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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 27 novembre 2014, n° 14-08510

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Adagio (SAS)

Défendeur :

Daï Pra

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aubry-Camoin

Conseillers :

MM. Fohlen, Mathis

Avocats :

Mes Borel, Daval-Guedj

Aix-en-Provence, prés., du 1er avr. 2014

1 avril 2014

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur Régis Daï Pra qui exerce à titre individuel une activité de prestataire de services informatiques sous l'enseigne RD Soft, a entretenu à compter de l'année 1999, des relations contractuelles avec la société Groupe Citea devenue Adagio, concernant le développement et la maintenance de logiciels spécifiques ayant pour objet la gestion et la réservation de résidences de tourisme.

Le 6 juin 2006, Monsieur Daï Pra a conclu avec la société Groupe Citea un "contrat cadre de maintenance de logiciel" prenant effet rétroactivement pour une durée de trois ans, le 1er novembre 2005.

Les parties ont signé trois avenants successifs le 10 septembre 2007, 7 juillet 2008 et 23 juillet 2009, concernant notamment l'actualisation des sites objet du contrat de maintenance.

Le 1er juillet 2011 a été conclue l'opération d'acquisition de la société Groupe Citea par la société Adagio qui le 25 novembre 2011 a décidé la dissolution de la société Groupe Citea.

Par courrier du 8 juillet 2011, la société Adagio a informé Monsieur Daï Pra qu'elle mettait un terme aux relations contractuelles qu'il entretenait avec la société Groupe Citea.

Par acte du 22 août 2011, Monsieur Régis Daï Pra a fait assigner la société Groupe Citea devant le Tribunal de commerce de Marseille au visa des articles 1134 et 1184 du Code civil, et L. 442-6-5 du Code de commerce, aux fins de voir dire que la société Groupe Citea a rompu brutalement un contrat de maintenance à durée déterminée ainsi que toutes relations commerciales établies entre la société RD Soft et Citea depuis plus de douze ans, et prononcer sa condamnation à l'indemniser du préjudice subi.

La société Adagio venant aux droits de la société Citea a notamment soulevé in limine litis l'incompétence territoriale du Tribunal de Commerce de Marseille au profit du Tribunal de Commerce de Cannes par application de la clause attributive de compétence figurant à l'article 20 du contrat cadre du 6 juin 2006.

Par jugement du 17 octobre 2012, le Tribunal de Commerce de Marseille :

- s'est déclaré territorialement compétent par application de l'article D. 442-3 du Code de commerce,

- a déclaré recevables les demandes de Monsieur Daï Pra,

- a dit que le contrat de maintenance conclu entre la société Groupe Citea et Monsieur Daï Pra était à durée déterminée et à échéance du 30 juin 2014,

- a dit que la rupture des relations commerciales par la société Groupe Citea a été unilatérale et brutale,

- a condamné la société Adagio venant aux droits de la société Groupe Citea à payer à Monsieur Daï Pra la somme de 250 000 euros en réparation de son préjudice et celle de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- a débouté la société Adagio venant aux droits de la société Groupe Citea de ses demandes reconventionnelles,

- a condamné la société Adagio venant aux droits de la société Groupe Citea aux dépens

- a ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- a rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions.

Par déclaration au greffe de la cour du 11 décembre 2012, Monsieur Régis Daï Pra a interjeté appel de cette décision.

Par déclaration au greffe de la cour du 27 février 2013, la société Adagio venant aux droits de la société Groupe Citea a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du 21 mars 2013, le conseiller de la mise en état a procédé à la jonction des procédures.

Par conclusions du 13 mai 2013, Monsieur Daï Pra a saisi le conseiller de la mise en état d'un incident aux fins de voir déclarer la cour d'appel d'Aix en Provence incompétente au profit de la Cour d'appel de Paris, ce au visa des articles D. 442-3 du Code de commerce et 75 du Code de procédure civile.

Par ordonnance d'incident du 7 janvier 2014, le conseiller de la mise en état a constaté l'existence d'une fin de non-recevoir tenant à l'article D. 442-3 du Code de commerce et a renvoyé l'affaire à l'audience du 4 mars 2014 en invitant les parties à s'expliquer sur la recevabilité de l'appel devant cette cour.

Par ordonnance d'incident du 1er avril 2014, le conseiller de la mise en état a :

- constaté l'existence d'une fin de non-recevoir tenant à l'incompétence de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence en application des articles D. 442-3 et L. 442-6 du Code de commerce,

- déclaré l'appel irrecevable,

- condamné Monsieur Daï Pra à payer à la société Adagio une indemnité de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné Monsieur Daï Pra aux dépens.

Par conclusions du 15 avril 2014, la société Adagio a déféré cette ordonnance à la cour.

Dans ses dernières conclusions du 3 octobre 2014, la société Adagio demande à la cour de :

- déclarer le demandeur à l'incident, Monsieur Daï Pra irrecevable en ses conclusions d'incident et l'en débouter,

- dire que le conseiller de la mise en état ne pouvait statuer d'office et déclarer irrecevable l'appel comme l'y invitait Monsieur Régis Daï Pra, sans violer les dispositions de l'article 125 du Code de procédure civile,

- déclarer Monsieur Daï Pra irrecevable à solliciter de la cour qu'elle déclare irrecevable l'appel incident de la société Adagio,

- renvoyer l'instruction de l'affaire à la mise en état pour statuer ce que de droit.

La société Adagio soutient :

- que Monsieur Daï Pra a relevé appel le 11 décembre 2012 du jugement du Tribunal de Commerce de Marseille du 17 octobre 2012 devant la Cour d'appel d'Aix en Provence, devant laquelle il a conclu au fond de même que la concluante,

- que Monsieur Daï Pra a inscrit une nouvelle déclaration d'appel à l'encontre du même jugement le 5 mars 2013 devant la Cour d'appel de Paris, devant laquelle il a fait assigner la concluante qui a dû constituer avocat et conclure,

- que deux juridictions sont ainsi saisies d'un appel à l'encontre de la même décision,

- que Monsieur Daï Pra a saisi le conseil de la mise en état de conclusions d'incompétence en date du 13 mai 2013 sur le fondement de l'article 75 du Code de procédure civile afin qu'elle se déclare incompétente au profit de la Cour d'appel de Paris,

- que par ordonnance du 7 janvier 2014, le conseiller de la mise en état a soulevé d'office l'irrecevabilité de l'appel devant la Cour d'appel d'Aix en Provence par application des dispositions de l'article D. 442-3 du Code de commerce,

- que modifiant sa demande initiale, Monsieur Daï Pra se prévaut de la fin de non-recevoir pour justifier sa demande d'irrecevabilité de l'appel devant cette cour,

- que Monsieur Daï Pra est irrecevable à soulever une exception d'irrecevabilité dès lors que les dispositions de l'article 74 du Code de procédure civile prévoient que les exceptions doivent à peine d'irrecevabilité être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir,

- qu'aucune disposition n'autorise le conseiller de la mise en état à soulever d'office l'incompétence de la cour par application des articles 74 et 75 du Code de procédure civile,

- que Monsieur Daï Pra n'est pas recevable à modifier le fondement de sa demande au vu de l'ordonnance du 7 janvier 2014,

- que par application de l'article 125 du Code de procédure civile, le conseiller de la mise en état ne peut soulever d'office une fin de non-recevoir que pour défaut d'intérêt, défaut de qualité ou chose jugée,

- que la fin de non-recevoir soulevée par le conseiller de la mise en état ne rentre pas dans ces catégories,

- que l'ordonnance déférée n'a pas respecté les règles de l'article 74 du Code de procédure civile, et que le conseiller de la mise en état ne peut contourner ces règles en soulevant d'office l'irrecevabilité de l'appel, ce en lieu et place de Monsieur Daï Pra qui est irrecevable pour le faire.

Dans ses dernières conclusions du 6 juin 2014, Monsieur Régis Daï Pra demande à la cour de :

- débouter la société Adagio de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer l'ordonnance d'incident du 1er avril 2014 en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'appel de Monsieur Daï Pra,

- réformer pour le surplus et notamment,

- déclarer irrecevable l'appel de la société Adagio interjeté le 27 février 2013,

- condamner la société Adagio au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Monsieur Daï Pra fait observer :

- que l'appel interjeté par lui devant la Cour d'appel d'Aix en Provence est irrecevable en application des dispositions de l'article D. 442-3 du Code de commerce selon lequel la cour d'appel compétente pour connaître des décisions rendues par les juridictions spécialisées en la matière , est la Cour d'appel de Paris,

- que selon l'article 914 du Code de procédure civile, le conseiller de la mise en état est compétent pour statuer sur l'irrecevabilité de l'appel et déclarer d'office l'appel irrecevable devant la Cour d'appel d'Aix en Provence,

- que la Cour d'appel de Paris seule compétente, a été saisie d'un appel recevable,

- que l'appel interjeté le 27 février 2013 devant la Cour d'appel d'Aix en Provence par la société Adagio est également irrecevable, et que l'ordonnance de mise en état du 1er avril 2014 n'a pas statué à cet égard,

- que le moyen soulevé par la société Adagio sur le fondement des articles 74 et 75 est rendu inopérant par l'ordonnance du 7 janvier 2014 qui requalifie la demande en fin de non-recevoir,

- qu'il ne saurait être reproché au concluant de pas s'être désisté devant la Cour d'appel d'Aix en Provence puisque ce désistement aurait emporté acquiescement au jugement,

- que l'article 125 du Code de procédure civile ne donne pas une liste exhaustive des fins de non-recevoir et précise que celles qui sont d'ordre public doivent être soulevées d'office par le juge.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs argumentations respectives.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Par acte du 22 août 2011, Monsieur Daï Pra a engagé à l'encontre de la société Adagio une action notamment pour rupture brutale des relations commerciales établies sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce.

Par conclusions d'incident du 13 mai 2013, Monsieur Daï Pra a saisi le conseiller de la mise en état d'une exception d'incompétence de la Cour d'appel d'Aix en Provence au profit de la Cour d'appel de Paris au visa des articles D. 442-3 du Code de commerce et 75 du Code de procédure civile.

L'ordonnance du 7 janvier 2014 du conseiller de la mise en état a constaté l'existence d'une fin de non-recevoir et renvoyé l'affaire à une audience ultérieure pour que les parties s'expliquent sur la fin de non-recevoir soulevée d'office.

L'ordonnance du 1er avril 2014 a déclaré irrecevable l'appel interjeté par Monsieur Daï Pra par application des dispositions de l'article D. 442-3 du Code de commerce.

Aux termes de l'article D. 442-3 du Code de commerce dans sa rédaction issue du décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009 entré en application le 1er décembre 2009 :

'Pour l'application de l'article L. 442-6, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les département d'outre-mer sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-1 du présent livre.

La cour d'appel compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions est celle de Paris.

Sur l'exception d'incompétence soulevée par Monsieur Daï Pra sur le fondement de l'article 75 du Code de procédure civile :

L'ordonnance d'incident avant dire droit du 7 janvier 2014 ne s'est pas prononcée sur l'exception d'incompétence soulevée par Monsieur Daï Pra sur le fondement de l'article 75 du Code de procédure civile.

L'ordonnance d'incident du 1er avril 2014 s'est prononcée sur la fin de non-recevoir sans vider la saisine du conseiller de la mise en état du chef de l'exception d'incompétence sur le fondement de l'article 75.

Selon jurisprudence de la Cour de cassation, la compétence exclusive de la Cour d'appel de Paris instaurée par l'article D. 442-3 est d'ordre public, et un recours porté devant une autre juridiction doit être sanctionné par une fin de non-recevoir pouvant être relevée en tout état de cause, et non par une exception d'incompétence devant être soulevée in limine litis.

L'exception d'incompétence soulevée par Monsieur Daï Pra en vertu de l'article D. 442-3 du Code de commerce mais sur le fondement de l'article 75 du Code de procédure civile ne peut qu'être rejetée.

Sur la compétence du conseiller de la mise en état pour se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée de la compétence exclusive de la Cour d'appel de Paris :

Selon l'article 914 du Code de procédure civile, le conseiller de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent pour déclarer l'appel recevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l'appel.

Selon l'article 916, les ordonnances du conseiller de la mise en état peuvent être déférées devant la cour par simple requête dans les quinze jours de leur prononcé notamment lorsqu'elles statuent sur une fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel.

Selon l'article 122, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond.

Selon l'article 123, les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause.

Selon l'article 125, les fins de non-recevoir doivent être relevées d'office lorsqu'elles ont un caractère d'ordre public, la liste des fins de non-recevoir d'ordre public donnée par l'article 125 n'étant pas exhaustive.

La compétence exclusive de la Cour d'appel de Paris constitue une fin de non-recevoir d'ordre public pouvant être soulevée en tout état de cause, et devant être soulevée d'office par le juge s'il y a lieu.

Le conseiller de la mise en état est en conséquence compétent pour se prononcer sur l'irrecevabilité de l'appel tirée d'une fin de non-recevoir, ainsi que pour soulever d'office une fin de non-recevoir d'ordre public, et notamment en l'espèce la fin de non-recevoir tirée des dispositions de l'article D. 442-3 du Code de commerce.

L'ordonnance du 7 janvier 2014 qui a relevé d'office la fin de non-recevoir tirée des dispositions de l'article D. 442-3 du Code de commerce, a invité les parties à présenter leurs observations.

L'instance ayant été engagée postérieurement à l'entrée en vigueur le 1er décembre 2009 de l'article D. 442-3 du Code de commerce, la Cour d'appel de Paris est seule compétente de sorte qu'il l convient de confirmer l'ordonnance du 1er avril 2014 en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'appel interjeté par Monsieur Daï Pra devant la Cour d'appel d'Aix en Provence.

Sur la recevabilité de l'appel de la société Adagio devant la cour d'appel d'Aix en Provence :

Par ordonnance du 7 janvier 2014, le conseiller de la mise en état a soulevé d'office une fin de non-recevoir tirée de l'article D. 442-3 du Code de commerce et a mis les parties en mesure de conclure de ce chef.

La règle de compétence posée par l'article D. 442-3 est d'ordre public et fait obstacle à l'application de la clause attributive de compétence susceptible de figurer dans la convention liant les parties.

La fin de non-recevoir soulevée d'office par le conseiller de la mise en état s'applique de la même manière aux appels respectifs des parties, de sorte que l'appel de la société Adagio sera d'office déclaré irrecevable.

Sur la demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile formée par Monsieur Daï Pra et les dépens de l'incident

L'ordonnance déférée sera infirmée de ce chef.

Il n'y a pas lieu en équité de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Chaque partie conservera à sa charge ses propres dépens d'incident et de déféré.

Par ces motifs : LA COUR, statuant contradictoirement et en dernier ressort, Déclare régulier et recevable le déféré devant la cour de l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 1er avril 2014, Confirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a : constaté l'existence d'une fin de non-recevoir d'ordre public tirée de l'article D. 442-3 du Code de commerce : Déclaré irrecevable l'appel interjeté par Monsieur Daï Pra devant la Cour d'appel d'Aix en Provence ; Infirme l'ordonnance déférée pour le surplus, Statuant à nouveau et ajoutant, Déboute Monsieur Daï Pra de l'exception d'incompétence de la Cour d'appel d'Aix en Provence soulevée sur le fondement de l'article 75 du Code de procédure civile, Déclare d'office irrecevable l'appel interjeté par la société Adagio devant la Cour d'appel d'Aix en Provence par application de l'article D. 442-3 du Code de commerce, Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile, Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens d'appel, d'incident et de déféré.