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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 19 novembre 2014, n° 13-00124

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cran Gevrier Rest (SARL) , Blanchard (ès-qual.) , Nguyen

Défendeur :

France Quick (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bartholin

Conseillers :

Mmes Chokron, Parant

Avocats :

Mes Montacie, Linares, Bernabe, Fauquet

T. com. Paris, du 21 nov. 2012

21 novembre 2012

EXPOSE DU LITIGE

La société Cran Gevrier Rest a exploité en franchise un restaurant sous l'enseigne de restauration rapide Quick à Cran Gevrier - Haute Savoie du 1er septembre 1996 au 31 août 2010 ;

Propriétaire de son fonds de commerce, la société Cran Gevier Rest a signé avec une société Quick Invest France un contrat de bail commercial et a promis à son franchiseur la société France Quick de lui vendre son fonds suivant convention du 12 décembre 2001 intervenue lors de la signature du contrat de renouvellement de la franchise.

Le 13 juillet 2010, la société Cran Gevrier Rest a assigné la société France Quick en nullité de la promesse de vente ;

A l'échéance du contrat de franchise, la société France Quick a levé l'option d'achat du fonds par lettre signifiée par huissier le 1er septembre 2010 ; la société Cran Gevrier Rest a refusé de remettre le fonds qu'elle a continué à exploiter sous sa propre enseigne.

La société Cran Gevrier Rest a été successivement l'objet d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire avant d'être mise en liquidation judiciaire suivant jugement du Tribunal de commerce d'Annecy du 10 mai 2011 désignant Me Blanchard comme mandataire liquidateur.

Après ordonnance du juge-commissaire du 2 mars 2011, le fonds a été remis à la société France Quick, le prix de vente étant payé le 20 juin 2011 entre les mains du mandataire liquidateur qui, compte tenu de la procédure en cours, a placé les fonds sous séquestre.

Par jugement du 21 novembre 2012, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit que la vente du fonds de commerce par la société Cran Gevrier Rest à la société Quick France est parfaite, débouté la société Cran Gevrier Rest de sa demande en paiement d'un complément de prix et ordonné la libération de la somme séquestrée,

- débouté Me Blanchard ès qualités de liquidateur judiciaire de sa demande d'expertise,

- débouté Me Blanchard ès qualités de liquidateur judiciaire et M. N'Guyen de leur demande de dommages intérêts,

- fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Cran Gevrier Rest la créance de la société Quick pour les montants suivants :

- 152 449 euro au titre de la clause pénale,

- 180 000 euro à titre de dommages intérêts, au titre de l'occupation sans droit ni titre du fonds de commerce,

- débouté la société France Quick de sa demande de compensation, de ses autres demandes de dommages intérêts et de ses demandes envers M. N'Guyen,

- débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné Me Jean Blanchard ès qualités de liquidateur judiciaire aux dépens.

Me Blanchard ès qualités de mandataire liquidateur de la société Cran Gevrier Rest et M. N'Guyen ont interjeté appel de cette décision ;

Par leurs conclusions signifiées le 12 juillet 2013, ils demandent à a cour de les recevoir en leur appel, de débouter la société France Quick de ses demandes et de la condamner à payer tant à la société Cran Gevrier Rest qu'à M. N'Guyen la somme de 400 000 euro à titre de dommages intérêts, de condamner la société France Quick à payer la somme de 50 000 euro tant à la société Cran Gevrier Rest qu'à M. N'Guyen en application de l'article 700 du Code de procédure civile et de condamner la société France Quick aux entiers dépens.

Par conclusions signifiées le 16 mai 2014, la société France Quick demande de :

Confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la vente du fonds de commerce par la société Cran Gevrier Rest à la société Quick France est parfaite, débouté la société Cran Gevrier Rest de sa demande en paiement d'un complément de prix,

Débouter Me Blanchard ès qualités de sa demande de nullité de la clause de non-concurrence,

Infirmer le jugement déféré pour le surplus et :

Dire que la société Cran Gevrier a occupé le fonds de commerce sans droit ni titre du 1er septembre 2010 au 13 avril 2011 soit pendant 225 jours,

Dire et juger que la société France Quick est entrée en jouissance du fonds de commerce cédé le 1er septembre 2010 à compter du 14 avril 2011,

Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Cran Gevrier Rest la créance de la société France Quick aux montants suivants :

- 194 850 euro au titre de l'occupation sans droit ni titre,

- 300 000 euro en application de la clause pénale pour violation de la clause de non-concurrence prévue à l'article 28 du contrat de franchise,

- 500 000 euro à titre de dommages intérêts,

- 150 000 euro au titre de l'abus de procédure,

- 200 000 euro au titre des intérêts et pénalités de retard dont la société France Quick aura dû s'acquitter en application des articles 1727 et 1728 du CGI

- 100 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Condamner M. N'Guyen à titre personnel in solidum avec Me Blanchard ès qualités de liquidateur de la société Cran Gevrier Rest à payer à la société France Quick les sommes telles que fixées au passif de la société,

Dire et juger que les sommes ainsi fixées se compenseront avec le prix de cession du fonds à due concurrence,

Ordonner en conséquence la restitution à due concurrence par Me Blanchard ès qualités de mandataire liquidateur de la société Cran Gevrier Rest qui en a séquestré le montant dans l'attente de la décision à venir.

SUR CE,

Aucune des parties ne remet en cause, en appel, les dispositions du jugement ayant la validé la cession du fonds de commerce intervenue au profit de la société France Quick, débouté la société Cran Gevrier Rest de sa demande de complément de prix, dispositions qui seront donc confirmées.

Me Blanchard ès qualités demande cependant de condamner France Quick à des dommages intérêts, pour n'avoir pas respecté l'engagement qu'elle avait pris à tant à l'égard de la société Cran Gevrier Rest lors de l'établissement du contrat de franchise qu'à l'égard de l'ensemble des franchisés à partir de juillet 2003, pour n'avoir pas engagé de négociations loyales avec la société Cran Gevrier Rest, lors de la cession du fonds, pour avoir laissé la société Cran Gevrier Rest dans l'incertitude de ses intentions quant à la levée de l'option.

Or Me Blanchard ès qualités de mandataire liquidateur de la société Cran Gevier Rest qui n'invoque aucun moyen tendant à remettre en cause la validité de la cession du fonds de commerce intervenue au profit de la société France Quick et ne sollicite pas en conséquence, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, l'infirmation du jugement ayant validé la vente du fonds de commerce est mal fondé à invoquer le comportement déloyal de société France Quick lors de la promesse de vente tant pour la fixation du prix que lors de la levée de l'option, étant observé que dans la promesse de vente unilatérale, la société Cran Gevrier Rest a fixé un prix de vente à partir d'un élément de référence corrigé par l'évolution du chiffre d'affaires, qu'elle n'a pas accepté ensuite et avant l'échéance du contrat de la franchise le prix supérieur à celui de la promesse proposé par la société France Quick et que la levée de l'option a eu lieu ensuite dans les termes de la convention prévue par les parties de sorte que l'allégation de la déloyauté de la société France Quick n'est nullement démontrée ;

Tant Me Blanchard ès qualités sur M. N'Guyen qui agit à titre personnel sans cependant invoquer un préjudice distinct de celui de la société qu'il dirigeait, seront déboutés de leur demande en dommages intérêts qui ne repose sur aucun fondement sérieux.

Me Blanchard ès qualités soutient encore que la clause de non-concurrence stipulée dans le contrat de franchise est nulle et non avenue dans la mesure où elle est disproportionnée au regard de l'objet du contrat et ne poursuit comme objectif que d'entraver la liberté du franchisé.

Or en s'interdisant d'exploiter ou de participer d'une quelconque manière directement ou par personne interposée, à l'exploitation, la gestion l'administration ou le contrôle d'un fonds de commerce exerçant une activité concurrente de l'une des unités Quick, de s'affilier, d'adhérer ou de participer de quelque manière que ce soit à une chaîne concurrente du franchiseur ou d'en créer une lui-même et plus généralement de se lier à tout groupement, organisme ou entreprise concurrente, la société Cran Gevrier Rest n'a pris aucun engagement disporportionné dans la mesure où :

- la clause est limitée dans le temps, à un an à compter de la cessation du contrat,

- elle s'applique à l'offre de produits proposés par la société Quick,

- elle est limitée territorialement aux locaux où le contrat de franchise s'est exécuté et elle ne prive en rien le franchisé à l'issue du contrat de pratiquer toute sorte de restauration qui n'entre pas en concurrence avec l'offre de la société Quick.

Me Blanchard ès qualités ne conteste ni que la société Cran Gevrier Rest est resté dans les lieux pendant la période allant du 1er septembre 2010 au 14 avril 2011, date à laquelle il a remis le fonds, ni sérieusement qu'elle a continué à exploiter le fonds sous l'enseigne Fastissimo en reproduisant une carte présentant de fortes similitudes avec celle des restaurants Quick, les pages jaunes faisant toujours mention pendant cette période du restaurant sous l'enseigne Quick et certains éléments de l'enseigne étant maintenus ;

Le tribunal en ce qu'il a jugé en conséquence que la société Cran Gevrier Rest a violé la clause de non-concurrence doit être approuvé ;

La société France Quick est mal fondée à demander une somme plus forte à titre de clause pénale que celle prévue au contrat au motif que son préjudice équivalent à 225 jours de perte de chiffre d'affaires serait bien supérieur au montant prévu par la clause correspondant à 25 jours de perte de chiffre d'affaires;

Elle ne procède en effet comme l'ont justement souligné les premiers juges à aucune démonstration que la clause pénale destinée à sanctionner la violation de l'obligation de non-concurrence serait dérisoire au regard du préjudice subi, étant observé que la société Quick a demandé et obtenu l'indemnisation de son préjudice résultant de la perte d'exploitation du fonds pendant le temps où elle en a été privée.

Le jugement qui a fixé à la somme de 152 449 euro le montant de la créance de la société France Quick au titre de la clause pénale, au passif de la société Cran Gevrier Rest sera confirmé ;

La société France Quik demande en outre de porter à la somme de 194 850 euro le montant de la somme qui lui a été allouée au titre de son préjudice d'exploitation né de la privation de jouissance du fonds pendant la période allant du 1er septembre 2010, date d'effet de la levée d'option au 14 avril 2011, date à laquelle le mandataire liquidateur lui a remis le fonds ;

Or en fixant à la somme de 180 000 euro le montant du préjudice résultant pour la société France Quick de ne pouvoir exploiter le fonds soit directement soit en franchise, étant observé que la prise de possession réelle pouvait nécessiter quelques jours d'adaptation de l'exploitant, le tribunal a procédé à une juste évaluation qui sera confirmée.

Enfin la société France Quick invoque qu'elle a subi un préjudice du fait des agissements de la société Cran Gevrier Rest et de M. N'Guyen son dirigeant qui ont brouillé son image auprès de ses clients dans la ville d'Annecy, mais plus généralement un préjudice moral du fait des actes de dénigrement commis par M. N'Guyen diffusés auprès du conseil de surveillance et de son principal actionnaire ;

Or les agissements commis par M. N'Guyen l'ont été en tant que dirigeant de la société Cran Gevrier Rest, hormis une lettre adressée à un M Eichenlaub dont les termes contiennent des propos menaçants, ce qui constitue des faits détachables de ses fonctions de dirigeant ; cette lettre est adressée à l'actionnaire de la société France Quick qui n'indique pas précisément en quoi le conflit financier l'opposant à un de ses franchisés a pu altérer son image ou lui causé un préjudice moral que ce soit auprès de la population locale ou de son actionnaire. Elle sera en conséquence déboutée de sa demande de dommages intérêts de ce chef.

La société France Quick demande dans le corps de ses écritures de constater judiciairement la vente tout en se prévalant de l'efficacité de la vente à la date du 1er septembre 2010, date de la levée de l'option ; elle ne reprend pas cette demande dans le dispositif de ses écritures, demandant simplement à la cour de dire qu'elle est entrée en jouissance du fonds de commerce cédé le 1er septembre 2010, le 14 avril 2011, ce qui lui sera accordé ;

Elle ne reprend pas davantage dans le dispositif de ses écritures la demande de fixation d'une créance au titre de la mise aux normes du restaurant pour un montant de 50 000 euro sur laquelle il n'y a pas lieu de statuer.

Enfin, elle ne justifie pas des intérêts et pénalités dont elle aurait eu à s'acquitter en application des articles 1727 et 1728 du CGI et sera en conséquence déboutée de cette demande formée à hauteur de 200 000 euro.

Il n'y a pas lieu enfin à compensation demandée entre la créance de la société France Quick fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société Cran Gevrier Rest par le jugement et cet arrêt de confirmation d'une part et le prix de cession du fonds déjà payé entre les mains du mandataire liquidateur d'autre part, aucun lien de connexité entre les créances n'étant établi.

Sur les autres demandes :

La société France Quick qui ne démontre pas l'abus du droit de procéder de la part du liquidateur sera déboutée de sa demande de dommages intérêts pour procédure abusive.

La demande tendant à voir condamner à titre personnel M. N'Guyen in solidum avec le mandataire liquidateur au paiement des créances de la société Cran Gevrier Rest ne repose sur aucun fondement sérieux, étant observé que les créances fixées sont des dettes de la société Cran Gevrier Rest.

Me Blanchard ès qualités qui succombe en son recours supportera les entiers dépens et paiera à la société France Quick la somme de 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, Confirme le jugement déféré, Ajoutant, Dit que la société France Quick a pris possession des locaux vendus par la société Cran Gevrier Rest le 14 avril 2011 après remise des locaux par le mandataire liquidateur dûment autorisé par le juge commissaire à la liquidation de la société Cran Gevrier Rest, Condamne Me Blanchard ès qualités de mandataire liquidateur de la société Cran Gevrier Rest à payer à la société France Quick la somme de 8000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties de leurs autre demandes, Condamne Me Blanchard ès qualités de mandataire liquidateur aux dépens d'appel, qui seront recouvrés directement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.