CA Caen, 2e ch. civ. et com., 4 décembre 2014, n° 13-02063
CAEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Veltcheff
Défendeur :
Bizdikian, PBI (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Briand
Conseillers :
Mmes Beuve, Boissel Dombreval
Avocats :
Mes Balavoine, D'Oliveira, Mialon, Tallent
EXPOSE DU LITIGE
Dans le cadre de son activité d'agent commercial dans le domaine du prêt à porter la SARL PBI gérée par M. Patrick Bizdikian a travaillé à compter de l'année 2002 pour le compte de M. Veltcheff, agent général France de la marque de vêtements Airfield appartenant à la société Walter Moser, sans qu'aucun contrat ne soit formalisé.
Par lettre du 23 octobre 2008 faisant suite à deux lettres des 18 février et 14 mars 2008 lui reprochant divers manquements M. Veltcheff a mis fin à leurs relations contractuelles.
Le 5 février 2009 la SARL PBI a assigné M. Veltcheff devant le Tribunal de commerce de Lyon en paiement d'une indemnité de 450 000 euros en application des dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce, d'une indemnité de préavis de 29 000 euros en application des dispositions de l'article L. 134-11 du même Code, des sommes de 50 000 euros à tire de dommages et intérêts complémentaires et 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Par jugement en date du 10 décembre 2009 le Tribunal de commerce de Lyon s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Lisieux.
Le 10 mai 2011 M. Veltcheff a assigné M. Bizdikian en intervention forcée devant cette juridiction.
Par jugement en date du 26 avril 2013 assorti de l'exécution provisoire le Tribunal de commerce de Lisieux a 'débouté M. Bizdikian en son exception d'incompétence et déclaré M. Veltcheff recevable en sa demande d'intervention forcée', condamné M. Veltcheff à payer à la SARL PBI la somme de 188 000 euros à titre d'indemnisation des préjudices subis par application des dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce, celle de 29 000 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis prévue par l'article L. 134-11 du même Code, la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Le 19 juin 2013 M. Veltcheff a fait appel de cette décision.
Par ordonnance en date du 15 octobre 2013 le premier président de la Cour d'appel de Caen a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement du 26 avril 2013.
Dans des conclusions n° 4 remises au greffe le 29 septembre 2014 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens développés la société PBI et M. Bizdikian demandent à la cour de:
Réformer la décision en ce qu'elle a déclaré recevable la mise en cause et l'intervention forcée de M. Bizdikian ; déclarer les demandes de M. Veltcheff à son encontre irrecevables, injustifiées et non fondées et le mettre hors de cause,
Dire et juger que la SARL PBI était bien titulaire d'un agent de contrat commercial,
Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné M. Veltcheff au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis et d'une indemnité "de préjudice" sauf à en augmenter les montants,
Condamner M. Veltcheff à payer une indemnité de 450 000 euros en application des dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce outre 50 000 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires pour procédure abusive et brutale et une indemnité de préavis de 29 000euro en application des dispositions de l'article L. 134-11 du même Code,
Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour violation de l'obligation de non concurrence,
Débouter M. Veltcheff de sa demande de production de chiffre d'affaires réalisé par M. Bizdikian et de l'ensemble de ses demandes y compris de sa demande de dommages et intérêts,
En tout état de cause condamner M. Veltcheff au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens de première instance et d'appel.
Dans des conclusions n° 4 remises au greffe le 13 octobre 2014 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens développés M. Veltcheff demande à la cour de :
Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne la recevabilité de l'intervention forcée de M. Bizdikian,
Statuant à nouveau vu les articles L. 134-1 à L. 134-16 du Code de commerce,
A titre principal dire et juger que la SARL PBI aux droits de laquelle vient la SAS PBI ne peut se prévaloir du statut d'agent commercial à défaut de satisfaire à la condition de négociation au sens de l'article L. 134-1 du Code de commerce et de la jurisprudence de la Cour de cassation; en conséquence débouter la SAS PBI et M. Bizdikian de l'ensemble de leurs demandes,
A titre subsidiaire dire et juger que M. Bizdikian et la SARL PBI aux droits de laquelle vient la SAS PBI ont violé l'obligation de non concurrence vis à vis de M. Veltcheff en représentant les produits de la société Jean Claude Trigon concurrents de ceux de la marque Airfield; en conséquence les débouter de l'ensemble de leurs demandes, ordonner à M. Bizdikian de communiquer les chiffres d'affaires réalisés avec la société Trigon sur l'exercice 2008 et sur la saison printemps-été 2009 certifiés par un commissaire aux comptes sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter des 15 jours suivant la signification de la décision; reconventionnellement condamner à titre de provision solidairement la SAS PBI et M. Bizdikian à payer à M. Veltcheff la somme de 29 400 euros à titre de dommages et intérêts à valoir sur le préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale sauf à parfaire au vu des chiffres d'affaires qui seront communiqués par M. Bizdikian,
A titre infiniment subsidiaire dire et juger que la SAS PBI ne justifie d'aucun préjudice du fait de la résiliation de son contrat en raison de la poursuite de son activité auprès de la même clientèle que celle qu'il visitait au nom et pour le compte de M. Veltcheff; en conséquence débouter la SAS PBI et M. Bizdikian de l'ensemble de leurs demandes,
En tout état de cause les condamner à payer à M. Veltcheff la somme de 9 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par Maître Balavoine conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
L'article L. 134-1 du Code de commerce définit l'agent commercial comme le "mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente de négocier et éventuellement de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale".
Pour dénier la qualité d'agent commercial et le statut correspondant à la société PBI M. Veltcheff soutient que celle-ci ne disposait d'aucun pouvoir de négociation avec la clientèle à laquelle elle ne pouvait accorder la moindre remise ou réduction de prix.
Mais M. Veltcheff auquel cette charge incombe, n'en rapporte pas la preuve et ne produit notamment aucun document restreignant la liberté d'action de la société PBI dans l'exercice de son mandat.
Il ressort des pièces produites que celle-ci a prospecté de façon permanente et à titre de profession indépendante le secteur Rhône Alpes côte d'azur pour vendre aux commerces d'habillement démarchés les vêtements de la marque Airfield dont M. Veltcheff était l'agent général en France pour le compte de la société Moser et que pour ce faire elle choisissait librement les modalités d'exécution de sa mission.
Dans la lettre du 23 octobre 2008 lui notifiant "la résiliation de notre contrat d'agence pour fautes graves avec effet immédiat" M. Veltcheff qualifiait lui-même la société PBI d'agent commercial.
Dans les conclusions prises devant le Tribunal de commerce de Lisieux en vue de l'audience du 16 septembre 2011 le conseil de M. Veltcheff écrivait à son tour : "depuis 2003 la société PBI a agi en qualité d'agent commercial pour le compte de monsieur Jean Pierre Veltcheff en vue de la commercialisation de prêt à porter féminin de marque Airfield".
Le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu'il a reconnu la qualité d'agent commercial à la société PBI à laquelle les dispositions des articles L. 134-1 à L. 134-17 du Code de commerce qui en organisent le statut, sont applicables.
Aux termes des dispositions combinées des articles L. 134-12 et L. 134-13 l'agent commercial a droit, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi et perd le droit de la percevoir lorsque la cessation du contrat est provoquée par sa faute grave.
Le mandant peut toujours, même si elle s'est révélée postérieurement à la rupture du contrat, invoquer l'existence d'une faute conclue antérieurement.
En l'espèce M. Veltcheff reproche à la société PBI sous la qualification de "violation de l'interdiction de représentation d'une société concurrente" et le visa de l'article L. 134-3 du Code de commerce de ne pas avoir sollicité de son mandant l'autorisation de représenter la société Trigon, entreprise concurrente.
Or ce n'est pas la société PBI mais M. Bizdikian, personne physique, qui représente la société Trigon dans le secteur litigieux. Les dispositions de l'article L. 134-3 n'ont donc pas vocation à s'appliquer en l'espèce.
M. Veltcheff reproche également à la société PBI de lui avoir dissimulé que son gérant, M. Bizdikian, représentait cette marque de vêtements concurrente dans le cadre d'un contrat de VRP le liant à la société Trigon et affirme ne l'avoir découvert qu'à l'occasion du présent litige.
Ce que reproche M. Veltcheff à son ex- agent commercial c'est un manquement au devoir de loyauté tel qu'il est défini par les dispositions de l'article L. 134-4 du même Code également visé dans ses conclusions.
Pour s'en défendre les intimés soutiennent d'une part que les marques Airfield et Trigon ne sont pas en situation de concurrence, d'autre part que M. Veltcheff sait depuis le début de leurs relations contractuelles que M. Bizdikian représente la marque Trigon et que c'est précisément pour profiter du réseau de clientèle de ce dernier dans le secteur Rhône Alpes côte d'azur que la société qu'il gère, a été choisie comme agent commercial par M. Veltcheff.
Au vu des catalogues produits devant la cour les marques Airfield et Trigon sont toutes deux des marques de prêt à porter féminin s'adressant à une clientèle jeune, d'une même classe d'age, à laquelle sont proposés des vêtements ne comportant pas de différences de style telles qu'il puisse être considéré qu'ils s'adressent à des profils de clientes différents.
Ces marques sont donc en situation de concurrence.
La société PBI à laquelle cette charge incombe, ne prouve pas que son co-contractant, M. Veltcheff , savait depuis le début de leurs relations contractuelles, que son gérant, M. Bizdikian, représentait la marque Trigon dans le même secteur que celui dans lequel elle devait développer la marque Airfield , et l'avait accepté.
Même en l'absence d'exclusivité l'agent commercial est tenu de se comporter loyalement vis à vis de son mandant.
Le fait pour M. Bizdikian pris en sa qualité de gérant de la société PBI de ne pas avoir informé son cocontractant, M. Veltcheff, qu'en tant que personne physique, VRP salarié de la société Trigon, il représentait depuis 1990 cette marque de vêtements concurrente dans le même secteur que celui dans lequel la société PBI devait développer la marque Airfield constitue un manquement caractérisé au devoir de loyauté imputable à cette dernière et une faute grave, exclusive du versement de l'indemnité de résiliation prévue par l'article L. 134-12 précité.
Le jugement déféré doit donc être réformé en ce qu'il a condamné M. Veltcheff à payer à la société PBI une indemnité de 188 000 euros en application de ce texte.
Il sera confirmé en ce qu'il a débouté les intimés de leur demande en paiement d'une indemnité complémentaire de 50 000 euros pour 'rupture abusive et brutale'.
L'article L. 134-13 ne visant que la réparation prévue à l'article L. 134-12 la faute grave commise par la société PBI ne la prive pas du droit de percevoir l'indemnité de préavis qui lui est due en application des dispositions de l'article L. 134-11.
Les modalités de calcul de cette indemnité ne sont pas discutées devant la cour.
Le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu'il a condamné M. Veltcheff à payer une somme de 29 000 euros à ce titre à la société PBI.
Au soutien de sa demande reconventionnelle M. Veltcheff fait valoir que la faute grave de l'agent commercial peut aussi entraîner sa responsabilité pour faits de concurrence déloyale pour le préjudice causé à son mandant.
Encore faut-il que la faute grave soit elle-même constitutive d'un acte de concurrence déloyale, lequel implique que celui auquel il est imputé, vend un produit dans des conditions telles qu'il concurrence de manière déloyale un produit concurrent.
Or en l'espèce ce n'est pas la société PBI qui vend les vêtements de la marque Trigon concurrents de la marque Airfield mais M. Bizdikian , personne physique, dans le cadre d'un contrat de VRP conclu avec la société Trigon le 1er février 1990.
Sauf à confondre personne morale et personne physique les ventes de vêtements de la marque Trigon réalisées par M. Bizdikian, personne physique, ne sont pas l'œuvre de la société PBI, personne morale.
Par conséquent le manquement au devoir de loyauté imputable à la société PBI ne constitue pas un acte de concurrence déloyale ouvrant droit à indemnisation au profit de M. Veltcheff.
Ce manquement à l'obligation de loyauté inhérente au contrat d'agent commercial n'est imputable qu'à la société PBI et ne peut être invoqué à l'encontre de M. Bizdikian , personne physique ,tiers au contrat.
Dans le cadre de l'exécution de son contrat de VRP de la société Trigon M. Bizdikian ne peut lui-même se voir reprocher aucun manquement susceptible de constituer un acte de concurrence déloyale à l'égard de M. Veltcheff.
Le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté M. Veltcheff de ses demandes indemnitaires et de production de pièces sous astreinte dirigées contre M. Bizdikian et contre la société PBI.
Chacune d'elles succombant pour partie dans ses prétentions il n'apparaît pas inéquitable de laisser la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel aux parties qui doivent être déboutées de leurs demandes respectives fondées sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour le même motif chacune des parties supportera la charge des dépens qu'elle aura personnellement exposés en cause d'appel.
Par ces motifs : Réforme le jugement rendu le 26 avril 2013 par le Tribunal de commerce de Lisieux en ce qu'il a condamné M. Veltcheff à payer à la société PBI la somme de 188 000 euros en application des dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce, Statuant à nouveau déboute la société PBI de sa demande en paiement de la somme de 188 000 euros en application du texte susvisé, Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions non contraires à celles du présent arrêt, Déboute les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, Dit que chacune des parties supportera la charge des dépens qu'elle aura personnellement exposés en cause d'appel.