CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 13 novembre 2014, n° 13-04425
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Un Air d'ici (SARL)
Défendeur :
Dispam (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
MM. Birolleau, Douvreleur
Avocats :
Mes Meynard, Fouquet, Maupas Oudinot, Morin
Faits et procédure
La société Dispam a pour activité le transport routier de marchandises sous température dirigée. La société Un Air d'Ici, qui fabrique et distribue des fruits secs, olives et biscuits apéritifs, lui a confié, à partir d'octobre 2008, la livraison de ses marchandises auprès de diverses centrales d'achat.
A partir du 26 octobre 2011, la société Un Air d'Ici a cessé de commander des livraisons à la société Dispam.
Estimant que la société Un Air d'Ici avait brutalement rompu leur relation commerciale établie, la société Dispam l'a assignée le 7 février 2012 en demandant sa condamnation à lui payer les sommes de 19 732, 78 euros à titre de dommages et intérêts et de 2 905,72 euros au titre du solde de factures impayées.
Par jugement rendu le 24 janvier 2013, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Marseille a :
- dit que la société Un Air d'Ici a engagé sa responsabilité en mettant brutalement un terme, le 26 octobre 2011, à la relation commerciale qu'elle entretenait avec la société Dispam depuis le mois d'octobre 2008 ;
- condamné la société Un Air d'Ici à payer à la société Dispam, la somme de 14 849,03 euros à titre de dommages et intérêts du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie depuis octobre 2008 avec cette dernière ;
- condamné la société Un Air d'Ici à payer à la société Dispam la somme de 2 632,80 euros au titre du paiement du solde de ses factures n° 61105060 et 61105398, et celle de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'appel interjeté par la société Un Air d'Ici le 5 mars 2013 contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Un air d'ici le 31 mai 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de :
A titre principal,
- dire et juger que la société Dispam a commis de graves manquements dans l'exécution de ses obligations, justifiant la rupture des relations contractuelles sans préavis ;
- la débouter en conséquence de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
A titre subsidiaire,
Vu l'absence de justification de la perte de marge brute,
- débouter la société Dispam de sa demande indemnitaire ;
En tout état de cause,
- voir condamner la société Dispam d'avoir à payer à la société Un Air d'Ici la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Un Air d'Ici reproche au tribunal d'avoir pris acte des manquements qu'elle reproche à la société Dispam, mais de ne pas en avoir tiré les conséquences.
A titre principal, la société Un Air d'Ici soutient que la société Dispam a commis de très nombreux manquements à la bonne exécution de ses prestations, consistant dans des retards de livraison, des pertes de colis, des marchandises endommagées, et qu'il en est résulté la perte d'un important client, les établissements Leclerc via les centrales d'achat Scadif et Scapnor. Elle ajoute que la société Dispam exercerait sur elle une pression pour la contraindre de reprendre les relations commerciales à des conditions désavantageuses.
A titre subsidiaire, la société Un Air d'Ici souligne que les relations commerciales établies avec la société Dispam n'ont duré que trois ans et que celle-ci réclame, au titre d'un préavis d'une durée de trois mois, une somme égale non à sa marge brute, mais à son chiffre d'affaires.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Dispam le 30 juillet 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- dire la société Un Air d'Ici non fondée en son appel,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 24 janvier 2012 par le Tribunal de commerce de Marseille,
Y ajouter :
- condamner la société Un Air d'Ici à payer à la société Dispam la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Dispam soutient d'abord que les transports ayant posé des difficultés ont été très peu nombreux et que dans la plupart des cas, la situation a été régularisée et les marchandises ont été livrées. Elle considère que sa responsabilité n'est engagée que dans un seul des dysfonctionnements allégués par la société Un Air d'Ici et qu'aucun d'entre eux ne justifie qu'elle ait rompu les relations commerciales sans préavis.
En ce qui concerne son préjudice, elle demande à la cour de confirmer le jugement déféré qui lui a accordé des dommages et intérêts à hauteur de sa marge brute "estimée à 90 % du chiffre d'affaires" sur une durée de trois mois.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la rupture des relations commerciales établies entre les sociétés Un Air d'Ici et Dispam
Considérant, d'une part, qu'il n'est pas discuté que la société Un Air d'Ici, en cessant définitivement à compter du 26 octobre 2011 de passer des commandes de transport à la société Dispam, a rompu sans préavis écrit les relations commerciales qu'elle entretenait avec cette société depuis 2008 ;
Considérant, d'autre part, que le tribunal a relevé à la charge de la société Dispam des "difficultés dans les livraisons qui lui étaient confiées par la société Un Air d'Ici" et en a déduit "que la société Un Air d'Ici était probablement fondée à faire grief à la société Dispam de ces incidents de livraison" ; que le tribunal a ainsi rappelé dans son jugement qu'étaient établis plusieurs incidents imputables à la société Dispam et consistant dans des livraisons tardives (livraisons des 24 mai 2011, 11 août 2011, 7 juin 2011, 3 juin 2011, 24 juillet 2011, 18 juillet 2011, 4 octobre 2011, 18 août 2011, 1er juillet 2011, 30 juin 2001, 11 juillet 2011 - pièces n° 2, 6, 8, 9, 10, 12, 13, 14, 15, 16, 17 produites par l'appelante), des colis manquants (livraisons des 23 mai 2011 et 13 juillet 2011 "pièces n° 5 et 7 produites par l'appelante) et des dommages causés aux marchandises (livraison des 21 décembre 2010 et 30 juin 2011" pièces n° 1 et 4 produites par l'appelante) ;
Considérant que si ces incidents ont pu conduire légitimement la société Un Air d'Ici à décider de rompre ses relations avec la société Dispam, il convient de déterminer s'ils étaient d'une gravité telle qu'ils constituaient une inexécution contractuelle au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, de nature à justifier que cette rupture ne soit pas précédée d'un préavis d'une durée raisonnable ;
Considérant qu'à cet égard, le tribunal a justement constaté que ces incidents n'avaient affecté qu'une très petite partie du nombre total des livraisons effectuées par la société Dispam pour le compte de la société Un Air d'Ici ;
Considérant, par ailleurs, que si la société Un Air d'Ici affirme que les dysfonctionnements qu'elle reproche à la société Dispam ont entraîné la perte de deux importants clients, les centrales d'achat Scadif et Scapnor, elle n'en rapporte pas la preuve ; qu'en effet, elle produit la copie d'un courrier électronique du 19 mai 2011, par lequel le service achats de la société Scadif lui fait savoir que "suite à notre entretien téléphonique du mercredi 18 mai, à vos nombreux retards de livraison, ainsi qu'au litige du 16/06/2011, nous avons pris la décision de ne plus commercialiser vos produits sur le Scadif et la Scapnor (...)" (pièce n° 19) ;
Mais considérant que ce courrier comporte une anomalie en ce que, daté du 19 mai 2011, il fait allusion à un "litige" du 16 juin suivant ; que le tribunal en ayant expressément fait la remarque dans son jugement, la société Un Air d'Ici n'a pourtant apporté dans ses écritures devant la cour aucune explication qui viendrait éclairer les motifs précis de la décision dont le courrier fait état ; que par ailleurs, tous les incidents ci-dessus relevés sont postérieurs à l'envoi de ce courrier ; que la société Un Air d'Ici ne produit pas d'autres éléments qui permettraient de rattacher la décision des centrales d'achat "à la supposer avérée" à des fautes commises par la société Dispam ; qu'au demeurant, ce n'est que plusieurs mois après, à compter du 26 octobre 2011, que la société Un Air d'Ici a cessé toute commande de transport à la société Dispam ;
Considérant que, dès lors, la société Un Air d'Ici ne fournit pas à la cour d'éléments permettant de considérer que les incidents de livraison imputés à la société Dispam caractérisent, une inexécution par celle-ci de ses obligations contractuelles, au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, de nature à justifier qu'elle mette fin, sans préavis écrit, à leurs relations commerciales établies ;
Considérant que la société Un Air d'Ici engage donc sa responsabilité de ce chef et doit réparer le préjudice subi par la société Dispam ; qu'à cet égard, le tribunal a jugé à juste titre que, compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales entre les parties, lesquelles ont commencé en octobre 2008, un préavis d'une durée de trois mois aurait dû être accordé à la société Dispam ;
Considérant que la société Dispam ne saurait être indemnisée, comme elle le demande, à hauteur du chiffre d'affaires qu'elle aurait réalisé sur cette durée, mais seulement à hauteur de la marge brute que, par une évaluation que la cour adopte, le tribunal a fixé à 90 % ; qu'en conséquence, compte tenu du chiffre d'affaires réalisé sur les douze derniers mois par la société Dispam avec la société Un Air d'Ici, qui s'établit à 65 995,69 euros HT, le montant des dommages et intérêts dus en réparation de la rupture sans préavis écrit s'élève à la somme de 14 849,03 euros ; que le jugement sera donc confirmé.
Sur le solde de factures impayées
Considérant que la société Un Air d'Ici ne conteste pas ne pas avoir réglé les factures n° 61105060 et 61105398, d'un montant total de 2 905,72 euros, que lui réclame la société Dispam ; qu'elle explique en avoir retenu le paiement en compensation des sommes qui lui seraient dues par la société Dispam au titre de colis endommagés ou perdus ;
Mais considérant que le tribunal a relevé à juste titre que la société Un Air d'Ici, si elle établissait que la société Dispam lui était redevable de la somme totale de 272,92 euros, "laquelle doit donc être déduite des sommes dues à la société Dispam -, ne démontrait pas, en revanche, la créance de 2 632,80 euros qu'elle invoque ; que dès lors le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Un Air d'Ici à payer à la société Dispam la somme de 2 632,80 euros au titre du paiement du solde de ses factures.
Sur les frais irrépétibles
Considérant qu'il n'apparaît pas justifié, au regard des éléments du dossier, de prononcer de condamnation au regard de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions ; Dit n'y avoir lieu à condamnation en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes les demandes autres, plus amples ou contraires des parties ; Condamne la société Un Air d'Ici Dispam au paiement des dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.