Cass. com., 4 novembre 2014, n° 12-25.419
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Le Merre Distri (SARL), Casino France (Sté)
Défendeur :
Carrefour Proximité France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Mouillard
Avocats :
Me Blondel, SCP Odent, Poulet
LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Le Merre Distri (la société Le Merre) que sur le pourvoi provoqué relevé par la société Distribution Casino France (la société Casino) ; - Sur la recevabilité du pourvoi provoqué, contestée par la défense : - Attendu que la société Casino a formé en application de l'article 611 du Code de procédure civile un pourvoi en cassation contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 13 juin 2012 qui ordonne la substitution de la société Carrefour proximité France (la société Carrefour) dans ses droits dans la cession du fonds de commerce de la société Le Merre, sans l'avoir appelée en la cause ;
Mais attendu que l'arrêt n'a prononcé aucune condamnation à l'encontre de la société Casino ; qu'il s'ensuit que le pourvoi de cette société, contre un arrêt dont les dispositions n'ont pas la force de la chose jugée à son égard et contre lequel elle pouvait faire tierce opposition, n'est pas recevable ;
Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de la société Casino, contestée par la défense : - Attendu qu'il résulte des articles 327 et 330 du Code de procédure civile que les interventions volontaires sont admises devant la Cour de cassation si elles sont formées à titre accessoire, à l'appui des prétentions d'une partie, et si leur auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie ; que la société Casino justifie d'un intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir les prétentions de la société Le Merre qui a formé un pourvoi contre l'arrêt qui dit que la cession de son fonds de commerce à la société Casino est inopposable à la société Carrefour et qui ordonne la substitution de cette société dans ses droits dans la cession de ce fonds ; que l'intervention volontaire est donc recevable ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal : - Vu les articles L. 420-1 et L. 420-3 du Code de commerce ; - Attendu qu'est prohibée, et partant nulle, toute clause contractuelle ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment lorsqu'elle tend à limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par contrat du 18 mai 1998, renouvelé le 22 octobre 2004, la société Le Merre a conclu avec la société Comptoirs modernes union commerciale, aux droits de laquelle sont venues la société Prodim, puis la société Carrefour, un contrat de franchise pour l'exploitation d'un magasin d'alimentation ; qu'il était stipulé un droit de première offre et de préférence au profit du franchiseur, à égalité de prix et de conditions, en cas, notamment, de cession ou transfert des droits de propriété ou de jouissance sur le local, ou de cession ou transfert des droits de propriété ou de jouissance ou mise en location-gérance sur le fonds de commerce ; qu'après avoir notifié à la société Carrefour la résiliation du contrat de franchise pour le 18 mai 2010, la société Le Merre l'a informée, le 14 mai 2010, du prix et des conditions de la cession de son fonds de commerce qu'elle avait consentie à la société Casino, sous la condition suspensive, notamment, de la conclusion d'un contrat de gérance-mandataire au profit de M. Le Merre ; que la société Carrefour a fait assigner la société Le Merre afin qu'il lui soit interdit de vendre son fonds de commerce à la société Casino et ordonné de régulariser la vente à son profit et, dans l'hypothèse où la vente serait néanmoins intervenue au profit de la société Casino, que soit ordonnée sa substitution de plein droit à cette société ; que le 3 septembre 2010, la société Le Merre a régularisé la cession du fonds de commerce à la société Casino ;
Attendu que pour rejeter la demande de la société Le Merre tendant à voir prononcer la nullité, en raison de son effet anticoncurrentiel, du pacte de préférence assortissant le contrat de franchise et ordonner la substitution de la société Casino dans les droits de la société Carrefour dans la cession du fonds de commerce, l'arrêt se borne à retenir que si, conformément à l'avis n° 10-A-26 du 7 décembre 2010 de l'Autorité de la concurrence, l'expression d'une préférence dans le droit des contrats commerciaux doit être strictement limitée au regard des dispositions relatives à la libre concurrence et à la sanction des pratiques anticoncurrentielles, le pacte de préférence ne peut être considéré comme une pratique anticoncurrentielle, dans la mesure où seule la liberté de choisir son cocontractant est affectée par le pacte et où il n'oblige pas les parties à conclure le contrat pour lequel la préférence est donnée, le cédant n'étant pas obligé de céder son bien et le bénéficiaire n'étant pas obligé de l'acquérir ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la stipulation, dans les contrats de franchise consentis par la société Carrefour, d'un droit de préférence à son profit, valable pendant toute la durée du contrat et un an après son échéance, n'avait pas pour effet, en limitant la possibilité de rachat de magasins indépendants par des groupes de distribution concurrents, de restreindre artificiellement le jeu de la concurrence sur le marché du détail de la distribution à dominante alimentaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal, Déclare irrecevable le pourvoi incident, Reçoit la société Distribution Casino France en son intervention volontaire ; Et sur le pourvoi principal : Casse et Annule, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il dit que la cession du fonds de commerce intervenue entre la société Le Merre Distri et la société Distribution Casino France est inopposable à la société Carrefour proximité France, ordonne la substitution de la société Carrefour proximité France dans les droits de la société Distribution Casino France dans la cession du fonds de commerce et dit que l'arrêt vaut acte de cession au profit de la société Carrefour proximité France, et dit que la régularisation de l'acte de cession devra intervenir dans le mois de sa signification, l'arrêt rendu le 13 juin 2012, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris autrement composée.