TUE, 6e ch., 10 juillet 2014, n° T-82/08 REV
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Guardian Industries Corp., Guardian Europe Sàrl
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Kanninen
Juges :
MM. Wetter, Ulloa Rubio (rapporteur)
Avocats :
Mes Völcker, Louis, Kamann, O'Daly
LE TRIBUNAL (sixième chambre),
Faits à l'origine de la demande
1 Les demanderesses, Guardian Industries Corp. et Guardian Europe Sàrl (ci-après, prises ensembles " Guardian "), font partie d'un groupe de sociétés actif dans la production de verre plat et de verre automobile. Guardian Industries est la société mère dudit groupe et détient indirectement 100% du capital de Guardian Europe.
2 Le 28 novembre 2007, la Commission des Communautés européennes a adopté la décision C (2007) 5791 final, relative à une procédure d'application de l'article 81 [CE] et de l'article 53 de l'accord EEE (Affaire COMP/39165 - Verre plat) (ci-après la " décision attaquée "), dont un résumé est publié au Journal officiel de l'Union européenne du 24 mai 2008 (JO C 127, p. 9) et qui a été notifiée aux demanderesses le 3 décembre 2007.
3 La décision attaquée a également été adressée à Asahi Glass, à Glaverbel ainsi qu'à Pilkington Deutschland AG, à Pilkington Group Ltd, à Pilkington Holding GmbH, à la Compagnie de Saint-Gobain SA et à Saint-Gobain Glass France SA (ci-après, prises ensemble, " Saint-Gobain ").
4 Dans la décision attaquée, la Commission a indiqué que les sociétés destinataires de celle-ci avaient participé à une infraction unique et continue à l'article 81, paragraphe 1, CE, qui s'était étendue sur le territoire de l'Espace économique européen (EEE), consistant en la fixation de hausses de prix, de prix minima, d'objectifs de prix, de gels des prix et d'autres conditions commerciales pour les ventes à des clients indépendants de quatre catégories de produits en verre plat utilisés dans le secteur de la construction, à savoir le verre flotté, le verre énergétique, le verre feuilleté et les miroirs non traités ainsi qu'en l'échange d'informations commerciales sensibles.
5 Les demanderesses ont été reconnues coupables de l'infraction pour la période allant du 20 avril 2004 au 22 février 2005 et se sont vu infliger une amende de 148 millions d'euros à payer solidairement.
6 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 février 2008, les demanderesses ont introduit un recours en annulation contre la décision attaquée.
7 Par arrêt du 27 septembre 2012, Guardian Industries et Guardian Europe/Commission (T-82/08, non encore publié au Recueil), le Tribunal a rejeté le recours. Le 10 décembre 2012, les demanderesses ont formé un pourvoi contre cet arrêt devant la Cour (C-580/12 P).
Procédure et conclusions des parties
8 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 24 mai 2013, les demanderesses ont introduit, en vertu de l'article 44 du statut de la Cour de justice de l'Union européenne et de l'article 125 du règlement de procédure du Tribunal, une demande en révision de l'arrêt Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, précité.
9 Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 7 juillet 2013, la Commission a présenté ses observations sur la demande en révision de l'arrêt Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, précité.
10 Les demanderesses concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :
- faire droit à la demande en révision de l'arrêt Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, précité ;
- faire droit au moyen initial de Guardian visant à réduire l'amende qui lui est infligée de manière à garantir l'égalité de traitement avec les concurrents verticalement intégrés de Guardian ;
- prendre en compte la gravité du comportement de la Commission, réduire le montant de l'amende infligée aux demanderesses ;
- condamner la Commission aux dépens afférents à la présente demande, à ceux encourus dans le cadre de la procédure antérieure dans l'affaire T-82/08 ainsi qu'à ceux encourus dans celui de la procédure devant la Cour dans l'affaire C-580/12 P.
11 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- rejeter la demande en révision de l'arrêt Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, précité, comme étant irrecevable, ou à défaut comme non fondée ;
- condamner les demanderesses aux dépens.
En droit
Arguments des parties
12 À l'appui de la demande en révision de l'arrêt Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, précité, les demanderesses soutiennent que la Commission a dénaturé des éléments de preuve figurant dans le dossier administratif concernant la relation entre les prix des ventes captives de verre plat et celui des ventes à des clients indépendants dans la procédure devant le Tribunal.
13 Les demanderesses font valoir que, lors de la procédure en pourvoi contre l'arrêt Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, précité, la Commission, se fondant sur la déclaration de Saint-Gobain, soutenait que toute augmentation du prix du verre plat liée à l'entente pour des clients indépendants serait également illustrée par des prix de transferts plus élevés pour les opérations en aval des entreprises verticalement intégrées. Elles considèrent que cette allégation est contradictoire avec la thèse défendue par la Commission lors de la procédure devant le Tribunal selon laquelle il n'existait aucun élément de preuve que le comportement sanctionné dans la décision attaquée ait affecté les prix de transferts des ventes captives des entreprises verticalement intégrées. Cette évolution constituerait une dénaturation des éléments de preuves figurant dans le dossier administratif de la Commission.
14 Plus précisément, les demanderesses soutiennent qu'elles n'ont eu connaissance de la dénaturation du dossier par la Commission devant le Tribunal que lorsque le greffe de la Cour leur a notifié le mémoire en réponse de la Commission dans la procédure en pourvoi. Elles insistent sur le fait que c'est la dénaturation du dossier qui constitue un fait nouveau et non l'existence de la déclaration de Saint-Gobain.
15 De plus, les demanderesses considèrent que tant le Tribunal qu'elles-mêmes étaient dans l'ignorance de ce fait, puisqu'ils n'avaient aucune raison de suspecter que la Commission ait dénaturé leur dossier.
16 Enfin, les demanderesses font valoir que ce fait a un impact sur l'arrêt du Tribunal, puisque le Tribunal s'est fondé sur la dénaturation du dossier par la Commission pour rejeter le recours en annulation.
17 La Commission conteste les arguments des demanderesses.
Appréciation du Tribunal
18 En vertu de l'article 111 du règlement de procédure, lorsqu'un recours est manifestement irrecevable, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d'ordonnance motivée, étant précisé que cet article s'applique à tous les recours introduits devant le Tribunal, y compris les recours extraordinaires tels que la demande en révision (voir, en ce sens, ordonnances du Tribunal du 26 mars 1992, BASF/Commission, T-4/89 REV, Rec. p. II-1591, point 17, et du 16 avril 2012, de Brito Sequeria Carvalho/Commission, T-40/07 P-REV et T-62/07 P-REV, non publiée au Recueil, point 10). En l'espèce, le Tribunal s'estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de cet article, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.
19 Afin d'apprécier la recevabilité de la présente demande en révision, il convient de rappeler que, aux termes de l'article 44, premier alinéa, du statut de la Cour, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l'article 53, premier alinéa du même statut, la révision d'un arrêt ne peut être demandée qu'en raison de la découverte d'un ou de plusieurs faits de nature à exercer une influence décisive et qui, avant le prononcé de l'arrêt, étaient inconnus de la juridiction saisie et de la partie qui demande la révision. Conformément au second alinéa de cet article, ce n'est que si la juridiction constate l'existence d'un fait nouveau, lui reconnaît les caractères permettant l'ouverture de la procédure en révision et déclare de ce chef la demande recevable, qu'elle peut examiner l'affaire au fond.
20 Il ressort d'une jurisprudence constante que la révision constitue non une voie d'appel, mais une voie de recours extraordinaire permettant de mettre en cause l'autorité de la chose jugée attachée à un arrêt définitif en raison des constatations de fait sur lesquelles la juridiction s'est fondée. La révision présuppose la découverte d'éléments de nature factuelle, antérieurs au prononcé de l'arrêt inconnus jusque-là de la juridiction qui a rendu l'arrêt ainsi que de la partie qui demande révision et qui, si ladite juridiction avait pu les prendre en considération, auraient été susceptibles de l'amener à consacrer une solution différente de celle apportée au litige. En outre, eu égard au caractère extraordinaire de la procédure en révision, les conditions de recevabilité d'une demande en révision d'un arrêt sont d'interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 2 avril 2009, Yedas Tarim ve Otomotiv Sanayi ve Ticaret/Conseil et Commission, C-255/06 P-REV, non publié au Recueil, points 16 et 17, et la jurisprudence citée).
21 À l'appui de la demande en révision de l'arrêt Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, précité, les demanderesses font valoir que la Commission a dénaturé le dossier administratif présenté devant le Tribunal. Cette dénaturation ne serait apparue qu'au cours de la procédure de pourvoi, pendante devant la Cour, dans laquelle la Commission aurait fondé un nouvel argumentaire sur la déclaration faite par Saint-Gobain lors de la procédure administrative.
22 À cet égard, il suffit de relever que les demanderesses elles-mêmes admettent avoir eu accès à la déclaration de Saint-Gobain ainsi qu'au dossier administratif avant l'introduction devant le Tribunal de leur recours en annulation de la décision attaquée. Elles pouvaient donc invoquer cette déclaration à l'appui de leurs arguments, y compris pour faire valoir que la Commission avait dénaturé le dossier dans la décision attaquée, ou était en train de le dénaturer devant le Tribunal. L'éventuelle dénaturation de la Commission de la déclaration de Saint-Gobain ou du dossier administratif ne saurait être considérée comme un élément de nature factuelle et inconnu des demanderesses au sens de la jurisprudence visée au point 21 ci-dessus.
23 Il résulte de tout ce qui précède que la présente demande en révision doit être rejetée comme étant manifestement irrecevable, sans qu'il y ait lieu d'examiner les arguments des demanderesses liés au bien-fondé de ladite demande.
Sur les dépens
24 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2 du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.
25 En l'espèce, les demanderesses ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens conformément aux conclusions de la Commission.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (sixième chambre)
ordonne :
1) La demande en révision est rejetée comme manifestement irrecevable.
2) Guardian Industries Corp. et Guardian Europe Sàrl sont condamnés aux dépens.