CA Pau, 2e ch. sect. 1, 27 novembre 2014, n° 14-00740
PAU
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Maison Pierre Oteiza (SARL), Pierre Oteiza Production (SAS), Pierre Oteiza (SASU)
Défendeur :
Kikeran (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Diximier
Conseillers :
Mmes Morillon, Janson
Avocats :
Mes Lalande, Mariol, Balou
FAITS, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Vu l'appel interjeté le 26 février 2014 par la SARL Maison Pierre Oteiza, la SAS Pierre Oteiza Production et la SASU Pierre Oteiza à l'encontre d'une ordonnance de référé prononcée par le président du Tribunal de commerce de Bayonne en date du 23 janvier 2014,
Vu les dernières conclusions de la SARL Maison Pierre Oteiza, la SAS Pierre Oteiza Production et la SASU Pierre Oteiza en date du 17 septembre 2014,
Vu les dernières conclusions de la SARL Kikeran en date du 23 juillet 2014,
Vu la fixation de l'affaire à l'audience du 6 octobre 2014, en application de l'article 905 du Code de procédure civile.
Monsieur Pierre Oteiza est un éleveur, producteur et artisan charcutier en jambons, salaisons, fromage, plats cuisinés, vins et boissons qui exerce sous l'enseigne "Pierre Oteiza".
En 2011, il a décidé de structurer sa société de la façon suivante :
la SARL Maison Pierre Oteiza : société de services, apportant des services commerciaux, comptables et d'encadrement à ses deux filiales que sont :
la SAS Pierre Oteiza Production qui fabrique des produits alimentaires et les commercialise auprès de la SAS Pierre Oteiza au travers du site Internet www.pierreoteiza.com, de la vente par correspondance et d'une clientèle de revendeurs professionnels, en France et dans le monde,
la SASU Pierre Oteiza qui commercialise, - par l'intermédiaire de ses dix boutiques sous l'enseigne Pierre Oteiza, par l'intermédiaire des foires, des salons et des buffets, "des produits achetés auprès de la SAS Pierre Oteiza Production.
La société Kikeran, édite, quant à elle, le site Internet au nom générique " la boutique basque" disponible sous l'adresse www.boutique-basque.com et propose des produits de la gastronomie basque (charcuterie, plats cuisinés fromage ...).
Ce site développé par la société Kodmaster permet à la société Kikeran de revendre des produits de partenaires fabriquant des produits d'origine basque.
Soutenant que cette société ne serait pas distributrice des produits Pierre Oteiza et que son site de vente en ligne serait en concurrence directe avec leurs divers points de vente, la SARL Maison Pierre Oteiza, la SAS Pierre Oteiza Production et la SASU Pierre Oteiza ont fait assigner, par acte d'huissier en date du 31 octobre 2013, la société SARL Kikeran devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Bayonne aux fins notamment, sur le fondement de l'article 873 et suivants du Code de procédure civile d'entendre :
enjoindre à la défenderesse de tout mettre en œuvre pour empêcher toute association de son site Internet accessible sous l'adresse www.boutique-basque.com à la dénomination "Pierre Oteiza" sous quelque forme que ce soit, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,
condamner la société défenderesse à lui verser une somme provisionnelle de 114 212 euros outre celle de 3 000 euros pour résistance abusive,
subsidiairement,
renvoyer l'affaire devant le Tribunal de commerce de Bayonne et de fixer une date pour qu'il soit statué sur le fond,
en tout état de cause,
condamner la société défenderesse à lui verser une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ordonnance du 9 janvier 2014, à laquelle il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, le juge des référés du Tribunal de commerce de Bayonne, a, après avoir renvoyé les parties à se pourvoir au principal comme elles l'aviseront, débouté les demandeurs de l'intégralité de leurs demandes et les a condamnés à verser à la défenderesse une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par déclaration du 26 février 2014, la SARL Maison Pierre Oteiza, la SAS Pierre Oteiza Production et la SASU Pierre Oteiza ont interjeté appel de cette décision.
Par conclusions dernières en date du 17 septembre 2014, la SARL Maison Pierre Oteiza, la SAS Pierre Oteiza Production et la SASU Pierre Oteiza demandent à la cour :
Vu les articles 873 et suivants du Code de procédure civile,
Vu l'article 1382 du Code civil,
Vu l'article 5 de la première directive 89-104-CEE du conseil,
de les déclarer recevables et bien fondées,
d'infirmer l'ordonnance en tous points,
en conséquence,
d'enjoindre à la société Kikeran de mettre en œuvre la procédure utile offerte par Google pour empêcher toute association de son site Internet accessible sous l'URL www.boutique-basque.com avec la dénomination "Pierre Oteiza" sous quelque forme que ce soit,
d'assortir la présente injonction d'une astreinte de 1 000 euros par jour de retard et par exploitation illicite à compter de la décision à intervenir,
de condamner la société Kikeran à leur verser une indemnité provisionnelle 214 212 euros, outre une somme de 3 000 euros pour résistance abusive,
subsidiairement,
de renvoyer l'affaire devant le Tribunal de commerce de Bayonne et de fixer une date pour qu'il soit statué au fond,
en tout état de cause,
de condamner la société Kikeran à verser la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens, en ce compris les frais exposés en vue de l'établissement du constat du huissier ayant permis d'établir l'ensemble des faits reprochés à l'intimée et les frais d'audit par la société Ria Studio.
A l'appui de leurs prétentions, elles font valoir qu'incontestablement, tout internaute qui saisit dans le moteur de recherche google des mots clés relatifs à la dénomination "Pierre Oteiza" ou au nom de domaine "pierreoteiza.com" se voit automatiquement offrir en première proposition l'annonce du site internet au nom très générique www.boutique-basque.com , que la société Kikeran a toujours refusé d'exploiter la procédure de mots négatifs offerts par google pour exclure les mots clés à la dénomination Pierre Oteiza, que la preuve du comportement parasitaire est ainsi rapportée et qu'un important manque à gagner en résulte pour elles.
Par conclusions dernières en date du 23 juillet 2014, la SARL Kikeran demande à la cour :
de débouter les sociétés appelantes de l'intégralité de leurs demandes,
de la recevoir dans son appel incident et de l'y déclarer bien fondée,
de condamner conjointement et solidairement les appelantes à lui verser la somme de 5 537,28 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
de les condamner pareillement à lui payer une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais exposés en appel outre tous les dépens avec distraction au profit de la SCP Longin Mariol.
A l'appui de ses prétentions, elle fait valoir que le démarchage de la clientèle d'autrui est licite s'il n'est pas accompagné d'un acte déloyal, qu'en l'espèce, elle n'a commis aucun acte de ce type, que le procès-verbal d'huissier dressé par Maître Junqua Lamarque, produit par les appelantes le démontre, que les sociétés du groupe Oteiza n'ont pas le monopole de la vente de charcuterie basque et de produits de qualité et qu'une concurrence importante existe sur internet.
L'affaire, fixée en application de l'article 905 du Code de procédure civile, a été plaidée le 6 octobre 2014.
Au-delà de ce qui sera repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour entend se référer pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties aux dernières de leurs écritures visées ci-dessus.
MOTIFS DE LA DECISION :
I - SUR L'APPEL PRINCIPAL :
Il est constant que le parasitisme se définit comme "l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit de ses efforts et de son savoir-faire, sans rien dépenser ou en exposant des frais bien moindres que ceux auxquels il aurait dû normalement faire face pour arriver au même résultat s'il n'avait pas bénéficié des efforts de l'autre".
Il en résulte que cet agissement - sanctionnable sur le fondement de l'article 1382 du Code civil - suppose la réunion d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux.
La faute peut être intentionnelle ou non intentionnelle, même si le parasitisme impliquant la volonté de se placer dans le sillage d'autrui, il est difficile que celle-ci soit involontaire.
En l'espèce, la SARL Maison Pierre Oteiza, la SAS Pierre Oteiza Production et la SASU Pierre Oteiza reprochent à la société Kikeran d'avoir bénéficié de la notoriété de l'enseigne Pierre Oteiza pour stimuler la visibilité de son site de vente en ligne proposant des produits de la gastronomie basque.
Elles soutiennent qu'il est indiscutable que tout internaute qui saisit dans le moteur de recherche google des mots clés relatifs à la dénomination "Pierre Oteiza" ou au nom de domaine "pierreoteiza.com" se voit automatiquement offert en première proposition l'annonce du site internet au nom très générique http : -www.boutique-basque.com-.
Cependant, il résulte des procès-verbaux de constat d'huissier produits par chacune des sociétés en cause et dont la fiabilité n'est pas remise en question :
que si effectivement en inscrivant le 20 septembre 2013, à la demande des sociétés appelantes, dans la barre de recherche google les mots-clés suivants : "pierreoteiza" et en cliquant sur le bouton de recherche, Maître Séverine Zavoli, - huissier de justice salarié de la SCP Brun- Pont-Teixera , huissiers de justice associés, intervenant à la demande des sociétés appelantes, - a constaté que le premier résultat de cette recherche a affiché une bande en rose intitulée "Annonce relative à pierreoteiza dans laquelle elle a lu :
La Boutique Basque 2013 - boutique-basque.com
www.boutique-basque.com-gastronomie
Plus de 300 Produits Gastronomiques du Pays Basque à votre porte !
Charcuterie Basque Plats cuisinés basques
Fromages Basques Gamme Piments espelette".
(cf. page 18 du constat d'huissier).
il n'en demeure pas moins :
d'une part qu'en allant sur la page d'accueil du site www.boutique-basque.com et en effectuant une recherche sur ledit site à l'aide du mot clé pierreoteiza, elle a également pu lire que la recherche était infructueuse, la mention "aucun résultat trouvé pierreoteiza" apparaissant (page 20),
d'autre part que le procès-verbal de constat dressé le 8 novembre 2013 par Maître Albane Junqua Lamarque, - huissier de justice de la SCP Bes, Ramonfaur, Elissalde et Junqua Lamarque, huissiers de justice associés, intervenant à la demande de la société Kikeran - a clairement établi que "la marque Oteiza n'apparaît jamais en positif dans l'historique de la campagne Adwords" de la société Kikeran (page 4).
Ces deux derniers éléments se trouvent confirmés par le document établi le 26 décembre 2013 par Monsieur Mersault, gérant de la SARL E-Media 64, référenceur google, certifié Adwords, gestionnaire du compte Adwords de la SARL Kikeran qui a indiqué que la dénomination "Oteiza" n'avait jamais été utilisée dans le cadre de la campagne publicitaire Google Adwords du site internet : www.boutique-basque.com.
Or cet écrit ne peut être contesté utilement :
ni par la production du rapport d'analyse versé par les sociétés appelantes et rédigé le 6 décembre 2013 par Monsieur Mahé, gérant de la société Ria Studio, agréée Google Adwords qui affirme de façon péremptoire "que le constat (de Maître Junqua Lamarque) établit bien la preuve que la dénomination Oteiza a été utilisée dans le cadre de la campagne Google Adwords du site internet www.boutique-basque.com" alors qu'il ne démontre pas qu'il a eu personnellement accès au compte Adwords de la société Kikeran qui n'est accessible qu'au possesseur des identifiants du compte de la société Kikeran - ce qu'il ne démontre pas être - , ni par le courrier de la CCI Bayonne Pays Basque en date du 15 mai 2014 qui ne fait que présenter, de façon très générale, les avantages, les inconvénients et le fonctionnement de la zone Adwords.
En outre, il convient de relever que contrairement aux affirmations des sociétés appelantes, il résulte des extraits du site internet de la "boutique basque" versés aux débats - qui ne font l'objet d'aucune contestation - que la société SARL Kikeran prend soin d'indiquer pour chacun de ses produits, sa provenance.
Il suffit pour s'en assurer d'aller un peu plus loin dans l'étude du site litigieux que ne l'a fait Maître Zavoli et de cliquer par exemple : sur "charcuterie basquaise", puis sur "saucissons et chorizo" et sur "chorizo long" pour voir afficher sur cette dernière page le descriptif détaillé du chorizo, sa provenance (la maison Gastellou) et sa composition ( cf. pages du site "la boutique basque" versée par la SARL Kikeran).
Ainsi, les sociétés appelantes ne démontrent pas le risque de confusion qui peut exister entre leurs produits vendus sous la dénomination "pierreoteiza" et ceux commercialisés sur le site "boutiquebasque" qui sont bien individualisés et repérés comme n'étant pas produits par la société Pierre Oteiza.
Il ne saurait être reproché à la société Kikeran de commercialiser des produits de la gastronomie basque de même nature que ceux des sociétés appelantes alors que tous ces produits constituent le fleuron de ladite gastronomie et ne peuvent en aucune façon représenter la chasse gardée d'un seul fabricant, aussi compétent et notoirement connu soit-il.
La concurrence doit pouvoir jouer librement et le consommateur doit pouvoir choisir.
Par ailleurs, les sociétés appelantes veulent voir dans le refus que leur a opposé la société Kikeran de mettre en œuvre la procédure de mots-clés négatifs (mots exclus ) auprès de google qui aurait permis d'exclure les mots clés relatifs à la dénomination "pierreoteiza" la preuve du comportement parasitaire de la société Kikeran.
Cependant, la mise en œuvre de cette procédure aurait été dépourvue de tout fondement puisqu'il vient d'être établi ci-dessus que la société Kikeran n'a jamais utilisé dans ses mots clés la dénomination "pierreoteiza" et que le risque de confusion que lui reprochent les sociétés appelantes n'existe pas en raison de l'indication claire de la provenance de tous produits vendus sur le site "la boutique basque".
Le refus de l'intimée de mettre en œuvre la procédure de mots négatifs ne caractérise donc pas son comportement parasitaire.
En conséquence, il résulte de l'analyse du site "boutique basque", des mots-clés Adwords de la société Kikeran, de l'absence de tout risque - mineur ou majeur - de confusion entre les deux détaillants de produits basques que la preuve de l'existence d'un agissement fautif émanant de la société Kikeran n'est pas rapportée par les sociétés appelantes.
A défaut de toute faute imputable à la société Kikeran, il n'a pas lieu d'étudier plus avant l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité.
L'ordonnance de référé attaquée sera donc confirmée dans toutes ses dispositions en ce qu'elle a débouté les sociétés Oteiza de toutes leurs demandes outre celle de renvoi au fond à date fixe.
II - SUR L'APPEL INCIDENT :
Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge des sociétés Oteiza une somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance par la société Kikeran.
Il convient en conséquence de confirmer l'ordonnance de référé attaquée sur ce point.
III - SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES :
La partie qui succombe, supporte les dépens, avec distraction au profit de la SCP Longin Mariol.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des sociétés Oteiza une somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par la société Kikeran en cause d'appel tout en déboutant les sociétés Oteiza de leur propre demande présentée en application de ces dispositions.
Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme l'ordonnance de référé en date du 9 janvier 2014 prononcée par le juge des référés du Tribunal de grande instance de Bayonne dans toutes ses dispositions,Y ajoutant, Condamne solidairement la SARL Maison Pierre Oteiza, la SAS Pierre Oteiza Production et la SASU Pierre Oteiza à verser à la SARL Kikeran la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute la SARL Maison Pierre Oteiza, la SAS Pierre Oteiza Production et la SASU Pierre Oteiza de sa demande présentée en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne solidairement la SARL Maison Pierre Oteiza, la SAS Pierre Oteiza Production et la SASU Pierre Oteiza aux dépens, Autorise la SCP Longin Mariol, avocats constitués, qui en a fait la demande à recouvrer directement ceux des dépens d'appel dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.