CA Orléans, ch. com., 18 décembre 2014, n° 14/00597
ORLÉANS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Demeures Terre et Tradition (SARL)
Défendeur :
Conseils et Mise en Relations (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Raffejeaud
Conseillers :
Mmes Hours, Monge
Avocats :
Mes Garnier, Aboukrat, Da Costa, Bouchet
Par contrat en date du 2 décembre 2011 que les parties ont entendu expressément soumettre aux dispositions des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce régissant les rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants, la société Demeures Terre et Tradition a confié à la société Conseils et Mise en Relations la commercialisation de maisons individuelles.
Il était prévu une période d'essai de douze mois à l'expiration de laquelle le contrat serait réputé à durée indéterminée.
Par lettre du 12 juin 2012, la société Demeures Terre et Tradition a notifié à la société Conseils et Mise en Relations sa décision de mettre un terme aux relations contractuelles à l'issue du préavis d'un mois prévu au contrat.
C'est dans ces conditions que la société Conseils et Mise en Relations qui considérait la rupture abusive et se plaignait en outre de commissions restées impayées, a saisi, le 20 mars 2013 le Tribunal de commerce d'Orléans, lequel, par jugement en date du 30 janvier 2014, a dit que le contrat du 2 décembre 2011 ne constituait pas un contrat d'agent commercial au sens des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce et a condamné la société Demeures Terre et Tradition à payer à la société Conseils et Mise en Relations la somme TTC de 34 728,78 euros au titre des commissions, celle de 52 500 euros au titre du préjudice subi et celle de 900 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour requalifier le contrat d'agence commerciale en mandat d'intérêt commun, les premiers juges ont relevé, à la lecture des articles 5 3 et 5 6 du contrat, que la société Conseils et Mise en Relations n'avait aucun pouvoir réel de négociation et que son rôle se limitait à un pouvoir de présentation des clients potentiels et à la constitution des différents dossiers, administratif, technique et financier.
S'agissant des commissions, ils ont considéré que la société Conseils et Mise en Relations ne pouvait y prétendre sur le chantier Nodari, dès lors que celui-ci ne s'était pas réalisé.
S'agissant des affaires Perrouin et Fadlallah pour lesquelles la société Demeures Terre et Tradition s'opposait au paiement de commissions au motif qu'elle n'avait pas validé les dossiers, ils ont considéré qu'il s'agissait d'une condition potestative et, comme telle, nulle, tandis qu'il n'était pas démontré que les deux chantiers n'eussent pas été réalisés.
Enfin, tout en considérant que la rupture des relations contractuelles ne présentait pas de caractère abusif, ils ont sanctionné, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, la manœuvre dolosive de la société Demeures Terre et Tradition qui avait consisté à faire croire à la société Conseils et Mise en Relations qu'elle signait un contrat avec le statut particulier d'agent commercial, alors que la réalité juridique se révélait toute autre, ainsi que la rupture d'un contrat de mandat d'intérêt commun.
La société Demeures Terre et Tradition a régulièrement interjeté appel de cette décision le 14 février 2014.
Reprochant aux premiers juges d'avoir dénaturé le contrat en refusant de faire application du statut des agents commerciaux, elle a soutenu que la stipulation d'une période d'essai dans un contrat d'agence commerciale n'était pas interdite, que la rupture du contrat pendant cette période n'était subordonnée à aucun préalable de négociation et n'avait pas à être motivée, qu'elle n'était pas abusive et qu'elle ne saurait donner lieu au versement d'une quelconque indemnité.
S'agissant des commissions, elle a approuvé les premiers juges de les avoir refusées sur le dossier Nodari, mais a en revanche contesté le versement de commissions dans les dossiers Perrouin et Fadlallah, alors qu'elle les avait refusés comme elle en avait le droit, contestant sur ce point la référence par le tribunal à une condition potestative.
Elle a conclu, en conséquence, à l'infirmation du jugement entrepris et au débouté de la société Conseils et Mise en Relations de toutes ses demandes.
Elle a sollicité une somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Conseils et Mise en Relations a, de son côté, critiqué la requalification du contrat par les premiers juges et sa motivation, affirmant qu'elle avait un réel pouvoir de négociation, contrairement à ce qu'avait retenu le tribunal.
Elle a ensuite fait valoir que le dossier Nodari avait été validé par la société Demeures Terre et Tradition, que les dossiers Perrouin et Fadlallah avaient été traités et que la décision de la société Demeures Terre et Tradition de les écarter ne répondait à aucune raison valable.
Elle a estimé enfin qu'elle avait droit à l'indemnité compensatrice prévue à l'article L. 134-12 du Code de commerce et que, de plus, la rupture ayant été abusive, elle pouvait prétendre à l'indemnisation du préjudice résultant de la perte de commissions jusqu'à la date conventionnellement prévue de la cessation du contrat.
Elle a conclu, en conséquence, à l'infirmation partielle du jugement entrepris en ce qu'il lui avait refusé une commission sur le dossier Nodari et insuffisamment indemnisé son préjudice.
Elle a sollicité une somme de 13 352,32 euros sur le dossier Nodari, une somme de 217 425,39 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préjudice subi du fait de la rupture du contrat d'agence commerciale, ainsi qu'une somme de 289 900,60 euros à titre de réparation pour le préjudice subi du fait de la rupture abusive du contrat d'agence commerciale ou subsidiairement du contrat ayant lié les parties.
Elle a enfin réclamé une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 octobre 2014.
La société Conseils et Mise en Relations en a sollicité la révocation, ainsi que le rejet des débats des pièces visées dans les dernières écritures de la société Demeures Terre et Tradition signifiées le 17 octobre 2014.
La société Demeures Terre et Tradition s'est opposée à cette demande.
SUR CE,
Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture et de rejet de pièces des débats :
Attendu que les conclusions de la société Demeures Terre et Tradition du 17 octobre 2014 répliquaient aux conclusions de la société Conseils et Mise en Relations du 1er octobre 2014, signifiées la veille du jour où il était prévu de longue date de clôturer l'instruction de l'affaire ;
Que la société Demeures Terre et Tradition a obtenu un report de la clôture au 23 octobre 2014 et reconclu six jours plus tôt ;
Que ses conclusions ne contiennent aucun moyen, aucune argumentation nouveaux auxquels la société Conseils et Mise en Relations n'ait pas pu répondre dans le laps de temps qui lui restait avant la clôture ;
Qu'il n'y a dès lors pas lieu de révoquer l'ordonnance de clôture ;
Attendu que, s'agissant des pièces figurant au bordereau annexé aux conclusions de l'appelante du 17 octobre 2014, numérotées de 1 à 29 , les vingt-trois premières ont été régulièrement communiquées le 21 juillet 2014 ainsi qu'en attestent les accusés de réception du Réseau privé virtuel des avocats, il n'existe pas de pièce n° 24, les pièces 25 à 27 concernent une décision de jurisprudence , un article de doctrine et un texte de loi tous publiés, la pièce n° 28 n'a aucun intérêt et la pièce n° 29 est connue depuis la première instance puisqu'elle avait fondé la décision des premiers juges de ne pas allouer de commissions à la société Conseils et Mise en Relations pour le dossier Nodari ;
Qu'il n'y a dès lors pas lieu de rejeter ces pièces des débats ;
Sur la qualification du contrat :
Attendu que le contrat a été expressément qualifié de contrat d'agence commerciale par les parties et qu'aucune ne remet en cause cette qualification devant la cour ;
Qu'ainsi, la société Demeures Terre et Tradition, qui pourtant soutenait le contraire devant les premiers juges qui l'ont suivie, admet aujourd'hui que la société Conseils et Mise en Relations disposait d'un réel pouvoir de négociation ;
Qu'il convient dès lors d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a requalifié le contrat en mandat d'intérêt commun ;
Sur l'indemnité compensatrice et l'indemnité pour rupture abusive :
Attendu que le statut des agents commerciaux, qui suppose pour son application que la convention soit définitivement conclue, n'interdit pas une période d'essai ;
Attendu que les parties avaient convenu de faire précéder l'exécution du contrat d'une période d'essai de douze mois, à laquelle elles pouvaient mettre fin à tout moment moyennant le respect d'un préavis de quinze jours le premier mois et d'un mois les mois suivants ;
Que, dans ce cas, l'indemnité compensatrice prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce, n'est pas due ;
Attendu que la dénonciation du contrat en période d'essai n'a pas à être motivée ou, si elle l'est, ne doit pas caractériser un abus de droit ;
Qu'en l'espèce, la société Demeures Terre et Tradition a motivé la rupture essentiellement par le très faible nombre de ventes réalisées par la société Conseils et Mise en Relations en cinq mois d'activité ;
Que ce fait n'est pas contesté par la société Conseils et Mise en Relations, laquelle tente seulement, sans en apporter la preuve, d'en faire peser la responsabilité sur la société Demeures Terre et Tradition ;
Qu'il est de fait qu'alors que l'objectif prévu au contrat était de réaliser vingt-cinq ventes par an, la société Conseils et Mise en Relations n'en avait réalisé qu'une seule en cinq mois ;
Que la société Demeures Terre et Tradition pouvait dès lors légitimement avoir des doutes sur la capacité de la société Conseils et Mise en Relations à exécuter le contrat d'agence commerciale ;
Que la société Demeures Terre et Tradition, qui n'avait pas spécialement à lui adresser en période d'essai la mise en demeure préalable prévue à l'article 9 du contrat, a pu régulièrement mettre un terme à la période d'essai après avoir respecté le préavis contractuel d'un mois ;
Qu'il convient dès lors de débouter la société Conseils et Mise en Relations de ses demandes d'indemnités ;
Sur les commissions :
Vente Nodari :
Attendu que, selon l'article 8 du contrat, le mandataire avait droit à des commissions sur les ventes "acceptées" par le mandant ;
Qu'à aucun moment, il n'y est précisé que la vente doit être effectivement réalisée ;
Qu'en l'espèce, la société Demeures Terre et Tradition a confirmé à la société Conseils et Mise en Relations, par courrier en date du 17 septembre 2012, que le dossier Nodari était "validé" ;
Qu'elle justifiait seulement son refus de payer la commission par le fait que le client n'avait pas donné suite, tout en tentant, sans en apporter la preuve, d'en faire peser la responsabilité sur la société Conseils et Mise en Relations, étant au surplus observé que Monsieur Nodari a dénoncé son contrat le 11 septembre 2012, alors que la société Demeures Terre et Tradition avait mis fin à la période d'essai trois mois plus tôt ;
Que la "validation" du dossier vaut "acceptation" de la vente, que la société Conseils et Mise en Relations a exécuté sa prestation sans faute prouvée de sa part et qu'il n'existe dès lors aucun motif de lui refuser sa commission ;
Que le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef et que la société Demeures Terre et Tradition paiera à la société Conseils et Mise en Relations la somme de 13 352,32 euros ;
Ventes Fadlallah et Perrouin :
Attendu que si la validation des dossiers de vente n'est pas soumise à une condition potestative, en ce qu'elle ne peut pas dépendre du bon vouloir de la société Demeures Terre et Tradition, il appartient à celle-ci de justifier du caractère réel et sérieux de son refus ;
Attendu qu'en l'espèce, dans son courrier du 17 septembre 2012, la société Demeures Terre et Tradition a expliqué que 'les dossiers Fadlallah et Perrouin ont bien été validés sur l'aspect technique par Monsieur René Hardouin. Cependant les éléments financiers et administratifs n'ont pas reçu de validation de notre part. Ni le directeur commercial, Monsieur Olivier Martin, ni votre gestionnaire Madame Natalina Hardouin, n'ont apposé leur signature sur la fiche de validation ;
Que s'il s'agit uniquement de signatures manquantes de préposés de la société Conseils et Mise en Relations, qu'il suffisait à la société Demeures Terre et Tradition de demander, puisque la société Conseils et Mise en Relations n'était plus son agent commercial en septembre 2012, le motif apparaît fallacieux ;
Qu'au demeurant, la société Demeures Terre et Tradition ne le reprend pas dans ses conclusions, expliquant son refus "par l'inadéquation des dossiers à (ses) exigences financières et administratives" ;
Que ce motif qui n'est pas plus explicité, est donc inopérant et ne l'autorisait pas à refuser de valider les dossiers ;
Que les premiers juges seront donc approuvés de l'avoir condamnée à payer les commissions de la société Conseils et Mise en Relations ;
Sur l'article 700 et les dépens :
Attendu que, dès lors qu'il n'est fait droit que partiellement aux prétentions des parties, l'équité commande de ne pas allouer d'indemnités de procédure et chacune conservera à sa charge les dépens qu'elle a exposés ;
Par ces motifs : Dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture, ni à rejet des débats des pièces de la société Demeures Terre et Tradition ; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Demeures Terre et Tradition au paiement de la somme de 34 728,78 euros au titre des commissions dues sur les dossiers Fadlallah et Perrouin ; L'Infirme pour le surplus ; Statuant à nouveau, Dit n'y avoir lieu à requalification du contrat d'agence commerciale du 2 décembre 2011 ; Condamne la société Demeures Terre et Tradition à payer à la société Conseils et Mise en Relations la somme de treize mille trois cent cinquante-deux euros trente-deux centimes (13 352,32 euros) au titre de la commission due sur le dossier Nodari. Déboute les parties de toutes leurs autres demandes ; Dit que chacune conservera à sa charge les dépens de première instance et d'appel qu'elle a exposés.