CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 27 novembre 2014, n° 2013-22215
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Brenntag (SA), Brenntag France Holding (SAS), Brachem France Holding (SAS), Brenntag Foreign Holding GmbH (Sté), Brenntag Beteiligung GmbH (Sté), Brenntag Holding GmbH (Sté), DB Mobility Logistics AG (Sté)
Défendeur :
GEA Group (Sté), Gaches Chimie (SAS), Solvadis France (EURL), Solvadis GmbH (Sté), Solvadis Holding (SARL), Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Remenieras
Conseillers :
Mmes Leroy, Michel-Amsellem
Avocats :
Mes Boccon-Gibod, Hay, Mendelsohn, Giner Asins, Lesurl, Bricogne, Gransard, SCP Baechlin, Selarl 2H Avocats, SCP Bolling Durand & Lallement, SCP Fisselier, Associés
Par déclaration déposée au greffe le 30 juillet 2013, la société Brenntag, SA, la société Brenntag France Holding, SAS, la société Brachem France Holding, SAS, la société Brenntag Foreign Holding GmbH, société de droit allemand, la société Brenntag Beteiligung GmbH, société de droit allemand, la société Brenntag Holding GmbH, société de droit allemand (ci-après les sociétés Brenntag) ont formé un recours à l'encontre de la décision n° 13-D-12 rendue le 28 mai 2013, par l'Autorité de la concurrence (ci-après l'Autorité ou l'ADLC) qui a sanctionné à hauteur de 79 millions d'euros, une entente mise en place entre 1998 et mi-2005, dans le secteur de la distribution des commodités chimiques, entre Brenntag, Caldic Est, Univar et Solvadis.
Cette décision a été prononcée à la suite d'une enquête effectuée après que la société Solvadis, a dénoncé l'existence d'une entente dans ce secteur.
Cette société a sollicité le 30 septembre 2006, le bénéfice de la procédure de clémence instaurée en droit français par la loi n° 2001-420 relative aux nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001, permettant de fixer le montant des sanctions infligées aux auteurs d'une pratique anti-concurrentielle en tenant compte des éléments apportés par les demandeurs à la clémence.
Les sociétés Brenntag, et Univar ont également sollicité le bénéfice de la clémence respectivement les 26 octobre 2006 et 13 décembre 2006.
A ce titre, l'Autorité a accordé l'immunité totale à Solvadis, en qualité de première entreprise à s'être auto-dénoncée et à avoir révélé le cartel. GEA Group, qui n'était pas partie à la demande de clémence, a en revanche été sanctionnée en tant que société mère de Solvadis au moment des faits.
Les sociétés Brenntag et Univar, 2e et 3e demandeurs de clémence, ont vu leur sanction réduite respectivement de 25 % et 20 %.
La société Brenntag a été condamnée conjointement et solidairement avec son ancienne maison mère, la société DB Mobility Logistic AG (ci-après la société DBML) à payer une sanction pécuniaire d'un montant de 47 802 789 euros.
A l'occasion du recours introduit contre la décision de l'Autorité, les sociétés Brenntag et la société DBML ont déposé plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité qui ont fait l'objet de procédures distinctes.
Vu le mémoire distinct et motivé, déposé au greffe de la cour d'appel le 21 novembre 2013, par les sociétés Brenntag, aux fins de transmission, à la Cour de cassation, de six questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), portant sur les dispositions de l'article L. 464-2-IV du Code de commerce et ses mémoires en réponse n° 2 et 3 déposés les 10 mars et 5 septembre 2014 (procédure inscrite au répertoire général sous le n° 13-22215) ;
Vu le mémoire distinct et motivé, déposé le 26 février 2014 par la société DBLM, aux fins de transmission, à la Cour de cassation, de deux QPC, portant sur l'article L. 462-5 ancien du Code de commerce d'une part et sur les articles L. 464-2 du Code de commerce et 61 de la loi de finances pour l'année 2013 "combinés" d'autre part, ainsi que son mémoire en réponse déposé le 19 septembre 2014 (procédure inscrite au répertoire général sous le n° 14-04209) ;
Vu le second mémoire distinct et motivé, déposé au greffe de la cour d'appel le 5 septembre 2014, par les sociétés Brenntag aux fins de transmission, à la Cour de cassation, d'une autre QPC portant sur l'article L. 462-5 ancien du Code de commerce ;
Vu les observations des sociétés Solvadis déposées au greffe les 28 janvier 2014 et 23 juin 2014 qui demandent à la cour de ne pas transmettre les QPC ;
Vu les observations déposées le 6 mars 2014 par la société Gaches Chimie, intervenante volontaire dans le cadre du recours au fond, aux fins de non-transmission des QPC ;
Vu les observations de l'AdlC déposées au greffe les 19 décembre 2013, 16 juin 2014, 17 septembre 2014 qui demande à la cour de ne pas transmettre les QPC ;
Vu les observations orales du ministre de l'Economie ;
Vu les observations écrites du Ministère public du 21 juillet 2014 et 18 septembre 2014 transmises aux parties, concluant à la non-transmission des questions soulevées, auxquelles les parties ont été mises en mesure de répondre ;
Vu la procédure au fond, enrôlée sous le numéro de RG 13-13058 ;
LA COUR
Sur la jonction des procédures :
Considérant qu'il y a lieu d'ordonner la jonction des procédures inscrites sous les n° de RG n° 13-22215, n° 14-04209 et n° 14-18420 qui concernent des QPC se rapportant à la même décision au fond enrôlée sous le numéro de RG 13-13058 ;
Sur les QPC :
Considérant que les questions prioritaires de constitutionnalité, soulevées dans un mémoire distinct et motivé sont recevables en la forme ;
Considérant qu'aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, article créé par l'article 1er de la loi organique n° 2009-1523 du décembre 2009 :
"La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :
1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ;
3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux (...)." ;
Sur la QPC relative aux dispositions de l'article L. 462-5 ancien du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 :
Considérant que l'article L. 462-5 du Code de commerce dans sa rédaction applicable en la cause, disposait : "le Conseil de la concurrence peut être saisi par le ministre de l'Economie de toute pratique mentionnée aux articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-5. Il peut se saisir d'office ou être saisi par les entreprises [...] ;
Considérant que la QPC posée par la société DBML est ainsi libellée :
"Transmettre à la Cour de cassation pour renvoi au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité pour apprécier la constitutionnalité des dispositions de l'article L. 462-5 ancien du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la concurrence au regard de l'article 16 de la Déclaration de 1789 en tant qu'elles autorisaient le Conseil de la concurrence à se saisir d'office et à sanctionner ensuite les entreprises qu'il avait lui-même mises en cause, sans que sa saisine d'office ne soit entourée de la moindre garantie d'impartialité au mépris des principes d'indépendance et d'impartialité."
Considérant que par mémoire séparé du 5 septembre 2014, les sociétés Brenntag ont également invoqué "l'inconstitutionnalité de l'auto-saisine de l'Autorité instituée par l'article L. 462-5 ancien du Code de commerce" et sollicité la transmission d'une QPC portant sur ce texte ;
Considérant que les première et deuxième conditions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 sont remplies ;
qu'il revient à la cour d'apprécier si la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ;
Considérant que la société DBML et les sociétés Brenntag dénoncent les conditions dans lesquelles, le collège de l'Autorité, distinct des services d'instruction, avait la possibilité en vertu de l'article L. 462-5 ancien du Code de commerce, applicable à l'espèce, de se saisir d'office ; qu'elles soutiennent que certes, comme l'expose l'Autorité, le Conseil constitutionnel a considéré, dans sa décision Sté Groupe Canal Plus du 12 octobre 2012, que les dispositions de l'article L. 462-5 dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 13 novembre 2008 n'était pas contraires à la Constitution, car elles offrent aux entreprises mises en cause des garanties suffisantes d'impartialité ; qu'elles font valoir que tel n'était cependant pas le cas avant la réforme du 13 novembre 2008, puisque le Conseil de la concurrence, devenue l'Autorité de la concurrence, avait la faculté de se saisir d'office puis de prononcer, à l'encontre des entreprises qu'il avait lui-même mises en cause, une sanction ayant le caractère d'une punition ;
Considérant qu'il est exact que les dispositions contestées ont été modifiées par l'ordonnance du 13 novembre 2008 et que si depuis lors, l'Autorité ne peut plus se saisir d'office que sur proposition de son rapporteur, le collège du Conseil de la concurrence pouvait "s'auto saisir";
Mais considérant que dans le cas d'espèce, soumis à l'article L. 462-5 ancien du Code de commerce, l'ouverture de la procédure a été initiée par une demande de clémence, à l'initiative d'une entreprise du secteur concerné ; que dans le cadre de cette procédure, c'est sur proposition du rapporteur général que le Conseil de la concurrence, devenu l'Autorité de la concurrence, rend son avis de clémence ; que ces dispositions n'ont pas été modifiées par l'ordonnance du 13 novembre 2008 ; que par suite, la saisine d'office n'est qu'une modalité nécessaire pour permettre la dévolution des faits concernés par la dénonciation, à l'Autorité de la concurrence, et pour permettre le déclenchement de l'instruction du dossier ;
Que par voie de conséquence, la question posée est dépourvue de caractère sérieux ;
Sur la QPC relative aux articles L. 464-2 du Code de commerce et 61 de la loi de finances pour l'année 2013 "combinés" :
Considérant que cette QPC est ainsi libellée :
"L'article L. 464-2 du Code de commerce (dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-401 du 15 mai 2001, puis de l'ordonnance n° 2008-161 du 13 novembre 2008 ratifiée par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009), et en tout cas les § I et IV de ce texte, ainsi que l'article 61 de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012, portant loi de finances pour 2013, sont-ils contraires aux principes d'indépendance et d'impartialité qui s'imposent aux Autorités Administratives Indépendantes dotées d'un pouvoir de sanction, en application de l'article 16 de la DDHC de 1789, pour avoir fixé à l'Autorité de la concurrence un objectif budgétaire prévisionnel annuel de sanction pour l'année à venir (en l'occurrence l'année 2013) '';
Mais considérant que l'article 61 de la loi de finances pour l'année 2013 n'a pas été appliqué par l'Autorité dans la décision déférée à la cour ; qu'elle n'en constitue pas le fondement ; qu'elle n'a pas non plus été invoquée par les sociétés Brenntag devant l'Autorité ;
que les seuls fondements textuels de la décision déférée à la cour sont constitués du livre IV du Code de commerce ainsi que de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
qu'il s'ensuit que les sociétés Brenntag ne sont pas fondées à soutenir que cette disposition est applicable à la présente procédure, au motif qu'un simple lien d'applicabilité entre la QPC et l'instance à l'occasion de laquelle elle est soulevée suffit, et qu'il n'est pas exigé que la disposition qui fait l'objet de la QPC commande l'issue de l'affaire ;
Que par voie de conséquence, cette question prioritaire de constitutionnalité doit être déclarée irrecevable, les dispositions légales "combinées" contestées n'étant pas applicables au litige ;
Sur les QPC relatives aux dispositions de l'article L. 464-2 § 4 du Code de commerce consacré au dispositif de la clémence :
Considérant que cinq QPC posées par les sociétés Brenntag et la QPC n° 2 posée par la société DBML concernent l'article L. 464-2 § IV du Code de commerce, dans sa version issue de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques qui dispose :
" I.- L'Autorité de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Elle peut aussi accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes et de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées visées aux articles L. 420-1, L. 420-2, L. 420-2-1 et L. 420-5 ou contraires aux mesures prises en application de l'article L. 410-3.
Elle peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions soit en cas de non-respect des engagements qu'elle a acceptés.
Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction.
[...]
IV. - Une exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires peut être accordée à une entreprise ou à un organisme qui a, avec d'autres, mis en œuvre une pratique prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 s'il a contribué à établir la réalité de la pratique prohibée et à identifier ses auteurs, en apportant des éléments d'information dont l'Autorité ou l'Administration ne disposaient pas antérieurement. A la suite de la démarche de l'entreprise ou de l'organisme, l'Autorité de la concurrence, à la demande du rapporteur général ou du ministre chargé de l'Economie, adopte à cette fin un avis de clémence, qui précise les conditions auxquelles est subordonnée l'exonération envisagée, après que le commissaire du Gouvernement et l'entreprise ou l'organisme concerné ont présenté leurs observations ; cet avis est transmis à l'entreprise ou à l'organisme et au ministre, et n'est pas publié. Lors de la décision prise en application du I du présent article, l'Autorité peut, si les conditions précisées dans l'avis de clémence ont été respectées, accorder une exonération de sanctions pécuniaires proportionnée à la contribution apportée à l'établissement de l'infraction'.
Considérant, s'agissant de la première condition imposée par l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifié, qu'il n'est pas discuté que les dispositions de l'article L. 464-2 § 4 du Code de commerce ont été invoquées par les sociétés Brenntag, et appliquées par l'Autorité, qui en a accordé le bénéfice à quatre des sociétés concernées par le litige ;
Considérant qu'en revanche, l'Autorité oppose à la société DBML que ces dispositions ne peuvent être considérées comme applicables à la procédure suivie à son encontre puisqu'elle n'a pas demandé le bénéfice de la clémence prévue par ce texte ;
Mais considérant que dès lors que l'Autorité a expressément exclu (§ 1034 de la Décision) que la société DBML puisse bénéficier du dispositif de la clémence, en se fondant sur l'article L. 464-2 § 4 du Code de commerce, la disposition dont la constitutionnalité est contestée est applicable au litige au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 y compris à l'égard de la société DBML ;
Considérant que dans la mesure où les dispositions de l'article L. 464-2 § 4 du Code de commerce, consacrées au dispositif de la clémence, n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, la deuxième condition est également remplie ;
qu'il revient à la cour d'apprécier si la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ;
Sur la QPC n° 2 posée par DLMB :
Considérant que la société DBLM critique les dispositions de l'article L. 464-2 § 4 du Code de commerce, en tant qu'elles réservent le bénéfice de la clémence à "une entreprise", notion purement économique, imprécise et fluctuante, laissée à la seule appréciation de l'Autorité ;
qu'il en résulte, selon elle, une atteinte aux principes de légalité des délits et des peines, de précision de la loi, de sécurité juridique et de proportionnalité des délits et des peines ;
Mais considérant que l'exigence de clarté et de précision qu'impose le principe de légalité des délits et des peines qui vise à se prémunir contre le risque d'arbitraire, est respectée lorsque les dispositions contestées ont déjà fait l'objet de précisions par la jurisprudence ;
que dès lors la question n'apparaît pas sérieuse au regard de la jurisprudence constante tant nationale qu'européenne, dont il résulte qu'une entreprise désigne "toute entité exerçant une activité économique consistant en une organisation unitaire d'éléments personnels, matériels et immatériels poursuivant de manière durable un but économique déterminé, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement" ;
Sur les QPC posées par les sociétés Brenntag :
Considérant que les QPC dont la transmission est sollicitée par les sociétés Brenntag sont ainsi formulées :
L'article L. 464-2 du Code de commerce (dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-401 du 15 mai 2001, puis de l'ordonnance n° 2008-161 du 13 novembre 2008 ratifiée par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009), et en tout cas les § I et IV (anciennement § III) de ce texte, sont-ils :
QPC 1 :
"contraires au principe de légalité des délits et des peines, consacré aux articles 8 et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 (DDHC), et à l'article 34 de la Constitution, ainsi qu'à l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi découlant des articles 4, 5, 6 et 16 de la DDHC, ce dernier objectif étant le corollaire obligé du principe de légalité, contraires au principe de sécurité juridique, consacré aux articles 2, 4, 5, 6 et 16 de la DDHC de 1789",
QPC 2 :
"entachés d'incompétence négative, au regard des dispositions combinées des articles 34 de la Constitution, ainsi que 6 et 16 de la DDHC instituant l'égalité devant la loi et la garantie d'un procès équitable", faute de préciser les conditions et critères d'octroi de l'exonération de sanction dont peut bénéficier la personne poursuivie ayant sollicité le bénéfice de la procédure de clémence, ainsi que de déterminer le taux de cette exonération, et à tout le moins les éléments objectifs et susceptibles de contrôle juridictionnel, à prendre en compte par l'Autorité de la concurrence pour déterminer ce taux",
QPC 3 :
"contraires au droit à un recours juridictionnel effectif, consacré à l'article 16 de DDHC faute de prévoir un contrôle juridictionnel des conditions dans lesquelles est mise en œuvre la procédure de clémence et consentie une réduction de sanctions par l'Autorité de la concurrence ni, en tout état de cause, de règles permettant au juge du recours de procéder à une évaluation du caractère proportionné de la réduction accordée",
QPC 4 :
"contraires au principe de l'égalité des armes, et aux droits de la défense ainsi qu'au principe du contradictoire - tous trois constituant des éléments de la notion plus large de procès équitable -, consacrés aux articles 6 et 16 de la DDHC, en ce qu'ils privent le demandeur de clémence d'un débat contradictoire et d'une décision motivée sur l'appréciation portée par l'Autorité de la concurrence du respect des conditions fixées par elle pour lui accorder une exonération de sanction, et sur le caractère proportionné de la réduction à la contribution apportée à l'établissement de l'infraction, ainsi que sur le quantum de cette exonération",
QPC n° 5 :
"sont-ils entachés d'incompétence négative au regard des dispositions combinées de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, et de l'article 2 de la DDHC instituant le droit au respect de la vie privée, ainsi que du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 instituant le droit à la dignité, faute de comporter des garanties légales et des restrictions aux dénonciations que peut présenter un demandeur de clémence à l'Autorité de la concurrence''
Considérant que les sociétés Brenntag font valoir que les dispositions de l'article L. 464-2 § 4 du Code de commerce, vagues et elliptiques, méconnaissent les principes de légalité, d'intelligibilité et de précision de la loi, de sécurité juridique, qui préservent du risque d'arbitraire ;
qu'elles soutiennent que ce texte ne confère aucune garantie de réduction de l'amende au profit de l'entreprise qui a coopéré et que le mécanisme de clémence relève du pouvoir discrétionnaire de l'Autorité, qui évalue les éléments probatoires qui lui sont apportés sans aucun encadrement législatif et octroie une immunité de sanction pécuniaire "totale ou partielle", sans qu'aient été définies par la norme, les modalités de mise en œuvre de ces deux options ; que ces dispositions sont également contraires au principe d'égalité devant la loi, tiré de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, car elles permettent un traitement inégal et arbitraire par l'autorité administrative, alors même que le juge, n'est pas contraint par la loi de vérifier les conditions de mise en œuvre de la procédure de clémence, et d'octroi de l'exonération, par l'Autorité et particulièrement, la valeur des éléments apportés par les demandeurs de clémence ; que pourtant, l'article 464-2 §1 auquel renvoient les dispositions contestées précise que l'octroi ou non d'une réduction de la sanction, lors de la décision finale, doit être proportionnée à la contribution apportée à l'établissement de l'infraction ;
qu'il est donc également porté atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif, consacré à l'article 16 de DDHC ;
qu'enfin les sociétés Brenntag concluent à la violation des principes constitutionnels d'égalité des armes, et aux droits de la défense puisqu'aucun débat contradictoire, à aucun stade, n'est prévu sur l'évaluation faite par l'AdlC des conditions de la "coopération" permettant l'exonération - conditions qu'elle fixe seule -, ni même sur l'étendue de la "contribution apportée"; que le requérant ne peut prendre connaissance du dossier qu'au moment de la notification de griefs ; qu'en outre, il n'est attaché à la réduction de sanction accordée par l'Autorité en application de l'article L. 464-2 § 4 du Code de commerce, aucune obligation de motivation, si bien que le caractère contradictoire de la procédure devant l'AdlC, institué par l'article L. 463-1 du Code de commerce est dépourvu d'effectivité ;
Considérant que pour sa part, l'AdlC invoque l'absence de caractère sérieux des questions posées en soulignant, s'agissant du principe de légalité, que l'article L. 464-2 § 4 du Code de commerce opère un équilibre nécessaire entre la définition de la procédure de clémence et sa mise en œuvre, tout en laissant à l'autorité administrative indépendante dotée d'un pouvoir de sanction, un nécessaire pouvoir d'appréciation, pour tenir compte des circonstances propres à chaque affaire et respecter le principe d'individualisation de la peine, à valeur constitutionnelle ;
que selon l'AdlC, le principe de sécurité juridique et le principe d'égalité devant la loi, sont également garantis ; qu'en effet, contrairement à ce qu'affirment les requérantes, avant l'examen de l'affaire au fond, est rendu l'avis de clémence qui énonce les conditions permettant à l'entreprise demanderesse d'obtenir une exonération totale ou partielle de sanctions, après une séance devant l'Autorité, à laquelle l'entreprise est convoquée ; que le texte est clair et précis et répond à l'objectif poursuivi par le législateur, qui vise à inciter les entreprises à coopérer avec l'Autorité dans un souci d'efficacité de la régulation économique ;
que l'Autorité ajoute que sa décision finale, qui est motivée, est soumise, en application de l'article L. 464-8 du Code de commerce, à un recours juridictionnel de plein contentieux, qui permet aux parties de contester toutes les étapes de la procédure et d'assurer l'effectivité du recours ;
Considérant que l'article L. 464-2 § 4 du Code de commerce en ce qu'il institue le dispositif de la clémence qui permet à l'Autorité de la concurrence de moduler les sanctions appliquées aux auteurs de pratiques anticoncurrentielles, est soumis à l'exigence de clarté et de précision de la loi découlant du principe de légalité et des peines, ainsi qu'au principe du respect des droits de la défense garantis par les dispositions de l'article 8 de la DDHC qui entrent dans les prévisions de l'article 61-1 de la Constitution ; que le principe de sécurité juridique s'inscrit dans la continuité du principe de légalité ;
que par ailleurs, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général à la condition que la différence de traitement soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
Considérant que les dispositions contestées selon lesquelles l'Autorité de la concurrence "peut" accorder une exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires à une entreprise ou à un organisme [...] s'il a contribué à établir la réalité de la pratique prohibée et à identifier ses auteurs, en apportant des éléments d'information dont l'Autorité ou l'Administration ne disposaient pas antérieurement, laissent à l'Autorité d'une part, un large pouvoir d'appréciation, dans l'évaluation des éléments de preuve qui lui sont soumis, et lui octroient d'autre part, une large marge d'appréciation en ce qui concerne le bénéfice de l'exonération accordée au demandeur de la clémence, tant en son principe que dans son étendue, alors, par ailleurs, que le contrôle du juge judiciaire ne s'exerce qu'au stade de la sanction finale ;
Considérant qu'au regard des dispositions, règles et principes de valeur constitutionnelle invoqués, les QPC posées par les sociétés Brenntag, relatives à l'article L. 464-2 § IV du Code de commerce, ne sont pas dépourvues de caractère sérieux ;
Qu'il convient d'ordonner leur transmission à la Cour de cassation ;
Par ces motifs : Ordonne la jonction des procédures inscrites sous les n° de RG n° 13-2221, n° 14-04209 et n° 14-18420 ; Déclare irrecevable la QPC relative aux articles L. 464-2 du Code de commerce et 61 de la loi de finances pour l'année 2013 "combinés" ; Ordonne la transmission à la Cour de cassation des questions prioritaires de constitutionnalité déposées par les sociétés Brenntag relatives à l'article L. 464-2 § IV du Code de commerce ; Dit n'y avoir lieu de transmettre : - la QPC relative aux dispositions de l'article L. 462-5 ancien du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 ; - la QPC posée par la société DBLM relative aux dispositions de l'article L. 464-2 § 4 du Code de commerce ; Réserve les dépens.