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Décisions

CA Pau, 2e ch. sect. 1, 16 décembre 2014, n° 13/01584

PAU

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Marin

Défendeur :

Fashion Styling Licher (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bertrand

Conseillers :

Mmes Diximier, Janson

Avocats :

Mes Blazy, Vermote

T. com. Bayonne, du 11 mars 2013

11 mars 2013

EXPOSE DU LITIGE

Faits et procédure

Monsieur Thierry Marin a travaillé entre 2004 et 2011 en tant qu'agent commercial sur le secteur du sud-ouest de la France pour le compte de la société de droit allemand Fashion Styling Licher, dont l'activité est la commercialisation et la diffusion de prêt-à-porter sous différentes marques. Aucun contrat écrit n'a été conclu entre les parties.

Par acte en date du 3 octobre 2011, Monsieur Thierry Marin a fait assigner la société Fashion Styling Licher devant le Tribunal de commerce de Bayonne, sollicitant sa condamnation à lui payer les sommes suivantes, avec exécution provisoire :

- 34 763,26 euro au titre des arriérés de commissions impayés,

- 49 356 euro au titre de l'indemnité de rupture du contrat,

- 5 000 euro au titre du préavis de trois mois,

- 10 000 euro à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale et abusive du contrat,

- 2 500euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement du 11mars 2013, le Tribunal de commerce de Bayonne a :

- débouté Monsieur Thierry Marin de ses demandes de rappel de commissions et de ses demandes relatives à la rupture de son contrat d'agent commercial,

- rejeté la demande reconventionnelle de la société Fashion Styling Licher au titre des marchandises,

- condamné la société Fashion Styling Licher à régler à Monsieur Marin au titre des commissions 2011 la somme de 2 285,28 euro,

- rejeté la demande de dommages et intérêts de la société Fashion Styling Licher,

- rejeté les demandes des parties faites sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- rejeté comme inutiles et non fondées toutes autres demandes contraires des parties,

- partagé les dépens.

Suivant déclaration reçue au greffe de cette cour le 23 avril 2013, Monsieur Thierry Marin a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du magistrat de la mise en état rendue le 10 septembre 2014, la clôture de l'instruction de l'affaire a été déclarée.

Prétentions des parties

Selon dernières conclusions du 15 novembre 2013, Monsieur Marin demande à la cour de :

- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- condamner la société Fashion Styling Licher à lui payer les sommes suivantes :

21 861 euro correspondant aux commissions dues de 2006 à 2010, avec intérêts au taux légal à compter du 10 février 2011,

3 803,50 euro au titre des commissions de l'année 2011,

37 763,89 euro au titre de l'indemnité de rupture,

4 720,48 euro au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

10 000 euro à titre des dommages et intérêts,

- débouter la société Fashion Styling Licher de l'ensemble de ses demandes,

- la condamner au paiement de la somme de 4 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, dont distraction au profit de Me Blazy-Andrieu.

Selon dernières conclusions du 16 septembre 2013, la société Fashion Styling Licher demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur Marin de ses demandes de rappel de commissions au titre des années 2005 à 2010 et de ses demandes relatives à la rupture de son contrat d'agent commercial,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté ses demandes reconventionnelles,

- condamner Monsieur Marin à lui payer la somme en principal de 9 033,35 euro correspondant aux sommes lui restant dues par effet de la compensation légale entre les commissions acquises par Monsieur Marin au titre de l'année 2011 et la facturation de la société Fashion Styling Licher demeurée impayée, avec intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2011,

- le condamner à lui verser la somme de 10 000,00 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive des relations commerciales,

- le condamner au paiement de la somme de 4 000,00 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

MOTIVATION

Sur la demande relative aux arriérés de commissions au titre des années 2007 à 2010

L'appelant sollicite la somme de 21 861 euro au titre des arriérés de commissions que la société Fashion Styling Licher resterait lui devoir au titre des années 2007 à 2010. Il renonce à réclamer les arriérés au titre des années 2004 à 2006, la prescription étant acquise

Monsieur Thierry Marin conteste l'assiette de calcul retenue par la société Fashion Styling Licher pour établir le montant de ses commissions. Il soutient que le calcul doit être effectué à partir des commandes passées et non à partir des commandes facturées, d'autant qu'à compter de 2007 un certain nombre de commandes n'ont pas abouti, non pas de son fait, mais en raison des retards de livraison ou des livraisons incomplètes imputables à la société. Il soutient par ailleurs que la société a reconnu son erreur de calcul.

La société Fashion Styling Licher fait valoir qu'en l'absence de contrat écrit les articles L. 134-9 et L. 134-10 du Code de commerce doivent s'appliquer ; qu'en vertu de ces dispositions, la commission de l'agent commercial est assise sur les commandes effectivement exécutées et non sur celles passées. Elle souligne que les relevés de commissions qu'elle a elle-même établis au titre de ces années ont fait l'objet d'une facturation correspondante émise par Monsieur Marin et dont le paiement a été effectué sans contestation de la part de son agent. Elle conteste avoir admis à quelque moment que ce soit avoir commis une erreur quant au mode de calcul pratiqué. Elle ajoute que Monsieur Thierry Marin ne justifie pas des commandes prétendument passées et non facturées.

Aux termes de l'article L. 134-9 du Code de commerce, la commission est acquise dès que le mandant a exécuté l'opération ou devrait l'avoir exécutée en vertu de l'accord conclu avec le tiers ou bien encore dès que le tiers a exécuté l'opération. La commission est acquise au plus tard lorsque le tiers a exécuté sa part de l'opération ou devrait l'avoir exécutée si le mandant avait exécuté sa propre part. Elle est payée au plus tard le dernier jour du mois qui suit le trimestre au cours duquel elle était acquise.

Selon l'article L. 134-10 du même Code, le droit à la commission ne peut s'éteindre que s'il est établi que le contrat entre le tiers et le mandant ne sera pas exécuté et si l'inexécution n'est pas due à des circonstances imputables au mandant. Les commissions que l'agent commercial a déjà perçues sont remboursées si le droit y afférent est éteint.

Il résulte de ces dispositions que le mandataire ne peut prétendre au paiement de commissions dès lors que le contrat entre le tiers et le mandant n'est pas exécuté, sauf si l'inexécution est imputable au mandant.

Il appartient donc à Monsieur Thierry Marin de démontrer que certaines commandes qu'il a passées n'ont pas été exécutées et que cette inexécution est imputable à la société Fashion Styling Licher.

S'agissant des commandes qu'il a réellement passées au titre de ces années, il se borne à verser aux débats des bons de commande qui ne concernent que l'année 2010, desquels il ne peut être tiré aucune conséquence. Au contraire la société Fashion Styling Licher justifie de ce que Monsieur Thierry Marin lui a adressé mensuellement des factures des commissions qui lui étaient dues, de février 2007 à décembre 2010, établies sur la base des relevés de commissions qu'elle avait elle-même édités, et ce sans qu'aucune observation ni contestation n'ait été émise par l'agent commercial, à quelque moment que ce soit.

S'agissant des deux pièces que l'appelant invoque pour soutenir que la société Fashion Styling Licher aurait admis avoir commis une erreur de calcul, la cour relève qu'elles sont sujettes à interprétation. Ainsi, si le courrier du 2 septembre 2010 adressé par la société à Monsieur Thierry Marin fait état de son acceptation de payer la somme de 4 396 euro compensant les différences de commissions apparues pour la saison printemps-été 2010, cependant il ne précise pas à quoi correspond cette compensation. Le mail de la société Fashion Styling Licher du 11 mars 2011 adressé à l'agent commercial n'est pas plus explicite. Le représentant de la société y indique : 'suite à notre conversation téléphonique, je te fais suivre la comparaison entre tes chiffres et les nôtres' ; suit un tableau qui répertorie par colonnes des chiffres au titre des années 2007 à 2010, faisant apparaître des différentiels entre les chiffres de la société Fashion Styling Licher et ceux de Monsieur Thierry Marin, ce tableau n'étant cependant accompagné d'aucune explication.

Monsieur Thierry Marin ne démontrant pas que la société Fashion Styling Licher lui serait redevable de commissions au titre des années 2007 à 2010, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande à ce titre.

Sur la demande relative aux commissions dues au titre de l'année 2011

La société Fashion Styling Licher reconnaît devoir à Monsieur Thierry Marin la somme de 2 285,28 euro au titre des commissions restant dues pour l'année 2011. Elle fait cependant valoir que son ancien agent lui reste redevable de la somme de 11 318,63 euro, correspondant au montant des marchandises qu'il a omis de lui restituer. Elle sollicite dès lors sa condamnation à lui payer la somme de 9 033,35 euro, par compensation des deux sommes.

Monsieur Thierry Marin estime quant à lui à la somme de 3 803,50 euro le montant des commissions lui restant dû au titre de l'année 2011, compte tenu des commandes qu'il a réellement effectuées. Il affirme par ailleurs qu'il a restitué la marchandise.

Les bons de commande versés aux débats par l'appelant au titre de l'année 2011 sont incomplets et inexploitables.

Il convient dès lors de retenir au titre des commissions restant dues au titre de l'année 2011 le montant tel que détaillé par la société Fashion Styling Licher dans ses relevés mensuels, soit la somme de 2 285,28 euro.

S'il ressort des échanges de mail entre Monsieur Thierry Marin et la société Fashion Styling Licher que celui-ci a bien conservé durant quelques mois des marchandises appartenant à la société, cependant l'appelant verse aux débats 8 bordereaux UPS du 5 septembre 2011 pour justifier de la restitution de ces biens, postérieurement à la mise en demeure qui lui avait été adressé par la société le 11 juillet 2011.

Dès lors que la société Fashion Styling Licher n'émet aucune observation ni critique à l'encontre du moyen de preuve produit par l'appelant, il convient de considérer que la restitution des marchandises a bien eu lieu.

Il convient par conséquent de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Fashion Styling Licher à payer à Monsieur Thierry Marin la somme de 2 285,28 euro au titre des commissions dues pour l'année 2011, et en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande reconventionnelle au titre des marchandises.

Sur la rupture du contrat

Aux termes de l'article L. 134-12 alinéa 1er du Code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

Selon l'article L. 134-13 du même Code, la réparation prévue à l'article L. 134-112 n'est pas due dans les cas suivants :

1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;

2° La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;

3° Selon un accord avec le mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence.

En application de ces dispositions, Monsieur Thierry Marin sollicite une indemnité de rupture de 37.763,89 euro. Il soutient que la société Fashion Styling Licher est à l'initiative de la rupture, et en tout état de cause que les circonstances de la rupture lui sont imputables, soulignant qu'il n'a jamais eu l'intention d'abandonner son secteur et de mettre fin aux relations commerciales avec son mandant, mais qu'à partir de juillet 2011 il n'a pas eu d'autre choix que de suspendre son activité dans l'attente que la société s'exécute quant au paiement de ses commissions, sa mission n'étant plus rentable. Il ajoute que la société Fashion Styling Licher ne rapporte pas la preuve qu'il aurait commis une faute grave.

L'intimée fait valoir que la cessation du contrat est à l'initiative de Monsieur Thierry Marin qui a cessé toute activité à compter du mois d'avril 2011, de sorte qu'il n'y a pas lieu au paiement d'une indemnité de rupture. Elle conteste avoir empêché Monsieur Thierry Marin d'exercer sa mission.

Il est de principe que l'agent commercial a droit à une indemnité de rupture lors de la cessation de contrat, sauf en cas de faute grave, ou si la rupture des relations contractuelles lui est imputable.

La société Fashion Styling Licher refuse l'indemnisation de son agent, non pas sur le terrain de la faute grave, mais en invoquant le fait que Monsieur Thierry Marin a lui-même pris l'initiative de mettre fin au mandat, en cessant de prendre des commandes à partir du mois d'avril 2011. Elle soutient qu'elle a, de ce fait, été contrainte de mettre fin au contrat par courrier du 13 octobre 2011.

S'il est avéré que Monsieur Thierry Marin a cessé de prendre des commandes à partir du mois d'avril 2011, cependant la société mandante n'est pas étrangère à la dégradation des relations contractuelles.

En effet les retards de livraison étaient récurrents depuis 2007, ainsi que cela est attesté par des échanges de mails entre l'agent et la société mandante mais également par des clients, ainsi que par un agent commercial ayant travaillé pour la même société dans le sud-est de la France. Du fait de ces retards de livraison, que la société Fashion Styling Licher ne saurait valablement contester puisqu'elle a elle-même rédigé un mail d'excuses à l'adresse de ses commerçants le 29 octobre 2007, Monsieur Thierry Marin a rencontré des difficultés pour fidéliser sa clientèle et faire aboutir ses commandes, ce qui a conduit à la baisse constante de son chiffre d'affaires, ce dont il s'est plaint à plusieurs reprises.

Par ailleurs la société Fashion Styling Licher a cessé d'adresser à Monsieur Thierry Marin à compter du mois de décembre 2010 les relevés mensuels de commissions qui lui étaient dues, ce qui a mis en difficulté l'agent pour poursuivre son activité.

Il s'ensuit que si Monsieur Thierry Marin est bien à l'initiative de la rupture du contrat, ayant cessé de prendre des commandes à compter du mois d'avril 2011, cependant il convient de considérer que celle-ci est imputable au mandant, qui n'a pas mis son agent en mesure de remplir sa mission dans des conditions satisfaisantes.

Il convient par conséquent d'accorder à l'appelant une indemnité de rupture, dont le montant doit être fixé à la somme de 21 846 euro, correspondant à deux années de commissions calculées à partir de la moyenne des commissions perçues par Monsieur Thierry Marin au cours des trois dernières années (2008, 2009, et 2010).

L'appelant est également bien-fondé à solliciter une indemnité au titre du préavis de trois mois qui aurait dû être respecté par la société Fashion Styling Licher, en application de l'article L. 134-11 du Code de commerce. Il lui sera accordé à ce titre la somme de 2 730 euro, correspondant à trois mois de commissions (calculées à partir de la moyenne des commissions des trois dernières années).

Les demandes de dommages-intérêts des parties pour rupture abusive seront rejetées, la rupture des relations contractuelles ayant été provoquée par des manquements réciproques des parties à leurs obligations.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile

La société Fashion Styling Licher, qui succombe dans le cadre de la présente procédure, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, en application de l'article 696 du Code de procédure civile.

Il convient par ailleurs de la condamner au paiement de la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Confirme le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur Thierry Marin de sa demande de rappel de commissions au titre des années 2007 à 2010, en ce qu'il a condamné la société Fashion Styling Licher à payer à son ancien agent la somme de 2 285,28 euro au titre des commissions dues pour l'année 2011, et en ce qu'il a débouté la société de sa demande reconventionnelle au titre des marchandises, l'Infirme pour le surplus, Et statuant à nouveau, Condamne la société Fashion Styling Licher à payer à Monsieur Thierry Marin la somme de 21 846 euro au titre de l'indemnité de rupture, outre la somme de 2 730 euro au titre de l'indemnité de préavis, Déboute les parties de leurs demandes de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat, Condamne la société Fashion Styling Licher à payer à Monsieur Thierry Marin la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, la Condamne aux dépens de première instance et d'appel, Autorise les avocats de la cause qui en ont fait la demande à recouvrer directement ceux de dépens d'appel dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.