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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 20 novembre 2014, n° 11-02340

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Strato-IP (SARL)

Défendeur :

Novagraaf Technologies (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur

Avocats :

Mes Fromantin, Rebhann, Teytaud, Barbry

TGI Paris, du 4 mars 2010

4 mars 2010

Faits et procédure

Les sociétés "Bouju Derambure Bugnion" (BDSA) et "Breese Majerowicz" (BM), exerçant toutes deux une activité de conseil en propriété industrielle, se sont regroupées en 2004, créant tout d'abord une holding financière dénommée "Breese Derambure Majerowicz" (BDM) qui devenait successivement "Breese Derambure Majerowicz Management", puis "Bredema Management".

Puis la société BM a absorbé la société BDSA avec effet rétroactif au 1er janvier 2004, prenant la dénomination "Breese Derambure Majerowicz", puis à compter du 15 juin 2007 celle de "Bredema"; elle a ensuite rejoint le réseau européen de conseils en propriété industrielle dénommé Novagraaf spécialisé dans les nouvelles technologies et qui compte une centaine de salariés.

Le 16 septembre 2005, M. Sayettat et M. Hautière, tous deux inscrits sur la liste des conseils en propriété industrielle qui avaient intégré le cabinet BDSA en 1998 pour le premier, en 2001 pour le second et qui s'étaient vus proposer, après la fusion absorption par la société BM, de nouveaux contrats par la nouvelle société BDM, ont démissionné et ont créé la société Strato-IP.

Deux autres salariés les ont rejoints, d'une part, Mme Benamran Loinger le 1er mars 2006 et, quelques mois plus tard, M. Mudun qui a démissionné le 16 juin 2006 de la société Novagraaf et qui a été embauché par la société Strato-IP le 11 septembre 2006 ; enfin en décembre 2006, ils ont repris une stagiaire.

Estimant que la société Strato-IP avait usé de manœuvres déloyales à son égard, la société Novagraaf a saisi le président du Tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir ordonner des mesures d'instruction et a obtenu en 2007 que soit dépêché un huissier.

La société Novagraaf a fait assigner la société Strato-IP le 5 juillet 2007 devant le Tribunal de grande instance de Paris.

Par jugement en date du 4 mars 2010 qui a fait l'objet d'un jugement rectificatif en date du 1er juillet 2010, le Tribunal de grande instance de Paris a retenu des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Strato IP et a ordonné une expertise ; après le dépôt du rapport d'expertise le 10 novembre 2011, le tribunal a statué au fond par jugement du 16 janvier 2014; appels ayant été interjeté des deux jugements, la cour a joint les deux procédures.

Vu le jugement prononcé le 4 mars 2010 qui a :

- donné acte à la société Novagraaf de son changement de dénomination et de siège social ;

- dit que la société Strato-IP a commis à l'égard de la société Novagraaf des actes de concurrence déloyale ;

- désigné un expert [...]

- fixé à 3 000 euros le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert ;

- renvoyé l'affaire [à une audience de mise en état ultérieure]

- sursis à statuer sur les autres demandes ;

- condamné la société Strato-IP à payer à la société Novagraaf la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu le jugement rectificatif prononcé le 1er juillet 2010.

Vu l'appel interjeté par la société Strato-IP le 24 novembre 2010 contre cette décision.

Vu l'ordonnance rendue le 16 février 2012, le juge de la mise en état a :

- rejeté la demande de provision de la société Novagraaf ;

- dit que les demandes en application de l'article 700 du Code de procédure civile seront réservées ;

- renvoyé l'affaire à une audience de mise en état ultérieure.

Vu l'appel interjeté par la société Novagraaf le 15 juin 2012 contre cette ordonnance.

Vu le jugement du 16 janvier 2014, le Tribunal de grande instance de Paris a :

- condamné la société Strato-IP à payer à la société Novagraaf la somme de 858 679 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;

- dit que les intérêts dus se capitaliseront conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil ;

- condamné la société Strato-IP à payer à la société Novagraaf la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire à hauteur de 400 000 euros ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Vu l'appel interjeté par la société Strato-IP le 27 janvier 2014 contre de cette décision.

Vu l'ordonnance de jonction des procédures en date du 20 février 2014.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Strato-IP le 20 juin 2014, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- déclarer recevable et bien fondé la société Strato-IP en ses appels ;

En conséquence :

- réformer les jugements des 4 mars et 1er juillet 2010 en toutes leurs dispositions et, par voie de conséquence, celui du 16 janvier 2014 l'ayant condamnée à payer à la société Novagraaf les sommes de 858 679 euros à titre de dommages intérêts et de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- réformer le jugement du 16 janvier 2014, en ses dispositions relatives au rejet de sa demande en dommages intérêts formée à l'encontre de la société Novagraaf ;

Et, statuant à nouveau :

A titre principal

- dire et juger que les actes préparatoires à la création de la société Strato-IP accomplis par Messieurs Hautière et Sayettat ne peuvent être considérés comme constitutifs d'une faute en l'absence d'activité de cette dernière antérieurement à l'expiration du terme de leurs engagements à l'égard du cabinet Breese Derambure Majerowicz ;

- dire et juger que la transmission, le 16 janvier 2006, par Monsieur Mudun à la société Strato-IP, de deux mémoires d'opposition ne saurait caractériser un détournement d'informations confidentielles et/ou du savoir-faire du cabinet Breese Derambure Majerowicz, dès lors que, indépendamment de leur caractère banal et stéréotypé, ces mémoires constituaient les pièces de procédure du dossier appartenant à un ancien client, la société Motima, et qu'il incombait donc audit cabinet, en vertu de l'article 12 du Règlement Intérieur de la Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle, de les transmettre sans délai à son successeur, la société Strato-IP, sans pouvoir lui opposer une quelconque confidentialité ;

- dire et juger que l'affirmation de l'accomplissement d'une prestation par Monsieur Mudun au pro't de la société Strato-IP, prenant appui sur l'envoi par ce dernier, le 25 janvier 2006, à Monsieur Hautière d'une étude sur les dessins et modèles ne caractérise pas un acte de concurrence déloyale, dès lors que ladite étude faisait suite et prenait modèle sur des documents que lui avait précédemment adressés la société Strato-IP ;

- dire et juger que la prétendue participation de Monsieur Mudun au recrutement du personnel de la société Strato-IP fondée sur la transmission à ce dernier de deux curriculums vitae outre qu'elle est contradictoire avec la thèse par ailleurs soutenue d'une simulation dudit processus de recrutement ne caractérise pas un acte de concurrence déloyale ;

- dire et juger qu'aucune manœuvre déloyale n'a accompagné les recrutements de Monsieur Mudun et de Madame Benamran, lesquels n'ont au demeurant été ni précédés ni suivis d'un quelconque transfert de clientèle et n'ont, en tout état de cause, pas eu pour effet de provoquer une désorganisation du fonctionnement de leur ancien employeur ;

- dire et juger non fondée la prétendue appropriation par la société Strato-IP de la clientèle du cabinet Breese Derambure Majerowicz, dès lors que i) la seule concomitance, au demeurant non avérée, entre le départ de ses anciens salariés et celui d'un nombre limité de clients ne saurait suffire à caractériser en droit l'existence d'un détournement illicite constitutif de concurrence déloyale ii) la décision des-dits clients de transférer leurs dossiers n'a découlé ni des prétendues sollicitations et/ou actes de démarchage déloyaux des anciens salariés du cabinet BDM, ni de l'utilisation par Messieurs Sayettat et Hautière de connaissances acquises, étant rappelé qu'il ne peut leur être reproché ni d'exploiter les compétences et le savoir-faire qu'ils ont acquis dans le cadre de leur exercice professionnel ni d'en faire bénéficier une autre entreprise, iii) la décision des-dits clients de transférer leurs dossiers a, tout au contraire, procédé d'un libre choix dicté soit par leur conviction éprouvée au terme d'une longue relation dans les qualités et compétences professionnelles de Messieurs Sayettat et Hautière, soit par leur insatisfaction à l'égard des prestations du cabinet BDM, soit encore en raison de changements capitalistiques ;

- dire et juger que l'atteinte à la réputation du cabinet BDM ne résulte nullement du contenu des deux courriels invoqués à son soutien, lesquels n'ont, en tout état de cause, pu conduire au détournement déloyal de ses anciens clients, dès lors que lesdits courriels faisaient suite à son dessaisissement et avaient trait à l'organisation du transfert des dossiers ;

- dire et juger que la société Novagraaf ne rapporte pas la preuve de la désorganisation qu'auraient causé les actes de concurrence déloyale prétendument commis à son préjudice par la société Strato-IP ;

A titre subsidiaire

- dire et juger que le tribunal ne pouvait, aux termes de son jugement du 16 janvier 2014, inférer le préjudice des seuls actes déloyaux et qu'il devait caractériser l'existence d'un lien de causalité certain entre les actes de concurrence déloyale et le préjudice allégué par la société Novagraaf ;

- dire et juger que la société Novagraaf échoue à rapporter cette preuve ;

- constater en effet l'absence de tout lien de causalité entre le transfert par les clients prétendument détournés de leurs dossiers au profit de la société Strato-IP et les prétendus actes de concurrence déloyale ;

- dire et juger, en tout état de cause, que doivent être extraits du calcul du préjudice, ceux des clients qui ne peuvent être considérés comme ayant été détournés, à savoir Groupama, Macopharma, Heuliez, Rexam, Treves et Chargeurs (en ce qui concerne pour ce dernier, les sociétés Sofileta, DHJ International, Intissel, Serima et Fratelli Bertero) ;

A titre infiniment subsidiaire

- constater que la méthode de calcul retenue par la société Novagraaf pour l'évaluation de son préjudice n'est pas recevable, dès lors qu'elle conduit à l'indemnisation d'un dommage hypothétique ;

- dire et juger que la nature civile de la clientèle des cabinets de conseil en propriété industrielle ainsi que le principe de liberté de choix du client s'opposent à un calcul du préjudice de la société Novagraaf sur une période de quatre années comme retenue par l'expert judiciaire et le tribunal ;

- constater que la méthode retenue par Monsieur l'expert judiciaire conduit également à indemniser un préjudice hypothétique dès lors qu'il n'est pas démontré que la société Novagraaf aurait nécessairement et dans son intégralité réalisé le chiffre d'affaires enregistré par la société Strato-IP avec les clients considérés par ce dernier comme ayant été détournés ;

- dire et juger en conséquence que le préjudice subi par la société Novagraaf n'a pu consister qu'en la perte d'une chance de réaliser le chiffre d'affaires enregistré par la société Strato-IP avec les clients considérés par l'expert judiciaire comme ayant été détournés ;

- dire et juger mal fondée la société Novagraaf en sa demande d'actualisation du préjudice ;

En tout état de cause

- déclarer irrecevable ou, à tout le moins, mal fondée la société Novagraaf en son appel de l'ordonnance du Juge de la mise en état du 16 février 2012 ;

- confirmer le jugement du Tribunal de grande instance en date du 16 janvier 2014 en ses dispositions relatives au rejet des demandes de la société Novagraaf en paiement respectivement des sommes de 48 396 euros au titre du coût de remplacement des salariés débauchés, de 50 000 euros au titre de l'atteinte à son image et à sa réputation et de 25 000 euros à titre de préjudice moral ;

- dire et juger que la société Novagraaf a fait preuve dans la conduite de la présente procédure d'une mauvaise foi confinant au dol constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité civile ;

- dire et juger que l'accumulation d'actions infondées et disproportionnées engagées par la société Novagraaf à l'encontre de la société Strato-IP est également de nature, en raison de son caractère abusif, à engager sa responsabilité délictuelle ;

- dire et juger que le comportement procédural de la société Novagraaf est également constitutif d'actes déloyaux de désorganisation et de dénigrement ;

- en conséquence, condamner la société Novagraaf à payer à la société Strato-IP la somme de 1 000 000 euros en réparation de son préjudice matériel et de 100 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

- ordonner la publication de la décision à intervenir dans dix revues professionnelles, au choix de la société Strato-IP et aux frais de la société Novagraaf, sans que le coût de chaque insertion ne dépasse la somme de 4 000 euros hors taxes ;

- condamner la société Novagraaf à payer à la société Strato-IP la somme de 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'appelante indique que M. Hautière n'était lié par aucune clause de non-concurrence et qu'il pouvait créer la société Strato-IP et s'y consacrer à l'expiration de ses engagements envers la société Novagraaf, tout comme M. Sayettat.

Elle se défend d'avoir détourné des informations confidentielles et le savoir-faire de la société Novagraaf par l'intermédiaire de M. Mudun, affirmant que la rédaction de mémoires d'opposition est une prestation courante de conseil en propriété industrielle et que leur envoi est intervenue dans un dossier dont le client avait demandé le transfert à son profit.

Elle considère que l'étude que lui a adressée M. Mudun ne constitue pas une prestation pour son compte dès lors qu'elle a été réalisée dans le cadre de sa préparation à l'examen de qualification au titre de conseil en propriété industrielle.

Elle estime que les recrutements de M. Mudun et de Mme Benamran n'étaient pas l'aboutissement de manœuvres déloyales.

Elle considère en effet que l'attestation de Mme Benamran faisant état d'une simulation d'embauche est dépourvue de toute force probante, dans la mesure où elle a été licenciée quelques mois seulement après son embauche et qu'un contentieux est pendant entre la société Strato IP et son époux.

Elle souligne également ne pas avoir dénigré la société Novagraaf.

Elle soutient que les transferts de dossier clientèle "qui n'ont pas tous abouti dans leur intégralité "ont été échelonnés sur un an et n'ont donc pas été concomitants au recrutement des anciens salariés de la société Novagraaf mais sont le résultat bien d'un libre choix des clients attachés à MM. Hautière et Sayettat et ont également été motivés par la dégradation de l'image de la société Novagraaf dont elle n'est pas à l'origine.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Novagraaf le 6 juin 2014, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- déclarer la société Novagraaf recevable et bien fondée en toutes ses demandes, fins et moyens et en son appel incident, d'y faire droit et en conséquence :

- déclarer la société Strato-IP mal fondée en ses appels des jugements des 4 mars 2010 et 16 janvier 2014 ;

- débouter la société Strato- IP de l'ensemble de ses demandes, fins et moyens et de l'ensemble de ses demandes de condamnation financière, y compris celles formulées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- confirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 4 mars 2010 en ce qu'il a déclaré que les agissements de Strato-IP sont constitutifs d'actes de concurrence déloyale et en ce qu'il a ordonné une mesure d'instruction aux fins d'évaluation des préjudices subis par la société Novagraaf ;

- confirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 16 janvier 2014 en ce qu'il a :

jugé que l'expert n'a commis aucun manquement à son devoir d'impartialité ;

débouté la société Strato-IP de sa demande en nullité du rapport d'expertise ;

jugé qu'il ressort du jugement du 4 mars 2010 l'existence d'un lien de causalité entre les faits fautifs et le préjudice ;

débouté la société Strato-IP de sa demande en dommages intérêts pour procédure abusive ;

débouté la société Strato-IP de sa demande reconventionnelle en dommages intérêts pour préjudice matériel et moral ;

- infirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 16 janvier 2014 pour le surplus et notamment en ce qu'il a :

limité la réparation du préjudice subi par la société Novagraaf en condamnant la société Strato-IP à lui payer la somme de 858 679 euros à titre de dommages intérêts ;

débouté la société Novagraaf de sa demande d'indemnisation du préjudice résultant de l'atteinte à son image et à sa réputation ;

débouté la société Novagraaf de sa demande d'indemnisation du préjudice moral ;

débouté la société Novagraaf de sa demande d'astreinte ;

En conséquence :

- dire et juger que les agissements de la société Strato-IP sont constitutifs d'actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Novagraaf ;

- dire et juger que la société Novagraaf a subi un important préjudice en lien direct et certain avec les actes de concurrence déloyale dont elle a été victime du fait de la société Strato-IP ;

- dire et juger que son préjudice doit être entièrement réparé en application du principe de réparation intégrale et en conséquence :

condamner la société Strato-IP à verser à la société Novagraaf la somme de 4 692 224 euros, en réparation des préjudices subis par cette dernière, majorée des intérêts au taux légal, à compter de l'acte introductif d'instance et ce sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard ;

subsidiairement, si la cour devait considérer que le manque à gagner de Novagraaf ne peut être supérieur au montant du chiffre d'affaires réalisé par Strato IP, de 2006 à 2009, condamner Strato-IP à verser à la société Novagraaf la somme de 2 646 958 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance et ce, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard ;

plus subsidiairement, condamner la société Strato-IP à verser à la société Novagraaf la somme de 1 238 510 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance et ce,

sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard ;

'très subsidiairement, condamner la société Strato-IP à verser à la société Novagraaf Technologies la somme de 982 075 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance et ce, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard ;

- ordonner la publication aux frais de la société Strato-IP de la décision à intervenir, en son intégralité ou par extraits ou en résumé au choix de la société Novagraaf ;

sur la page d'accueil du site internet accessible à l'adresse http://strato-ip.com ainsi que tout autre site appartenant ou édités par la société Strato IP, et ce pendant une durée ininterrompue de deux mois passé un délai de 48 heures à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard ; cette publication interviendra en partie supérieure de la page d'accueil dudit site, avec pour référence un écran de résolution standard (1024x768 pixels), de façon visible et en toute hypothèse au-dessus de la ligne de flottaison, dans la partie centrale du premier écran de présentation qui s'affiche en appelant l'adresse http://strato-ip.com, de façon visible,

sans mention ajoutée, en police de caractères " verdana ", de taille " 12 ", droits, de couleur noire et sur fond blanc, dans un encadré de 468x120 pixels, en dehors de tout encart publicitaire, le texte devant être immédiatement précédé du titre : Communiqué judiciaire en police de caractères " verdana ", de taille " 14 ", en lettres capitales droites, de couleur noire et sur fond blanc ;

dans 5 journaux et revues de presse française au choix de la société Novagraaf, et ce sans que le coût global de cette publication n'excède la somme de 15 000 euros H.T augmentée de la T.V.A aux taux en vigueur au jour de la facturation, pour un montant de 4 000 euros HT par insertion, et ce sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard ;

- dire que les astreintes prononcées seront productrices d'intérêts au taux légal ;

- se réserver expressément le pouvoir de liquider les astreintes prononcées ;

- condamner la société Strato-IP à verser à la société Novagraaf la somme de 30 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, aux intérêts au taux légal ;

- ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code civil.

L'intimée estime que M. Mudun a accompli une prestation pour le compte de la société Strato-IP alors qu'il était encore son salarié et qu'il a participé au recrutement du personnel de cette dernière tout en détournant du savoir-faire et des informations confidentielles.

Elle considère que M. Mudun et Mme Benamran ont été débauchés par la société Strato-IP et qu'il s'en est suivi un transfert de clientèle avec un rôle actif de ceux-ci.

Elle affirme également que la société Strato-IP l'a désorganisée et a porté atteinte à son image par ces actes de concurrence déloyale.

Elle soutient dès lors qu'un lien de causalité relie les actes fautifs de la société Strato-IP à son préjudice dont elle fournit un chiffrage, se défendant enfin de tout acharnement judiciaire à l'encontre de la société Strato-IP.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile

MOTIFS

Demande de Strato tendant à l'infirmation des jugements des 4 mars et 1er juillet 2010

Considérant que par jugement du 4 mars 2010, rectifié par jugement du 1er juillet 2010, le tribunal a retenu des actes de concurrence déloyale commis par la société Strato-IP et, avant dire droit sur le préjudice invoqué, a ordonné une expertise.

Considérant que les premiers juges ont retenu que ces actes de concurrence déloyale étaient constitués par l'embauchage par la société Strato de deux des anciens salariés de la société Novagraaf, d'une part, M. Amith Mudun, d'autre part, Mme Benamran.

Considérant que la société Novagraaf fait valoir que MM. Hautière et Sayettat ont créé la société Strato IP alors qu'ils étaient encore salariés, qu'ils ont débauché Mme Benamran et M. Amith Mudun et que ce dernier a détourné à leur profit des informations confidentielles ; qu'elle ajoute qu'ils ont détourné, soit par l'intermédiaire de M. Mudun, soit directement une part importante de sa clientèle ce qui a eu pour effet de la désorganiser.

Sur la création de la société Strato IP

Considérant que la société Novagraaf affirme que la société Strato IP étant inscrite sur la liste des conseils en propriété industrielle depuis le 10 novembre 2005, ses fondateurs, MM. Hautière et Sayettat ont nécessairement déposé la demande d'inscription avant cette date alors qu'ils exerçaient encore leur activité au sein de la société Novagraaf.

Considérant que M. Hautière, après avoir débuté sa carrière au sein du Cabinet Vidon en septembre 1997, a intégré le cabinet "Bouju Derambure Bugnion" le 22 janvier 2001 et a été inscrit sur la liste des conseils en propriété industrielle le 4 mai 2001 avec les mentions "marques dessins et Modèles" et "juriste"; qu'à la suite de la fusion absorption de ce cabinet par le cabinet "Breese Majerowicz" en 2004, il s'est vu proposer un nouveau contrat à effet du 1er janvier 2005 aux termes duquel lui ont été confiées les fonctions de consultant juriste et de "responsable du service Marques-dessins & modèles "rouge", membre du comité de direction"; que par lettre du 27 juillet 2005, il a démissionné et qu'il a été dispensé de l'exécution de son préavis, qui devait expirer le 3 novembre 2005, à compter du 29 août 2005.

Considérant que M. Sayettat, qui avait intégré le cabinet "Bouju Derambure Bugnion" le 1er juillet 1998, a été inscrit sur la liste des conseils en propriété industrielle le 1er juillet 2002 avec la mention "brevet d'invention" et "ingénieur"; qu'à la suite de la fusion absorption des deux cabinets, il lui a aussi été proposé un nouveau contrat de travail venant se substituer au précédent à compter du 1er janvier 2005 aux termes duquel lui ont été confiées les fonctions de consultant-ingénieur et responsable du service "ingénieurs mécaniques"; que par lettre du 9 août 2005, il a démissionné et a quitté son employeur le 9 novembre 2005, à l'issue de son préavis.

Considérant que MM. Hautière et Sayettat n'étaient liés par aucune clause de non concurrence et pouvaient dès lors librement créer leur propre cabinet.

Considérant que la société Strato IP affirme qu'elle n'a pas eu d'activité avant le 9 novembre 2005, date de l'expiration du préavis de M. Sayettat; que, si la société Novagraaf fait état d'un ensemble d'actes nécessaires à sa création accomplis par MM. Hautière et Sayettat alors qu'ils étaient encore ses salariés, à savoir le développement d'un logiciel spécifique de gestion des droits de propriété industrielle dès mai 2005, l'enregistrement du nom de domaine Strato IP le 25 août 2005, le dépôt de la marque Strato IP le 26 septembre 2005, l'immatriculation de la société le 16 septembre 2005 et la demande d'inscription sur la liste des conseils en propriété industrielle, ceux-ci constituent des actes préparatoires destinés à leur assurer une activité immédiate dès la fin de leur engagement au sein de la société Novagraaf.

Considérant que la société Strato IP dont MM. Hautière et Sayettat étaient associés et co-gérants, a été immatriculée au registre du commerce de Paris le 16 septembre 2005, soit après leur démission, donnée respectivement les 27 juillet et 9 août 2005; que, si la demande d'inscription sur la liste des conseils en propriété industrielle a été présentée avant le 10 octobre 2005, tout comme l'enregistrement de la marque du nom de domaine, ce n'est qu'à compter du 14 novembre 2005, date de son inscription sur la liste des conseils en propriété industrielle, que la société a pu commencer son activité; que la première demande de transfert de dossiers au profit de la société Strato IP n'est intervenue que le 23 novembre 2005.

Considérant dès lors que les actes préparatoires destinés à permettre à MM. Hautière et Sayettat d'exercer leur activité dès la fin de leur activité au sein de la société Novagraaf ne constituent pas des actes de concurrence déloyale.

Sur les embauches des salariés Novagraaf

Considérant que la société Strato IP a embauché au total trois salariés de la société Novagraaf, M. Mudun, Mme Benamran Loinger et Melle Lumbers.

Considérant que M. Mudun avait été embauché en qualité de juriste à compter du 1er février 2005, son contrat comportant une clause de non concurrence d'une durée de six mois; qu'il a démissionné de ses fonctions le 13 juin 2006 ; que par courrier du 26 juin 2006 il a été autorisé par la société Novagraaf à "exercer (son) activité professionnelle dans un cabinet de propriété Industrielle dès le terme de son préavis et (était) libéré de la clause de non concurrence figurant dans(son) contrat de travail" ; que, s'agissant de la clause de non concurrence, 3il était prévu que le cabinet se réservait la possibilité de "libérer le salarié de la présente obligation par un courrier avec accusé de réception pendant la période de préavis à la suite de l'indication du nouvel employeur pressenti " ; qu'il a été également dispensé d'exécuter son préavis à compter du 31 juillet 2006 et que par une lettre du 10 juillet il a été finalement autorisé à quitter le cabinet le jour même.

Considérant que M. Mudun a été embauché par la société Strato IP le 11 septembre 2006 alors qu'il avait cessé toute activité au sein de la société Novagraaf et alors qu'il avait été délié par celle-ci de son obligation de non concurrence, de sorte qu'il n'avait pas perçu d'indemnité à ce titre; qu'il avait dès lors toute liberté pour rejoindre le cabinet de son choix, celui de la société Strato IP étant alors une éventualité que ne pouvait ignorer la société Novagraaf puisque M. Mudun avait travaillé avec MM. Hautière et Sayettat; que, lorsqu'il a été délié de son obligation de non concurrence, il n'avait encore signé aucun engagement ferme avec la société Strato IP, de sorte qu'il ne saurait lui être reproché d'avoir trompé son ancien employeur lorsque celui-ci l'a délié de la clause de non concurrence, n'ayant alors pris aucun engagement.

Considérant que la société Strato IP n'a pas commis d'acte de concurrence déloyale à l'occasion de cette embauche.

Considérant que la société Novagraaf soutient que le recrutement de Mme Loinger a été prévue dès novembre 2004 et que l'annonce parue sur le Village de la justice, la réponse de Mme Benamran Loinger et les lettres de refus de la société Strato IP à d'autres candidats ne sont qu'un subterfuge.

Considérant que Mme Benamran Loinger qui était employée du cabinet "Bouju Derambure Bugnion" depuis 2001, a démissionné le 28 décembre 2005 et a été dispensée de l'exécution de son préavis; qu'elle a été embauchée par la société Strato IP à compter du 1er mars 2006 en qualité de conseil/juriste.

Considérant que la société Novagraaf prétend que la société Strato IP a organisé une mise en scène pour son recrutement qui avait été programmé de longue date et produit, d'une part, une attestation de celle-ci en date du 17 novembre 2008 par laquelle elle affirme qu'"en novembre 2004 M. Hautière lui a parlé en toute confidentialité d'un projet de création de cabinet avec M. Sayettat", qu'ils étaient intéressés par son profil, qu'elle avait alors été "associée à la plupart des discussions et réflexions", et que ceux-ci lui avaient affirmé qu'il serait préjudiciable pour sa carrière de rester dans ce cabinet et, d'autre part, une attestation du même jour de son époux qui fait état d'une promesse d'association au sein du cabinet créé.

Considérant que la société Strato IP justifie avoir initié le recrutement d'un juriste par la voie d'une annonce publiée le 9 janvier 2006 sur le site du Village de la Justice pour le recrutement d'un juriste justifiant de 3 à 6 ans d'expérience et avoir reçu deux candidates avant de sélectionner Mme Benamran Loinger.

Considérant que la société Strato IP a licencié Mme Benamran Loinger le 19 octobre 2006, soit à peine plus de huit mois après son embauche; que, de plus, une procédure est pendante depuis janvier 2007 devant le Tribunal de grande instance de Paris, M. Benamran ayant assigné la société Strato IP en paiement de la somme de 411 000 € pour contrefaçon du logiciel qu'il avait développé à leur demande ; que ces circonstances commandent d'examiner avec une extrême réserve les attestations faites par les intéressés d'autant qu'à la suite de l'annonce Mme Benamran avait écrit "Je viens de consulter l'annonce publiée sur le site du Village de la Justice. Il se trouve que j'ai récemment démissionné de BDM et que le poste que je devais occuper n'est pas celui escompté. Ayant particulièrement apprécié de travailler dans ton équipe, je me permets de t'adresser ma candidature".

Considérant que ces éléments démontrent que Mme Benamran Loinger a fait acte de candidature pour être engagée par la société Strato alors qu'elle n'avait plus aucun engagement avec la société Novagraaf ce qui était son droit comme celui de la société Strato de l'embaucher; qu'il n'est pas démontré qu'il lui aurait été préalablement proposé une association préalablement à son recrutement, ni aucun avantage particulier.

Considérant que la société Novagraaf comptait lors des démissions de M. Mudun et de Mme Benamran 104 salariés; que, si la société Strato IP a recruté ces derniers outre Mme Lumbers en décembre 2006, ces trois recrutements se sont étalés sur une année ; que s'agissant de M. Mudun et de Melle Lumbers ceux-ci étaient peu expérimentés, l'un ayant moins d'une année d'ancienneté et l'autre étant stagiaire, ni l'un, ni l'autre n'avaient le titre de Conseil en propriété industrielle, ni même obtenu l'examen d'aptitude pour la spécialisation " Marques, dessins et modèles "; que Mme Benamran n'a été inscrite qu'à compter de juin 2005 sur la liste des Conseils en propriété industrielle ; qu'elle a été dispensée de l'exécution de son préavis et que M. Mudun a été autorisé à l'interrompre dès le 10 juillet 2006 "compte tenu de l'inexistence d'une véritable charge de travail (lui ) incombant".

Considérant qu'il est par ailleurs établi que la fusion des cabinets puis l'intégration dans le groupe Novagraaf a été source de conflits entre associés ; que l'expert fait état de ce que me rapprochement des deux cabinets s'est effectué dans "un climat particulièrement difficile au niveau des dirigeants et des équipes", ceci ayant conduit au départ en 2006 de Monsieur Derambure et d'un certain nombre de collaborateurs.

Considérant en conséquence que les départs des trois salariés précités n'étaient pas de nature à désorganiser, la société Novagraaf.

Sur le détournement de savoir-faire et de clientèle par l'intermédiaire de M. Mudun

Considérant que la société Novagraaf soutient que M. Mudun, alors qu'il était encore son salarié, a transmis à la société Strato IP deux modèles d'opposition, des conditions tarifaires, qu'il a accompli une prestation à l'attention de la société Strato IP et qu'il a participé au recrutement du personnel de cette dernière.

Considérant que l'acte d'opposition est un acte habituel dans un cabinet de conseil en propriété industrielle dont MM. Hautière et Sayettat avaient de par leur qualification et leur expérience professionnelle la parfaite maîtrise; qu'au surplus les actes en question ne comportent aucune singularité ; qu'en conséquence l'envoi de ceux-ci ne saurait caractériser un détournement de savoir-faire ; que de plus cet envoi a porté sur deux mémoires afférents aux oppositions formées par la société Motima à l'encontre de l'enregistrement auprès de l'INPI de marques similaires à celles déposées sous les signes "Prostal" et "Gonaxine" et qu'il est intervenu le 16 janvier 2006 alors que la société Motima avait demandé le transfert de ses dossiers à la société Strato IP dès le 20 décembre 2005 et avait indiqué "Je souhaite que ce transfert soit définitivement terminé le 2 janvier 2006" ;

qu'il résulte du Règlement Intérieur de la Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle que "Le conseil en propriété industrielle remet au client qui l'a dessaisi ou au nouveau mandataire de celui-ci tous les documents ayant un caractère officiel dont il est dépositaire ainsi que toutes les pièces et informations nécessaires à l'exécution ou à l'achèvement de la mission qui lui était confiée ; la remise doit intervenir dans un délai permettant d'éviter toute forclusion ou prescription" ; qu'en conséquence la transmission de ces pièces par M. Mudun présente aucun caractère fautif.

Considérant que, si dans un courrier du 25 janvier 2006, M. Mudun a communiqué les conditions financières de la société Novagraaf, il indiquait " s'agissant des enquêtes d'usage, les coûts ne figurent pas dans nos tarifs mais dans un devis d'avril 2005, une telle prestation étant devisée entre 1 000 et 1 500 euros HT (les coûts variant en fonction du nombre de classes et de la nature du signe) ", information qui ne permettait pas à la société Strato IP de connaître exactement les prix pratiqués puisqu'elle mentionne une fourchette relativement large; que de plus la société Novagraaf ne tire aucune conséquence de cette communication dont il peut seulement être retenu qu'elle est contraire à l'obligation de discrétion et constitue une faute déontologique de la part de M. Mudun.

Considérant que la société Novagraaf affirme que la société Strato IP a exigé de M. Mudun des prestations alors qu'il était encore en activité à son service; qu'elle a produit un courriel en date du 25 janvier 2006 accompagné d'un document intitulé "stratégie en matière de dessins et modèles industriels".

Considérant que la société Strato IP soutient qu'il ne s'agit en aucune manière d'une demande de prestations de sa part mais d'une étude réalisée par M. Mudun dans le cadre de sa préparation à l'examen de qualification au titre de conseil en propriété industrielle, étude qu'il a spontanément adressée à M. Hautière et qui prenait modèle sur un document que lui avait adressé celui-ci la veille ;

que la société Novagraaf n'apporte aucun élément permettant de retenir à travers cet échange l'existence d'une prestation demandée par la société Strato IP et réalisée par M. Mudun ; que, d'ailleurs, dans sa lettre de démission, M. Mudun a indiqué ses difficultés car "la charge de travail augmente continuellement dans la mesure où les personnes ayant quitté le cabinet ou l'équipe n'ont pas été remplacées" et ajoutant " J'ai également de grosses difficultés à obtenir au quotidien une formation professionnelle qui me permette de préparer et d'obtenir sereinement l'examen de CPI" ;

que telle était bien son aspiration puisqu'il a été inscrit sur la liste des personnes qualifiées en matière de propriété industrielle en juin 2007, puis sur celle de conseils en propriété industrielle le 3 avril 2008.

Considérant que la société Novagraaf affirme que M. Mudun a participé au recrutement du personnel de la société Strato IP alors qu'il était encore à son service; que cette affirmation repose sur l'envoi d'un courriel de M. Hautière du 13 janvier 2006 lui transmettant les photos accompagnant les CV de deux candidates ; que la société Strato IP affirme que celui-ci n'a participé à aucun entretien et que cet envoi s'inscrit dans le cadre des relations qu'avaient nouées M. Mudun et M. Hautière lorsqu'ils avaient travaillé ensemble ; qu'en toute hypothèse la société Novagraaf ne démontre aucune intervention de M. Mudun à l'occasion des recrutements effectués par la société Strato IP.

Considérant que la société Novagraaf fait valoir que le transfert d'une part importante de sa clientèle a eu lieu au bénéfice de la société Strato IP peu après la démission de MM. Hautière et Sayettat pour un certain nombre de clients au cours de la période pendant laquelle M. Mudun a entretenu des relations régulières et suivies avec ces derniers alors qu'il était salarié de Novagraaf, notamment les sociétés Motima, Rexam et Proline Textile.

Considérant que le départ de chacune s'est étalé dans le temps de sorte qu'il n'est démontré aucun lien avec la présence de M. Mudun au sein de la société Novagraaf ; dans la mesure où :

la société Proline a formulé sa demande de transfert de son portefeuille brevets le 21 juin 2006 auprès M. Derambure, consultant-Ingénieur, responsable d'équipe, aucune circonstance ne démontrant que M. Mudun, qui était juriste en marques, dessins et modèles avec une ancienneté de 10 mois, aurait pu inciter la société Proline à prendre cette décision,

la société Strato IP produit une attestation du responsable de la propriété intellectuelle de la société Rexam dont il résulte qu'en 2005 le cabinet Bredema avait en charge l'ensemble des portefeuilles de brevets, marques et modèles des sociétés du groupe et qui indique que sa demande afin de les consulter en ligne n'avait pas été satisfaite ce qui l'avait amené à se tourner, dans un premier temps, vers le cabinet Plasseraud, puis vers la société Strato IP, précisant "Côté brevet, dès octobre 2006, nous commençons à partager nos nouvelles demandes entre Strato IP et Plasseraud tout en maintenant la gestion des portefeuilles existants chez Bredema", ajoutant qu'ayant été informé le 19 août 2008 du rachat de la société Bredema par le groupe Novagraaf" le 9 novembre 2009, plus d'un an après les engagements non tenus du directeur général France, nous demandons à Novagraaf de transférer chez Strato IP tous nos portefeuilles" et " à ce jour nos portefeuilles de brevets, marques et modèles sont confiés aux seuls cabinets Plasseraud, Strato IP et LLR "; que cette attestation met en évidence que le départ des clients ne s'est pas fait exclusivement vers la société Strato IP, qu'il s'est agi d'un départ progressif, lié à l'insatisfaction de la clientèle.

la société Motima a demandé le transfert de son portefeuille marques le 20 décembre 2005, la société Novagraaf ne démontrant pas que cette décision ait été motivée par des manœuvres déloyales, ni de la part de M. Mudun dont il n'est pas même allégué qu'il aurait eu à s'occuper de ce client, ni de celle de la société Strato IP, la seule concomitance de cette demande avec la création de la société Strato IP ne caractérisant pas un détournement par un moyen déloyal.

Considérant que, si M. Benamran a attesté que "tandis qu'il est encore salarié de Bredam, je vois régulièrement M. Amith Mudun dans les locaux de Strato IP effectuer de la saisie informatique de clientèle sur le logiciel", cette attestation comme il a été vu précédemment ne saurait être retenue du fait du contentieux opposant M. Benamran à la société Strato IP.

Considérant qu'il n'est pas davantage démontré que M. Mudun aurait eu des relations avec les sociétés qui ont rejoint la société Strato IP après la cessation de ses activités au sein de la société Novagraaf.

Sur les autres détournements de clientèle allégués

Considérant que la société Novagraaf affirme que les clients, qui ont demandé le transfert de leurs portefeuilles, n'ont pas pu avoir connaissance de l'existence de la société Strato IP sans sollicitation de la part de ses dirigeants; qu'elle fait valoir que dès le 22 novembre 2005, la société Lainière de Picardie, suivies le 24 novembre par deux clients historiques les sociétés Treves et Cera ont demandé le transfert de la gestion de leur portefeuille de droits de propriété intellectuelle au profit de la société Strato IP ; qu'elle affirme que depuis la création de la société Strato IP, sur les 124 brevets européens dans le cadre desquels elle est identifiée comme mandataire sur la base des données du site européen des brevets, 111 concernent des clients Novagraaf, ce qui démontre selon elle que 89,50 % de son activité repose sur la clientèle Novagraaf.

Considérant que la société Strato IP ne conteste pas que des clients de la société Novagraaf se sont tournés vers elle mais fait valoir que ces transferts concernent six sociétés et que pour trois d'entre elles il s'agit d'un transfert partiel et qu'ils sont le résultat d'une décision des sociétés concernées sans qu'elle ait commis la moindre manœuvre déloyale.

Considérant que M. Hautière ayant passé près de quatre ans et M. Sayettat près de 7ans auprès du cabinet, puis le premier 7 mois, le second dix mois au sein de la société Novagraaf ; ils avaient acquis une expérience professionnelle et avaient nécessairement noué une relation de confiance avec les clients dont ils géraient les portefeuilles ; qu'en conséquence l'information qu'ils ont pu leur fournir sur leur départ prochain dans le cadre d'une nouvelle structure juridique ne constitue pas une sollicitation fautive, le client restant libre de sa décision.

Considérant que la société Novagraaf prétend que la similitude des lettres de rupture envoyées respectivement par la société Treve et par la société Lainiere de Picardie démontre l'intervention de la société Strato IP ; que, si la société Strato IP ne conteste pas avoir adressé une lettre type aux clients qui lui en ont fait la demande, il ne s'ensuit pas pour autant la preuve qu'elle les aurait préalablement sollicités afin qu'ils quittent la société Novagraaf ;

Considérant que la société Strato démontre que la société Macopharma , qui a demandé le transfert de son portefeuille en octobre 2006, soit plus de 3 mois après le départ de M. Mudun et plus de 8 mois après celui de M. Hautière, fait état d'un contentieux au terme duquel elle a perdu des droits sur l'une de ses marques, a pris cette décision en raison de fautes qu'elle reprochait à la société Novagraaf, lui indiquant à ce propos " j'ai considéré que MarcoPharma avait été mal conseillée et que ses droits étaient en péril. J'ai donc décidé de transférer les portefeuilles de marques de MarcoPharma à Strato IP ".

Considérant que les courriers des sociétés MarcoPharma et Treves mettent en évidence que ces sociétés avaient tissé un lien intuitu personae non avec la structure juridique mais avec les conseils, personnes physiques chargés de leurs intérêts et en l'espèce avec MM. Hautière et Sayettat, de sorte que leur décision a été dictée non par des manœuvres de ceux-ci mais dans la conviction éprouvée dans les qualités et compétences professionnelles qu'ils avaient développées.

Considérant que l'expert a examiné le cas des sept groupes de sociétés ou société faisant partie de la clientèle de la société Novagraaf et identifiées par celle-ci comme ayant rejoint la société Strato IP dans un délai d'un an à compter de sa création à savoir les groupes Chargeurs, Treves, Rexam, Feuliez, Groupama, Macopaharma et la société Motima; qu'il constate que, si la société Strato IP a reconnu des transferts portant sur les portefeuilles brevets des sociétés Lainière de Picardie et Proline Textile du groupe Chargeurs, des portefeuilles marques et brevets du groupe Treves, des portefeuilles marques du groupe Rexam, de la société Motima et de la société Macopharma, en revanche "sur les autres clients relevés par Novagraaf, les travaux d'expertise ne mettent pas en évidence de transfert avéré"; qu'il relève également que les transferts ne peuvent être examinés au niveau du groupe comme le soutient la société Novagraaf mais au niveau de chaque société, mentionnant qu'un transfert total n'est intervenu qu'en ce qui concerne la société Motima et le groupe Treves (société Etablissement Treves et société Cera); qu'il estime que la société Novagraaf a subi des pertes de son chiffre d'affaires de 9 % en 2006, année de création de la société Strato, elle a continué de voir son chiffre d'affaires baisser les quatre années suivantes ; qu'il indique que " la société a subi en 2006 les conséquences d'une fusion difficile et d'un conflit entre associés qui ont nécessairement eu un impact négatif sur ses performances et en 2009 l'effet de la crise économique ".

Considérant que la société Novagraaf a connu une situation conflictuelle à partir de 2006 ce qui ne pouvait que favoriser le départ de salariés ayant une expérience comme MM. Hautière et Sayettat et un transfert de la clientèle dans un domaine où la relation de confiance qui s'établit avec le client est essentielle ; que le transfert de clientèle au profit de la société Strato IP est intervenu dans ce contexte, la société Novagraaf n'apportant pas la preuve de manœuvres de la société Strato auprès de la clientèle qui était libre de choisir son conseil.

Sur l'atteinte à la réputation de la société Novagraaf

Considérant que la société Novagraaf soutient qu'elle a subi de la part de la société Strato IP une atteinte à sa réputation.

Considérant toutefois qu'elle ne verse à l'appui de cette affirmation que deux courriers de la société Strato IP aux termes desquels celle-ci rappelle seulement les règles déontologiques en matière de transfert de dossiers ; qu'elle ne démontre aucune atteinte à sa réputation pouvant en résulter.

Considérant qu'il résulte de ces éléments que la société Novagraaf ne rapporte pas la preuve d'actes de concurrence déloyale commis à son encontre par la société Strato IP ; qu'il y a lieu d'infirmer le jugement en date du 4 mars 2010 rectifié par jugement du 1er juillet 2010 et par voie de conséquence de réformer le jugement rendu le 16 janvier 2014 sauf en ce qu'il a partiellement rejeté une partie des demandes de dommages et intérêts de la société Novagraaf.

Sur l'appel de l'ordonnance du juge de la mise en état du 16 février 2012

Considérant que la société Novagraaf a interjeté appel de l'ordonnance du juge de la mise en état du 16 février 2012 qui a rejeté sa demande de paiement d'une provision de 858 679 €.

Considérant que, d'une part, a été ensuite rendu le jugement du 16 janvier 2014 assorti de l'exécution provisoire et condamnant la société Strato IP à verser une provision de 400 000 €, d'autre part, un protocole d'accord a été conclu entre les parties le 13 février 2014 au terme duquel la société Strato IP a séquestré la somme de 300 000 € en plus de celle réglée au titre de l'exécution provisoire ; que dans ses conclusions du 6 juin 2014 la société Novagraaf demandait à la cour de lui donner acte de ce que sa demande n'était plus d'actualité, demande qu'elle n'a pas reprise dans ses dernières conclusions.

Considérant qu'aux termes du protocole précité la société Novagraaf s'est expressément interdit de "former ou poursuivre toute action ou demande en paiement de provision notamment "; qu'elle ne conserve dès lors aucun intérêt à agir et à demander la réformation de l'ordonnance entreprise ; qu'il y a lieu de déclarer la société Novagraaf irrecevable.

Sur la demande de dommages et intérêts de la société Strato IP à l'encontre de la société

Novagraaf

Considérant que la société Strato fait valoir que la société Novagraaf a fait preuve dans la conduite de la présente procédure d'une mauvaise foi confinant au dol constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité civile, que l'accumulation d'actions infondées et disproportionnées engagées par celle-ci à son encontre est également de nature, en raison de son caractère abusif, à engager sa responsabilité délictuelle et que ce comportement procédural est également constitutif d'actes déloyaux de désorganisation et de dénigrement, chiffrant son préjudice matériel à la somme de1 000 000 euros et son préjudice moral à celle de 100 000 euros.

Considérant que la société Novagraaf conteste l'ensemble de ces griefs, affirmant qu'elle a utilisé les procédures à sa disposition pour faire valoir ses droits sans commettre d'abus et qu'en toute hypothèse la société Strato ne justifie pas des préjudices qu'elle allègue.

Considérant que la société Novagraaf a engagé après le dépôt du rapport d'expertise cinq nouvelles actions :

le 14 novembre soit quatre jours après le dépôt du rapport, elle saisissait le juge de l'exécution d'une demande de saisie conservatoire à hauteur du montant retenu par l'expert alors qu'il n'en avait pas été débattu, le présentant, au surplus comme "l'évaluation minimum du préjudice total causé par Strato IP" et alors même qu'elle lui proposait dès le 25 novembre 2011 de donner mainlevée des saisies déjà pratiquées contre une garantie appropriée,

le 23 novembre 2011, elle a saisi le conseiller de la mise en état l'allocation d'une provision de 858 679 €, demande rejetée par ordonnance du 16 février 2012,

le 1er décembre 2011, elle a déposé plainte devant la Chambre de discipline des Conseils en Propriété Industrielle en se prévalant des mêmes faits que ceux invoqués au soutien de son instance en concurrence déloyale et conclura à la nécessité d'un sursis à statuer dans l'attente de la décision à intervenir,

le 12 décembre 2011, elle a assigné la société Strato IP en référé pour non publication des comptes 2010, faisant valoir qu'elle était titulaire d'une créance et que cette absence de publication était de nature à lui causer préjudice alors même qu'elle avait personnellement obtenu communication de ceux-ci dès novembre 2011, à l'occasion de l'instance en mainlevée de saisie conservatoire,

le 29 décembre 2011, elle a fait signifier à chacun des clients de la société Strato IP entre les mains desquels elle avait effectué une saisie, non seulement l'autorisation qu'elle avait obtenue du juge de l'exécution mais aussi une copie de son assignation introductive d'instance.

Considérant que si le jugement du 16 janvier 2014 était assorti de l'exécution provisoire, il l'était seulement à hauteur de 400 000 € alors que les procédures engagées l'ont été sur la base d'une créance de 858 679 € ; que la société Novagraaf en sa qualité de professionnelle du droit n'ignorait pas que les appels interjetés remettaient en cause la condamnation de la société Strato sur le principe même de l'existence d'une concurrence déloyale et donc l'existence même de la créance alléguée à ce titre de sorte qu'elle ne pouvait invoquer l'estimation de l'expert pour fonder des actions dépassant le montant de la provision qui lui avait été allouée ; que les actions engagées par la société Novagraaf étaient à l'évidence disproportionnées au regard de l'état du contentieux, de la situation de la société Strato IP et qu'elles l'ont été sans nécessité pour les besoins de la société Novagraaf.

Considérant que la société Strato IP était une petite structure naissante; que les procédures mises en œuvre par la société Novagraaf l'ont nécessairement désorganisée et freiné son développement, que notamment les saisies pratiquées par la société Novagraaf sur le compte bancaire et entre les mains de la société Strato IP ont entrainé des difficultés financières et ont nui gravement à sa crédibilité tant auprès de la banque que des clients

Considérant que la société Novagraaf a lors des mesures pratiquées en 2011 adressé aux clients de la société Strato IP copie de l'assignation délivrée en 2007 de sorte qu'ils pouvaient croire faussement que depuis lors, l'existence de la créance réclamée par la société Novagraaf sur le fondement d'une concurrence déloyale de la part de la société Strato IP avait été définitivement jugée au bénéfice de la société Novagraaf ; que dès lors cette communication était parfaitement dénigrante pour la société Strato IP.

Considérant que néanmoins la société Strato IP ne justifie pas du préjudice matériel qu'elle allègue ;

qu'en revanche elle a manifestement subi un a subi un préjudice moral du fait des agissements déloyaux de la société Novagraaf que la cour chiffre à la somme de 80 000 €.

Considérant qu'il y a lieu de réformer le jugement du 16 janvier 2014 en ce qu'il a débouté la société Strato IP de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral.

Sur la demande de publication

Considérant que la société Strato IP a subi une atteinte à sa considération que seule une mesure de publication est en mesure de pleinement réparer ; qu'il y a lieu en conséquence d'ordonner la publication de la décision dans cinq revues professionnelles au choix de la société Strato IP aux frais de la société Novagraaf sans que le coût de chaque insertion ne dépasse la somme de 4 000 € hors taxes.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que la société Strato IP a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme les jugements en date du 4 mars 2010 rectifié par jugement du 1er juillet 2010. Réforme le jugement rendu le 16 janvier 2014 sauf en ce qu'il a débouté la société Novagraaf de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral. Déclare la société Novagraaf irrecevable en son appel à l'encontre de l'ordonnance du juge de la mise en état du 16 février 2012. Et statuant à nouveau, Déboute la société Novagraaf de l'intégralité de demandes, Condamne la société Novagraaf à payer la somme de 80 000 € à la société Strato IP en réparation de son préjudice moral, Ordonne la publication de l'arrêt de la cour dans cinq revues professionnelles au choix de la société Strato IP aux frais de la société Novagraaf sans que le coût de chaque insertion ne dépasse la somme de 4 000 € hors taxes, Condamne la société Novagraaf à payer à la société Strato IP la somme de 30 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Novagraaf aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.