CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 10 décembre 2014, n° 11-13313
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
PSE Voltaire (SARL)
Défendeur :
Paris Scooter Accessoires (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Nicoletis
Avocats :
Mes Couturier, Benoit, Bonaldi, Deschamps-Valentin
Vu le jugement du 1er juillet 2011, par lequel le Tribunal de commerce de Paris a débouté la société PSE Voltaire de l'ensemble de ses demandes, enjoint à la société Paris Scooter Accessoires (PSA) de retourner à la société PSE Voltaire, sur support papier et CD-Rom ou clés USB (sous format excel) le fichier-client de la société PSE Voltaire incluant l'historique des commandes, l'intégralité de ses pièces comptables, fiscales, administratives, sociales outre l'intégralité de ses données, fichiers de toute nature, historiques et de manière générale tout document de quelque nature qu'ils soient se rapportant à la société PSE Voltaire, et ce, sous astreinte de 200 euros par jour de retard applicable dans les huit jours à compter de la signification du présent jugement pendant 30 jours, passé lequel délai, il sera de nouveau fait droit, ordonné à la société PSE Voltaire de remettre à la société PSA le matériel suivant : son matériel informatique, une machine à plaque d'immatriculation, les plaquettes publicitaires et le catalogue Mondial City, les facturettes Mondial city et, sous astreinte de 100 par jour de retard dans les huit jours à compter de la signification du présent jugement pendant 30 jours, passé lequel délai, il sera de nouveau fait droit et, enfin, dit n'y avoir pas lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'appel interjeté le 13 juillet 2011 par la société PSE Voltaire et ses dernières conclusions signifiées le 6 octobre 2014, par lesquelles il est demandé à la cour de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a enjoint la société PSA de retourner à la société PSE Voltaire le fichier clients de la société, l'intégralité des pièces comptables, fiscales, administratives, sociales, et de manière générale, tout document de quelque nature se rapportant à PSE Voltaire, l'infirmer pour le surplus, et, statuant à nouveau, juger que la société PSA a exploité abusivement la situation de dépendance économique de la société PSE Voltaire à son égard, que la société PSA a engagé sa responsabilité au regard de l'article L. 442-6 I 1°, 2°, 5° et 9° du Code de commerce, que la société PSA a commis une faute en s'immisçant dans la gestion de la société PSE Voltaire, en conséquence, juger nuls et de nul effet tous les engagements qui ont été imposés par la société PSA à la société PSE Voltaire, condamner la société PSA à payer à la société PSE Voltaire la somme de 109 662,66 au titre du remboursement des factures réglées en exécution de ces engagements, celle de 225 431,36 à titre de dommages et intérêts, et, enfin celle de 7 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 14 octobre 2014 par la société PSA, par lesquelles il est demandé à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société PSE Voltaire de sa demande du chef d'abus de dépendance économique et lui a enjoint de restituer le matériel appartenant à la société PSA, la débouter de l'ensemble de ses demandes et, enfin, la condamner à verser à la société PSA une somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
SUR CE,
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :
La société Paris Scooter Accessoires (ci-après dénommée "PSA") exerce depuis 1982, sous le nom commercial "Mondial Scooter et Mondial City", l'activité d'achat, vente, réparation, location de véhicules deux, trois ou quatre roues, motorisés ou non, neufs ou d'occasions, ainsi que les équipements, accessoires, et pièces détachées s'y rapportant. Elle a mis en place un réseau de distributeurs indépendants multimarques, sous enseigne Mondial City.
La société PSA se présente comme le leader de la distribution de deux roues urbains. Une vingtaine de magasins exercent sous cette enseigne en France.
La société PSE Voltaire (ci-après PSE Voltaire) a été créée en juin 2002. Monsieur Jean-Claude Greman était associé gérant à hauteur de 350 parts sociales, la société PSA à hauteur de 150 parts sociales. Elle exerce l'activité d'achat, vente, réparation de véhicules, pièces détachées, ainsi que d'équipements et accessoires sous l'enseigne "Mondial City", d'abord en prenant en location-gérance le fonds de commerce de la société PSA situé 78 bd Voltaire, 75011 Paris, puis en acquérant ce fonds de commerce par acte du 3 novembre 2005. Le 12 décembre 2005, Madame Pierrette Roubacka, épouse de Monsieur Jean-Claude Greman, a été agréée en qualité d'associé de la société PSE Voltaire à hauteur de 175 parts sociales.
Un certain nombre de dysfonctionnements ayant été relevés entre les parties, la société PSE Voltaire a saisi le Tribunal de commerce de Paris pour faire constater l'abus de dépendance économique dont elle se prétendait victime, la nullité de toutes les dépenses dans les frais de structure depuis l'origine, outre la réparation de ses entiers préjudices.
C'est dans ces conditions que la société PSE Voltaire a assigné à bref délai, le 10 mars 2011, la société PSA devant le Tribunal de commerce de Paris. Le tribunal l'a déboutée de ses demandes.
I. Sur la dépendance économique de la société PSE Voltaire
Considérant que si la société PSE Voltaire se prétend victime d'un abus de dépendance économique de la part de la société PSA, celle-ci soutient que les conditions qui doivent être réunies pour établir une situation de dépendance économique ne sont pas établies ;
Considérant que selon l'article L. 420-2 du Code de commerce : "est prohibée dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées au I de l'article L. 442-6 ou en accords de gamme" ;
Considérant qu'il convient, pour caractériser une situation de dépendance économique, de tenir compte de la notoriété de la marque du partenaire, de l'importance de sa part de marché en valeur absolue et dans le chiffre d'affaires du prestataire de services, et enfin, de la difficulté pour ce prestataire d'obtenir d'autres partenaires des commandes équivalentes, c'est-à-dire, en l'espèce, techniquement et économiquement équivalentes à celles résultant de ses relations d'affaires avec la société PSA, étant précisé que la seule circonstance de réaliser une part importante, voire exclusive, de son activité auprès d'un seul partenaire ne suffit pas à caractériser l'état de dépendance économique ; que ces conditions sont cumulatives ;
Considérant que l'enseigne Mondial City jouit d'une certaine renommée, surtout sur la région parisienne, renommée revendiquée par la société PSA elle-même, qui se présente comme le "leader de la distribution du deux-roues urbain" ; que cependant, cette marque n'est pas une marque de produits mais le sigle d'un réseau de distributeurs indépendants multimarques ; que son attractivité pour les consommateurs finals est donc moins forte qu'une marque de produits ; que par ailleurs, la société PSA prétend, sans être démentie par la société PSE Voltaire, ne représenter, sur le marché national de la distribution du deux-roues, qu'entre 2 et 3 % du marché, environ ; que le contrôle, par le dirigeant de la société PSA, Monsieur Joël Tudal, de plusieurs sociétés et notamment de revues spécialisées, n'apporte pas de correctifs à ce faible pouvoir de marché, ces sociétés étant indépendantes et n'opérant pas sur le même marché ;
Considérant, par ailleurs, que la société PSA constitue le fournisseur exclusif de fait de la société PSE Voltaire, bien qu'elle ne lui soit formellement liée par aucun accord d'approvisionnement exclusif ; que cependant, la société PSE Voltaire ne démontre pas qu'il lui aurait été impossible de trouver une solution équivalente à l'approvisionnement de la société PSA ; qu'il lui était loisible de trouver d'autres sources d'approvisionnement, même pendant la durée de ses relations avec PSA ; qu'en effet, la vente de véhicules d'occasion de toutes marques était librement exercée par les distributeurs, qui pouvaient s'approvisionner auprès des fournisseurs de leur choix ; que s'agissant des véhicules neufs et des pièces de rechange, la société PSE Voltaire pouvait s'approvisionner auprès de fournisseurs alternatifs, à l'extérieur du réseau, ainsi qu'en attestent les gérants d'autres magasins Mondial City, dont les déclarations sont versées aux débats, et qui exposent que, bien que disposant de cette faculté, ils ne l'exerçaient pas, car les tarifs étaient plus intéressants chez PSA, qui en tant que centrale d'achat avait nécessairement des prix plus bas de la part des fournisseurs des principales marques ; que la société PSE Voltaire n'a eu, au demeurant, aucune difficulté à se reconvertir après l'arrêt des relations commerciales avec la société PSA en février 2011, puisque son chiffre d'affaires a augmenté ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'approuver les Premiers Juges d'avoir estimé que les conditions exigées par l'article L. 420-2 du Code de commerce n'étaient pas réunies ;
II. Sur l'article L. 446-2 I-1° du Code de commerce
Considérant que si la société PSE Voltaire soutient que plusieurs services inexistants lui ont été facturés par PSA, notamment des programmes de formation, ou encore que certains services lui ont été facturés à un prix manifestement disproportionné par rapport à la réalité du service rendu, tel la sous-traitance de la comptabilité, ce qui constituerait une infraction à l'article L. 446-2 I-1°, elle ne démontre pas ses assertions ; que les programmes de formation ont effectivement eu lieu et la comptabilité a été sous-traitée à un prix qui ne semble pas manifestement excessif, en l'absence de toute comparaison avec d'autres opérateurs économiques de taille équivalente ;
III. Sur l'article L. 446-2 I 2° du Code de commerce et sur l'immixtion fautive de PSA dans la gestion de PSE Voltaire
Considérant que la société PSE Voltaire prétend que la société PSA lui a imposé à plusieurs reprises des obligations injustifiées, en s'appuyant sur son obligation d'approvisionnement exclusif, ce qui constituerait à la fois la violation de l'article L. 446-2 I 2° du Code de commerce et une immixtion fautive de PSA dans sa gestion ; qu'elle soutient que PSA avait à la fois l'entière maîtrise des approvisionnements, lui imposait des prix de revente des produits et services, grâce au logiciel installé sur l'ordinateur du magasin, se chargeait de la comptabilité, et s'immisçait dans les moindres détails de la gestion du magasin ; que la société PSA réfute point par point ces allégations ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des pièces du dossier que l'appartenance au réseau Mondial City a plutôt constitué, de 2008 à 2010, un amortisseur à la baisse du marché ; qu'en effet le marché des deux-roues urbains a connu, de 2008 à 2010, une baisse de près de 26 %, toutes marques confondues, alors que le chiffre d'affaires hors taxes des magasins du réseau Mondial City n'a accusé une baisse, sur la même période, que de seulement 1,2 % ; que si la société PSE Voltaire soutient que le réseau n'était pas viable et cite à l'appui de cette assertion la fermeture de 11 établissements de l'enseigne, il convient de noter que ces fermetures ne sont pas dues à un défaut de rentabilité mais sont consécutives à la vente du fonds de commerce ou à la disparition du gérant ; que l'appartenance au réseau Mondial City est a priori favorable à ses adhérents puisqu'il leur permet de ne payer les véhicules vendus à PSA qu'au moment de la vente aux clients finals, ceux-ci étant exposés dans leurs magasins à titre de dépôt-vente ;
Considérant, en deuxième lieu, que l'obligation d'approvisionnement exclusif auprès de la société PSA n'est pas établie ; qu'au surplus il n'est pas démontré que les prix consentis aux membres du réseau par la société PSA aient été défavorables ; qu'il résulte au contraire des déclarations versées aux débats que ces tarifs étaient plus bas que ceux du marché, compte tenu du poids représenté par la centrale d'achat sur le marché des deux roues ; qu'au surplus, l'approvisionnement par la société PSA garantissait un approvisionnement multimarques ;
Considérant, en troisième lieu, que l'outil informatique mis en place en 2006 chez PSE Voltaire, comme chez tous les distributeurs du réseau, était un outil de communication interne, mis en place pour accroître la cohérence de l'enseigne, améliorer les synergies et faciliter la communication ; que le concepteur du logiciel lui-même, Monsieur Mauvais, de la société Adviveo, a précisé que contrairement à ce que soutient la société PSE Voltaire, un prix de vente différent des tarifs conseillés par PSA pouvait être saisi dans le logiciel, celui-ci empêchant seulement que le prix facturé ne soit supérieur à ces tarifs conseillés ; qu'il en résulte qu'aucune pratique de prix imposés ne peut être imputée à la société PSA, sur la base de ce logiciel, seule l'imposition de prix minimum étant prohibée ; que, par ailleurs, aucun élément n'atteste que ce logiciel permettrait à la société PSA de contrôler la gestion et la politique commerciale de chaque magasin du réseau ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter les demandes de la société PSE Voltaire, tant sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce, que sur le fondement de l'immixtion fautive ;
IV. Sur l'article L. 441-6 du Code de commerce
Considérant que si la société PSE Voltaire soutient que les conditions générales de vente de PSA ne lui auraient pas été communiquées, contrairement aux prévisions de l'article L. 441-6 du Code de commerce, elle n'en tire aucune conséquence de droit puisque ses demandes tendent à obtenir l'annulation d'un certain nombre de factures sollicitées par PSA et la compensation de sa perte d'exploitation et qu'aucun lien de causalité n'est allégué entre ce défaut de communication des conditions générales de vente et ses demandes ; que cette demande sera donc rejetée ;
Par ces motifs : - Confirme le jugement entrepris, - Y ajoutant, - Déboute la société PSE Voltaire de sa demande tendant à voir prononcer la condamnation de la société Paris Scooter Accessoires sur le fondement des articles L. 441-6 et L. 442-6 du Code de commerce et pour faute constituée par l'immixtion dans sa gestion, - Condamne la société PSE Voltaire aux dépens de l'instance d'appel, qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, -Condamne la société PSE Voltaire à payer à la société Paris Scooter Accessoires la somme de 5 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.