Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 20 novembre 2014, n° 13-16016

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Editions Paradis (SARL)

Défendeur :

Editions First Grund (SA), Interforum (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

M. Birolleau, Douvreleur

Avocats :

Mes Lhotel, d'Antin

T. com. Paris, du 19 juill. 2013

19 juillet 2013

Faits et procédure

La société Edition Paradis édite depuis 2007 un guide sélectionnant des activités gratuites à Paris, dénommé "Paris 0 euro". La société Editions First Grund, devenue depuis le 1er juillet 2013, EDI8, édite par ailleurs, depuis 1974, un autre guide intitulé "Paris pas cher".

En 2013, au guide "Paris pas cher", s'est ajouté un nouveau guide "Paris pas cher - spécial gratuit".

La société Interforum est le distributeur des guides "Paris 0 euro" et "Paris pas cher - spécial gratuit".

Estimant que "Paris 0 euro" avait été parasité par le nouveau guide de la société First Grund, la société Editions Paradis a fait assigner le 19 février 2013 la société First Grund, et le 20 février 2013, son diffuseur-distributeur la société Interforum, en condamnation à paiement de dommages et intérêts.

Par jugement du 19 juillet 2013, le Tribunal de commerce de Paris a :

Débouté la société Editions Paradis de sa demande au titre de la concurrence déloyale ;

Condamné la société Editions Paradis à payer aux sociétés First Grund et Interforum la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamné la société Editions Paradis à payer la somme de 1 euro tant à la société ED19 qu'à la société Interforum ;

Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

La société Editions Paradis a interjeté appel le 1er août 2013 contre cette décision.

Par ses dernières conclusions signifiées le 18 février 2014, elle demande à la cour de :

Infirmer le jugement du 19 juillet 2013 en toutes ses dispositions ;

Dire recevable et fondée l'action de la société Editions Paradis à l'encontre des sociétés EDI8 et Interforum ;

Constater que la société EDI8 a commis des actes de parasitisme à l'encontre de la société

Editions Paradis et la condamner à verser à la société Editions Paradis la somme de 150 000 euro en réparation du préjudice subi ;

Ordonner, sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir, la cessation des actes de parasitisme et faire interdiction, sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir, à la société EDI8 et à son diffuseur-distributeur la société Interforum d'exploiter le guide "Paris pas cher - spécial gratuit" ;

Ordonner la publication du texte suivant, au sein de la page d'accueil des sites internet http://www.editionsfirst.fr/ et http://www.guideparispascher.com/ dans les huit jours de la signification de l'arrêt à intervenir et pendant une durée de 1 mois, sous astreinte de 1 000 euro par semaine de retard : "condamnation de la société EDI8 à la demande de la société Editions paradis" en lettres de 2 cm de hauteur, et en lettres de 1 cm de hauteur : "par arrêt rendu le "la Cour d'appel de Paris a condamné la société EDI8 éditrice du guide paris pas cher" spécial gratuit pour concurrence déloyale envers la société Editions Paradis, éditrice du guide paris 0 euro." ;

Condamner solidairement la société EDI8 et la société Interforum à verser à la société

Editions Paradis la somme de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'appelante soutient que les sociétés Editions Paradis et EDI8 sont en concurrence puisqu'elles présentent des produits similaires, en l'espèce des guides de Paris proposant des services gratuits.

Elle indique que les parties ont le même distributeur, la société Interforum, ce qui place les deux guides auprès des mêmes librairies.

Elle ajoute que la société EDI8 a commis des actes de parasitisme en profitant des investissements de la société Editions Paradis. Elle fait valoir à cet effet que le guide "Paris pas cher-spécial gratuit" reprend de multiples éléments caractéristiques du guide "Paris 0 euro", à la fois sur la forme et sur le fond, et reproduit même des erreurs contenues dans "Paris 0 euro". Elle relève que la société EDI8 ne rapporte pas la preuve d'investissements qu'elle aurait réalisés pour la conception de son guide "Paris pas cher - spécial gratuit", ni de choix propres concernant cet ouvrage, ce qui explique qu'elle le vende à un prix inférieur.

Les sociétés EDI8 et Interforum, venant aux droits de la société First Grund, par leurs dernières conclusions signifiées le 29 avril 2014, demandent à la Cour de : donner acte à la société EDI8, venant aux droits de la société First Grund, de son intervention volontaire ;

Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

En conséquence,

Débouter la société Editions Paradis de ses demandes en ce qu'elles sont mal fondées ; la condamner à payer tant à la société EDI8 qu'à la société Interforum une somme d'un euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

La condamner à leur payer une somme de 5 000 euro au titre des frais irrépétibles de première instance sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Y ajoutant,

Condamner la société Editions Paradis à payer tant à la société EDI8 qu'à la société Interforum, une somme supplémentaire de 5 000 euro chacune sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel.

Les intimées rejettent avoir commis des agissements parasitaires. Elles font valoir qu'une rubrique "spécial gratuit" est insérée depuis longtemps dans le guide de la société EDI8, et que c'est parce qu'elle a pris de l'ampleur qu'EDI8 a décidé de lui consacrer un numéro spécial en 2013. Elles ajoutent que les ressemblances entre les guides sont naturelles puisqu'ils traitent du même sujet, ils partagent donc nécessairement certaines références communes et événements communs dans leurs agendas. Elles relèvent en outre que les guides ont leur propre originalité et qu'ils se différencient nettement, que ce soit dans leur orientation, leurs détails, leur style et leurs textes, et qu'il ne saurait donc en l'espèce y avoir parasitisme.

Elles ajoutent que les preuves données par la société Editions Paradis sont artificielles : elles relèvent que le tableau de comparaison des deux sommaires écarte délibérément certaines rubriques et en modifie l'ordre de présentation, et réfutent les prétendues reprises d'erreurs invoquées par la société Editions Paradis.

Elles contestent enfin la mise en cause de la société Interforum, distributeur des deux guides, en indiquant que le distributeur n'a pas pour obligation d'alerter ses clients sur les initiatives éditoriales que pourraient prendre un autre client, de sorte que ne saurait être caractérisée une quelconque complicité de parasitisme.

MOTIFS

Considérant qu'il convient de recevoir la société EDI8, venant aux droits de la société First Grund, en son intervention volontaire ;

Considérant que la société Editions Paradis fait grief à la société EDI8 d'avoir, dans son guide "Paris pas cher - spécial gratuit", copié la ligne éditoriale du guide "Paris 0 euro" ;

Considérant que le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'une entreprise en profitant indûment des investissements consentis ou de sa notoriété ; qu'il suppose qu'il y ait eu en l'espèce reproduction d'éléments caractéristiques du guide "Paris 0 euro" et appropriation du travail d'autrui ;

Considérant que la ligne éditoriale de chacun des guides "Paris pas cher - spécial gratuit" et "Paris 0 euro" est de proposer des activités gratuites à Paris dans les domaines culturel, le même concept, les deux sportif, gastronomique, de détente... ; que, mettant en œuvre ouvrages se trouvent dans un rapport de concurrence ;

Considérant que les guides touristiques présentent nécessairement un contenu, sinon identique, du moins singulièrement proche, tout particulièrement en ce qui concerne les monuments, les lieux de promenade, les restaurants, les cafés, plus spécialement encore pour ceux - correspondant au concept des deux guides, et qui sont relativement peu nombreux - qui offrent une accessibilité gratuite ;

Qu'ainsi que l'indiquent les intimées, de nombreux autres guides sont présents sur le marché de l'inventaire des activités gratuites à Paris ["Paris Gratuit" (Editions Verrier1982), "Paris à l'oeil 1996 : le premier guide du Paris gratuit" (Editions Alternative), "Mon Paris gratuit pour zéro euro, raffermir son cerveau et cultiver ses muscles (ou réciproquement)" (C. Bonneton 1998), "Paris Gratuit" (Editions Grancher 1998), "Paris Gratuit, profitez de la capitale pour pas un rond" (Editions First 2010), "Paris Vraiment Gratis" (Parigramme 2012), "Balade 0 euro, Paris et l'Ile de France, c'est gratuit" (Mondéo 2013)] ; que les ressemblances pouvant exister entre des ouvrages ayant ce même sujet sont dès lors inhérentes à ce type de guides ;

Considérant que la société Editions Paradis invoque, au soutien du grief de parasitisme, les ressemblances des deux guides, à savoir, sur la forme, la reprise du sommaire et de la 4ème de couverture et la reprise de la rubrique "agenda", et sur le fond, la reprise de nombreuses adresses et la reproduction d'erreurs présentes dans Paris 0 euro ;

Considérant que, sur les éléments de forme, la 4ème de couverture du "Paris pas cher - spécial gratuit" présente, comme pour "Paris 0 euro", le sommaire du guide sous la forme de verbes au présent de l'indicatif ; que toutefois ce mode de présentation, dont il n'est pas discuté qu'elle était déjà retenue dans le guide "Paris pas cher 1974", ne présente aucune originalité ; qu'au surplus, la Cour observe que la liste des chapitres n'est pas identique et que la présentation de la 4ème de couverture de chacun des deux guides demeure différente tant en terme de couleurs que d'illustrations, de disposition du texte et de typographie ; que, si la rubrique "agenda", composée des événements marquants accessibles gratuitement, se retrouve dans les deux ouvrages, les Editions Paradis, qui admettent que ce type d'article existe dans d'autres guides touristiques, ne démontrent pas qu'une telle rubrique constituerait une caractéristique propre de "Paris 0 euro" ;

Considérant que, sur le choix des références, ne saurait caractériser une reprise déloyale d'informations :

- ni l'indication, à la rubrique agenda, d'événements identiques, les références significatives, obtenues auprès des mêmes sources (Mairie de Paris, Office du tourisme de Paris), étant nécessairement les mêmes ; que les événements retenus ne sont d'ailleurs pas identiques ;

- ni la mention d'adresses communes aux deux guides, en nombre au demeurant réduit (180 adresses communes, sur plus de 800) ; qu'à cet égard, les intimées établissent l'existence de différences significatives entre les deux guides, notamment en ce que :

Le "Paris pas cher - spécial gratuit" privilégie, par rapport au "Paris 0 euro", certains thèmes, tels que la promenade, les concerts, les théâtres, secteurs pour lesquels il propose plus de références ;

Le "Paris pas cher - spécial gratuit" adopte une présentation plus thématique des adresses (pour les amoureux, les artistes, les branchés...) ;

Même sur les références communes, les informations communiquées et le ton employé ne sont pas les mêmes, ainsi que l'illustrent les intimées par la citation de la notice du "Café de la Plage" (page 14 des conclusions des sociétés EDI8 et Interforum), ce qui confirme l'originalité de chaque guide ;

Qu'il ne peut enfin être tiré aucune conclusion de ce que le "Paris pas cher - spécial gratuit" reproduirait les erreurs du "Paris 0 euro", les seuls exemples donnés, portant sur le bar "La Maizon Bar", présenté comme fréquenté par des sapeurs-pompiers, et sur la gratuité des musées le premier dimanche du mois - alors qu'une telle gratuité n'est instituée qu'en hiver - ne sont qu'anecdotiques ou ne concernent que des points de détail sans portée réelle ;

Considérant qu'il n'est, dans ces conditions, pas démontré que l'éditeur du "Paris pas cher - spécial gratuit" se soit, par des emprunts au "Paris 0 euro", inscrit dans le sillage de First Grund ; que c'est en conséquence à raison que les premiers juges ont retenu qu'aucun agissement de parasitisme n'était caractérisé et ont débouté la société Editions Paradis de ses demandes ;

Que l'absence de caractérisation, par la demanderesse, des agissements invoqués ne saurait constituer un abus du droit d'ester en justice susceptible d'ouvrir doit à des dommages et intérêts pour procédure abusive ; que le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions ;

Considérant que l'équité commande de condamner la société Editions Paradis à payer aux sociétés EDI8 et Interforum, au titre des frais hors dépens en cause d'appel, la somme de 2 000 euro ;

Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Reçoit la société EDI8, venant aux droits de la société First Grund, en son intervention volontaire, Confirme le jugement entrepris, Condamne la société Editions Paradis à payer aux sociétés ED18 et Interforum, au titre des frais hors dépens en cause d'appel, la somme de 2 000 euro, Condamne la société Editions Paradis aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.