Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 4 décembre 2014, n° 13-24923

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Yto France (SAS)

Défendeur :

Argo Tractors SPA (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Charlon

Conseillers :

Mmes Louys, Graff-Daudret

Avocats :

Mes Berger-Perrin, Bernabe, Dauchel, Gaslini

T. com. Nancy, du 18 déc. 2013

18 décembre 2013

Par jugement en date du 7 décembre 2010, le Tribunal de commerce de Chaumont a prononcé la liquidation judiciaire de la société Mc Cormick France et ordonné sa cession à la Sas Yto France par jugement du 7 mars 2011.

Par contrat en date du 13 septembre 2011d'une durée de 24 mois, la société Argo Tractors s'est engagée à acheter à la société Yto France un volume minimum de 1300 unités de systèmes de transmission.

Par avenant du 13 novembre 2012 à effet du 1er octobre 2012, les parties ont réduit la durée du contrat de fourniture à douze mois, renouvelable par tacite reconduction pour une période de même durée à défaut de résiliation par l'une des parties moyennant le respect d'un préavis de 9 mois, la société Argo Tractors s'engageant à acheter au cours de la seconde année 1085 unités de systèmes de transmission et la société Yto France prolongeant le délai de paiement de 45 à 60 jours.

Par courrier en date du 12 décembre 2012, la société Argo Tractors a dénoncé le contrat à effet du 30 septembre 2013.

Par assignation en date du 14 octobre 2013, la société Yto France a saisi le juge des référés aux fins d'ordonner la poursuite des relations commerciales établies avec la société Argo Tractors, aux droits de la société Mc Cormick France, pour une durée complémentaire de deux ans à compter du 1er octobre 2013 jusqu'au 30 septembre 2015, ordonner la commande par la société Argo Tractors d'un minimum de 800 unités de systèmes de transmission dans le courant de l'année 2014 et d'un minimum de 600 unités dans le courant de l'année 2015 et assortir la condamnation d'une astreinte définitive de 5 276 euro par unité manquante outre le paiement d'une indemnité de procédure de 10 000 euro .

Par ordonnance de référé rendue contradictoirement en date du 18 décembre 2013, le juge des référés du Tribunal de commerce de Nancy a :

- Déclaré la société Argo Tractors recevable mais mal fondée en son exception d'incompétence et l'en a déboutée,

- Déclaré n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes de la société Yto France,

- Condamné cette dernière à payer 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'ordonnance.

La société Yto France a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions signifiées en date du 8 septembre 2014, auxquelles il convient de se reporter, elle demande à la cour de :

- La recevoir en son appel partiel de l'ordonnance de référé,

- Confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a retenu la compétence du juge des référés commerciaux,

- Infirmer pour le surplus, en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé,

- Ordonner la poursuite des relations commerciales établies entre la société Argo Tractors et elle, aux droits de la société Mc Cormick France, pour une durée complémentaire de deux ans à compter du 1er octobre 2013 jusqu'au 30 septembre 2015,

- Ordonner la commande par la société Argo Tractors, dans le cadre de ces relations commerciales telles que régies par le contrat de fourniture du 13 septembre 2011 et son avenant du 13 novembre 2012, d'un minimum de 800 unités de systèmes de transmission dans le courant de l'année 2014 et d'un minimum de 600 unités de systèmes de transmission dans le courant de l'année 2015,

- Assortir cette condamnation d'une astreinte définitive de 5'276 euro par unité manquante,

- Condamner la société Argo Tractors à payer à la société Yto France la somme de 30 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions signifiées en date du 19 septembre 2014, auxquelles il convient de se reporter, la société Argo Tractors demande à la cour de :

- In limine litis : se déclarer incompétente pour connaître des demandes relatives au prévis contractuel exprimées pour la première fois en appel,

- A titre principal : confirmer l'Ordonnance dont appel en ce qu'elle a déclaré n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes de la société Yto France,

- Subsidiairement, dire que le préavis écrit d'une durée de 9 mois concédé à Yto France est suffisant au regard de la loi,

- dire que la résiliation dont s'agit ne présente pas le caractère d'imprévisibilité et de soudaineté requis,

- En conséquence, débouter la société Yto France de l'intégralité de ses demandes et prétentions,

- En tout état de cause : condamner cette dernière au paiement d'une somme de 45 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er octobre 2014.

SUR CE, LA COUR,

Considérant que la société Yto France fait valoir que c'est à juste titre que le premier juge a écarté l'exception d'incompétence soulevée par la société Argo Tractors au profit de la juridiction arbitrale au visa des articles 1449 et 1506 du Code de procédure civile ; que la durée des relations commerciales établies entre les parties remontent à douze années dès lors qu'elle a repris dans le cadre de la cession l'entreprise Mc Cormick France ordonnée par le Tribunal de commerce de Chaumont le 7 mars 2011, l'ensemble des contrats en cours ; que la société Argo Tractors a rompu brutalement les relations commerciales établies entre les deux sociétés, après 5 mois de discussion et la signature d'un avenant au contrat ; que le préavis de 9 mois est insuffisant au regard de la pratique et des usages ; que la brutalité de la rupture, le comportement vexatoire de la société Argo Tractors ainsi que son manque de loyauté lui ont causé des préjudices importants ; qu'il est indispensable pour sa survie que la société Argo Tractors acquiert en 2014 au moins 712 unités et 600 unités en 2015 ;

Considérant que la société Argo tractors réplique qu'il n'existe pas de dommage imminent ou de trouble manifestement illicite justifiant la compétence du juge des référés ; que la cour est incompétente pour connaître des demandes relatives au préavis contractuel exprimées pour la première fois en appel ; que les conditions de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce ne sont pas réunies en l'espèce ; qu'en effet, les relations commerciales entre les deux parties ne sont pas suivies, stables et habituelles ; que le transfert de la relation commerciale entre Mc Cormick France et Argo Tractors à Yto France ne concernait que la finalisation de la commande en cours, s'agissant de 500 transmissions restant à livrer à l'époque ; que par la suite, la société appelante et la société intimée ont conclu un contrat à durée déterminée, rendant leurs relations commerciales précaires ; que la rupture n'a pas été brutale ; que le préavis de 9 mois, pour des relations commerciales ayant duré 30 mois du 8 mars 2011 au 30 septembre 2013, est tout à fait suffisant et a été exécuté ;

Considérant qu'en cause d'appel, la société Argo Tractors ne soulève pas l'incompétence du juge des référés au profit de la juridiction arbitrale, écartée par le juge en première instance ; qu'elle demande à la cour de se déclarer incompétente pour connaître des demandes relatives au préavis contractuel exprimées pour la première fois en appel ; que ce faisant, elle se réfère à la page 12 des écritures de la société Yto France qui fait état de ce que "le contrat prévoyait un préavis contractuel de neuf mois qui court à compter du 1er octobre 2013, le lendemain de la nouvelle échéance fixée par l'avenant et qui se termine le 31 juin 2014" ;

Mais considérant outre le fait qu'il ne s'agit pas d'une incompétence mais d'une irrecevabilité, ladite demande ne figure pas dans le dispositif des conclusions signifiées par la société Yto France qui seul saisit la cour ;

Considérant qu'il n'y a donc pas lieu à statuer de ce chef ;

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que par jugement du 7 mars 2011, le Tribunal de commerce de Chaumont a arrêté le plan de cession de l'entreprise Mc Cormick France au profit de la société Yto pour le compte de la société Yto France'et ordonné la cession de la commande de 830 transmissions d'Argo Tractors SPA ; qu'il a également "pris acte des engagements de la société Argo Tractors SPA écrits dans un courrier adressé aux administrateurs judiciaires en date du 17 février 2011" ;

Considérant que, dans ce courrier, le conseil de la société Argo Tractors indique que cette dernière est en mesure de proposer': "-la poursuite sans modification de la commande en cours au prix convenu et dont il restait un peu plus de 500 transmissions à livrer ; ces livraisons pourraient avoir lieu de manière étalée et à échéance, de préférence, au 31 juillet 2011, - une commande supplémentaire d'au moins 1 000 transmissions qui sera passée au mois d'octobre 2011 et sera à livrer de manière étalée jusqu'au 31 août 2012 ; le prix de ces transmissions devant être réduit à hauteur de 30 % par rapport au prix actuel, - étant précisé qu'en cas d'amélioration du marché, cette commande pourrait augmenter l'engagement d'Argo Tractors étant de ne se fournir bien évidemment, qu'auprès du repreneur, - étant précisé également que toute commande de tracteur de la part du repreneur donnera lieu à une commande corrélative de transmission de la part d'Argo Tractors au site de Saint Dizier. La remise de prix de 30 % serait en outre répercutée sur le prix du tracteur" ;

Considérant que la société Argo Tractors s'est engagée à acheter à la société Yto France un volume minimum de 1 300 unités de systèmes de transmission pendant la première année contractuelle ; qu'après cinq mois de discussion, les parties se sont mises d'accord sur un avenant signé le 13 novembre 2012 à effet du 1er octobre 2012, aux termes duquel la durée du contrat de fourniture était réduite à douze mois, renouvelable par tacite reconduction pour une période de même durée à défaut de résiliation par l'une des parties moyennant le respect d'un préavis de 9 mois, la société Argo Tractors s'engageant à acheter au cours de la seconde année 1085 unités de systèmes de transmission et la société Yto France prolongeant le délai de paiement de 45 à 60 jours ;

Considérant que le 12 décembre 2012, la société Argo Tractors a signifié à la société Yto France, par lettre recommandée avec accusé de réception, la résiliation du contrat de fourniture à effet du 30 septembre 2013, soit en respectant le délai de préavis contractuel de 9 mois ;

Considérant que l'article L. 442-6 5° du Code de commerce dispose : "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel et personne immatriculée au registre du commerce de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels" ;

Que l'article L. 442-6 IV énonce : "Le juge des référés peut ordonner au besoin sous astreinte la cessation des pratiques abusives ou toute autre mesure provisoire" ;

Considérant qu'il est constant que la jurisprudence privilégie le fondement économique plutôt que contractuel pour définir la relation commerciale établie ; qu'elle prend en considération l'identité du produit et les circonstances dans lesquelles il est distribué ; que dès lors que la relation commerciale est régulière, stable et significative, peu importe que plusieurs contrats entre des partenaires différents soient signés ;

Considérant qu'il s'infère de ces éléments, la société Argo Tractors n'est pas fondée à soutenir que la relation commerciale établie entre les partenaires aurait duré 30 mois de mars 2011 à septembre 2013 ; qu'il est avéré que les sociétés Argo Tractors et Mc Cormick étaient liées depuis 2000 par une relation commerciale portant sur la production par Mc Cormick de transmissions destinées à être livrées à Argo Tractors pour être montées sur les tracteurs produits par cette dernière'et que dans le cadre de la cession de l'entreprise McCormick à la société Yto France les relations se sont poursuivies portant sur les mêmes produits ; que la réaction tardive de la société Yto France et le chantage commercial dont fait état la société Argo Tractors ne sont de nature à influer sur la détermination de la durée de la relation commerciale établie, faute d'être retenu tant dans le texte de l'article L. 442-6 du Code de commerce que par la jurisprudence comme élément d'appréciation de la durée de la relation commerciale ;

Considérant qu'il convient dès lors pour apprécier la durée du préavis, de tenir compte de ce que les relations commerciales établies entre les parties ont duré pendant douze ans ;

Considérant qu'en l'espèce, la société Yto France fait état d'un dommage imminent et du trouble manifestement illicite causé par la rupture justifiant que le juge des référés sur le fondement des articles L. 442-6 5° du Code de commerce et 873 alinéa 1er du Code de procédure civile ordonne la poursuite des relations commerciales pendant une durée de 2 ans à compter du 1er octobre 2013 jusqu'au 30 septembre 2015 ;

Considérant que la société Argo Tractors conteste toute rupture brutale des relations commerciales ainsi que toute existence d'un dommage imminent ou trouble manifestement illicite ; qu'elle soutient que la société Yto France avait conscience dès le rachat du fonds de commerce de la société Mc Cormick France dans le cadre du plan de cession, de la cessation des relations avec Argo France dès l'année 2012 ;

Considérant qu'il est constant que l'existence d'un délai de préavis contractuel ne dispense pas la juridiction d'examiner si ce délai tient compte de la durée de la relation commerciale établie et des circonstances ayant entouré la rupture, indépendamment de ce que prévoient les usages et accords professionnels ;

Que parmi ces circonstances dont le juge doit tenir compte figure la croyance légitime de la victime en la poursuite desdites relations, les investissements réalisés par rapport à l'auteur de la rupture et le temps nécessaire à la reconversion pour remédier à la désorganisation résultant de la rupture ;

Considérant qu'aux termes du courrier du 17 février 2011, la société Argo Tractors ne s'engageait pas au-delà du mois d'août 2012 ; que le contrat de fourniture du 13 septembre 2011 et l'avenant du 13 novembre 2012, étaient tous deux à durée déterminée renouvelable les parties s'étant accordées dans l'avenant sur un préavis de neuf mois de sorte que la société Yto France ne pouvait légitimement croire à la pérennité de la relation commerciale ;

Considérant qu'il est encore avéré que la stratégie de développement de la société Yto France ne se limitait pas à poursuivre le contrat d'approvisionnement de transmissions à l'égard de la société Argo Tractors ; que cela résulte de la lecture de l'offre de reprise de la société Yto France et même du jugement du 7 mars 2011 qui font état des investissements réalisés pour s'implanter à l'international et notamment sur le marché européen ; que cette politique de développement global est manifestement de nature à faciliter sa reconversion ;

Considérant que, dans ces conditions, il n'existe ni dommage imminent ni trouble manifestement illicite ; qu'il ne peut être reproché à la société Argo Tractors une rupture brutale des relations commerciales ; que le préavis de neuf mois consenti à la société Yto France eu égard à la durée des relations commerciales établies et aux autres circonstances de l'espèce apparait suffisant ;

Par ces motifs, Dit que la cour n'est saisie d'aucune demande relative au préavis contractuel et qu'il n'y a pas lieu de statuer de ce chef, Confirme l'ordonnance entreprise par substitution de motifs, Condamne la société Yto France à payer à la société Argo Tractors la somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Yto France aux dépens d'appel.