année 2006, en raison de modifications à apporter, pour des raisons de sécurité, sur les mains monitoires de 400 wagons EX ;
que, le 22 novembre 2007, ECR a relancé SGW pour la location de wagons EX et que cette nouvelle demande a donné lieu à une réunion entre SGW et ECR pour évaluer ses besoins en wagons EX et a abouti à la location des 44 premiers wagons à ECR à compter du 1er mars 2008 ;
que s'agissant de Colas Rail, il ressort des pièces du dossier que sa première demande de location de wagons EX date du mois de février 2007 et que, le 12 mars 2007, cette demande a, dans un premier temps, été refusée par SGW dans les termes suivants: "Il se trouve que la SGW n'est malheureusement pas en mesure de vous faire une offre de location dans l'immédiat, la totalité de nos wagons de cette catégorie étant actuellement louée" ;que SGW a finalement accepté de louer deux rames de wagons EX à Colas Rail, à la suite d'une longue négociation avec certains cadres de Fret SNCF et non de SGW ; que les comptes-rendus que font ces cadres des discussions finales avec le président de Colas Rail (paragraphe 169 de la décision) montrent le contexte particulier de cette location concernant un trafic que la SNCF ne comptait plus effectuer et en échange d'un engagement de ne pas faire construire de rames EX, ce qui aurait diminué la valeur des actifs de la SNCF ;
que la mise à disposition exclusive du parc de wagons EX de SGW à la SNCF a donc cessé en octobre 2007 avec la location à Colas Rail (anciennement Secorail) de rames de wagons EX, soit 44 wagons ; que SGW a, par la suite, loué deux rames à ECR en mars 2008 pour atteindre un nombre total de 170 wagons loués en mai 2009 et VFLI a, elle aussi, reçu en location 96 wagons EX en juin 2008 ;
que, confrontés à cette indisponibilité de wagons EX en raison de la réservation de l'ensemble du parc par la SNCF, tant ECR que Colas Rail ont dû avoir recours à des solutions alternatives pour assurer leurs prestations de transport de granulats : ces deux concurrents de la SNCF ont recouru soit à des wagons moins performants qui ont dû être adaptés, soit à des wagons importés non prévus initialement pour le transport de granulats, soit à des wagons EX fabriqués pour eux, mais qui n'ont été pour partie disponibles et uniquement pour l'un d'entre eux, au mieux, qu'en fin d'année 2007 et n'ont été effectivement opérationnels que dans le courant de l'année 2008 ;
que, néanmoins, ils ont eu accès, dès le début de l'année 2007, à des wagons EX dans des quantités limitées en raison du retrait du "pool" Transvrac des sociétés Roy et Nacco : ces solutions alternatives n'ont toutefois pas pu être opérationnelles immédiatement ;
- concernant l'absence d'utilisation effective du parc de wagons EX, qu'il ressort des pièces du dossier que le nombre de wagons ou rames EX effectivement utilisés par la SNCF était substantiellement inférieur au nombre de wagons ou rames EX effectivement disponibles à l'époque des faits que la SNCF réservait pour son usage exclusif ( la cour renvoyant sur ce point aux données chiffrées et aux déclarations mentionnées aux paragraphes 175 à 188 de la décision) ;
Considérant que la cour relève, à titre liminaire, que la SNCF, qui demande à titre principal à la cour de dire que le grief n° 8 n'est pas fondé, évoque cependant incidemment, dans les développements de ses écritures consacrés aux effets des pratiques, l'existence d'un marché de la location de wagons en Europe sur lequel la pratique en cause est intervenue, distinct du marché dominé, et prétend que, contrairement à ce que relève l'Autorité, qui considère à tort que les wagons EX constituaient une ressource rare indispensable à court terme pour permettre aux concurrents de la SNCF de pénétrer sur le marché et de s'y développer, "les wagons EZ sont substituables aux wagons EX ; qu'en effet, les wagons de type EZ présentent les mêmes caractéristiques - utilisation non coûteuse et recommandée d'une sauterelle adaptable, mélange par SGW de ces deux types de wagons dans ses différents bassins de stockage, utilisation par la SNCF elle-même de wagons EZ pour le transport de ses granulats - et, par surcroît, sont disponibles en quantité suffisante en France et à l'étranger ;
Considérant que pour solliciter l'annulation de la décision, la requérante prétend que l'Autorité, dont la décision est entachée d'une insuffisance de motivation, a commis des erreurs d'appréciation ; que, contrairement à ce qui a été relevé par l'Autorité, le fonctionnement du pool Transvrac exclut toute "exclusivité" de la SNCF sur la location de wagons EX, dès lors que la circonstance que Fret SNCF a été le principal co-contractant de SGW jusqu'à en 2007 ne la plaçait nullement "en position d'exclusivité" pour l'accès aux wagons EX pendant cette courte période ; qu'en effet, SGW n'étant pas, en sa qualité de gestionnaire d'un pool de wagons, propriétaire des wagons qu'elle est chargée de louer, elle n'a ainsi aucun pouvoir de garantir la location effective des wagons pour lesquels elle s'est engagée, que ce soit vis-à-vis de Fret SNCF ou vis-à-vis d'autres opérateurs, les propriétaires ayant la possibilité de retirer leurs wagons du pool à tout moment ; que, dès lors, le rôle d'offreur de SGW dépend uniquement des propriétaires et des loueurs de wagons, qui peuvent décider de lui confier ou non des wagons, ce qu'ont d'ailleurs fait les opérateurs Carrières Roy, Ermewa et VTG pendant la période retenue pour l'infraction ; que, selon la SNCF, l'Autorité n'est pas ainsi fondée à reprocher à Fret SNCF des agissements tendant à un assèchement volontaire de la disponibilité de wagons EX, alors, par ailleurs, que des opérateurs alternatifs étaient tout à fait en mesure de concurrencer SGW sur le marché de la location de wagons EX et de louer ceux-ci aux nouvelles entreprises ferroviaires et qu'il est ainsi démontré que Fret SNCF n'était nullement en situation d'exclusivité puisque les loueurs n'étaient pas définitivement liés par les engagements pris par SGW et que, quand bien même SGW aurait contracté avec Fret SNCF la location de la totalité des wagons contenus dans le pool et aurait de ce fait refusé les demandes d'autres entreprises ferroviaires, ces réservations et ces refus n'avaient aucun caractère définitif, ce que les nouveaux entrants ont compris et utilisé à leur avantage dès l'ouverture du marché du fret ferroviaire à la concurrence ;
Que la SNCF reproche encore à l'Autorité d'avoir échoué à démontrer une pratique abusive d'assèchement de la location des wagons EX ; que la requérante critique la méthode de calcul de l'Autorité concernant la situation de pénurie de ces wagons et le nombre de wagons disponibles et utilisés par la SNCF, alors que l'Autorité avait pourtant admis le bien-fondé de certains de ses arguments, présentés durant l'instruction, visant à démontrer que le différentiel calculé entre les wagons réservés et les wagons utilisés par elle n'était pas représentatif de la réalité pratique du fonctionnement du parc de wagons (paragraphes 179 et 469 de la décision); que, cependant, alors que l'Autorité prétend que cette méthodologie " surestime volontairement les indisponibilités effectives de wagons", il apparaît au contraire que certains éléments essentiels ayant un impact direct sur le calcul du différentiel entre les wagons réservés et les wagons facturés à la SNCF ont été omis, ce qui conduit à un décalage important entre le calcul théorique opéré par l'Autorité et la réalité de gestion des wagons sur le terrain; qu'en effet, l'Autorité ne prend pas suffisamment en considération les éléments d'indisponibilité du parc de wagons EX loués par la SNCF sur la période retenue pour l'infraction ; qu'ainsi, par exemple :
- les chiffres communiqués par SGW et sur lesquels l'Autorité fonde ses calculs, concernent uniquement les wagons facturés à Fret SNCF mais ne prennent pas en compte les réservations préventives de la SNCF pour pallier aux aléas et que, de même, la dégradation de la rotation des wagons conduit également à diminuer la part des wagons effectivement facturés à la SNCF ;
- l'Autorité a par ailleurs sous-estimé le nombre de wagons immobilisés du fait de réparations (mains montoires) et n'a pas tenu compte de la baisse d'utilisation des wagons pendant l'hiver, due aux fermetures d'usines : or, pendant ces périodes de fermeture, SGW ne facture évidemment pas les wagons qui se trouvent, d'office, immobilisés, ce qui ne signifie pas que Fret SNCF est pour autant tenu de restituer ses wagons ;
Que la requérante reproche encore à l'Autorité d'avoir procédé de manière erronée à une qualification d' infraction relative à l'assèchement des wagons EX reposant, d'une part, sur une analyse dénaturée du comportement de SGW qui viserait à faire croire que ses refus de location ont été systématiques et, d'autre part, sur une fausse interprétation des pièces saisies établissant selon l'Autorité que la SNCF aurait volontairement empêché l'accès à ces wagons, jugés stratégiques ; que la requérante affirme qu'à l'opposé, les refus opposés à SGW ont toujours été fondés sur des raisons objectives et la SNCF, de son côté, n'a jamais cherché à organiser cet assèchement des wagons ;
Qu'enfin, la SNCF prétend, d'une part, que les refus de location de wagons opposés par SGW étaient justifiés par des prévisions de pénurie, parfois évaluées par Fret SNCF, parfois évaluées par SGW elle-même, en précisant :
- sur les refus de location pendant l'année 2006, que la première demande d'ECR en mars 2006 s'est heurtée au refus de SGW en raison de circonstances objectives découlant de ce que SGW n'avait pas la possibilité de prendre des engagements car elle n'avait pas de visibilité sur son parc, suite au départ du pool Transvrac de plusieurs membres importants ;
- sur les refus de location pendant l'année 2007, concernant le refus opposé à Colas Rail, que celle-ci n'avait pas vocation à assurer des transports de marchandises pour des tiers, mais uniquement pour les entreprises de son propre groupe, de sorte que cette entreprise ne peut être considérée comme présente sur le marché des granulats en 2007 ; que, par ailleurs, des circonstances particulières, ont conduit Colas Rail à recourir en urgence aux wagons du pool géré par SGW alors que les disponibilités des wagons EX étaient très restreintes en raison des fortes demandes des clients chargeurs pendant toute l'année 2007, soit une situation de pénurie démontrant que les réponses négatives faites par SGW et Fret SNCF à Colas Rail au premier semestre 2007 étaient fondées ; que le fait que Fret SNCF ait été menacée par Colas Rail de la construction de wagons EX pour l'obliger à libérer des wagons ne prouve d'ailleurs en rien que les wagons réservés par Fret SNCF n'étaient pas utilisés ;
Que la SNCF affirme, d'autre part, qu'aucune stratégie visant à organiser l'assèchement des wagons EX ne peut lui être imputée sur le fondement des pièces citées par la décision qui, à l'inverse de ce qui est soutenu par l'Autorité, expriment très clairement que l'intérêt de la SNCF dans le renforcement de l'activité de ses filiales de location de wagons ne peut pas consister à en refuser la location et démontrent en revanche que Fret SNCF a commandé des volumes de wagons correspondant à des prévisions de pénurie, que SGW n'a pas pu satisfaire immédiatement les demandes d'ECR et de Colas Rail en raison de cette pénurie, mais s'est employée à mettre à leur disposition des wagons dès qu'elle en a eu la possibilité, et que d'autres loueurs ont également mis à disposition des wagons EX à des concurrents de Fret SNCF ;
Que la SNCF prétend, enfin, d'une part, qu'aucun effet anticoncurrentiel réel sur le marché de la location de wagons et sur le marché des services ferroviaires n'est démontré, dès lors qu'après l'ouverture du marché, les nouvelles entreprises ferroviaires sont parvenues très rapidement à conquérir une part significative de la clientèle non seulement sur le marché du train massif en général mais encore, plus particulièrement, dans le secteur du BTP, principalement concerné par l'utilisation des wagons EX et, d'autre part, qu'aucun effet potentiel n'est avéré, en raison des alternatives qui existaient sur le marché, soit en termes d'offreurs de wagons EX , soit en termes d'offre de wagons substituables ;
Considérant qu'au regard des moyens soulevés par la requérante, il convient, à titre liminaire, de rappeler qu'il n'est pas reproché à la SNCF d'avoir commis une pratique de surréservation sur un marché distinct du marché dominé identifié comme le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif qui serait constitué par la location de wagons mais, alors qu'elle disposait, à l'époque des faits, d'une position dominante sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif, issue du monopole légal antérieurement détenu, d'avoir continué, après l'ouverture à la concurrence, à réserver l'ensemble du parc de wagons EX, ce qui lui a permis de profiter du pouvoir de marché hérité de ce monopole légal pour rendre indisponible une partie du parc de wagons EX, qu'elle n'utilisait pourtant pas, au détriment des autres entreprises ferroviaires ;
Que, selon la notification des griefs, le caractère abusif de ce comportement est lié au fait que la SNCF utilisait effectivement un nombre de wagons EX qui ne rendait pas nécessaire la réservation de la totalité du parc géré par SGW, alors même que les entreprises ferroviaires concurrentes en avaient besoin ;
Considérant que c'est à tort que la SNCF critique le bien - fondé des constatations de l'Autorité - paragraphe 181 et 182 de la décision - dont il résulte que, pour la période considérée, le nombre de wagons réservés et non utilisés par la SNCF allait de 59 (mai 2007) à 917 (décembre 2007) et que le nombre de wagons EX non utilisés était d'au moins 150 wagons pour 14 des 18 mois considérés, et qu'il s'agit d'autant d'équipements que la SNCF aurait pu restituer à SGW et que cette dernière aurait pu mettre à la disposition des autres entreprises ferroviaires en ayant fait la demande, comme Colas Rail ou ECR ;
Considérant, en effet, que le chiffre retenu par l'Autorité en ce qui concerne le nombre de wagons effectivement utilisés avec d'autres pièces du dossier repose sur des données communiquées par la SNCF ainsi que sur le tableau fourni par SGW, qui précise le nombre de wagons effectivement facturés à la SNCF sur la période en cause (paragraphe 468 de la décision ), alors que SNCF a seulement fourni des tableaux prévisionnels qui comportent des chiffres supérieurs qui ne peuvent être retenus, s'agissant de documents prévisionnels ;
Considérant que la SNCF échoue également à remettre en cause les appréciations pertinentes de l'Autorité reposant sur des explications précises et circonstanciées sur le parc de wagons EX effectivement disponibles sur la période considérée ( paragraphes 469 à 473 de la décision) ; qu'il suffit de rappeler que, ainsi que l'expose et le justifie l'Autorité :
- les chiffres retenus par l'Autorité sont des estimations minimales d'indisponibilité qui, par ailleurs, prennent en compte la saisonnalité de l'activité de transport de granulats et les aléas liés à l'activité de location de wagons EX ;
- divers aléas ont été pris en compte et, en particulier :
la maintenance courante de ces wagons, qui les rend temporairement indisponibles ;
l'immobilisation à titre gratuit de SGW pour ses clients, afin de pallier des pannes ponctuelles (obligation dite "full service") ;
sur une partie de la période en cause, l'indisponibilité de 400 wagons EX en raison du remplacement pour des raisons de sécurité des mains montoires de certains wagons.
Considérant, en outre, que, contrairement à ce qui est soutenu, c'est également par des appréciations pertinentes (points 474 à 482 de la la décision) , que la cour adopte, que l'Autorité a établi, qu'à la date des pratiques, qui se situent à une période charnière de l'ouverture à la concurrence, en l'occurrence les deux premières années, les wagons EX constituaient une ressource indispensable à court terme pour permettre aux concurrents de la SNCF de pénétrer sur le marché et de s'y développer ; qu'en effet, la décision retient exactement, en synthèse :
- qu'il n'existait pas alors, à court terme, de solutions de remplacement aussi efficaces qui auraient pu constituer un substitut proche en termes de performances et, qu'à l'opposé, il ressort des pièces du dossier que la construction de wagons EX ne constituait pas, à court terme, une alternative à la location de wagons EX, eu égard aux délais de livraisons (entre 12 et 18 mois environ) et surtout aux coûts de ces wagons neufs (compris entre 100 000 et 120 000 euros par unité), étant observé que le fait que Colas Rail et ECR aient procédé à de telles acquisitions pour satisfaire leur stratégie de développement à long terme sur le marché ne remet pas en cause cette absence de substituabilité à court terme, ECR n'ayant, d'ailleurs, été livrée en rames neuves qu'à la fin de l'année 2008 ;
- que compte tenu des caractéristiques propres aux wagons EX (déchargement axial contrôlé, larges volumes transportés), leur substitution par d'autres types de wagons en France, comme les wagons tombereaux ou les wagons de type "EZ" (ou Facs), n'était pas une solution de remplacement satisfaisante pour les autres entreprises ferroviaires, dès lors que l'exploitation d'autres types de wagons supposait de les adapter ou d'adapter les sites de déchargement, ce que les chargeurs français ne souhaitaient pas et qui aurait entraîné un surcoût important pour les entreprises ferroviaires (paragraphe 477 de la décision auquel la cour se réfère expressément ;
- qu'à l'époque des faits, les importations de wagons EX ou d'autres types de wagons ont dû être abandonnées, en particulier en raison des réticences de l'EPSF, qui en refusait généralement l'homologation ainsi que cela ressort du compte-rendu d'une réunion menée par la MCAF au cours de l'année 2007 ;
- que le caractère indispensable des wagons EX à l'époque des faits est également corroboré, en pratique, par l'attitude de Colas Rail qui, confrontée en mars 2007 à l'indisponibilité de ces wagons après que sa première demande de location eut été refusée par SGW, n'a pu assurer les trafics qu'elle envisageait et a dû en confier une partie importante à la SNCF qui, elle, disposait de tels wagons ;
- enfin, que la SNCF avait connaissance de ce caractère stratégique et indispensable des wagons EX pour les autres entreprises ferroviaires ou encore que cet assèchement du marché a pu dans certains cas être effectué en toute connaissance de cause ;
Considérant, enfin, que c'est à suffisance de droit que l'Autorité a démontré que l'absence de disponibilité de wagons EX a eu pour effet aussi bien potentiel qu'effectivement observable d'évincer, d'entraver ou de discipliner les entreprises ferroviaires nouvelles entrantes sur le marché du train massif, en particulier, pour certains trafics de granulats ; qu'il suffit de renvoyer aux constatations reposant sur le dossier qui sont relatées dans les développements de la décision (paragraphes 483 à 493) dont il ressort :
- que l'indisponibilité de wagons EX a empêché les concurrents de la SNCF de formuler des offres commerciales crédibles et optimales en fonction de leurs propres mérites.
- que, d'une part, pour ces trafics, qui sont au demeurant parmi les plus attractifs en termes de rémunération et de réputation, les nouvelles entreprises ferroviaires se sont retrouvées dans l'impossibilité de formuler des offres, par exemple aux chargeurs d'enrobés bitumeux, qui n'opèrent que sur la base de wagons EX ;
- que, d'autre part, les nouveaux entrants n'ont pu présenter que des offres commerciales à des conditions financières dégradées et moins crédibles, dès lors qu'ils devaient supporter des coûts supplémentaires importants s'ils opéraient des wagons adaptés, comme des wagons tombereaux importés.
- qu'ainsi, par son comportement, la SNCF a forclos, à tout le moins de façon temporaire, une partie des trafics de transport de granulats en élevant artificiellement des barrières à l'entrée sur le marché du train massif et que cela a été d'autant plus préjudiciable à la concurrence que, dans des conditions normales de marché, ces trafics auraient vraisemblablement dû attirer un nombre important de nouvelles entreprises ferroviaires, compte tenu de leur rentabilité affichée ;
- que ce comportement a également conduit à renchérir les coûts des concurrents, en leur faisant supporter des charges financières importantes de façon indue, que ce soit en raison de l'adaptation de wagons imparfaitement substituables aux wagons EX ou de l'acquisition dans une perspective de long terme de wagons EX neufs ;
- qu'en définitive, la pratique mise en œuvre par la SNCF, sur une période clé de l'ouverture à la concurrence, a donc retardé la pénétration des concurrents sur le marché du train massif pour des trafics stratégiques et attractifs.
- qu'un tel effet est observable, en particulier, dans le cas d'ECR, qui, compte tenu du refus de location en wagons EX dans le courant de l'année 2006, n'a pu honorer ses commandes et que c'est également le cas pour Colas Rail qui, faute de wagons EX, a dû renoncer en mars 2007 à la majeure partie du trafic Anor opéré pour le compte des CCM et la rétrocéder à la SNCF ;
- que s'il ressort de certaines pièces fournies par la SNCF que ses concurrents ont malgré tout réussi à conquérir des parts de marché, cette résistance, au demeurant relativement limitée, n'est pas de nature à remettre en cause le caractère abusif de la pratique en cause et, qu'en l'absence d'un tel comportement, la pénétration de ces derniers aurait en effet selon toutes probabilités été plus importante, et en tout cas plus aisée ;
- qu'enfin, les chargeurs n'ont pas pu bénéficier de la possibilité de diversifier leurs sources d'approvisionnement, ni profité de services de transport potentiellement plus efficaces, ce qui était l'un des objectifs principaux de l'ouverture à la concurrence ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu' il est établi que la SNCF a abusé de sa position dominante en rendant indisponibles, de façon injustifiée, des wagons EX indispensables à la pénétration de ses concurrents sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif, retardant ainsi de façon artificielle le développement de la concurrence, cette pratique, qui viole les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du Code de commerce, ayant été mise en œuvre durant la période comprise entre les mois de mai 2006 et de février 2008 ;
Que le moyen sera rejeté ;
Sur le bien-fondé du grief n° 10 reposant sur la mise en œuvre de prix d'éviction
Considérant qu'il est reproché à la SNCF d'avoir pratiqué, sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif, des prix bas vis-à-vis des chargeurs tendant, par un moyen autre que le recours à la concurrence par les mérites, à évincer les concurrents sur ce marché ;
Considérant que la SNCF soutient que les principes du contradictoire et les droits de la défense ont été méconnus, dès lors que les caractéristiques du test de coûts utilisé pour établir l'existence d'une éviction par les prix n'auraient pas été soumises au débat contradictoire en ce qui concerne, d'une part, la confusion des seuils de coût évitable moyen et de coût incrémental moyen de long terme, et, d'autre part, l'horizon temporel de trois ans ;
Que la requérante prétend également que l'Autorité a méconnu le principe de légalité des délits et des peines en caractérisant la pratique de prix d'éviction à l'aide d'un test de coûts présentant un caractère novateur qui l'a conduite à s'écarter des principes et de la jurisprudence dans des conditions qui ont rendu l'infraction imprévisible ;
Que la SNCF affirme, enfin, que l'Autorité a fait une inexacte application des règles permettant de qualifier un abus de position dominante en matière de prix d'éviction, dès lors :
- qu'elle n'a pas mis en œuvre une stratégie d'éviction mais s'est bornée à pratiquer une politique d'alignement de ses prix sur ceux de la concurrence et que la réalité des effets anticoncurrentiels de la pratique n'est pas établie ;
- que l'analyse n'aurait pas dû être menée sur la globalité de l'activité de train massif, que les seuils de coût évitable moyen et de coût incrémental moyen de long terme ne sauraient être confondus et que l'horizon temporel de trois ans n'est pas pertinent ;
- plus généralement, que le test de coûts utilisé par l'Autorité ne vise que la détection des prix prédateurs ;
Considérant que la cour renvoie aux développements de la décision (paragraphes 189 à 207) sur les constatations sur les prix pratiqués par la SNCF pour ses prestations de transport ferroviaire de marchandises par train massif qui ont conduit à la notification du grief n° 10 sauf à rappeler, en synthèse, au regard de la spécificité du grief notifié :
- que, dans sa saisine, ECR a révélé une pratique de prix bas qui pourrait être constitutive, selon elle, de prix prédateurs, mise en œuvre par la SNCF sur certains trafics, en particulier le cas pour six trafics qui ont été attribués à la suite d'appels d'offres en 2009 par des chargeurs (Novacarb, Saint-Gobain Pont-à-Mousson, Solvay [2 trafics], Spilec, et Thèvenin et Ducros) ;
- qu'indépendamment de ces six appels d'offres identifiés par ECR, il ressort des pièces du dossier que l'activité de transport de marchandises de la SNCF réalise des pertes de façon récurrente depuis au moins l'année 2003, ainsi que le montre le rapport Grignon ;
- que la décision a analysé des tableaux (paragraphe 196 de la décision) présentant l'évolution des seuls résultats de l'activité par train massif de la SNCF pour la période couvrant les années 2007, 2008 et 2009 dans lesquels la SNCF distingue le chiffre d'affaires réalisé par chacun de ses pôles d'activité et les charges y afférentes et que, parmi les charges, elle opère une distinction entre les charges de production et les charges de support et de structure ;
- que, selon l'Autorité, il ressort de ces tableaux que la SNCF couvre, dans la majorité des cas, ses coûts de production mais qu'en revanche, elle ne couvre pas, de façon générale, la somme de ses coûts de production et de ceux de support et de structure ;
- qu'il ressort, par ailleurs, de pièces du dossier émanant de la SNCF (paragraphe 198 de la décision) que, dès 2007, les entreprises ferroviaires nouvelles entrantes sur le marché ont pu pratiquer des prix plus bas, compte tenu de leurs coûts de production ferroviaire inférieurs, à ceux antérieurement pratiqués par la SNCF : la SNCF constate des écarts de prix en faveur des entreprises ferroviaires nouvelles entrantes d'environ 20 % en moyenne, et compris entre 10 % et 36 % selon les appels d'offres et que, dans ce même document, la SNCF évoque, en particulier, des écarts de prix moyens, de 14 % et de 23 %, par rapport à ses propres propositions, en faveur respectivement de Veolia Cargo (devenu Europorte) et de ECR, ces écarts de prix étant confirmés dans des documents postérieurs, dont le dernier est daté du mois d'avril 2008 ;
- que ces écarts de coûts avec les entreprises ferroviaires nouvelles entrantes ont conduit la SNCF à adopter une stratégie de baisse des prix pour les trafics les plus rentables prioritairement visés par ses concurrents ;
- que, d'une part, il est constaté que certains contrats, comme celui des Carrières du Boulonnais pour lequel la SNCF pratiquait traditionnellement des prix inférieurs à ses coûts de revient, ont fait l'objet d'augmentations seulement marginales lors de leurs renégociations, ne permettant vraisemblablement pas à la SNCF de couvrir ses coûts ;
- que, d'autre part, la SNCF a délibérément, pour certains trafics et clients donnés, décidé de pratiquer des prix qui étaient déconnectés de ses coûts de revient afin de conserver ces trafics sans considération de rentabilité ;
- que, de plus, il ressort des pièces du dossier que, pour former ses prix pour certains appels d'offres, la SNCF a utilisé des estimations de coûts qui étaient erronées et manifestement sous-évaluées, alors même que la hiérarchie de la branche Fret avait été alertée sur ces erreurs : ces sous-estimations, qui pouvaient concerner tous les postes de coûts traditionnellement impliqués dans l'activité de transporteur ferroviaire concernent, néanmoins, principalement les possibilités de mutualisation de certains trafics avec d'autres, qui sont souvent théoriques ou très hypothétiques, ainsi que l'exclusion de certains coûts que la SNCF doit nécessairement supporter comme les jours "d'improductivité" du matériel roulant ;
En ce qui concerne les principes applicables aux pratiques d'éviction fondées sur les prix :
Considérant qu'il est constant, ainsi que l'a rappelé l'Autorité (paragraphes 500 à 514 de la décision) :
- que l'article 102 du TFUE interdit notamment à une entreprise en position dominante d'éliminer un concurrent et de renforcer ainsi sa position dominante en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d'une concurrence par les mérites et que dans cette perspective, toute concurrence par les prix ne peut être considérée comme légitime (arrêts de la cour de justice du 3 juillet 1991, Akzo Chemie-Commission, C-62-86, Rec. p. I-3439, point 70, ci-après l'"arrêt Akzo", et France Telecom-Commision précité, point 106) ;
- qu'en particulier, l'article 102 du TFUE interdit à une entreprise occupant une position dominante de mettre en œuvre des pratiques tendant à évincer des concurrents considérés comme aussi efficaces qu'elle-même, et à renforcer ainsi sa position dominante en recourant à des moyens, notamment fondés sur sa politique tarifaire, autres que ceux qui relèvent d'une concurrence par les mérites (arrêt de la Cour de justice Post Danmark précité, point 25) ;
- qu'il ressort de cette jurisprudence que tout comportement tarifaire d'un opérateur en position dominante, qui produit un effet actuel ou potentiel d'éviction sur les concurrents considérés comme aussi efficaces, restreint la concurrence et relève donc de l'interdiction prévue par les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du Code de commerce ;
- que pour apprécier la licéité au regard de ces dispositions d'une pratique mise en œuvre par une entreprise en position dominante et fondée sur sa politique de prix, il est donc à la fois nécessaire et suffisant de déterminer si ce comportement tend à restreindre la concurrence, en d'autres termes s'il est de nature à avoir ou encore s'il est susceptible d'avoir un effet d'éviction (arrêt de la cour de justice du 19 avril 2012, Tomra Systems, précité, point 68) ;
- que la démonstration d'un effet constaté, et à plus forte raison sa quantification, ne sont donc nullement exigées pour fonder un constat d'infraction ;
- que la méthode à appliquer pour qualifier une telle pratique a d'abord été précisée par la jurisprudence dans l'hypothèse spécifique de prix prédateurs qui, tels que définis par les juridictions tant internes que de l'Union (arrêts Akzo précité, points 70 à 72) sont une forme parmi d'autres de pratique fondée sur des prix pouvant engendrer un effet d'éviction interdit par les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du Code de commerce : cette interdiction se fonde sur la prémisse qu'une entreprise dominante adopte un comportement prédateur en supportant des pertes ou en renonçant à des bénéfices à court terme, de façon à évincer un ou plusieurs concurrents réels ou potentiels en vue de renforcer ou de maintenir son pouvoir de marché (paragraphe 63 de la communication sur les abus d'exclusion) et que le scénario de prédation suppose donc que l'opérateur dominant supporte un sacrifice à court terme, une telle stratégie tendant à évincer ses concurrents et à permettre une récupération à plus long terme ;
- que le fait de pratiquer des prix prédateurs ne saurait cependant pas être considéré comme l'unique comportement d'une entreprise en position dominante fondé sur une pratique de prix bas qui serait interdit par les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du Code de commerce ;
- que cela peut aussi être le cas, notamment, de pratiques de prix qui, à la différence de prix prédateurs, ne s'inscrivent pas dans une logique de sacrifice à court terme, mais tendent néanmoins à restreindre la concurrence par un effet d'éviction ;
- que ces pratiques peuvent notamment prendre la forme de prix d'éviction tendant à entraver de manière artificielle l'accès au marché des concurrents et ainsi à maintenir ou renforcer la position dominante de l'entreprise qui les met en œuvre ;
- que, s'agissant de la preuve de l'existence d'un tel effet d'éviction, l'arrêt Akzo (précité, points 71 et 72) a précisé, au départ également dans le cas particulier de prix prédateurs, qu'elle peut être rapportée en recourant à un test de coûts :
"Des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables (c'est-à-dire à ceux qui varient en fonction des quantités produites) par lesquels une entreprise dominante cherche à éliminer un concurrent doivent être considérés comme abusifs. Une entreprise dominante n'a, en effet, aucun intérêt à pratiquer de tels prix, si ce n'est celui d'éliminer ses concurrents pour pouvoir, ensuite, relever ses prix en tirant profit de sa situation monopolistique, puisque chaque vente entraîne pour elle une perte, à savoir la totalité des coûts fixes (c'est-à-dire de ceux qui restent constants quelles que soient les quantités produites), et une partie, au moins, des coûts variables afférents à l'unité produite.
Par ailleurs, des prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux, qui comprennent les coûts fixes et les coûts variables, mais supérieurs à la moyenne des coûts variables doivent être considérés comme abusifs lorsqu'ils sont fixés dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer un concurrent. Ces prix peuvent, en effet, écarter du marché des entreprises, qui sont peut-être aussi efficaces que l'entreprise dominante mais qui, en raison de leur capacité financière moindre, sont incapables de résister à la concurrence qui leur est faite."
- que ce test de coûts a été rappelé, en dernier lieu, dans l'arrêt Post Danmark (précité, point 27) dans les termes suivants :
"Dans son arrêt AKZO-Commission, précité, où il s'agissait de déterminer si une entreprise avait pratiqué des prix prédateurs, la cour a jugé, en premier lieu, au point 71 de cet arrêt, que les prix inférieurs à la moyenne des coûts "variables" (c'est-à-dire ceux qui varient en fonction des quantités produites) doivent être considérés, en principe, comme abusifs, dans la mesure où, en appliquant de tels prix, une entreprise occupant une position dominante est présumée ne poursuivre aucune autre finalité économique que celle d'éliminer ses concurrents. En second lieu, elle a jugé, au point 72 de ce même arrêt, que les prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux mais supérieurs à la moyenne des coûts variables doivent être considérés comme abusifs lorsqu'ils sont fixés dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer un concurrent".
- que la cour de justice a, dans ce même arrêt, estimé que cette grille de lecture n'est pas seulement pertinente pour apprécier la licéité de pratiques de prix prédateurs, en se fondant sur une comparaison des prix concernés et de certains des coûts encourus par l'entreprise dominante ainsi que sur la stratégie objectivement menée par celle-ci, mais aussi, plus largement, pour apprécier la légalité de toute pratique de prix bas mise en œuvre par une entreprise occupant une position dominante au regard de la prohibition des abus de position dominante ; que la cour a ainsi précisé :
"afin d'apprécier la licéité d'une politique de prix bas appliquée par une entreprise occupant une position dominante, la cour a eu recours à des critères fondés sur une comparaison des prix concernés et de certains coûts encourus par l'entreprise dominante ainsi que sur la stratégie de celle-ci (voir arrêts précités AKZO-Commission, point 74, et France Télécom-Commission, point 108)" (arrêt Post Danmark, précité, point 28 ; voir également arrêt Teliasonera précité, point 41) ;
- que ce test de coûts peut se résumer de la façon suivante :
lorsque les prix pratiqués par l'entreprise en position dominante sont supérieurs aux coûts totaux moyens (c'est-à-dire situés dans la "zone blanche"), la pratique est considérée comme licite au regard des règles de concurrence ;
lorsque les prix pratiqués par l'entreprise en position dominante sont inférieurs à la moyenne des coûts variables (c'est-à-dire situés dans la "zone rouge"), la pratique doit être considérée comme abusive, dès lors qu'en appliquant de tels prix, une entreprise occupant une position dominante est présumée ne poursuivre aucune autre finalité économique que celle d'éliminer ses concurrents, et ce indépendamment de la preuve d'une intention d'éviction ;
lorsque les prix sont inférieurs aux coûts totaux moyens mais supérieurs aux coûts variables moyens (c'est à dire situés dans la "zone grise"), la pratique doit être considérée comme abusive s'il est démontré que ces prix sont fixés dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer un concurrent ;
- que cette appréciation doit, comme l'appréciation de tout comportement d'une entreprise en position dominante fondé sur les prix, être conduite au regard de l'ensemble des circonstances pertinentes du cas d'espèce (voir arrêt Tomra Systems précité, point 18; voir, également en ce sens, arrêt Post Danmark précité, point 26) et que, dans ce cadre, seuls les prix et les coûts de l'opérateur en position dominante doivent, en principe, être pris en considération (arrêt Teliasonera précité, point 44) ;
- qu'à cette fin, il convient notamment de déterminer les coûts à prendre en compte, en fonction du marché sur lequel les pratiques se produisent, ainsi que l'horizon matériel et temporel (court, moyen ou long terme) pertinent, pour effectuer le test de coûts issu de la jurisprudence ;
- que les coûts à prendre en compte dépendent de la structure de l'entreprise en cause ; qu'en principe, ces coûts sont les coûts variables moyens et les coûts totaux moyens de l'activité en cause au sens de l'arrêt Akzo précité ; que ces coûts sont plus aisément identifiables dans le cas d'une entreprise qui ne dispose que d'une seule activité, puisque tous les coûts, variables ou fixes, peuvent être imputés à l'activité en cause ; que cette identification est en revanche plus délicate dans le cas d'une entreprise exerçant plusieurs activités partageant des coûts communs, une partie seulement de ces derniers pouvant être imputable à l'activité en cause ;
- que, dans sa communication n° 2009-C 45-02 portant orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l'application de l'article 82 du traité CE [devenu l'article 102 du TFUE] aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes (JOUE C 45 du 24 février 2009, p. 7) (ci-après "la communication sur les abus d'exclusion"), la Commission européenne a présenté la façon dont ce test de coûts peut s'appliquer, notamment, au cas d'une entreprise multi-produits ; qu'en pareil cas, comme il existe des coûts fixes communs à l'activité en cause et à d'autres activités, il convient de retenir :
au lieu du coût variable moyen, le coût évitable moyen, c'est-à-dire la moyenne des coûts variables et fixes qui auraient pu être évités sur une période considérée si l'entreprise n'avait pas produit les unités concernées par le comportement en cause ; et
au lieu du coût total moyen, le coût incrémental moyen de long terme (ou coût marginal moyen de long terme), à savoir la moyenne de tous les coûts variables et fixes supportés pour exercer l'activité en cause (paragraphe 26) ;
En ce qui concerne le respect des droits de la défense :
Considérant qu'au regard des contestations de la requérante qui affirme que l'Autorité a méconnu le principe du contradictoire et des droits de la défense en ce qui concerne le grief relatif aux prix d'éviction , il doit être rappelé, à titre liminaire, qu'au stade de la notification de griefs, les services d'instruction ont, pour l'essentiel, consacré leur analyse aux six appels d'offres visés dans la saisine d'ECR et qui, selon cette dernière, illustreraient une pratique de prédation et que les rapporteurs ont indiqué ne pas détenir les éléments nécessaires pour démontrer que les offres faites par SNCF pour les six trafics en cause seraient inférieures à ses coûts évitables et que cette démonstration serait impossible, faute pour la SNCF d'avoir fourni des éléments fiables sur ses coûts ; que, cependant, les rapporteurs, invoquant les pertes engendrées par l'activité de transport massif dans son ensemble, ont rejeté explicitement tous les tests classiques issus de la jurisprudence Akzo et Deutsche Post au profit "d'une approche inédite qui serait justifiée par les particularités du dossier" (paragraphe 1109 de la notification de griefs) ;
Qu'au stade du rapport, les services d'instruction, après avoir étudié la structure des coûts des six trafics visés par ECR, ont suggéré de se référer aux notions de coûts retenues par la Commission européenne pour établir une pratique de prix prédateurs en l'appliquant à l'activité globale de train massif de la SNCF, tout en soulignant qu'en dépit du caractère inédit de leur approche, les particularités du dossier leur permettraient de retenir la qualification d'une infraction ;
Considérant que s'il est vrai que l'analyse du grief finalement mise en œuvre par l'Autorité dans la décision s'écarte de celle des rapporteurs, il n'en demeure pas moins que le grief n° 10 a fait l'objet d'un débat contradictoire approfondi dès lors que la notification des griefs du 2 août 2011 (points 596 à 746 de la NG) comporte une analyse détaillée des prix pratiqués par Fret SNCF, qualifie les faits d'abus de position dominante contraire aux articles 102 du TFUE et L. 420-2 du Code de commerce (points 1096 à 1132 de la NG) et impute cette pratique à l'Epic SNCF (point 1148 de la NG) ;
Que la notification des griefs fait référence au test de coûts de l'arrêt de la cour de justice du 3 juillet 1991 "Akzo" (point 1110 de la NG), à la notion de coûts incrémentaux (point 1120 de la NG) et affirme qu'"en pratiquant des prix en dessous de ses coûts afin de se maintenir artificiellement sur le marché, Fret SNCF retarde l'arrivée et la progression de nouveaux entrants sur le marché du train massif par d'autres moyens que la concurrence par les mérites" (point 1132 de la NG) ;
Que le rapport d'instruction comporte une analyse financière globale des comptes de Fret SNCF (points 955 à 972 du rapport) qui est étayée par un tableau de charge sur un horizon temporel de trois ans (point 959 du rapport), qui figurait déjà dans la notification de griefs (point 633) et qui est repris au point 559 de la décision attaquée ;
Que, si le rapport n'indique pas que les seuils de coût évitable moyen et de coût incrémental moyen de long terme sont les mêmes en l'espèce, il affirme cependant que: "la SNCF, entreprise dominante sur le marché du train massif, ne couvre pas tous les coûts imputables à la production des services en cause et qu'un concurrent aussi efficace pourrait être, et a été, évincé de certains appels d'offres.
Une telle exigence de couverture de l'ensemble de ses coûts marginaux moyen de long terme apparaît indispensable dans le cadre de la présente espèce" (point 966) ;
Considérant que la circonstance que l'Autorité a finalement retenu une analyse différente de celle des rapporteurs en ce qui concerne l'application du test de coûts utilisé en matière de pratiques d'éviction par les prix ne saurait caractériser une méconnaissance du principe du contradictoire et des droits de la défense, dès lors qu'il n'est pas contesté qu'en ce qui concerne les éléments constitutifs du test de coûts, qu'il s'agisse de la notion de coût incrémental moyen de long terme ou de l'horizon temporel de trois ans, la SNCF a été en mesure de présenter utilement ses observations et que l'Autorité a bâti son analyse à partir de faits qui ont été soumis au débat contradictoire ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
En ce qui concerne le respect du principe de légalité des délits et des peines :
Considérant qu'il n'est, ni contesté, ni contestable, que les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du Code de commerce sont les seules bases juridiques de l'infraction et que ces dispositions, qui ne sont pas nouvelles et sont suffisamment précises, étaient en vigueur à la date de la pratique reprochée à la SNCF ;
Considérant, en outre, qu'il est constant que, ainsi que le précise l'Autorité dans ses observations (Points 173 et 174), des pratiques d'éviction fondées sur les prix ont été qualifiées d'infractions à de nombreuses reprises tant par les juridictions de l'Union que par les juridictions internes et qu'il est constant :
- que la méthode consistant à réaliser le test de coûts de l'arrêt Akzo en se fondant sur les notions de coût évitable moyen et de coût incrémental moyen de long terme a été utilisée, dès l'année 2001, par les autorités de concurrence ;
- que la Commission a qualifié d'abus de position dominante une politique de prix bas en se fondant sur le fait que l'entreprise dominante ne couvre pas les coûts incrémentaux calculés sur un horizon temporel de moyen terme (décision n° 2001-354-CE du 20 mars 2001 relative à une procédure d'application de l'article 82 du traité CE, Deutsche Post AG) ;
- les autorités nationales de concurrence ont sanctionné des abus de position dominante en se fondant sur ces critères de coûts ;
- que, dans sa communication du 24 février 2009 relative aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes, la Commission mentionne les critères de coûts à prendre en compte pour les pratiques d'éviction par les prix et énonce que les critères qu'elle entend appliquer sont le coût évitable moyen et le coût marginal moyen de long terme, précise la nature des coûts variables et fixes à prendre en compte, en particulier dans le cas des entreprises fabriquant plusieurs produits et réalisant des économies de gamme ;
Que, dès lors, l'infraction consistant à mettre en œuvre des prix d'éviction n'était pas imprévisible pour la SNCF et que la seule circonstance que l'Autorité ait retenu, pour l'application du test de coûts de l'arrêt Akzo, un périmètre d'activité et un horizon temporel propre aux circonstances de l'espèce, ne constitue pas une méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines mais relève, en réalité du débat de fond sur les paramètres à prendre en compte pour le test de coûts ainsi que sur son application aux prix pratiqués par SNCF et, plus généralement, sur la qualification juridique des faits, par ailleurs contestée par la requérante ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
En ce qui concerne la méthode retenue par l'Autorité et en ce qui concerne l'application du test de coûts aux prix pratiqués par SNCF :
Considérant qu'au regard tant des contestations soulevées par la SNCF que des spécificités du présent dossier tenant à la situation de la SNCF, il convient de rappeler au préalable avec précision la méthode adoptée par l'Autorité (paragraphes 515 à 593 de la décision) pour conclure que la SNCF a abusé de la position dominante qu'elle détient sur le marché du transport ferroviaire par train massif en mettant en œuvre une politique tarifaire tendant à évincer ses concurrents aussi efficaces, dès lors qu'elle pratiquait des prix inférieurs à ses coûts moyens incrémentaux de long terme ;
Considérant que l'Autorité a ainsi relevé, à titre liminaire :
- que la SNCF subit de lourdes pertes dans le cadre de son activité de transport ferroviaire de marchandises et qu'environ deux tiers de ces pertes résultent de son activité sur le marché du transport de marchandises par wagon isolé, le reste provenant de son activité de transporteur par train massif ; que ces pertes sont récurrentes, à tout le moins depuis l'année 2003 ;
- qu'il ressort en particulier des pièces du dossier que, pour les années 2007, 2008 et 2009, la SNCF couvrait en général l'ensemble de ses coûts directs liés à ses trafics par train massif, mais ne couvrait pas ses coûts de support et de structure ;
- qu'il convient donc de déterminer, "conformément à la jurisprudence interne et de l'Union" si ces pertes subies par la SNCF sur son activité de transport de marchandises par train massif sont de nature à évincer d'autres entreprises ferroviaires ;
Considérant que, concernant en premier lieu la détermination des paramètres à prendre en compte pour le test de coûts, l'Autorité souligne, s'agissant de la nature des coûts à prendre en compte au cas d'espèce, que la SNCF propose aux chargeurs des prestations de transport de leurs marchandises à la fois par train massif et par wagon isolé, que ces deux types de prestations, compte tenu de la façon dont elles sont organisées, engendrent des coûts communs qu'il convient de répartir entre elles afin de déterminer quels coûts seraient évitables dans l'hypothèse où la SNCF cesserait son activité par train massif, que le test de coûts pertinents en l'espèce doit donc s'attacher à comparer les prix pratiqués par la SNCF aux coûts évitables de l'activité de transport de marchandises par train massif, tels que définis dans la communication sur les abus d'exclusion précitée ;
Que la définition des paramètres du test de coûts permettant d'apprécier si le comportement tarifaire de la SNCF est susceptible de produire un effet d'éviction suppose, après avoir rappelé le contexte dans lequel s'inscrit la politique tarifaire de la SNCF, d'identifier le périmètre d'activité sur lequel ce test doit porter, d'une part, et l'horizon temporel pertinent à prendre en compte, d'autre part ;
Que, concernant tout d'abord le contexte, la décision relève qu'en raison de pertes durables et même antérieures à l'ouverture du marché à la concurrence, la politique tarifaire de la SNCF ne s'inscrit pas dans une logique de prédation mais que, pour autant, il convient de rechercher si les prix pratiqués par la SNCF tendent, par l'effet réel ou potentiel d'éviction qu'ils entraînent, à fausser la concurrence sur le marché ;
Que, concernant ensuite le périmètre d'activité à prendre en compte, l'Autorité observe que pour effectuer cette recherche, il faut d'abord déterminer dans quelle mesure le comportement tarifaire de la SNCF tendait à évincer, totalement ou partiellement, un concurrent au moins aussi efficace qu'elle, critère retenu de manière générale par la jurisprudence relative aux abus d'éviction, ce qui conduit à appréhender chaque cas au vu du contexte et notamment de l'activité considérée ;
Que compte tenu des circonstances du cas d'espèce, ce point de référence doit être défini non pas en se fondant sur une analyse trafic par trafic mais au regard de l'activité de train massif de la SNCF prise dans son ensemble et que le test de coûts à retenir pour déterminer si le comportement tarifaire de la SNCF était de nature à créer un effet d'éviction doit donc tenir compte de l'ensemble des coûts supportés et des prix pratiqués par cet opérateur sur l'ensemble de son activité de transport de marchandises par train massif ;
Qu'il convient, dès lors, de vérifier si la SNCF couvre ses propres coûts imputables à cette activité car, si tel n'est pas le cas, un opérateur aussi efficace, qui devrait s'aligner sur les prix de la SNCF, devrait lui aussi enregistrer des pertes ;
Que, sur les coûts à prendre en compte et l'horizon temporel pertinent, l'Autorité conclut que, pour déterminer l'existence d'un effet actuel ou potentiel d'éviction, il convient de rechercher si, sur la base du test de coûts décrit précédemment, la SNCF couvre ou non ses coûts incrémentaux, à un horizon de trois ans minimum, sur le marché du train massif ;
Considérant que, concernant en second lieu l'application du test de coûts aux prix pratiqués par la SNCF, l'Autorité relève :
- que la SNCF propose aux chargeurs des prestations de transport de leurs marchandises à la fois par train massif et par wagon isolé ;
- que, tant l'activité de wagon isolé que celle de train massif, pour laquelle la SNCF fait face à la concurrence d'autres entreprises ferroviaires, engendrent des pertes, bien que ces pertes soient plus importantes pour l'activité de wagon isolé ;
- que le grief que la SNCF s'est vu notifier ne porte que sur les prix qu'elle pratique pour son activité de train massif et que, dès lors, c'est au regard de cette seule activité que le test de coûts doit être effectué ;
- qu'en l'espèce, le coût évitable à un horizon minimal de trois ans, qui se confond avec le coût incrémental de long terme, inclut l'ensemble des coûts qui seraient évités à cet horizon en cas de cessation de l'activité de train massif : il recouvre donc l'ensemble des coûts, variables ou fixes, qui sont propres à l'activité de train massif, auxquels s'ajoute une partie des coûts communs avec les autres activités de la SNCF, essentiellement l'activité de wagon isolé ; qu'il convient donc de déterminer quelle partie des coûts communs est à considérer comme évitable à un horizon de trois ans en cas de cessation de l'activité de train massif ;
- que les coûts communs aux activités de train massif et de wagon isolé sont des charges de support et de structure, à savoir essentiellement des coûts de personnel : en effet, les agents affectés à certaines plateformes et des responsables des dessertes sont chargés aussi bien du wagon isolé que du train massif, tout comme les agents commerciaux et les responsables des diverses fonctions support du siège de la branche Fret ; qu'il n'est donc pas possible d'attribuer à certains de ces agents en particulier l'activité de train massif ;
- que le calcul des coûts évitables en cas d'arrêt de l'activité du train massif requiert donc une reconstruction de la fraction des coûts communs qui pourrait être évitée, sur la base d'une organisation correspondant au maintien de la seule activité de wagon isolé et que ce scénario contrefactuel d'une entreprise ferroviaire opérant uniquement une activité de wagon isolé doit correspondre à des hypothèses réalistes et reposer sur les données les plus fiables dont dispose l'Autorité ;
- qu'en l'espèce, il n'est pas vraisemblable qu'en cas d'abandon de l'activité de train massif, les structures communes aux deux activités soient maintenues dans leur périmètre actuel, l'activité supprimée dans cette hypothèse ayant représenté, entre 2007 et 2009, 57 % à 73 % du chiffre d'affaires et 65 % à 71 % des volumes d'activité fret ; qu'au contraire, à moyen terme, les postes de coûts communs devraient être réorganisés pour s'ajuster aux besoins imputables à la seule activité de wagon isolé ;
- qu'au demeurant, de nombreux éléments du dossier montrent que, si la SNCF devait cesser son activité de train massif, cela entraînerait vraisemblablement à moyen terme un redimensionnement de son activité de wagon isolé ;
- qu'eu égard aux éléments qui précèdent, le test de coûts pertinent au cas d'espèce doit être effectué en prenant en compte une activité de wagon isolé à laquelle seraient affectées des charges de support et de structure adaptées à ses besoins si elle était opérée seule, c'est-à-dire reflétant l'usage réel que l'activité de wagon isolé fait actuellement des ressources communes ;
- qu'au vu des éléments du dossier, les seuls éléments de coûts fiables et exhaustifs permettant d'identifier, au sein des coûts communs, les coûts imputables à chacune des deux activités, sont les données fournies par la SNCF au début de l'instruction dont un tableau (paragraphe 539 de la décision) dans lequel celle-ci a imputé, pour les besoins de sa propre gestion, les charges de support et de structure spécifiquement à l'activité de train massif et à celle de wagon isolé, selon une clé de répartition comptable qui vise à refléter l'usage réel des ressources communes par chacune de ces deux activités;
- qu'il ressort de ces données que de 2007 à 2009, la SNCF ne couvrait, au maximum, que 88 % de ses charges totales toutes activités confondues et que, s'agissant de la seule activité de train massif, elle ne couvrait, au maximum, que 94 % des charges imputées à cette activité, (V. tableau au paragraphe 560 de la la décision) ;
- que pour obtenir le coût incrémental de long terme du train massif, il reste à déduire la redevance d'entreprise, qui est incluse dans les charges mentionnées dans le tableau fourni par la SNCF ; qu'en effet, cette redevance est la contribution de la branche Fret aux coûts communs de fonctionnement de l'Epic SNCF ; qu'elle couvre donc des coûts qui ne sont pas imputables au fait d'opérer le train massif et ne seraient pas évités en cas d'abandon de cette activité, étant précisé que cette redevance ne représente que 3 % des coûts totaux de la branche Fret ;
- qu'après déduction de cette dernière, il apparaît que les recettes de la SNCF sur la période comprise entre 2007 et 2009 étaient systématiquement inférieures aux coûts incrémentaux de long terme de son activité de train massif ;
- qu'au demeurant, la SNCF a mis délibérément en œuvre une stratégie d'éviction pour certains trafics particuliers en pratiquant des prix sans considération de rentabilité (paragraphes 564 à 566 de la décision) ;
En ce qui concerne la qualification juridique des faits :
Considérant que la requérante soutient que l'Autorité a fait une inexacte application des règles permettant de qualifier un abus de position dominante en matière de prix d'éviction, alors que le test de coûts utilisé par l'Autorité ne vise que la détection des prix prédateurs ; qu'elle critique aussi les conditions dans lesquelles l'Autorité a conduit son analyse, en particulier sur le périmètre de l'activité de train massif retenu à tort dans sa globalité ainsi que la confusion opérée par l'Autorité entre les seuils de coûts évitable moyen et le seuil de coût incrémental moyen, avec par surcroît le choix non pertinent d'un horizon temporel de trois ans ; que la requérante conteste enfin la mise en œuvre d'une stratégie d'éviction ainsi que la réalité des effets concurrentiels de la pratique ;
Considérant qu'avant d'appliquer un test de coûts aux prix pratiqués par la SNCF, l'Autorité a rappelé à juste titre le contexte dans lequel s'inscrit au cas d'espèce la politique tarifaire de l'entreprise publique et constaté, d'emblée, que, contrairement à ce qui avait été allégué par ECR au soutien de sa saisine, la politique tarifaire de l'entreprise publique ne s'inscrit pas dans une logique de prédation au sens de la jurisprudence communautaire ;
Qu'en effet, il est constant que les pertes durables subies par la SNCF sont antérieures à l'ouverture du marché à la concurrence et que l'existence d'un scénario de prédation "classique" consistant à sacrifier un profit à court terme afin d'évincer la concurrence, puis de récupérer ses pertes en relevant ses prix sur le marché doit, en l'espèce, être exclue ;
Considérant que si rien n'interdisait à l'Autorité de rechercher ensuite si les prix pratiqués par la SNCF tendent, par l'effet réel ou potentiel d'éviction qu'ils entraînent, à fausser la concurrence sur le marché, force est cependant de constater que le test de coûts mis en œuvre par l'Autorité et qui lui a permis de conclure à l'existence de prix d'éviction n'en repose pas moins, pour l'essentiel, sur une analyse des pertes de l'activité fret de la SNCF dont il convient, dès lors, de rappeler les caractéristiques avec précision ;
Considérant qu'ainsi que le mentionne l'Autorité elle-même dans les développements de la décision consacrés aux prix pratiqués par la SNCF pour ses prestations de transport ferroviaire de marchandises, l'activité de transport de marchandises de la SNCF réalise des pertes de façon récurrente au moins depuis l'année 2003 ;
Que cette situation déficitaire a été plus particulièrement explicitée et commentée par le rapport Grignon en ces termes : "a) Le déficit récurrent de l'activité de Fret SNCF - Depuis 2003, Fret SNCF a consommé 3 milliards d'euros de liquidités. En effet, depuis cette date, l'activité fret génère entre 350 et 464 millions d'euros de pertes ce qui a conduit à deux recapitalisations par l'État. Hors Fret SNCF, la marge opérationnelle récurrente de la branche SNCF-Geodis, l'une des cinq branches de la SNCF, ne serait pas déficitaire de 49 millions d'euros pour l'exercice 2009 mais positive (318 millions d'euros)" ;
Qu'au-delà de ce constat, qui procède de documents comptables internes, il est également rappelé que les pertes réalisées par la SNCF ont nécessité trois plans de restructuration - 2003- 2006, 2006-2008 et 2009- 2011 - visant l'activité fret afin d'en améliorer la rentabilité et de la ramener à l'équilibre et que bien que les effectifs de la SNCF aient été significativement réduits dans le cadre de ces trois phases de restructuration , ces réductions n'ont pas permis d'obtenir les résultats souhaités en matière de redressement des comptes de la SNCF ;
Que la SNCF identifie trois catégories de raisons expliquant les pertes afférentes à son activité de transport de marchandises :
- les causes affectant l'ensemble du secteur, comme l'augmentation des péages dus à RFF ;
- les causes conjoncturelles, comme le report vers la route d'une importante partie de son activité de wagon isolé du fait de la crise économique ;
- les causes structurelles, dues aux surcoûts propres à son ancien statut d'opérateur historique, que les autres entreprises ferroviaires ne supportent pas, causes qui comprennent notamment les coûts de la main-d'œuvre employée par la SNCF, dont les conditions d'emploi, contrairement aux autres entreprises ferroviaires, sont définies par le décret n° 99-1161 du 29 décembre 1999 relatif à la durée du travail du personnel de la Société nationale des chemins de fer français, contrainte qui, selon les déclarations de la SNCF, entraînerait un surcoût d'environ 30 % en sa défaveur par rapport aux autres entreprises ferroviaires ;
Qu'enfin, il ressort de documents figurant dans un dossier constitué par la SNCF dans le cadre de la préparation du plan de restructuration 2007-2009 que l'activité fret de l'entreprise publique est déficitaire, de façon globale, tant sur le marché du transport par wagon isolé que sur celui du train massif, et ce pour la plupart des pôles d'activité qui regroupent ses clients par catégorie de marchandises transportées ;
Considérant qu'au-delà de la constatation de l'absence de toute logique de prédation, confirmée, en tant que de besoin, par les données objectives qui viennent d'être énumérées et indépendamment de la vérification des conditions de mise en œuvre du test de coûts ainsi que de l'existence d'une stratégie d'éviction, la requérante est en droit de faire valoir que la majorité des pertes au titre de son activité de fret est "déconnectée" du marché du transport par train massif sur lequel les pratiques d'éviction lui sont reprochées ;
Qu'en effet, ainsi que le constate la décision elle-même, la majeure partie des pertes de l'activité fret de la SNCF ne provient pas de l'activité de transport par train massif considérée, sur laquelle elle est en concurrence avec d'autres entreprises ferroviaires, mais provient pour l'essentiel de son activité de transport par train isolé (paragraphe 515) alors qu'au titre de cette activité, la SNCF n'est pas confrontée à la concurrence des nouvelles entreprises ferroviaires ;
Que concernant plus précisément la distinction de la provenance des pertes au regard de l'activité de train massif, en cause en l'espèce, d'une part, et de l'activité de train isolé, d'autre part, il ressort d'un tableau communiqué par la SNCF (paragraphe 195 de la décision) qu'une grande partie des pertes de la SNCF provient de son activité réalisée par wagon isolé, soit pour les années 2007 et 2008, à hauteur des deux autres tiers environ, le tiers restant étant imputable à l'activité de train massif, pour laquelle elle est en concurrence effective avec d'autres entreprises ferroviaires ;
Considérant, enfin, que, certes dans le cadre de la recherche d'une alternative à une sanction et sans constater pour autant, ni des gains d'efficacité produits par les prix d'éviction qu'elle estimait avoir démontré, ni encore le caractère indispensable de la pratique poursuivie, à l'encontre de SNCF, l'Autorité elle-même a néanmoins estimé nécessaire de prendre en compte "les circonstances très particulières entourant le comportement de l'entreprise publique"' (paragraphes 770 et 771 de la décision) ainsi caractérisées : "Cette activité, dans laquelle la SNCF a fait le choix de maintenir sa présence en dépit des pertes récurrentes qu'elle engendre, est centrale pour les utilisateurs, auxquels elle offre une alternative à la route. Cette liberté donnée aux utilisateurs de choisir, en fonction de leurs préférences respectives, mérite d'être préservée, même si les deux modes de transport ne sont que partiellement substituables et ne constituent pas un même marché. Cet objectif concurrentiel rejoint d'ailleurs des objectifs d'intérêt général plus larges que la mission de régulation concurrentielle confiée à l'Autorité, tels que ceux liés à l'aménagement et à l'intégration des territoires, à la préservation de l'environnement ou au développement de réseaux plus efficaces" ;
Considérant que, concernant les conditions de mise en œuvre au cas d'espèce du test de coûts, il est rappelé que ce test correspond à la situation visée lorsque les prix sont inférieurs aux coûts totaux moyens mais supérieurs aux coûts variables moyens (c'est à dire situés dans la "zone grise") et la pratique doit être considérée comme abusive s'il est démontré que ces prix sont fixés dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer un concurrent ;
Qu'au regard des spécificités de l'espèce, l'Autorité a retenu :
- au lieu du coût variable moyen, le coût évitable moyen, c'est-à-dire la moyenne des coûts variables et fixes qui auraient pu être évités sur une période considérée si l'entreprise n'avait pas produit les unités concernées par le comportement en cause ; et - au lieu du coût total moyen, le coût incrémental moyen de long terme (ou coût marginal moyen de long terme), soit la moyenne de tous les coûts variables et fixes supportés pour exercer l'activité en cause ;
Considérant que la requérante récuse le principe même de l'existence d'un plan ou d'une stratégie ayant pour but d'éliminer un concurrent, avant de critiquer ensuite le bien -fondé de l'analyse proprement dite de l'Autorité menée dans le cadre du test de coûts ;
Considérant qu'au regard, tant des circonstances très particulières qui viennent d'être évoquées en ce qui concerne le comportement de la requérante que des spécificités du dossier, reconnues par l'Autorité, rien ne s'oppose, au-delà de la détermination des paramètres à prendre en compte pour le test de coûts puis de son application aux prix pratiqués par la SNCF, à une vérification préalable de l'existence même de la stratégie d'éviction attribuée à la SNCF, étant au demeurant observé que l'Autorité a elle-même, dans la décision déférée, fait état d'éléments supposés démontrer cette stratégie avant même la mise en œuvre du test de coût ;
Considérant, concernant la stratégie d'éviction, que l'Autorité a relevé que "la SNCF a délibérément, pour certains trafics et clients donnés, décidé de pratiquer des prix qui étaient déconnectés de ses coûts de revient afin de conserver ces trafics sans considération de rentabilité" en se prévalant d'un courrier électronique du 15 décembre 2006 de l'ancien directeur commercial de Fret SNCF qui indique en ce sens que : "Je reviens sur la question des contrats tri annuels qui seraient malgré tout en perte. (cf. notre discussion d'hier) (...) Dans 3 cas et pour des raisons défensives, nous avons vendu aux prix du marché sans considération de rentabilité pour empêcher l'implantation hégémonique de nos concurrents (Basaltes sur Voutre Neuillé, Ineos sur Fos Italie, et Eurorail sur Epinal Espagne). (...) nous avons toujours amélioré la marge sans pour autant pouvoir garantir qu'elle était positive. Cette action s'est inscrite dans notre volonté de limiter au maximum la pénétration des nouveaux entrants" ( paragraphe 201 de la décision) ;
Considérant, cependant, que la requérante est fondée à faire valoir que ce document ne doit pas nécessairement recevoir l'interprétation qui lui est donnée par l'Autorité, dès lors (premier mémoire SNCF point 521) que l'auteur de ce document expose dans un passage qui n'est pas cité par l'Autorité, que si, dans trois cas - soit parmi plusieurs dizaines - la vente est intervenue dans les conditions qu'il indique, dans tous les autres cas, la marge a été améliorée, notamment par une réduction des coûts ;
Considérant que l'Autorité relate aussi (paragraphe 202 de la décision) 'qu'il ressort, en outre, d'un document de chiffrage financier que certains trafics parmi les plus importants engendraient d'importantes pertes dont la SNCF avait spécifiquement connaissance : "Notre étude s'est limitée aux contrats pluriannuels dont le chiffre d'affaires cumulé est supérieur à 6,5 M, représentant 90 % du chiffre d'affaires de l'ensemble des contrats pluriannuels. Au vu de cette première étude 3 contrats sont déficitaires : Lafarge Granulats pour -0,1 M ; OI - BSN pour -2,3 M (contrat stratégique d'après le PA à conserver malgré les coûts de production élevés) ; Total pour -0,6 M" ;
Considérant que la SNCF est toutefois en droit de soutenir (point 522 de son premier mémoire déposé) que ce document - un courriel du 26 décembre 2007 constituant un simple document de travail - ne peut être analysé avec certitude comme la preuve ou seulement l'indice d'un plan ayant pour but d'éliminer un concurrent, dès lors que le document de travail fait simplement état de simples simulations de rentabilité ex post concernant trois contrats en cours d'exécution - soit sur plusieurs dizaines - et non ex ante ;
Considérant que la décision (paragraphes 203 et 204 ) affirme encore 'qu' il ressort des pièces du dossier que, pour former ses prix pour certains appels d'offres, la SNCF a utilisé des estimations de coûts qui étaient erronées et manifestement sous-évaluées, alors même que la hiérarchie de la branche Fret avait été alertée sur ces erreurs. Ces sous-estimations pouvaient concerner tous les postes de coûts traditionnellement impliqués dans l'activité de transporteur ferroviaire. Elles concernent, néanmoins, principalement les possibilités de mutualisation de certains trafics avec d'autres, qui sont souvent théoriques ou très hypothétiques, ainsi que l'exclusion de certains coûts que la SNCF doit nécessairement supporter comme les jours "d'improductivité" du matériel roulant. (...) Ces sous-estimations ressortent de courriers électroniques envoyés par des analystes "coûts" de la SNCF en charge de la financiarisation des flux, qui rapportent à leur hiérarchie, et plus largement au sein de la branche Fret vers les membres de la direction (cotes 39 109 et 39 110, et 39 140 et 39 141), les éléments sous-estimés et erronés selon eux (cotes 38858, 38999 à 39000, 39008 et 39029).
Mais considérant qu'il résulte des explications précises et circonstanciées données par la SNCF (points 523 à 526 de son premier mémoire) et non utilement contredites par le dossier :
- que le courrier électronique du 29 juin 2007 (cotes 39109 et 39110) dresse l'agenda d'une réunion de travail interne sur des sujets divers dont les conclusions ne sont pas connues et qui en tout cas ne comporte aucune analyse de coûts ;
- que l'échange de courriers électroniques du 8 novembre 2007 (cotes 39140 et 39141) traduit le souci d'une vérification de la pertinence des valorisations faites préalablement aux discussions commerciales avec le client ;
- que le courrier électronique du 10 juillet 2008 (cote 38858) précise seulement que l'outil informatique utilisé à l'époque au sein de Fret SNCF donne des coûts moins élevés ;
- que l'échange de courriers électroniques du 8 février 2008 (cote 38999 à 39000) avait seulement pour objet de corriger les éventuelles erreurs d'appréciation entre différents services de Fret SNCF ;
- que le courrier électronique du 4 février 2008 (cote 39029) fait seulement état de difficultés rencontrées pour procéder à des valorisations ;
Considérant que la décision relate, enfin :
205. De même, les échanges au sein de la SNCF, entre Fret SNCF et la filiale VFLI, à propos d'un client (flux de sable pour OI BSN Sable Puy-Guillaume) pour lequel toutes deux se positionnaient en concurrence l'une par rapport à l'autre, illustrent certaines manipulations de Fret SNCF pour faire artificiellement baisser ses prix de façon déconnectée de ses coûts de production. Ces échanges font apparaître des sous-estimations de Fret SNCF en termes de kilomètres parcourus et de consommation de carburants (cotes 39 427, 39 428 et 39 440), de traction (cotes 39 036 et 39 442 à 39 444), ainsi que l'absence de prise en compte des effets de seuil, des heures d'improductivité et d'augmentation réaliste du prix des sillons (cotes 39 036 et 39 037). Il en résulte une offre finale de Fret SNCF au client particulièrement basse, à laquelle VFLI est dans l'incapacité de répliquer et qu'elle considère comme "déloyale" (cotes 19 395 et 39 436). Cette offre a suscité les réactions suivantes de la part des cadres de VFLI : - "la rentabilité de chaque trafic Fret repose sur la mutualisation avec d'autres, et les effets de seuil ne sont jamais supportés par personne... toujours la même chanson, toujours le même résultat à la fin..." (cotes 39 435 et 39 436) ;
- "l'analyse de (...) se confirme: le Fret fera tout pour garder la pâte. Impossible de lutter. (...)" (cote 39 435) ;
- "Ecœurée. On ne peut pas lutter face à de telles inepties. Il faudra un jour qu'on m'explique comment fret dégage toujours des marges de 12 %, 13 %, 14 %.... sur chacun des trafics où nous demandons une approche groupe" (cote 39 435).
206. Confrontée à une situation similaire pour conserver un trafic opéré en co-gestion avec Trenitalia, la SNCF a choisi de sacrifier une partie très importante de sa marge en revenant sur une augmentation de tarif proposée de 19 500 euros pour maintenir ce tarif à son niveau antérieur (cote 39 047) dans le but d'empêcher ECR de prendre le trafic. Le directeur du pôle "agriculture et produits de carrières" écrit en ce sens dans un courrier électronique : "Au vu du nombre de trains (4 d'ici la fin du mois de décembre), et au vu de l'enjeu de ne pas laisser rentrer ECR sur Sète (pour moins de 20 k) via ce trafic, je souscris à l'idée de maintenir l'offre à 15 250 jusqu'au 31-12-2008.
Nous avons d'autres enjeux sur Sète" (cote 39 047).
207. Des prises de position de la SNCF dans le même sens ressortent également des pièces du dossier s'agissant du client Simagir en 2008 (cote 39 030) et Eurovia pour le trafic Luché dans la région d'Orléans (cotes 39 025 et 39 026) pour contrer respectivement la pénétration d'ECR et de Colas Rail.
Mais considérant que, dans les mêmes conditions, la requérante est fondée à avancer (points 527 à 535 de son premier mémoire déposé) :
- que l'échange de courriers électroniques du 4 juillet 2008 (cotes 39036, 39037, 39442 à 39444) entre un représentant de Fret SNCF et un représentant de VLI, non seulement concerne un autre client, a priori sans relation avec l'appel d'offres en question dans le paragraphe de la décision mais encore qu'il concerne des commentaires personnels de VLI sur une offre jugée trop haute par rapport au prix du marché ;
- que le courrier électronique de la cote 19395 relate également des appréciations de la directrice commerciale de VLI à la suite de la perte d'un marché qui ne permettent pas d'établir que Fret SNCF aurait ou non pratiqué des prix inférieurs à ses coûts ;
- que tel est encore le cas des extraits de l'échange d'email du 19 octobre 2008 entre Fret SNCF et VFLI (cotes 39435 et 39436), étant observé qu'une partie de l'échange d'email relate les explications de Fret SNCF sur la baisse de l'offre tarifaire ;
- que le document concernant Trenitalia révèle une initiative commerciale de la SNCF qui a accepté une réduction des marges à la demande de son partenaire commercial pour préserver des intérêts estimés stratégiques ;
- que le document sous la cote n° 39030 du 2 mai 2008 montre simplement que SNCF a fait une offre en s'alignant sur celle d'ECR ;
- que le courrier électronique du 4 avril 2008 (cotes 39 025 et 39 026) fait état d'efforts de productivité qui pourraient être mis en œuvre par SNCF pour améliorer son offre et s'aligner sur ceux de son concurrent ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les documents cités dans la décision par l'Autorité ne permettent pas d'établir de manière indiscutable l'existence d'une stratégie d'éviction mise en place par SNCF, notamment pour des trafics particuliers ;
Considérant qu'à l'opposé, la SNCF, que l'Autorité ne contredit pas formellement dans ses observations déposées devant la cour, est fondée à faire valoir que la plupart de ces documents confirment que, ainsi qu'elle le soutient, elle n'a pas, dès l'origine, dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer ses concurrents, pris l'initiative de proposer des prix inférieurs ou égaux à ceux des entreprises ferroviaires concurrentes, mais que les pressions concurrentielles exercées par celles-ci la conduisaient seulement, dans certains cas, à réagir en revoyant ses prix à la baisse pour les aligner sur ceux de ses concurrents ;
Qu'à cet égard, la requérante est en droit de se référer à certaines constatations de l'Autorité (paragraphe 199 de la décision) dont il résulte que les écarts de coûts avec les entreprises ferroviaires nouvelles entrantes ont conduit la SNCF à adopter une stratégie de baisse des prix pour les trafics les plus rentables prioritairement visés par ses concurrents en se référant à une note stratégique, datée du mois de juillet 2007 qui avait été saisie dans les locaux de la SNCF, qui explique la baisse de chiffre d'affaires constatée à la suite de l'ouverture à la concurrence par "la baisse de nos prix de 10 à 35 %, afin que nos prix soient alignés sur ceux de la concurrence" ;
Considérant que la cour relève, au surplus, que les objections qui ont été soulevées par la SNCF, sur la base d'une étude d'économistes, en ce qui concerne la détermination des paramètres à prendre en compte pour le test de coûts ne sont pas dénuées de caractère sérieux ;
Considérant qu'il est rappelé que l'Autorité a décidé (paragraphes 523 à 532 de la décision) que, compte tenu des circonstances de l'espèce, le point de référence doit être défini non pas en se fondant sur une analyse trafic par trafic mais au regard de l'activité de train massif de la SNCF prise dans son ensemble dès lors :
- que l'activité de transport ferroviaire de marchandises par train massif permet à une entreprise ferroviaire opérant un certain nombre de trafics dans une même zone géographique de réduire ses coûts, une partie des postes de coûts étant partagée entre plusieurs trafics ;
- que plusieurs pièces du dossier montrent que ces possibilités de mutualisation des coûts sont effectivement centrales dans certains choix tarifaires de la SNCF, ce que celle-ci ne conteste pas ;
Que, de ce fait, la stratégie tarifaire adoptée par un opérateur ne peut être appréhendée indépendamment de l'ensemble des trafics déjà détenus ou susceptibles de l'être à court terme et que, plus largement, les conditions de concurrence sur le marché du train massif ne peuvent pour la même raison s'analyser de façon pertinente au niveau de chaque trafic pris isolément ;
Qu'une analyse trafic par trafic pourrait d'ailleurs fournir des résultats trompeurs, en ce sens qu'un opérateur pourrait sembler plus efficace que ses concurrents à l'échelle d'un trafic particulier alors même que ses coûts seraient en réalité plus élevés à l'échelle de l'ensemble de l'activité de train massif ;
Que, selon l'Autorité, ce risque se vérifie concrètement en l'espèce dès lors qu'en raison du caractère récent de l'ouverture à la concurrence du secteur et du poids historique de la SNCF sur celui-ci, cette entreprise bénéficiait d'un volume d'activité par train massif substantiellement plus important que ses concurrents, qui ne disposaient, à l'époque des faits, ni des mêmes économies d'échelle, ni des mêmes possibilités de mutualisation des coûts entre plusieurs trafics : la SNCF pouvait ainsi afficher des coûts évitables faibles pour un trafic donné, une partie des coûts communs étant affectée à d'autres trafics, d'ailleurs eux-mêmes susceptibles d'être non rentables et il est pour cette raison possible que, pour certains trafics attractifs pour de nouvelles entreprises ferroviaires, la SNCF puisse apparaître à première vue comme plus efficace que ses nouveaux concurrents ;
Que tel n'est cependant pas le cas en réalité, les éléments du dossier montrant au contraire, comme cela n'est d'ailleurs pas contesté par la SNCF, que ses concurrents sont généralement plus efficaces qu'elle d'un point de vue concurrentiel : il ressort ainsi de documents saisis dans les locaux de la SNCF que certains nouveaux entrants, comme ECR ou Veolia Cargo (devenu Europorte), ont des coûts complets en moyenne inférieurs de 14 % à 30 % aux siens, notamment en raison de coûts de personnel moins élevés, d'un meilleur taux d'utilisation du matériel et de frais de structure plus légers ;
Qu'eu égard aux éléments qui précèdent, la décision de l'ADLC énonce qu'il convient de raisonner à l'échelle du marché du train massif dans sa globalité pour apprécier si des concurrents au moins aussi efficaces que la SNCF pouvaient être évincés du marché du fait des pratiques de prix de l'opérateur dominant, que le test de coûts à retenir pour déterminer si le comportement tarifaire de la SNCF était de nature à créer un effet d'éviction doit donc tenir compte de l'ensemble des coûts supportés et des prix pratiqués par cet opérateur sur l'ensemble de son activité de transport de marchandises par train massif et qu'il convient, dès lors, de vérifier si la SNCF couvre ses propres coûts imputables à cette activité : si tel n'est pas le cas, un opérateur aussi efficace, qui devrait s'aligner sur les prix de la SNCF, devrait lui aussi enregistrer des pertes ;
Considérant, cependant, que la SNCF objecte qu'alors que la saisine de ECR visait précisément six trafics sur lesquels elle estimait avoir été victime de prix d'éviction et alors que ces six trafics ont précisément été au centre de l'instruction, la décision les exclut de son examen, pour n'analyser que la globalité de l'activité de train massif de SNCF, alors que la référence la plus pertinentes pour juger des risques de pratiques abusives d'éviction doit se faire trafic, conformément à la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence ;
Considérant que la requérante remet précisément en cause les éléments retenus par l'Autorité au soutien de sa démonstration en faisant valoir :
- que c'est aussi parce que chaque trafic répond à des conditions de coût qui lui sont propres et parce que la SNCF pouvait, sur certains d'entre eux, avoir une structure de coûts plus faible que sur d'autres, que l'analyse aurait, tout aussi bien, pu être menée non pas sur le périmètre global de l'activité de train massif, mais trafic par trafic ;
- que, parmi ces éléments de différenciation de coûts en fonction des trafics, figurent non seulement la capacité de mutualisation des coûts, mais aussi le fait que tous les trafics ne sont pas soumis à la même pression concurrentielle et ne connaissait donc pas nécessairement les mêmes mécanismes de formation des prix : certains trafics de train massif sont réguliers et d'autres connaissent une saisonnalité ou une volatilité probable, certains donnant lieu à des appels d'offres et d'autres négociés de gré à gré, certains nécessitent l'utilisation de moyens spécifiques liés aux produits transportés ;
- qu'à l'époque des faits, les nouveaux entrants ne disposaient pas du personnel et des moyens matériels leur permettant de concurrencer la SNCF sur la totalité de ses volumes de train massif ;
- que, dès lors, retenir comme périmètre d'examen la globalité des trafics de train massif de la SNCF revient non seulement à prendre en considération des coûts supportés sur des liaisons où l'offre de celle-ci n'était pas encore confrontée à une concurrence, mais surtout à éluder le fait que, sur certains trafics, elle pouvait effectivement supporter des coûts plus faibles et dès lors avoir un degré d'efficacité équivalent, voire supérieur, à celui de ses concurrents ;
Considérant que, ni le dossier, ni les explications présentées par l'Autorité au soutien de sa décision dans ses observations déposées devant la cour, ne permettent de réfuter de telles objections de manière définitive et, spécialement au regard des caractéristiques de l'activité considérée, de retenir que le test de coûts permettant de déterminer si le comportement tarifaire de l'entreprise publique était de nature à créer un effet d'éviction doit indiscutablement tenir compte de l'ensemble des coûts supportés et des prix pratiqués sur l'ensemble de son activité de transport de marchandises par train massif ;
Considérant que, concernant les coûts à prendre en compte et l'horizon temporel pertinent, l'Autorité relève :
- que le coût évitable en cas d'abandon de l'activité de train massif couvre l'ensemble des coûts qui lui sont imputables, qu'ils soient communs ou non avec d'autres activités de la SNCF; que si le coût évitable était défini sur un périmètre restreint, comme par exemple un trafic donné, il pourrait ne couvrir que les charges de convoi et de desserte, puisqu'en cas de perte du trafic, l'organisation liée aux fonctions de support et de structure ne serait pas modifiée, et les coûts liés à ces fonctions ne pourraient être évités ; qu'au contraire, si l'on raisonne sur l'ensemble du périmètre du train massif, la cessation de cette activité impliquerait, à moyen terme, de supprimer tous les postes de coûts imputables directement à cette activité, ainsi qu'une partie des coûts communs avec d'autres activités telles que le wagon isolé ;
- que le coût évitable à prendre en compte ne se distingue donc pas du coût incrémental de long terme, tous deux englobant au contraire l'ensemble des postes de coûts, directs ou communs à d'autres activités, qui sont imputables à l'activité de train massif et qui pourraient être évités à long terme si elle était abandonnée ;
- que, dans ces conditions, les deux seuils définis par la Commission européenne dans sa communication sur les abus d'exclusion pour les besoins du test de coûts pertinents, à savoir le coût évitable moyen et le coût marginal (ou incrémental) moyen de long terme, sont confondus en l'espèce ;
- que la Commission européenne a déjà retenu une telle approche dans sa décision n° 2001-354-CE du 20 mars 2001 relative à une procédure d'application de l'article 82 du traité CE (affaire COMP-35.141 Deutsche Post AG) (JOCE n° L 125 du 5 mai 2001) : dans cette décision, elle a en effet qualifié d'abus de position dominante, en application du test de coûts issu de l'arrêt Akzo, la pratique de prix bas de Deutsche Post en se fondant sur le seul fait que l'entreprise dominante ne couvrait pas ses coûts incrémentaux liés à l'activité concurrentielle de transport de colis pour la vente par correspondance de façon récurrente sur une période de six années consécutives et elle est arrivée à cette conclusion sans avoir à établir l'existence d'un plan global de l'opérateur historique visant à évincer les concurrents ; qu'elle a donc estimé, dans cette affaire, que la ligne de partage issue de l'arrêt Akzo et en-dessous de laquelle le prix est considéré comme abusif au regard des règles de concurrence, définie comme le coût variable moyen, correspondait en l'occurrence, en raison du périmètre considéré (à savoir l'ensemble du secteur de l'envoi de colis pour la vente par correspondance), au coût incrémental moyen calculé à un horizon temporel de moyen terme ;
- qu'en effet, ainsi que cela a été rappelé plus haut, la définition de l'horizon temporel pertinent aux fins du test de coûts doit se faire en fonction des circonstances pertinentes du cas d'espèce : c'est en particulier le cas pour l'horizon temporel sur lequel s'effectue le calcul des coûts évitables de l'entreprise en position dominante, qui doit correspondre à l'échéance à laquelle les coûts correspondant au périmètre d'activité retenu pourraient être évités ;
- qu'en l'espèce, les coûts liés à l'activité de train massif ne pourraient pas être supprimés instantanément : en effet, la cession des actifs ou la réallocation du matériel et du personnel en lieu et place d'investissements ou de recrutements prévus ne pourrait se faire à court terme ;
- qu'en outre, il a été constaté que les relations entre entreprises ferroviaires et chargeurs sont formalisées sur une base contractuelle et que, dans l'hypothèse où la SNCF déciderait de cesser son activité de train massif, elle devrait donc honorer ces contrats jusqu'à leur échéance ;
- la plupart des contrats conclus pour cette activité ont une durée pluriannuelle : selon ECR, pour les trafics réguliers, leur durée est comprise entre un et cinq ans, avec une durée moyenne de trois ans et la SNCF a, pour sa part, déclaré que la durée des contrats de services de fret ferroviaire s'échelonnait le plus souvent entre un et trois ans ;
- que toutefois, les durées les plus courtes s'observent le plus souvent dans les secteurs de l'automobile et des produits de grande consommation, où les services de transport sont majoritairement effectués par wagon isolé.
- que pour l'activité de train massif, de nombreuses pièces du dossier attestent de durées contractuelles comprises entre trois et cinq ans dans les secteurs de l'agriculture et des produits de carrière, des produits sidérurgiques, de la chimie-pétrole et du BTP ;
- qu'en outre, au moins quatre des cinq principaux clients de la SNCF, sur la période comprise entre 2007 et 2009, avaient signé un contrat pluriannuel de trois à cinq ans. Arcelor, qui représente 10 % du marché du fret ferroviaire français, avait par exemple signé un contrat de cinq ans ;
- qu'enfin, les 25 principaux contrats pluriannuels représentaient à eux seuls un quart du chiffre d'affaires de la SNCF en 2008 ;
- que, compte tenu de ces éléments, une analyse de la pratique tarifaire de la SNCF au regard de ses coûts sur le court terme apparaît dépourvue de pertinence et qu'un horizon temporel de trois ans paraît en revanche constituer le minimum approprié ;
- que, dès lors, il convient, pour déterminer l'existence d'un effet actuel ou potentiel d'éviction, de rechercher si, sur la base du test de coûts décrit précédemment, la SNCF couvre ou non ses coûts incrémentaux, à un horizon de trois ans minimum, sur le marché du train massif ;
Considérant, cependant, que, concernant les choix faits sur les seuils de coûts, la SNCF, objecte spécialement :
- que le coût évitable moyen (CEM), qui vise les coûts qu'une entreprise peut éviter si elle renonce à concourir à l'obtention du contrat pour lequel l'éviction est alléguée, constitue un coût immédiatement évitable alors que le coût marginal moyen de long terme (CMMLT) vise lui les coûts susceptibles d'être évités à long terme si l'entreprise cesse totalement l'activité en cause ;
- que la seule renonciation à concourir à un ou des contrats donnés de train massif ne peut donc s'assimiler à l'arrêt complet de cette activité, puisque dans la première hypothèse, l'activité devra en tout cas se poursuivre, avec les coûts y afférent, ne serait-ce que pour honorer les contrats en cours ;
- que la confusion de ces deux seuils conduit à faire disparaître la 'zone grise' identifiée par la jurisprudence précitée : en effet, dès lors qu'il n'y a plus qu'un seul seuil, la pratique tarifaire de l'entreprise est soit licite, soit prédatrice, s'il ne l'est pas ;
- qu'en revanche, il devient impossible à l'entreprise de montrer qu'elle couvrirait au moins ses CEM ;
Considérant qu'aucun élément du dossier ni aucune explication de l'Autorité dans ses écritures déposées devant la cour ne permettent de contredire utilement de telles objections sur le caractère nécessaire ou inévitable au cas d'espèce, pour la mise en œuvre du test, opérée par surcroît par l'Autorité dans des conditions inédites, de la confusion des seuils de coût évitable moyen et de coût incrémental moyen à long terme ;
Qu'au demeurant, au regard des circonstances de l'espèce qui doivent, ainsi que l'Autorité le souligne elle-même, être prises en compte dans le cadre de la mise en œuvre du test, si la suppression de l'activité de train massif dans son ensemble n'est évoquée que comme une hypothèse de travail pour procéder à un calcul dans un cadre théorique, elle a relevé, par ailleurs, certes au regard cette fois-ci des exigences de maintien d'une concurrence dans la durée, que cette activité est centrale pour les utilisateurs, auxquels elle offre une alternative à la route et que cette liberté de choix donnée aux utilisateurs mérite d'être préservée ; qu'elle n'a pourtant tiré aucune conséquence de cette constatation du poids de cet impératif d'intérêt public dans son analyse des seuils de coût évitable ;
Considérant, enfin, que force est de constater que, ainsi que le fait valoir à juste titre la requérante, l'Autorité alors qu'elle a fait le choix de ne pas appliquer le test de coûts contrat par contrat en retenant une analyse fondée sur la globalité de l'activité de train massif se réfère néanmoins à la durée moyenne de ces mêmes contrats pour fixer l'horizon temporel de son test ;
Considérant, au surplus, qu'aucun élément du dossier ne permet de réfuter de manière définitive les objections de la SNCF tirées de ce que, s'agissant de l'activité de transport ferroviaire, caractérisée par une multitude de coûts fixes et une rigidité dans les réaffectations des postes de coûts, il n'est pas possible d'envisager que l'arrêt de la commercialisation de trafics puisse coïncider avec une disparition des coûts liés au personnel, aux infrastructures ferroviaires ainsi qu'aux flottes de matériel, locomotives et wagons notamment ;
Considérant que rien ne permet ainsi de conclure que la durée de trois ans était la seule durée objectivement justifiée au regard des circonstances de l'espèce ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il n'est pas démontré que la SNCF a abusé de la position dominante qu'elle détient sur le marché du transport ferroviaire par train massif en mettant en œuvre une politique tarifaire tendant à évincer ses concurrents aussi efficaces en pratiquant des prix inférieurs à ses coûts moyens incrémentaux de long terme ;
Que les conditions d'application des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du Code de commerce ne pas réunies en l'espèce et qu'il n'y a donc pas lieu, en l'absence d'éléments suffisamment probants, de qualifier les faits visés par le grief n° 10 d'infraction aux règles du droit de la concurrence ;
Que la décision déférée sera réformée de ce chef et également, par voie de conséquence, en ce qu'elle a enjoint à l'Epic SNCF de se conformer à diverses injonctions ordonnées au paragraphe 779 de la décision ;
Sur l'imputabilité des griefs
Considérant que la SNCF poursuit encore l'annulation de la décision, au motif que l'Autorité ne pouvait, sans méconnaître le principe de présomption d'innocence garanti par l'article 6 paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, imputer les infractions à l'Epic SNCF alors que seule sa division Fret est concernée par ces infractions, l'absence de personnalité juridique de cette division ne faisant, au cas d'espèce, pas obstacle à une imputation des infractions, dès lors qu'elle dispose d'une autonomie fonctionnelle, organisationnelle, juridique et commerciale suffisante ;
Mais considérant que c'est par des appréciations pertinentes (paragraphes 648 à 652 de la décision) que la cour fait siennes, que l'Autorité a décidé que les pratiques constatées ayant été mises en œuvre par la division Fret SNCF, dépourvue de personnalité morale, de l'Epic SNCF, c'est cet établissement public, doté de la personnalité morale, d'une part, et qui était à l'époque et demeure aujourd'hui l'entreprise responsable de l'exploitation de cette division, d'autre part, qui doit être tenu pour responsable de l'ensemble des infractions en cause, peu important le degré d'autonomie de sa division Fret ;
Que le moyen doit être écarté ;
Sur les sanctions (griefs n° 2, 3, 4 et 8)
Considérant que le troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce prévoit que "les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le (titre VI du livre IV du Code de commerce). Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction" ;
Qu'aux termes du quatrième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce "(s)i le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d'euros.
Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante".
En ce qui concerne le prononcé d'une sanction unique :
Considérant que la SNCF reproche à l'Autorité de l'avoir condamnée au paiement d'une sanction disproportionnée, en ne retenant qu'une seule sanction pécuniaire au titre de la commission de plusieurs infractions, sans cohérence avec la constatation générale faite par l'Autorité à plusieurs reprises dans la décision attaquée selon laquelle les pratiques en cause n'ont pas procédé d'une stratégie globale d'éviction, la décision attaquée ayant, à l'opposé, admis que les infractions retenues sont des pratiques isolées, provenant de services différents au sein de Fret SNCF ; qu'en outre, selon les propres constatations de l'Autorité elle-même :
- ces pratiques ne revêtent pas elles-mêmes un degré équivalent de gravité ;
- l'analyse de l'Autorité concernant le dommage à l'économie l'a conduite à conclure que certaines des infractions retenues auraient eu des effets réels sur le marché alors que d'autres n'auraient eu qu'un effet potentiel non observable d'entrave à la concurrence ;
- il existe enfin des différences notables de durée des pratiques du dommage à l'économie puisque, non seulement, au jour où l'Autorité s'est prononcée, deux infractions ont cessé depuis plus de quatre ans et demi (griefs n° 2 et 8), l'une a cessé depuis trois ans et demi (grief n° 3) et la dernière est censée être continue (grief n° 4), et que, d'autre part, les infractions ont des points de départ différents ;
Que la requérante affirme encore que, contrairement à ce que prévoit l'article L. 464-2 du Code de commerce, infliger une sanction unique pour des pratiques qui ne présentent pas le même degré de gravité ou de dommage à l'économie, conduit inévitablement, pour celles qui sont les moins graves et les moins dommageables, au prononcé d'une sanction qui n'est pas proportionnée puisqu'elle va intégrer des éléments de majoration liés aux autres pratiques, la disproportion étant aggravée par la mise en œuvre du communiqué sanctions, avec un coefficient multiplicateur unique ;
Considérant, cependant, que l'Autorité a à bon droit et exactement rappelé (paragraphe 660 de la décision) que, si elle peut imposer plusieurs sanctions à une entreprise ou à un organisme ayant commis plusieurs infractions en déterminant chacune d'elles en fonction des critères prévus par le Code de commerce et en vérifiant qu'aucune d'entre elles n'excède le maximum légal applicable, il lui est néanmoins loisible, si elle l'estime opportun eu égard à l'identité ou à la connexité des secteurs ou des marchés en cause, d'une part, et à l'objet général des pratiques, d'autre part, d'infliger une seule sanction au titre de plusieurs infractions ;
Que, contrairement à ce qui est soutenu, la circonstance invoquée par la SNCF que les infractions diffèrent en ce qui concerne leur durée, leur gravité et les dommages qui en résultent ne fait nullement obstacle à ce que l'Autorité prononce une sanction unique et que, de la même façon, la possibilité de prononcer une sanction unique pour plusieurs infractions n'est pas subordonnée à l'existence d'une stratégie globale d'éviction de la SNCF ;
Considérant qu'en l'espèce, c'est par d'exacts motifs (paragraphe 661 de la décision), que la cour adopte, que l'Autorité a constaté que, même s'il ne ressort pas du dossier que les pratiques en cause étaient unies par une stratégie globale d'éviction de la part de la SNCF, il est néanmoins établi que les pratiques visées par les griefs n° 2, 3, 4 et 8 étaient toutes de nature à produire un effet d'éviction sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif ;
Que l'Autorité était ainsi en droit de conclure que ces pratiques peuvent être considérées comme ayant toutes concouru, chacune à sa manière, à permettre à l'opérateur historique de maintenir, voire de renforcer, sa position dominante sur ce marché ,et d'estimer opportun en l'espèce de n'imposer à la SNCF qu'une seule sanction pécuniaire pour ces quatre infractions ;
Que le moyen sera écarté ;
En ce qui concerne la mise en œuvre du communiqué du 16 mai 2011 :
Considérant que la décision, qui n'est pas critiquée sur ce point, énonce (paragraphes 662 et 663) :
- que l'Autorité à déterminé la sanction pécuniaire au regard des critères prévus par le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, selon les modalités pratiques décrites dans son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires ;
- que la SNCF a été mise en mesure de formuler des observations sur les principaux éléments de droit et de fait du dossier susceptibles, selon les services d'instruction, d'influer sur la détermination d'une telle sanction, étant observé que la présentation de ces différents éléments par les services d'instruction ne préjuge pas de l'appréciation du collège sur les déterminants de la sanction, qui relève de sa seule délibération ;
En ce qui concerne l'étendue et les modalités de contrôle par la cour des sanctions infligées aux requérantes :
Considérant qu'au-delà du déroulement des étapes successives découlant de la mise en œuvre par l'Autorité de la méthode de détermination des sanctions du communiqué sanctions qui ne constitue qu'une directive, comme telle dépourvue de valeur normative, il revient seulement à la cour d'apprécier si, en définitive, l'Autorité a bien déterminé les sanctions pécuniaires qui ont été infligées aux requérantes au titre des pratiques anticoncurrentielles poursuivies en application des dispositions précitées de l'article L. 464-2 du Code de commerce ;
En ce qui concerne la gravité des faits :
Considérant que la SNCF ne formule aucune critique à l'encontre des constatations et appréciations de l'Autorité (paragraphes 676 à 685) dont il ressort, en synthèse, s'agissant en premier lieu de la nature des pratiques mises en œuvre par la SNCF, que celles-ci sont des abus tendant à évincer les concurrents de cette entreprise qui, en soi, revêtent un degré certain de gravité en ce qu'elles tendent à élever les barrières à l'entrée et à empêcher les concurrents de se développer sur le marché en dépit de leurs mérites propres ;
Que, s'agissant en deuxième lieu de la situation du secteur dans lequel sont intervenues les pratiques, l'Autorité relève que celles-ci ont été mises en œuvre par l'opérateur historique de transport ferroviaire en France, élément qui, dans le contexte de l'ouverture à la concurrence du secteur du fret, lui conférait, en effet, une responsabilité particulière de ne pas entraver l'entrée et le développement d'opérateurs concurrents sur ce marché ;
Que, s'agissant, en troisième et dernier lieu, des caractéristiques concrètes des pratiques, la décision constate :
- qu'aucun élément du dossier n'atteste de l'existence d'une stratégie globale, et a fortiori délibérée, par laquelle la SNCF aurait entendu évincer ses concurrents du marché ;
- que si la SNCF a commis un ensemble d'abus de position dominante, élément qui doit être pris en compte, ceux-ci n'en présentent pas moins un degré de gravité moindre que s'ils s'étaient intégrés dans une stratégie globale et sophistiquée d'éviction, de sorte que l'absence d'une telle stratégie conduit à tempérer la gravité des faits en l'espèce ;
- qu'en outre, toutes ces pratiques ne revêtent pas elles-mêmes un degré équivalent de gravité :
que celle qui porte sur l'utilisation d'informations confidentielles propres à l'activité de gestionnaire d'infrastructure ferroviaire, que la SNCF n'aurait pas dû utiliser à des fins autres que celle pour laquelle elle en disposait, se rapproche en soi, des pratiques d'utilisation de bases de données commerciales issues d'une situation de monopole légal, dont l'Autorité a, par ailleurs, déjà eu l'occasion de souligner qu'elles sont d'une particulière gravité, il convient toutefois de relever, en sens inverse, qu'il n'est pas établi qu'une telle pratique ait été généralisée ou systématique ;
que les autres pratiques constatées ont tendu à rendre indisponibles ou plus difficilement accessibles des capacités d'infrastructure nécessaires à l'activité des autres entreprises ferroviaires dans un contexte d'ouverture à la concurrence, tel étant le cas, en particulier, des sillons gérés par RFF ;
En ce qui concerne l'importance du dommage causé à l'économie :
Considérant que la SNCF ne critique pas non plus, en soi, les constatations et appréciations de l'Autorité (paragraphes 689 à 712 de la décision) dont il résulte que, prises aussi bien dans leur ensemble qu'individuellement, les pratiques d'éviction mises en œuvre par la SNCF ont causé un dommage à l'économie certain, même si son importance doit être considérée comme limitée du fait, notamment, du caractère relativement circonscrit des éléments de coût sur lesquels elles portaient ;
Considérant que la cour renverra, en conséquence, aux développements de la décision sauf à rappeler, en synthèse, concernant l'ampleur des pratiques en cause en l'espèce, que l'Autorité relève que si celles-ci ont été mises en œuvre par un opérateur qui détenait, à l'époque des faits, c'est-à-dire pendant la majeure partie des infractions, une part de marché très élevée sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif, de l'ordre d'au moins 70 % et que ces pratiques s'inscrivent par ailleurs dans des politiques commerciales générales ayant vocation à faire sentir leurs effets sur la totalité du territoire national, elles ont pour autant, porté sur des aspects ciblés, comme l'utilisation de cours de marchandises ou l'utilisation de wagons EX, par rapport à l'ensemble des éléments structurant les coûts des nouveaux entrants et que cet élément est de nature à diminuer l'importance du dommage causé l'économie, même s'il n'en remet en cause ni l'existence ni le caractère certain, contrairement à ce que soutient la SNCF ;
En ce qui concerne la durée des infractions :
Considérant qu'il a été précisé, dans les développements qui précèdent, que contrairement à ce qui est soutenu, la circonstance invoquée par la SNCF selon laquelle les infractions diffèrent en ce qui concerne leur durée, leur gravité et les dommages qui en résultent ne fait nullement obstacle à ce que l'Autorité prononce une sanction unique ;
Que, dans ces conditions, alors que les constatations objectives de l'Autorité sur la durée des infractions ne sont pas contestées (paragraphe 717 de la décision), la décision déférée n'encourt aucune critique au titre d'un défaut de proportionnalité de la sanction, dès lors qu'elle s'est bornée, sur ce point à mettre en œuvre la méthode prévue par son communiqué sanctions en ce qui concerne la durée, en soi non critiquée par SNCF ;
En ce qui concerne la prise en compte des circonstances propres à la SNCF :
Considérant que la SNCF conteste le bien-fondé de la sanction pécuniaire et les conditions de détermination des majorations appliquées par l'Autorité au regard de sa puissance économique, qui sont inappropriées dans le cadre particulier du dossier, ainsi que des majorations appliquées au titre de la situation de réitération, dont les conditions ne sont pas réunies ;
Considérant, sur la puissance économique de la SNCF, qu'ainsi que le rappelle l'Autorité (paragraphes 728 à 732), la circonstance qu'une entreprise ait, au-delà des seuls produits ou services en relation avec les infractions, un périmètre d'activités significatif, ou dispose d'une puissance financière importante, peut, en effet, justifier que la sanction qui lui est infligée, en considération de plusieurs infractions données, soit plus élevée que si tel n'était pas le cas, afin d'assurer le caractère à la fois dissuasif et proportionné de la sanction pécuniaire ;
Considérant, cependant, que s'il est vrai que les ressources financières globales du groupe formé par l'Epic SNCF et ses filiales attestent de l'existence d'une puissance économique importante de la SNCF, d'une part, et que les activités de l'Epic et du groupe sont plus vastes que celle liée au fret ferroviaire, d'autre part, les circonstances très particulières entourant, au cas d'espèce, le comportement de l'entreprise publique, confrontée à une activité structurellement déficitaire dans le secteur du transport par train massif qu'elle doit maintenir pour des motifs de service public, ne justifient pas, dans le cadre de l'appréciation de la situation individuelle de la SNCF, une majoration de la sanction ;
Considérant, sur la réitération, que cette circonstance aggravante, qui est visée de façon autonome par le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, peut être prise en compte par l'Autorité pour augmenter le montant de la sanction de manière à lui permettre d'apporter une réponse proportionnée, en termes de répression et de dissuasion, à la propension de l'entreprise ou de l'organisme à s'affranchir des règles de concurrence ; qu'il est ainsi possible de retenir la réitération lorsque quatre conditions sont réunies :
- une précédente infraction aux règles de concurrence doit avoir été constatée avant la fin de la commission des nouvelles pratiques ;
- ces dernières doivent être identiques ou similaires, par leur objet ou leur effet, à celles ayant donné lieu au précédent constat d'infraction ;
- ce dernier doit être devenu définitif à la date à laquelle l'Autorité statue sur les nouvelles pratiques ;
- le délai écoulé entre le précédent constat d'infraction et le début des nouvelles pratiques doit être pris en compte pour appeler une réponse proportionnée à la propension de l'entreprise à s'affranchir des règles de concurrence ;
Considérant que pour conclure que la SNCF se trouve dans une situation de réitération (paragraphes 735 à 755 de la décision) justifiant, dans les circonstances de l'espèce, une majoration de 10 % de sa sanction, l'Autorité a retenu, concernant l'existence d'un constat antérieur d'infraction :
- que le Conseil de la concurrence a constaté, par une décision n° 09-D-06 du 5 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par la SNCF et Expedia Inc. dans le secteur de la vente de voyages en ligne, que la SNCF avait commis plusieurs abus de position dominante et une entente anticoncurrentielle ;
- que, dans le cadre du présent dossier, il a été établi que la SNCF avait mis en œuvre une série de pratiques constitutives d'abus de position dominante, étant rappelé , pour une de ces pratiques (le grief n° 4), que le comportement de la SNCF ayant commencé en novembre 2006, il se poursuivait au jour de la notification des griefs, le 28 juillet 2011, de telle sorte que la SNCF a poursuivi, dans le cadre de la présente affaire, une pratique anticoncurrentielle bien qu'une précédente infraction au droit de la concurrence ait été constatée à son encontre par le Conseil de la concurrence ;
- qu'en revanche, eu égard à la date de cessation des autres infractions relevées (griefs n° 2, n° 3 et n° 8), une situation de réitération ne peut être retenue au titre de ces dernières ;
Que, l'Autorité a retenu, ensuite, concernant le caractère définitif, à la date de la décision déférée, du constat d'infraction, que, nonobstant l'existence d'un recours encore pendant, la décision n° 09-D-06 était définitive au sens de la réitération, dès lors que le recours formé par la société Expedia, et celui incident formé par la SNCF, à l'encontre de cette décision visent uniquement le constat d'entente retenu à son encontre par le Conseil de la concurrence, de telle sorte que les constats d'abus de position dominante également retenus à son encontre par le Conseil dans la même décision n'ont pas été frappés de recours et sont devenus définitifs ;
Que sur l'identité ou la similitude des pratiques, la décision mentionne :
- que la SNCF a été condamnée dans la décision n° 09-D-06 pour plusieurs abus de position dominante, qu'elle n'avait pas contestés et, qu'en particulier, elle avait été condamnée en raison de pratiques discriminatoires visant à refuser l'accès des distributeurs de billets ;
- que, dans la présente affaire, au titre du grief n° 4, la SNCF a commis des abus de position dominante en publiant de façon incomplète la liste et les conditions d'accès aux cours de marchandises dont elle avait la propriété, qui a eu pour effets, en retardant l'accès à ces infrastructures ferroviaires, d'évincer les concurrents sur le marché et de les empêcher d'offrir leurs services aux chargeurs de façon efficace ;
- que ces pratiques poursuivaient un effet anticoncurrentiel similaire, c'est-à-dire à évincer des concurrents du marché en limitant de façon artificielle leur efficacité et leur attractivité pour les clients, à celui poursuivi par les abus de position dominante condamnés par la décision n° 09-D-06 ;
Qu'enfin, sur le délai écoulé entre le précédent constat d'infraction et les pratiques en cause, l'Autorité relève :
- qu'il y a lieu de prendre en compte le délai, en l'espèce très court, entre les deux infractions commises par la SNCF, laquelle, alors que la SNCF avait, à l'évidence, été sensibilisée récemment à la nécessité du respect des règles de concurrence pour la violation desquelles elle venait d'être sanctionnée, ce qui aurait dû l'inciter à mettre fin aux pratiques en cause en l'espèce ;
- qu'il y a aussi lieu de prendre en compte, dans un sens favorable à l'entreprise, le fait que l'Autorité n'impose en l'espèce qu'une seule sanction au titre de quatre infractions, dont une seule permet de retenir une situation de réitération ;
Considérant que la SNCF critique la décision en ce qu'elle a retenu à son encontre la circonstance aggravante de la réitération en faisant, au cas d'espèce, une application trop extensive des critères de réitération dans la mesure où, d'une part, dans l'affaire qui a abouti à la décision n° 09-D-06, elle avait décidé de ne pas contester les griefs qui lui étaient notifiés et, d'autre part, où les pratiques en cause dans la décision précitée ne peuvent pas être considérées comme identiques ou similaires à celles relatives à la seule infraction retenue - soit celle au titre du grief n° 4 - objet d'une réitération dans la présente affaire ;
Considérant que, contrairement à ce qui est soutenu, il importe peu que la SNCF n'ait pas, dans la première affaire qui a conduit à la décision n° 09-D-06, contesté les griefs en vertu du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, dès lors que ce choix procédural n'emporte aucune conséquence sur l'existence même du constat d'infraction effectué par l'Autorité, qui est caractérisé dans sous ses aspects, constatation des faits, qualification juridique de ces faits au regard du droit interne et de l'Union, et responsabilité de l'entreprise en cause ;
Considérant en revanche, que la réitération, circonstance aggravante qui ne peut faire l'objet d'une interprétation extensive, implique, ainsi que cela a été rappelé, que les pratiques doivent être identiques ou similaires, par leur objet ou leur effet, à celles ayant donné lieu au précédent constat d'infraction ;
Considérant que les pratiques d'abus de position dominante qui ont donné lieu au précédent constat d'infraction consistaient dans des pratiques discriminatoires visant à refuser l'accès des distributeurs de billets qui lui faisaient concurrence sur le marché, aux fonctionnalités techniques dont elle était propriétaire (Billet Imprimé, Offres Dernière Minutes et iDTGV) afin, en substance, de favoriser son site Internet marchand au détriment de ses concurrents, et ainsi d'évincer du marché des services de la distribution de billets de train, et à tout le moins du canal de distribution par Internet, des concurrents aussi efficaces ;
Or considérant que les pratiques d'abus de position dominante imputées à la SNCF - grief n° 4 - et sanctionnées par la décision attaquée, qui ont consisté à publier, de manière tardive et incomplète, la liste de ses cours de marchandises dans le DRR en protégeant sa position dominante de l'entreprise sur le marché des services ferroviaires de marchandises par train massif, ne peuvent être qualifiées d'identiques ou similaires, par leur objet ou leur effet, à celles ayant donné lieu au précédent constat d'infraction qui concernait la vente en ligne de titres de transport voyageurs ;
Considérant, dès lors, que les conditions permettant de retenir la circonstance aggravante de la réitération ne sont pas réunies au cas d'espèce et qu'il n'y a pas lieu de procéder, de ce chef, à une majoration de la sanction infligée à la requérante ;
En ce qui concerne la capacité contributive de SNCF :
Considérant que SNCF reproche à l'Autorité de ne pas avoir justifié sa décision en refusant de prendre en compte sa capacité contributive, dès lors que Fret SNCF disposant d'un degré suffisant d'une autonomie organisationnelle, fonctionnelle, juridique et commerciale, la responsabilité des infractions reprochées à cette division autonome ne peut pas être imputée à l'Epic SNCF auquel elle appartient et que, dans ces conditions, les pertes importantes subies par Fret SNCF, qui affectaient ses capacités contributives, auraient dû conduire l'Autorité à réduire le montant de l'amende qui a été infligé à l'entreprise publique ;
Considérant qu'en l'état des développements qui précèdent consacrés à l'imputabilité des pratiques, dont il résulte notamment que la division Fret SNCF était dépourvue de personnalité morale, c'est à bon droit que l'Autorité a décidé (paragraphes 757 à 766 de la décision) que les éléments financiers et comptables communiqués par la SNCF à l'appui de sa demande, qui ne concernent que la situation financière de Fret SNCF, ne donnent aucune indication quant à la capacité contributive de l'Epic et que, dans ces conditions, la demande de la SNCF n'est pas appuyée d'éléments de preuve complets permettant à l'Autorité d'examiner l'incidence des difficultés financières alléguées par la SNCF sur sa capacité contributive ;
Que le moyen doit être rejeté ;
En ce qui concerne le montant de la sanction :
Considérant qu'au regard des éléments qui précédent, la cour, écartant les éléments d'individualisation de la sanction tenant à la puissance économique de SNCF ainsi que la circonstance aggravante tenant à la réitération de l'infraction qui ont été retenus par l'Autorité estime, compte tenu de l'appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie et compte tenu de la situation individuelle de SNCF, devoir réduire à 48 195 000 euros la sanction pécuniaire qui doit être infligée à l'entreprise publique, étant précisé que cette somme correspond au montant de base de la sanction pécuniaire, déterminé par l'Autorité (paragraphe 720) en proportion des ventes de services offerts aux chargeurs par train massif réalisées en France par le biais de la division Fret SNCF en relation avec les infractions, d'une part, et en tenant compte de leur durée, d'autre part ;
SUR LA PUBLICATION DE LA DÉCISION DE l'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Considérant que c'est à juste titre que l'Autorité a, en application des dispositions du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, décidé d'ordonner la publication d'un résumé de sa décision (paragraphe 780 de la décision) dans les éditions de deux journaux afin d'attirer la vigilance des acteurs économiques présents sur le secteur du transport ferroviaire de marchandises en France et, en particulier, des chargeurs ;
Considérant, cependant, qu'en raison de la réformation à intervenir de la décision en ce qui concerne le grief n° 10 et en ce qui concerne le montant de la sanction pécuniaire, il convient de préciser, d'une part, que les mentions du résumé de la décision concernant les prix d'éviction ainsi que l'injonction, devenues sans objet, devront être supprimées et, d'autre part, que le montant de la sanction réduite à 48 195 000 euros doit se substituer au montant initial de 60 966 000 euros ;
SUR LES DÉPENS
Considérant qu'il convient de laisser à la charge de la société Euro Cargo Rail les frais afférents à son intervention devant la cour ;
Qu'aucune circonstance d'équité ne commande d'allouer à la société Euro Cargo Rail une indemnité au titre de ses frais irrépétibles ;
Par ces motifs: Rejette le recours de la SNCF formé contre la décision n° 12-D-25 de l'Autorité de la concurrence du 18 décembre 2012 sauf en ce qui concerne le grief n° 10 concernant la pratique de prix d'éviction sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif et en ce qui concerne le montant de la sanction pécuniaire infligée à la SNCF au titre des pratiques visées aux articles 1er, 2, 3 et 4 de la décision déférée, Réformant la décision de l'Autorité de la concurrence de ces seuls chefs, Dit qu'il n' est pas établi que l'Epic SNCF a enfreint les dispositions de l'article 102 du TFUE et de l'article L. 420-2 du Code de commerce en pratiquant des prix d'éviction sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif, Constate, en conséquence, que l'injonction ordonnée au paragraphe 779 de la décision déférée est devenue sans objet, Inflige à l'Epic SNCF une sanction pécuniaire de 48 195 000 euros au titre des pratiques visées aux articles 1er, 2, 3 et 4 de la décision n° 12- D- 25 de l'Autorité de la concurrence du 18 décembre 2012, Dit que les mentions concernant les prix d'éviction ainsi que l'injonction devront être supprimées du résumé de la décision effectué aux fins de publication prévu dans le paragraphe 780 et que le nouveau montant de la sanction, réduite à 48 195 000 euros, devra se substituer au montant initial de 60 966 000 euros, Déboute la société Euro Cargo Rail de sa demande d'indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Laisse à la charge de la société Euro Cargo Rail les dépens afférents à son intervention devant la cour, Condamne l'Epic SNCF aux dépens.