CA Rennes, 3e ch. com., 5 novembre 2014, n° 13-08189
RENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
CCV Beaumanoir (Sté), Pauline (SAS)
Défendeur :
Surpikur (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme André
Avocats :
Mes Lhermitte, Levy-Dières, Cressard, Picart
EXPOSÉ DU LITIGE
Les sociétés Surpikur, d'une part, et CCV Beaumanoir et Pauline, d'autre part, ont entretenu des relations commerciales de 2004 à 2012.
Saisi par assignation de la société Surpikur, le Tribunal de commerce de Rennes, a par jugement du 10 octobre 2013 assorti de l'exécution provisoire :
- débouté les sociétés CCV Beaumanoir et Pauline de leur demande d'annulation de l'assignation ;
- dit que c'est à juste titre que la société Surpikur avait attrait la société CCV Beaumanoir à l'affaire et débouté celle-ci de sa demande de mise hors de cause ;
- dit que le contrat liant les sociétés CCV Beaumanoir et Pauline, d'une part, et la société Surpikur, d'autre part, était un contrat d'agent commercial relevant des dispositions de l'article L. 134-1 du Code de commerce ;
- débouté la société Surpikur de sa demande d'indemnités de fin de contrat et de préavis faute de preuve de la rupture du contrat par les sociétés CCV Beaumanoir et Pauline à la fin de l'année 2012 ;
- dit que les sociétés CCV Beaumanoir et Pauline ont procédé à une rupture brutale partielle des relations commerciales établies avec la société Surpikur en 2011 ;
- condamné à ce titre et in solidum les sociétés CCV Beaumanoir et Pauline à payer à la société Surpikur la somme de 44 007 euros ;
- débouté cette dernière du surplus de ses demandes, notamment de celle de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
- prononcé la résiliation du contrat commercial à l'initiative de la société Surpikur ;
- condamné les sociétés CCV Beaumanoir et Pauline in solidum au paiement de la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Le 4 novembre 2013, la société Surpikur a signifié le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Rennes, puis en a relevé appel. Le 23 janvier 2014, elle a conclu devant la cour dans les termes suivants :
"Vu l'article 56 du Code de procédure civile
Vu les articles 16 et 17 de la convention de La Haye du 14 mars 1978
Vu les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce
Vu les articles L. 134-11, L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce
Vu l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce
Vu l'article 1382 du Code civil
Confirmer le jugement entrepris :
En ce qu'il a reçu valablement la société Surpikur dans son assignation et débouté les sociétés CCV Beaumanoir et Pauline de leur demande de nullité inconsistante ;
En ce qu'il a reconnu que c'était à juste titre que la société Surpikur avait attrait la société CCV Beaumanoir à l'affaire et débouté la société CCV Beaumanoir de sa demande de mise hors de cause ;
En ce qu'il a reconnu que le contrat liant les sociétés CCV Beaumanoir et Pauline à la société Surpikur est un contrat d'agent commercial tel que visé aux articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce ;
En ce qu'il a reconnu que les sociétés CCV Beaumanoir et Pauline ont procédé à une rupture brutale partielle des relations commerciales établies avec la société Surpikur en 2011, et a, à ce titre, condamné in solidum les sociétés CCV Beaumanoir et Pauline à payer une indemnité de rupture à la société Surpikur ;
En ce qu'il a condamné in solidum les sociétés CCV Beaumanoir et Pauline au paiement d'une somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Infirmer le jugement entrepris de tous autres chefs et le réformant :
A titre principal, dire et juger que la société Surpikur est bien fondée à solliciter le paiement de l'indemnité légale prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce du fait de la fin de son contrat d'agent ;
En conséquence, condamner in solidum la société CCV Beaumanoir et la société Pauline à payer à la société Surpikur la somme de 431 600 euros à titre d'indemnité légale de fin de contrat suite à la cessation du contrat d'agent commercial entre les parties du fait de la société CCV Beaumanoir et de la société Pauline ;
Dire et juger que la société Surpikur a subit une brusque rupture de son contrat d'agent commercial faute du respect du moindre préavis par la société CCV Beaumanoir et la société Pauline ;
En conséquence, condamner in solidum la société CCV Beaumanoir et la société Pauline à payer à la société Surpikur la somme de 53 450 euros à titre d'indemnité de préavis, correspondant à 3 mois de commissions calculés sur la base de la moyenne des 3 dernières années de commissions perçues par la société Surpikur dans le cadre de l'exécution de son mandat avec les sociétés CCV Beaumanoir et Pauline ;
A titre subsidiaire, dire et juger que les sociétés CCV Beaumanoir et Pauline ont rompu brutalement et abusivement les relations commerciales établies qu'elles entretenaient avec la société Surpikur à la fin de l'année 2012 ;
Dire et juger qu'un préavis de 24 mois avant de rompre leurs relations commerciales avec la société Surpikur aurait dû être respecté par les sociétés CCV Beaumanoir et Pauline ;
En conséquence, condamner in solidum la société CCV Beaumanoir et la société Pauline à payer à la société Surpikur la somme de 431 600 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale et abusive de leur relation commerciale établie ;
Dire et juger que la société CCV Beaumanoir et la société Pauline ont commis une faute en maintenant la société Surpikur, durant plusieurs mois, dans l'illusion d'une poursuite de sa mission pour le compte du Groupe Beaumanoir ;
En conséquence, condamner in solidum la société CCV Beaumanoir et la société Pauline à payer à la société Surpikur une somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de la société CCV Beaumanoir et de la société Pauline ;
Débouter les sociétés CCV Beaumanoir et Pauline de l°ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
Condamner in solidum les sociétés CCV Beaumanoir et Pauline à payer à la société Surpikur la somme de 7 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;
Les condamner aux entiers dépens.
Le 28 juillet 2014, les sociétés CCV Beaumanoir et Pauline ont saisi le conseiller de la mise en état d'une demande tendant à :
Vu le jugement du Tribunal de commerce de Rennes du du 10 octobre 2013,
Vu la déclaration d'appel du 18 novembre 2013,
Vu les conclusions d'intimée du 20 décembre 2013
Vu les conclusions d'appelant du 14 janvier 2013
Vu les articles 901, 914 et 122 et s. du Code de procédure civile,
Vu les articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce,
Constater l'absence de pouvoir de la Cour d'appel de Rennes pour connaître d'un litige portant en partie sur une rupture brutale des relations commerciales ;
En conséquence,
Déclarer irrecevable l'appel de la société Surpikur formé à l'encontre du jugement rendu par le Tribunal de commerce de Rennes le 10 octobre 2013 ;
Déclarer irrecevable la demande de la société Surpikur tendant à faire constater la nullité de l'acte de signification du jugement rendu par le Tribunal de commerce de Rennes le 10 octobre 2013 ;
Débouter la société Surpikur de l'ensemble de ses demandes formées dans le cadre du présent incident ;
Condamner la société Surpikur à payer à chacune des sociétés Beaumanoir et Pauline la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;
Condamner la société Surpikur aux entiers dépens.
En réponse, la société Surpikur demande au conseiller de la mise en état dans ses dernières écritures déposées le 30 septembre 2014 de :
Vu les articles 73 et 74 du Code de procédure civile
Vu l'article 122 du Code de procédure civile
Vu les articles 680 et 693 du Code de procédure civile
Vu l'article 901 du Code de procédure civile
Vu les articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce
Vu la jurisprudence
In limine litis,
Dire et juger la signification du jugement du 10 octobre 2013 du Tribunal de commerce de Rennes faite aux sociétés CCV Beaumanoir et Pauline le 4 novembre 2013 est irrégulière en raison de la mention erronée du siège territorial de la cour d'appel devant être saisie.
En conséquence,
Dire et juger que la signification du jugement du Tribunal de commerce de Rennes du 10 octobre 2013, n'a pas fait courir le délai d'appel ;
Dire et juger que cette signification irrégulière en ce qu'elle cause grief tant aux sociétés CCV Beaumanoir et Pauline qu'à la société Surpikur est nulle ;
A titre principal, dire et juger que l'incident soulevé par les sociétés CCV Beaumanoir et Pauline est une exception d'incompétence soulevé après la mise en place d'une défense au fond ;
Déclarer cet incident irrecevable ;
A titre subsidiaire, dire et juger l'incident diligenté par les sociétés CCV Beaumanoir et Pauline mal fondé ;
En conséquence,
Dire et juger la Cour d'appel de Rennes compétente pour connaître de l'appel du jugement entrepris et ;
Débouter les sociétés CCV Beaumanoir et Pauline de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
A titre infiniment subsidiaire,
- Dire et juger, que la juridiction compétente territorialement pour connaître du jugement entrepris est la Cour d'appel de Paris ;
En conséquence
- Ordonner le renvoi de l'affaire à la Cour d'appel de Paris ;
- Dire et juger que la signification du jugement entrepris est irrégulière en ce qu'elle contient une mention erronée et corrélativement,
- Dire et juger que cette irrégularité prive d'effet ladite signification,
- En conséquence, dire et juger que le délai d'appel n'a pas couru,
- Au surplus dire et juger que cette irrégularité de la signification cause grief,
- Dire et juger en conséquence que la signification du jugement entrepris est nulle.
Réserver les dépens.
Pour un plus ample exposé des moyens des parties, le conseiller de la mise en état se rapporte à leurs dernières conclusions déposées par chacune des parties le 30 septembre 2014.
SUR CE
Sur la fin de non-recevoir fondée sur l'absence de pouvoir juridictionnel de la Cour d'appel de Rennes pour connaître du recours
Le jugement critiqué, rendu par une juridiction investie par l'article D. 442.3 du Code de commerce du pouvoir de statuer sur les demandes fondées sur l'article L. 442-6 du Code de commerce - qui n'était d'ailleurs pas la juridiction territorialement compétente pour connaître d'un contentieux de droit commun susceptible d'opposer les parties -, a expressément fait application de ce texte par une disposition dont la société appelante a demandé à titre principal la confirmation en son principe.
Son argumentation selon laquelle la demande fondée sur cette disposition serait subsidiaire et ne priverait pas la cour d'appel de céans de son pouvoir d'examiner le recours est donc, quelle qu'en soit la pertinence en droit, inexacte en fait.
Seule la Cour d'appel de Paris a le pouvoir d'examiner les appels formés contre les décisions émanant des juridictions spécialisées saisies de l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce que ce fondement soit ou non invoqué à titre exclusif. Le non-respect des dispositions d'ordre public des articles L. 442-6 III et D. 442-3 du Code de commerce est sanctionné par une fin de non-recevoir et non par une exception d'incompétence de sorte que le moyen tiré de la tardiveté de la demande est inopérant, les fins de non-recevoir pouvant être soulevées en tout état de cause, même après le dépôt de conclusions au fond.
En conséquence, la demande de renvoi de l'affaire devant la Cour d'appel de Paris ne peut être accueillie, cette procédure n'étant applicable qu'en cas d'admission d'une exception d'incompétence.
L'irrecevabilité de l'appel formé devant la Cour d'appel de Rennes qui n'a pas été saisie d'une demande de disjonction de la procédure, laquelle serait d'ailleurs incompatible avec les termes du litige, ne peut dès lors qu'être constatée.
Sur la demande d'annulation de la signification
Le constat de l'irrecevabilité de l'appel du jugement en cause faute de pouvoir juridictionnel de la Cour d'appel de Rennes pour en connaître implique par voie de conséquence le dessaisissement du conseiller de la mise en état de cette cour qui n'a pas le pouvoir de statuer sur un incident portant sur la procédure d'appel elle-même. La demande d'annulation de la signification du jugement sera dès lors déclarée également irrecevable.
En équité, une somme de 2 000 euros sera mise à la charge de la société Surpikur sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, Le conseiller de la mise en état Déclare l'appel formé devant la Cour d'appel de Rennes par la société Surpikur à l'encontre du jugement rendu par le Tribunal de commerce de Rennes le 10 octobre 2013 sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce irrecevable ; Déclare en conséquence irrecevable la demande d'annulation de l'acte de signification de ce jugement ; Condamne la société Surpikur à payer aux sociétés CCV Beaumanoir et Pauline, prises in solidum, la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Surpikur aux entiers dépens.