CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 3 décembre 2014, n° 14-11124
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Alerte Orange (SAS), Orange Image (SAS)
Défendeur :
Nintendo France (SARL), Nintendo of Europe GmbH (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Nicoletis
Avocats :
Mes Etevenard, Sueur, Boccon Gibod, Marchisio
Vu le jugement du 7 avril 2014, par lequel le Tribunal de commerce de Paris a, sous le régime de l'exécution provisoire, condamné la société Nintendo France à payer au titre de la réparation du préjudice de perte de marge, à la société Alerte Orange la somme de 148 173 et à la société Orange Image la somme de 36 551 , la société Nintendo of Europe, à payer, au titre de la réparation du préjudice de perte de marge à la société Alerte Orange la somme de 441 417 et à la société Orange Image la somme de 108 493 , ordonné à la société Alerte Orange de restituer gratuitement et sous un mois aux sociétés Nintendo l'ensemble des éléments, quelle qu'en soit la forme (en ce compris toutes versions dématérialisées) qui lui avaient été fournis par les sociétés Nintendo dans le cadre de leur relation de travail (documents, notes, copies, collections de données, jeux, logiciels, etc.) ou utilisant la (ou les) marque(s) Nintendo ou autres droits de propriété intellectuelle appartenant aux sociétés Nintendo, interdit à la société Alerte Orange de diffuser et d'utiliser les films publicitaires et tout autre élément, quelle qu'en soit la forme, qui lui avaient été fournis par les sociétés Nintendo (documents, notes, copies, collections de données, jeux, etc.) et mettant en avant les marques ou autres droits (personnage, titres de jeux, logiciels, etc.) et produits Nintendo, sur les sites Internet du groupe Révolution 9 ou sur tout autre support et, enfin, condamné solidairement la société Nintendo France et la société Nintendo of Europe à payer la somme de 5 000 à la société Alerte Orange et 5 000 à la société Orange Image au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'appel interjeté le 26 mai 2014, par les sociétés Alerte Orange et Orange Image et leurs dernières conclusions signifiées le 25 juin 2014, dans lesquelles elles demandent à la cour d'infirmer partiellement le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a reconnu la rupture brutale des relations commerciales de Nintendo France et Nintendo of Europe à l'égard d'Alerte Orange et d'Orange Image, condamner la société Nintendo France à payer à Alerte Orange la somme de 2 142 992 euros au titre de la réparation du préjudice de perte de marge durant la période non exécutée du préavis de deux ans, et celle de 150 000 euros au titre de la réparation de son préjudice moral, à payer à Orange Image la somme de 50 000 euros au titre de la réparation de son préjudice moral, condamner la société Nintendo of Europe à payer à Alerte Orange la somme de 6 357 418 euros au titre de la réparation du préjudice de perte de marge, à payer à Alerte Orange la somme de 150 000 euros au titre de la réparation de son préjudice moral, condamner les sociétés Nintendo France et Nintendo of Europe à payer à Orange Image la somme de 4 489 476 euros au titre de la réparation du préjudice de perte de marge, condamner la société Nintendo of Europe à payer à Orange Image la somme de 50 000 euros au titre de la réparation de son préjudice moral, condamner solidairement les sociétés Nintendo of Europe et Nintendo France à payer à Alerte Orange la somme de 312 639 euros au titre de la réparation du coût des licenciements, ordonner la publication d'un extrait de la décision à intervenir dans six revues spécialisées (Capital ; L'expansion ; Le Nouvel Economiste ; L'entreprise ; La Tribune ; Les Echos) et condamner solidairement les sociétés Nintendo France et Nintendo of Europe au paiement des frais de publication jusqu'à un montant maximal de 5 000 euros par revue, condamner solidairement les sociétés Nintendo France et Nintendo of Europe à payer à Alerte Orange la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à Orange Image celle de 15 000 euros sur le même fondement ; à titre subsidiaire, en cas de désignation d'expert, accorder aux sociétés Alerte Orange et Orange Image une provision égale à 50 % du montant de leurs demandes indemnitaires, dans l'attente du dépôt du rapport, en tous cas, condamner solidairement les sociétés Nintendo France et Nintendo of Europe à payer les intérêts dus à compter de la date de signification de l'assignation à comparaître devant le Tribunal de commerce de Paris, ordonner la capitalisation des intérêts dus à compter de la date de signification de l'assignation à comparaître devant le Tribunal de commerce de Paris, ordonner la condamnation sous astreinte à 10 000 euros par jour de retard en cas d'inexécution de la décision à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 8 août 2014 par les sociétés Nintendo France et Nintendo of Europe, demandant à la cour d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a reconnu le principe même d'une rupture brutale des relations commerciales établies par les sociétés Nintendo avec les sociétés Alerte Orange et Orange Image, et, en conséquence, débouter les sociétés Alerte Orange et Orange Image de l'ensemble de leurs demandes, sur l'appel des sociétés Alerte Orange et Orange Image, infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné les sociétés Nintendo à payer diverses sommes aux deux appelantes, corriger l'erreur matérielle commise par le tribunal, en substituant au montant de 355 000 le montant de 807 243 et refaire le calcul, recalculer la perte de marge de la société Alerte Orange sur la base d'un taux de marge brute de 22,2 %, constater qu'il existe un écart de 214 362 qui doit être restitué au groupe Nintendo, dire et juger le préjudice de la société Orange Image non indemnisable, à titre subsidiaire recalculer sa marge brute sur la base d'un taux de 22,2 %, en tout état de cause confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu la dépendance économique volontaire des appelantes, refusé d'indemniser le préjudice des licenciements et le préjudice moral prétendu des sociétés Alerte Orange et Orange Image, accordé la restitution et l'interdiction d'utilisation par la société Alerte Orange des actifs appartenant aux sociétés Nintendo et refusé la publication de la décision à intervenir, dire et juger les pièces n° 19, 36 et 59 traduites en français, condamner solidairement les sociétés Alerte Orange et Orange Image à payer aux sociétés Nintendo France et Nintendo of Europe la somme de 45 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
SUR CE,
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :
La société Alerte Orange a pour activité la conception et la réalisation de campagnes de promotion publicitaire.
La société Nintendo France gère la distribution en France des jeux vidéo et des consoles de jeux mis au point par le groupe Nintendo, représenté en Europe par la société Nintendo of Europe.
Dès 2001, la société Alerte Orange et les sociétés Nintendo ont noué des relations commerciales non exclusives au gré des films promotionnels à réaliser, relations formalisées en 2010 par un accord-cadre d'une durée de deux ans entre la société Alerte Orange et la société Nintendo of Europe.
La société Orange Image est un sous-traitant de la société Alerte Orange. Les deux sociétés ont le même actionnariat et les mêmes dirigeants.
Les relations commerciales ont été fortement réduites au premier semestre 2013, puisque le chiffre d'affaires réalisé par Alerte Orange avec Nintendo France et Nintendo of Europe était en 2010 de, respectivement 2 636 690 et 5 314 483 , alors que ces chiffres, arrêtés au 30 juin 2013 n'étaient plus que de respectivement 476 207 et 331 034 , soit une baisse de 82 % et 94 %. Parallèlement, le chiffre d'affaires réalisé par Orange Image avec Alerte Orange pour le compte du groupe Nintendo était en 2010 de 2 585 285 , alors que ce chiffre, arrêté au 30 juin 2013, n'était plus que de 78 526 soit, pour Orange Image, une baisse de 97 % de son chiffre d'affaires.
Les sociétés Alerte Orange et Orange Image, considérant être les victimes d'une rupture brutale de relations commerciales établies, ont saisi le Tribunal de commerce de Paris le 16 septembre 2013, aux fins d'obtenir réparation. Le tribunal a porté à six mois le délai de préavis raisonnable et a, partiellement, fait droit aux demandes des deux plaignantes. C'est le jugement dont il est présentement interjeté appel par les sociétés Alerte Orange et Orange Image, qui contestent le montant de l'indemnisation qui leur a été allouée par le tribunal.
I. Sur la demande de rejet de pièces
Considérant que les sociétés appelantes demandent à la cour d'écarter des débats les pièces 19, 36 et 59 produites par Nintendo France et Nintendo of Europe, et, à titre subsidiaire, d'écarter des débats les pièces 19, 36 et l'annexe 3 de la pièce 59, au motif que ces pièces comportent des factures en anglais ;
Mais considérant qu'il s'agit de factures émanant des appelantes elles-mêmes ; que celles-ci ne peuvent donc en ignorer la teneur ; qu'au surplus une traduction libre en est donnée par les intimées ;
que les appelantes ne sauraient ainsi prétendre que le rapport d'expertise privé versé aux débats par les intimées serait inexploitable, car l'expert fonde son raisonnement et ses calculs sur l'exploitation d'une annexe intelligible ;
Considérant, en définitive, qu'il y a lieu de rejeter la demande des sociétés appelantes ;
II. Sur la recevabilité de l'action de la société Orange Image
Considérant que les appelantes soutiennent, au contraire des intimées, que l'action en indemnisation de la société Orange Image, sous-traitante de la société Alerte Orange, est recevable, son préjudice, distinct de celui causé à la société Alerte Orange, résultant de la baisse des commandes effectuées par les intimées auprès d'Alerte Orange ;
Considérant que la société Orange Image a réalisé, pour le compte d'Alerte Orange, diverses prestations en relation directe avec les commandes émanant des sociétés Nintendo France et Nintendo of Europe ; qu'elle prenait, notamment, en charge les contrats des réalisateurs, des directeurs de production, des directeurs photo, etc. ; que, dès lors, même si la société Orange Image n'a pas conclu directement de contrats avec les sociétés Nintendo, cette société peut agir en responsabilité contre les sociétés Nintendo, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, si la rupture brutale des relations commerciales des sociétés Nintendo avec la société Alerte Orange lui a causé un préjudice ;
Considérant que la demande en indemnisation de la société Orange Image est donc recevable ;
III. Sur la rupture brutale
Considérant que les appelantes soutiennent avoir subi un préjudice à la suite de la rupture brutale de leurs relations commerciales avec les intimées, constitué par la perte des marges qu'elles n'ont pu réaliser pendant la durée du préavis ;
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce qu' "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. (...). Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure" ;
Considérant que les parties s'opposent sur tous les éléments constitutifs de cette pratique, à savoir l'existence même d'une relation établie, la brutalité de la rupture, et la durée du préavis ;
a. Sur l'existence des relations commerciales établies
Considérant que les appelantes soutiennent que les relations entre la société Alerte Orange et les intimées étaient régulières, significatives et stables au cours des dernières années, et représentaient un courant d'affaires de plusieurs millions d'euros entre 2008 et 2012 ; qu'elles relèvent qu'il n'est pas démontré que le groupe Nintendo procédait habituellement à des appels d'offres, les intimés invoquant uniquement deux mails rédigés en langue étrangère et datés de 2008 et 2009 dans lesquels une procédure d'appel d'offres semblait être évoquée ;
Considérant que les sociétés Nintendo prétendent qu'elles n'entretenaient pas de relations commerciales établies avec les sociétés Alerte Orange et Orange Image ; qu'elles expliquent avoir eu régulièrement recours à des appels d'offres ; que la société Alerte Orange savait pertinemment qu'elle était mise en concurrence dans le cadre de ces appels d'offres et qu'elle ne bénéficiait d'aucune exclusivité ; que depuis 2012, Alerte Orange n'était plus concurrentielle et proposait des prix plus élevés que les autres acteurs du marché, ce dont les sociétés Nintendo l'avaient d'ailleurs informée ; qu'enfin, l'accord-cadre signé en 2010 entre Alerte Orange et les intimées, prévoyait expressément que "Nintendo ne concède aucune exclusivité au Contractant et aucune disposition du Contrat n'empêche Nintendo de conclure d'autres contrats en lien avec des services de publicité et de marketing ou encore d'autres services avec des tiers'' ;
Mais considérant que s'il est établi que les sociétés Nintendo faisaient appel à plusieurs agences concurrentes, il n'est pas démontré que les sociétés Nintendo procédaient à des appels d'offres ; qu'il ressort des pièces du dossier que si elles faisaient jouer la concurrence entre ces agences, elles entretenaient avec chacune d'entre elles un volume d'affaires relativement stable, année après année ; que tel était le cas avec la société Alerte Orange, les relations commerciales entre les parties ayant revêtu, avant la rupture intervenue en janvier 2013, un caractère suivi, stable et habituel ; que la société Alerte Orange pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial ; que les sociétés Nintendo ne démontrent pas que la nature du secteur de l'audiovisuel pouvait affecter ces relations de précarité et d'instabilité, dans les relations entre les fabricants et les agences de marketing ; que, par ailleurs, l'absence d'une exclusivité et d'une garantie de chiffre d'affaires au profit de la société Alerte Orange ne suffit pas à démontrer qu'Alerte Orange ne pouvait espérer que les sociétés Nintendo lui garantissent une certaine stabilité de relation commerciale ;
b. Sur la brutalité de la rupture
Considérant que les sociétés Nintendo soutiennent que la rupture des relations commerciales était justifiée par les circonstances économiques défavorables et par l'inexécution, par Alerte Orange, de ses obligations ; qu'elle ne revêtait donc pas le caractère de "brutalité" ;
Sur la baisse de chiffre d'affaires des intimées
Considérant que les appelantes soulignent que si le groupe Nintendo a connu une baisse de son chiffre d'affaires, ses dépenses marketing ont augmenté en 2013, tandis que Nintendo soutient que ses dépenses marketing ont suivi la même pente négative que son chiffre d'affaires, si on exclut de ce chiffre les achats d'espaces publicitaires, non couverts par les prestations d'Alerte Orange ;
Considérant que les sociétés Nintendo ont connu une baisse de leur chiffre d'affaires pour l'exercice 2011-2012, ainsi que l'attestent les extraits de revues spécialisées versés aux débats par Nintendo ; que le marché des consoles et de loisir interactif est un marché extrêmement concurrentiel, où les sociétés Nintendo devaient faire face à la concurrence de rivaux importants, tels Microsoft et Sony, mais également à la concurrence des tablettes et des réseaux sociaux ; qu'il en résultait des fluctuations dans les chiffres d'affaires réalisés ; que les dépenses marketing des sociétés Nintendo ont chuté sur la période considérée, ainsi que le soutient Monsieur Laurent Fisher, de Nintendo Europe, dans une attestation du 14 novembre 2013 ;
Considérant, cependant, qu'il résulte des tableaux versés aux débats par les sociétés Nintendo que si les sociétés Nintendo ont eu nettement moins recours aux agences de marketing depuis la fin de l'année 2011 que lors des années précédentes, c'est la société Alerte Orange qui a le plus souffert de cette baisse d'activité ; qu'en effet la baisse d'activité concernant cette société a été drastique et ne pouvait être anticipée par celle-ci, compte tenu de son ampleur ; qu'en effet, alors que le chiffre d'affaires cumulé réalisé par Alerte Orange avec les deux sociétés Nintendo était de 10 283 356 en 2009, 8 951 173 en 2010, 7 477 521 en 2011 et 5 101 504 en 2012, il est brusquement tombé en juin 2013 à 800 000 soit une baisse de 80 % de son chiffre d'affaires ;
Sur l'existence prétendue de fautes de la part de la société Alerte Orange
Considérant d'ailleurs que les sociétés Nintendo ne contestent pas qu' "en 2013 le recours à Alerte Orange a(it) considérablement diminué, de manière beaucoup plus importante que pour les autres agences" ; que cependant elles expliquent cette baisse par "des difficultés rencontrées dans différents projets et (...) la chute de confiance des sociétés Nintendo en Alerte Orange" ;
Considérant que si les sociétés Nintendo font état de quelques manquements de la société Alerte Orange, elles ne démontrent pas que ces reproches étaient d'une gravité telle qu'ils auraient justifié une résiliation du contrat sans préavis ; que ces différents incidents ne semblent pas avoir eu de réelles répercussions sur les relations commerciales entre les parties, ni avoir permis à la société Alerte Orange d'anticiper une rupture ; que s'il résulte du message électronique de Laurent Fischer, de Nintendo, à la société Alerte Orange, daté du 31 janvier 2013, que "des alertes baisse de qualité (...) doivent être prises en compte", celui-ci précisait également : "la motivation pour travailler avec vous est intacte à la condition que l'on puisse lancer les projets sans crainte d'être confronté à des soucis d'efficacité dans la gestion et l'exécution du projet" ; que ce message ne remettait donc pas en cause la continuité des relations entre les parties, bien qu'étant postérieur à un autre message du 26 septembre 2012, faisant état de difficultés à propos de la réalisation de films publicitaires ;
Considérant, par ailleurs, que les sociétés Nintendo prétendent, sans en verser la moindre preuve aux débats, que la société Alerte Orange se serait retrouvée dans l'incapacité de faire face à ses demandes concernant les prestations de tournage, ne disposant pas des ressources nécessaires ;
Considérant, par ailleurs, que le changement d'actionnaires de la société Alerte Orange ne constituait nullement en soi un motif de rupture sans préavis ; qu'en effet, il n'a jamais été établi par les sociétés Nintendo que ce changement ait affecté ses intérêts ni qu'il aurait eu pour effet de vider de sa substance l'activité originale de la société Alerte Orange ; qu'ainsi, les sociétés intimées ne peuvent exciper de l'article 12.4 de l'accord-cadre conclu en 2010 entre les parties, prévoyant le cas de résiliation sans préavis pour faute, pour soutenir qu'elles pouvaient résilier le contrat sans préavis ;
Considérant, enfin, que même si les sociétés Nintendo avaient "tendu la main" à la société Alerte Orange, lui ayant proposé en juillet 2013 d' "échanger sur les projets à venir", cette proposition dont la teneur et l'étendue demeuraient largement indéterminées, était, en tout état de cause, bien postérieure à la chute drastique du chiffre d'affaires réalisé par ces sociétés avec Alerte Orange, début 2013, et ne pouvait, dès lors, atténuer la brutalité de la rupture intervenue ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la baisse soudaine et drastique de chiffre d'affaires réalisé par la société Alerte Orange avec les sociétés Nintendo revêt la qualification de rupture brutale des relations commerciales au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;
c. Sur la durée du préavis
Considérant que les sociétés appelantes prétendent que les intimées auraient dû respecter un préavis d'au moins deux années pour leur laisser le temps de trouver un nouveau cocontractant dans le même secteur ou pour compenser la chute de leurs chiffres d'affaires ;
Considérant que les sociétés intimées estiment que l'exigence de préavis a été respectée ;
Considérant que la durée du préavis doit permettre à la société victime d'une rupture des relations commerciales de pouvoir rechercher une solution de remplacement à l'activité perdue ;
Considérant que la société Alerte Orange réalisait 80 % de son chiffre d'affaires avec les sociétés Nintendo ; que l'article 10 du contrat-type contenait une clause de non-concurrence interdisant à Alerte Orange de travailler pour les concurrents de Nintendo of Europe ; que la recherche de partenaires de remplacement de l'importance et de la notoriété des sociétés Nintendo n'était pas aisée ;
Considérant, en définitive, que, compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales, de près de douze ans, de l'importance du courant d'affaires entre les deux parties, des relations d'exclusivité avec les sociétés Nintendo, et de la notoriété de ces sociétés, un préavis de douze mois aurait dû être octroyé à la société évincée ; que le jugement entrepris sera infirmé sur ce point ;
IV. Sur le préjudice de la société Alerte Orange
Considérant que le préjudice qui découle d'une rupture brutale des relations commerciales établies est constitué de la perte subie ou du gain dont la victime a été privée ; que l'indemnité qui tend à réparer ce type de préjudice correspond à la perte de marge brute sur le chiffre d'affaires qui aurait dû être perçue si un préavis conforme aux usages du commerce avait été consenti ;
Considérant que selon l'attestation de l'expert-comptable de la société Alerte Orange Monsieur le Cunff, le chiffre d'affaires moyen réalisé par la société Alerte Orange avec la société Nintendo France s'élève à 1 932 105 , la moyenne étant calculée sur les chiffres d'affaires de 2010 à 2012 ; que la société Alerte Orange pouvait raisonnablement s'attendre à percevoir ce chiffre d'affaires au titre de l'année 2013, alors qu'elle a perçu la somme de 476 208,71 compte arrêté en juin 2013, puis 59 132 en juillet 2013 et 5 815 au mois d'août 2013 ; que ces chiffres ne sont pas utilement contestés par les sociétés Nintendo ; que la société Alerte Orange a donc subi un manque à gagner de 1 390 950 au titre de l'année 2013 ;
Considérant que s'agissant du taux de marge brute, il convient de retenir le taux calculé par Monsieur Jacques Loeb, à la demande des sociétés Nintendo ; qu'en effet, il apparaît que la marge brute calculée par la société Alerte Orange résulte de la déduction du montant du chiffre d'affaires total du montant de la sous-traitance, aboutissant à un taux de marge brute de 47,4 % ; que cependant la marge brute ne peut être déterminée qu'en déduisant du chiffre d'affaires les coûts variables de réalisation des prestations correspondantes ; que Monsieur Loeb a reconstitué ces coûts des prestations fournies par Alerte Orange à partir de relevés et factures fournis par cette société et le service marketing des sociétés Nintendo ; que cette reconstitution n'est pas utilement contestée par la société Alerte Orange, qui se contente de demander que le rapport de l'expert soit retiré des débats, au motif que les factures correspondantes comportent des mentions en anglais ; que le taux de marge brute de 22,2 % calculé par l'expert sera donc retenu, ce taux étant d'ailleurs plus conforme aux taux en usage dans le secteur ; que, sur cette base, il conviendra de condamner la société Nintendo France à payer à la société Alerte Orange la somme de 308 790 euros (22,2 % de 1 390 950) au titre du préavis d'un an ;
Considérant que selon l'attestation de l'expert-comptable le chiffre d'affaires moyen réalisé par la société Alerte Orange avec la société Nintendo of Europe s'élève à 4 911 293 , la moyenne étant calculée sur les chiffres d'affaires de 2010 à 2012 ; que la société Alerte Orange pouvait raisonnablement s'attendre à percevoir ce chiffre d'affaires au titre de l'année 2013, alors qu'elle a perçu la somme de 331 034 compte arrêté en juin 2013, puis 89 201 en juillet 2013 et 0 au mois d'août 2013 ; qu'elle a donc subi un manque à gagner de 4 491 058 au titre de l'année 2013 ; qu'il y a donc lieu de condamner la société Nintendo of Europe à payer à la société Alerte Orange la somme de 997 015 (22,2 % de 4 491 058 ) ;
V. Sur le préjudice de la société Orange Image
Considérant que la société Orange Image a subi un dommage du fait de la rupture brutale ;
Considérant que selon l'attestation de l'expert-comptable le chiffre d'affaires moyen réalisé par la société Orange Image avec Alerte Orange, pour le compte de Nintendo, s'élève à 1 613 939 , la moyenne étant calculée sur les chiffres d'affaires de 2010 à 2012 ; que la société Orange Image pouvait raisonnablement s'attendre à percevoir ce chiffre d'affaires au titre de l'année 2013, alors qu'elle a perçu la somme de 78 526 compte arrêté en juin 2013 ; qu'elle a donc subi un manque à gagner de 1 535 413 au titre de l'année 2013 ; qu'il y a donc lieu d'évaluer à la somme de 340 861 le préjudice de la société Orange Image découlant de la baisse des commandes d'Alerte Orange, résultant elle-même de la rupture des relations commerciales de celle-ci avec les sociétés Nintendo (22,2 % de 1 535 413 ) ; que selon la part réalisée dans le chiffre d'affaires d'Alerte Orange avec chacune des sociétés Nintendo (39 % pour Nintendo France et 61 % pour Nintendo of Europe), il y a lieu de condamner la société Nintendo France à payer à la société Orange Image la somme de 132 935 (39 % de 340 861 ) et la société Nintendo of Europe à payer à la société Orange Image la somme de 207 926 euros ;
VI. Sur les autres demandes des sociétés appelantes
Considérant que les demandes de remboursement des coûts de licenciement seront rejetées, faute de démonstration du lien de causalité avec la brutalité de la rupture ;
Qu'il y a donc lieu d'approuver les Premiers Juges sur ce point ;
Considérant que les Premiers Juges ont à juste titre débouté les deux appelantes de leurs demandes pour préjudice moral, celui-ci n'étant pas établi ;
Considérant, enfin, que le préjudice est suffisamment réparé par l'allocation de dommages-intérêts, sans qu'il soit besoin d'ordonner la publication du présent arrêt ; que le jugement entrepris sera donc également confirmé sur ce point ;
Considérant, sur la demande de restitution des sociétés Nintendo, que celle-ci n'est absolument pas documentée ; qu'elle sera donc rejetée ; qu'il en sera de même de la demande faite par les sociétés Nintendo d'interdiction de diffuser les films publicitaires fournis par elles à Alerte Orange et mettant en avant les marques ou autres droits ;
Par ces motifs : Rejette la demande des sociétés Alerte Orange et Orange Image tendant à obtenir le retrait des pièces 19, 36 et 59 des intimées, Déclare recevable la demande d'indemnisation de la société Orange Image, Confirme le jugement entrepris, sauf au titre de la réparation du préjudice de perte de marge des sociétés Alerte Orange et Orange Image et au titre des demandes de restitution et d'interdiction de diffuser des sociétés Nintendo, l'infirme sur ces points, et, statuant à nouveau, Rejette les demandes de restitution et d'interdiction de diffuser des sociétés Nintendo, Dit qu'un préavis de douze mois aurait du être consenti aux sociétés Alerte Orange et Orange Image, Condamne la société Nintendo France à payer à la société Alerte Orange la somme de 308 790 euros, et à la société Orange Image la somme de 132 935 , lesdites sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 2013, lesdits intérêts capitalisés selon les dispositions de l'article 1154 du Code civil, Condamne la société Nintendo of Europe à payer à la société Alerte Orange la somme de 997 015 et à la société Orange Image la somme de 207 926 euros, lesdites sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 2013, lesdits intérêts capitalisés selon les dispositions de l'article 1154 du Code civil, Condamne les sociétés Nintendo France et Nintendo of Europe, in solidum, aux dépens de l'instance d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Condamne les sociétés Nintendo France et Nintendo of Europe, in solidum, à payer à chacune des sociétés Alerte Orange et Orange Image la somme de 15 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.