Cass. com., 16 décembre 2014, n° 13-21.363
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Ikea Supply AG (Sté)
Défendeur :
Green Sofa Dunkerque (SAS), Delezenne (ès qual.), Ministre de l'Economie, du Redressement productif et du Numérique
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard (rapporteur)
Avocat général :
M. Mollard
Avocats :
SCP Monod, Colin, Stoclet, SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Meier-Bourdeau, Lécuyer
LA COUR : - Sur la recevabilité du pourvoi, contestée par la défense : - Attendu que le liquidateur judiciaire exerçant les droits et actions du débiteur pendant toute la durée de la procédure collective, le pourvoi dirigé contre la société Green Sofa Dunkerque (la société GSD), représentée par M. Delezenne en qualité de liquidateur judiciaire de cette société, est recevable ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société GSD, fabricant de sièges et canapés, entretenait des relations commerciales depuis 1993 avec la société Ikea Supply AG (la société Ikea), qui assure l'approvisionnement en meubles des magasins du groupe Ikea ; que le 5 janvier 2009, la société Ikea a lancé un appel d'offres pour la production de ses gammes de canapés et fauteuils, auquel la société GSD a répondu ; que, dans le même temps, la société Ikea a informé la société GSD que, compte tenu de la crise et de la baisse de ses ventes, ses achats allaient diminuer du 1er septembre 2009 au 31 août 2010, à la suite de quoi les parties ont conclu un protocole d'accord, le 13 juillet 2009, prévoyant le versement d'une indemnité par la société Ikea à la société GSD ; que cette dernière ayant été retenue à l'issue de l'appel d'offres, mais pour des volumes et un chiffre d'affaires prévisionnels inférieurs, la société Ikea a consenti, le 9 décembre 2009, à reporter l'application du résultat de l'appel d'offres et à poursuivre les relations aux mêmes conditions de prix et de volume jusqu'à la fin du mois d'août 2010, date à laquelle les négociations seraient reprises ; que le 24 août 2010, les parties ont conclu un accord prévoyant la fin de leur collaboration pour le 31 décembre 2012, assorti d'un engagement d'approvisionnement en diminution progressive ; que la société GSD a assigné la société Ikea en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie ; que le ministre chargé de l'Economie est intervenu à la procédure et a demandé la condamnation de la société Ikea au paiement d'une amende civile ; que la société GSD a été mise en redressement puis en liquidation judiciaires ;
Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche : - Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, ensemble les articles 1134, 2044 et 2046 du Code civil ; - Attendu que si le premier texte institue une responsabilité d'ordre public à laquelle les parties ne peuvent renoncer par anticipation, il ne leur interdit pas de convenir des modalités de la rupture de leur relation commerciale, ou de transiger sur l'indemnisation du préjudice subi par suite de la brutalité de cette rupture ;
Attendu que pour écarter le moyen de la société Ikea qui se prévalait de l'accord du 24 août 2010, retenir sa responsabilité pour avoir réduit ses commandes au cours du préavis octroyé et la condamner à payer des dommages-intérêts à la société GSD et une amende civile, l'arrêt retient que s'il y a eu un accord entre les sociétés Ikéa et GSD pour un dénouement progressif de leur relation commerciale du 1er septembre 2010 au 31 décembre 2012, cette circonstance ne saurait empêcher un contrôle juridictionnel du respect de la réalité du préavis au travers des volumes d'échanges pendant sa durée, l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce étant une disposition d'ordre public économique qui n'accepte pas de dérogation conventionnelle ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le même moyen, pris en sa troisième branche : - Vu les articles 1134, 2044 et 2046 du Code civil, ensemble l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; - Attendu qu'après avoir relevé que le préavis avait commencé à courir le 5 janvier 2009, date de la notification de l'appel d'offres à la société GSD, l'arrêt, pour écarter le moyen de la société Ikea qui se prévalait du protocole d'accord du 13 juillet 2009, retenir sa responsabilité pour avoir diminué progressivement les commandes au cours du préavis octroyé et la condamner à payer des dommages-intérêts à la société GSD et une amende civile, retient que ce protocole prévoit l'indemnisation de la société GSD au titre de la perte que devait représenter pour elle la diminution des commandes pour la période du 1er septembre 2009 au 31 août 2010, qu'il ne vaut donc pas approbation par cette société d'une diminution progressive des commandes et ne peut être invoqué comme signifiant l'acceptation d'un désengagement progressif des commandes de la société Ikéa ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, selon lesquelles les parties étaient convenues de l'indemnisation du préjudice subi par la société GSD par suite de la rupture partielle de leur relation commerciale pendant la période considérée, a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs : et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : casse et annule, mais seulement en ce que, infirmant le jugement sur les demandes de la société Green Sofa Dunkerque et du ministre de l'Economie fondées sur l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, il dit que la société Ikéa Supply AG a rompu de manière brutale ses relations commerciales avec la société Green Sofa Dunkerque et que la durée du préavis, qui aurait dû être de quinze mois, doit être doublée en application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° puisque la relation commerciale portait sur la fabrication de produits de marque de distributeur, condamne la société Ikéa Supply AG à payer à M. Delezenne, en qualité de mandataire judiciaire de la société Green Sofa Dunkerque, la somme de 4 933 500 euros, outre les intérêts au taux légal, condamne la société Ikéa Supply AG au paiement d'une amende civile de 50 000 euros, l'arrêt rendu le 23 mai 2013, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.