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Décisions

CA Versailles, premier président, 6 février 2014, n° 13-02580

VERSAILLES

Ordonnance

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brylinski

TGI Orléans, JLD, du 11 janv. 2011

11 janvier 2011

FAIT ET PROCEDURES

Dans le cadre d'une enquête relative à la recherche de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des transports scolaires et routiers de voyageurs, la direction de la concurrence (DIRECCTE) a sollicité et obtenu du juge des libertés et de la détention d'Orléans, par ordonnance du 11 janvier 2011, l'autorisation de procéder ou de faire procéder à des opérations de visite et saisie dans les locaux de diverses sociétés dont notamment la société X <adresse>.

Les opérations se sont déroulées le 18 janvier 2011 ; la société X, a formé un recours contre le déroulement des opérations de saisie le 27 janvier 2011, et a également interjeté appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention

Le premier président de la Cour d'appel d'Orléans, par ordonnance rendue le 8 novembre 2011, a annulé l'ordonnance du 11 janvier 2011 autorisant la visite domiciliaire, et ordonné la restitution immédiate des documents saisis, au motif que le premier juge s'était borné à reproduire les énonciations de la requête sans même corriger les erreurs matérielles que cette requête contenait et alors qu'il est matériellement impossible qu'il ait examiné les pièces qui lui avaient été présentées une heure et demie plus tôt ; il a également par voie de conséquence déclaré sans objet le recours contre les opérations de visite et de saisie.

La Cour de cassation, par arrêt rendu le 27 février 2013, a cassé et annulé cette ordonnance en toutes ses dispositions et renvoyé la cause et les parties devant le premier président de la Cour d'appel de Versailles. La Cour de cassation considère que le premier président de la Cour d'appel d'Orléans, après avoir énoncé que le premier juge s'était borné à reproduire les motifs de la requête de l'Administration sans examiner les pièces produites, a annulé sa décision sans se prononcer elle-même sur le bien-fondé de la requête, et qu'en statuant ainsi et alors, au surplus, que les motifs et le dispositif d'une ordonnance sur requête sont réputés avoir été établis par le juge qui l'a rendue et signée, le premier président a méconnu le sens et la portée de l'article 561 du Code de procédure civile.

Elle fait également grief au premier président de la Cour d'appel d'Orléans d'avoir ordonné la restitution immédiate à la société X des documents saisis dans ses locaux, après avoir annulé la décision du juge des libertés et de la détention, et d'avoir ainsi méconnu le sens et la portée de l'article L. 450-4 du Code de commerce.

La société X a régularisé deux saisines sur renvoi après cassation, l'une portant sur l'ordonnance ayant autorisé la visite domiciliaire (RG 13-02581) l'autre portant sur le recours contre les opérations de saisie (RG 13-02580) ; les deux procédures sont jointes par la présente ordonnance.

Aux termes de ses deux mémoires déposés le 22 novembre 2013 oralement soutenus à l'audience, auxquels il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, la société X nous demande :

sous le visa des articles 450-4 du Code de commerce, 8 et 6 paragraphe 1 de la CESDH, de :

- annuler l'ordonnance,

en ce que le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance d'Orléans n'a pas rédigé l'ordonnance ni pu opérer personnellement un contrôle effectif du bien-fondé de la requête

en ce que l'ordonnance a autorisé des visites et saisies en l'absence de présomption de l'existence des pratiques recherchées ;

- se prononcer à nouveau et dire non fondée la requête de la DIRECCTE du 5 janvier 2011 visant à la conduite d'opérations de visites et saisies dans les locaux de la société X ;

- condamner la DIRECCTE au paiement de la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

- à titre subsidiaire ordonner à la DIRECCTE et au juge des libertés et de la détention de produire l'e-mail adressé au JLD le 5 janvier 2011 à 11 h 47 ainsi que les deux pièces Jointes (requête et ordonnance pré-rédigée) en suivant une procédure permettant de garantir son authenticité, et surseoir à statuer dans l'attente de cette production ;

sous le visa des articles L. 450-4 et L. 462-7 du Code de commerce, de :

- constater la nullité de la saisie des documents suivants :

e-mail du 3 mars 2008 de M. A, responsable de l'exploitation de X, adressé à M. B. et M. C (scellé 4 - cotes 51 à 52)

e-mail du 13 novembre 2007 de M. A, responsable de l'exploitation de X, adressé à Mme D (scellé 4 - cotes 53 à 54)

e-mail du 1er septembre 2008 de M. E, chef de centre de X adressé à M. A (scellé 4 - cote 55) ;

courrier du 3 juin 2005 et ses annexes adressé par M. F, directeur de X, au président du conseil général du Loiret (scellé 3 - cotes 4 à 8) ;

- ordonner en conséquence la restitution desdites pièces irrégulièrement saisies lors de l'opération de visites et de saisies du 18 janvier 2011 ;

- condamner la DIRECCTE Pays de Loire aux entiers dépens.

La DIRECCTE, aux termes de ses conclusions oralement soutenues à l'audience, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, nous demande de :

- dire la société X mal fondée en toutes ses prétentions et l'en débouter ;

- déclarer régulière et bien fondée l'ordonnance du juge des libertés et de la détention d'Orléans du 11 janvier 2011 autorisant les opérations de visite et saisie, notamment dans les locaux de la société X ;

- constater la régularité des saisies de documents contestées par la société X ;

- rejeter en conséquence la demande de la société X tendant à la restitution des cotes 4 à 8 du scellé 3 et des cotes 51 à 55 du scellé 4 saisies le 18 janvier 2011 dans ses locaux ;

- condamner la société X aux entiers dépens.

DISCUSSION

Sur l'appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention

X sollicite à nouveau la nullité de l'ordonnance du 11 janvier 2011, faisant essentiellement valoir que le juge n'a pas lui-même rédigé l'ordonnance, qui lui a été présentée par l'Administration, et n'a pas pu compte tenu des délais impartis pour prendre connaissance des pièces, exercer effectivement son contrôle.

Il n'est pas discuté que l'ordonnance signée par le juge des libertés a été rédigée par l'Administration requérante. Cette méthode d'usage courant en la matière ne fait nullement obstacle à ce que le juge saisi, s'il le souhaite, procède à toute modification qu'il estime utile, et les motifs et dispositifs de cette ordonnance sont réputés avoir été établis par le juge qui l'a rendue et signée.

Il n'est pas davantage discuté que le juge des libertés et de la détention a en réalité reçu par courriel la requête et le projet d'ordonnance en format permettant sa modification le 5 janvier 2011, a reçu les pièces avec la requête en original, lors d'un rendez-vous spécialement fixé le 11 janvier 2011 à 14 h 30, et faxé des commissions rogatoires aux juges des libertés et de la détention de Montargis et Blois le même jour à partir de 16 h, ce qui implique que l'ordonnance était alors signée.

Lorsqu'il a reçu les pièces, le juge des libertés et de la détention était en possession depuis 6 jours de la requête et du projet d'ordonnance, lesquels détaillant l'ensemble des éléments sur lesquels l'administration fondait ses présomptions, procédait à leur analyse avec tableaux récapitulatifs, par référence très claire à des pièces précisément identifiées et cotées, de sorte que le juge des libertés et de la détention a pu pendant ce délai bénéficier du temps nécessaire pour contrôler la pertinence du raisonnement de l'Administration et identifier les pièces dont le contrôle était nécessaire, et que le temps nécessaire à leur consultation a pu se trouver réduit.

En cet état, l'adoption des termes de l'ordonnance pré-rédigée ne permet pas de conclure à l'absence d'examen concret et effectif de la requête et de retenir que le premier juge n'aurait pas rempli son office ; dès lors l'ordonnance du 11 janvier 2011 n'a pas lieu d'être annulée.

X conteste également le bien-fondé de l'ordonnance, en l'absence selon elle de présomption de l'existence des pratiques recherchées, qui ne peut résulter des seules pièces annexées à la requête.

L'Administration n'est à l'évidence en possession d'aucun document établissant formellement l'existence de pratiques prohibées par l'article L. 420-1, 2 et 4 du Code de commerce, la mesure sollicitée ayant précisément pour objet de les rechercher et obtenir, étant motivée par l'existence de comportements laissant présumer l'existence de pratiques concertées entre entreprises visant à se répartir différents marchés de transports scolaires et transports routiers de voyageurs.

Reprenant le détail de divers appels d'offres lancés par le conseil général du Loiret pour plusieurs marchés de transports l'ordonnance relève notamment :

- pour les procédures d'appel d'offres pour le marché des transports des collégiens vers les installations sportives et culturelles dans le cadre des activités effectuées durant le temps scolaire réparti en 20 lots, sur l'année scolaire 2007-2008 l'existence systématique d'une candidature unique pour chaque lot offert, de la part de l'entreprise assurant déjà la liaison régulière du collège, et à l'occasion de l'appel d'offres pour l'année suivante, alors que les conditions d'organisation avaient été changées la candidature, pour chaque lot, du seul titulaire sortant, sans concurrence en dépit de la pratique par certains d'entre eux d'une augmentation très significative de leurs prix ;

- pour l'attribution en 2009 et pour une durée de douze ans, d'une délégation de service public pour les services de transports départementaux de voyageurs alors qu'auparavant ce service faisait l'objet de contrats distincts transports réguliers de voyageurs et transports scolaires, deux candidatures, présentées l'une par le groupement Y réunissant diverses entreprises dont X et l'autre par la société Z, cette dernière ayant proposé, pour un coût plus élevé un dossier se limitant à une offre de base + options sans user de la faculté qui lui était offerte de proposer des variantes, n'ayant pas participé à l'une des réunions de négociations et ayant fait preuve à tout le moins d'un manque réel d'agressivité commerciale, son offre apparaissant ainsi comme une offre de couverture ;

- pour l'attribution en avril 2009 par le conseil général du Loiret des services de transports privés organisés par le département faisant l'objet d'un découpage géographique en 5 lots, la présentation d'une offre unique par le groupement Y réunissant plusieurs entreprises dont X, sans aucune justification technique à une telle offre groupée compte tenu de l'organisation en lots et de la capacité de chacune des entreprises à assurer individuellement les prestations de l'un ou l'autre de ces lots, laissant ainsi présumer une pratique concertée entre entreprises conduisant ensuite au partage des prestations entre les membres du groupement ;

- pour un appel d'offres ouvert européen lancé par la ville d'Orléans en 2009 pour le renouvellement du marché de transport des élèves vers les établissements sportifs, divisé en deux lots nord et sud, une seule candidature pour chacun des deux lots (X lot 1 et W lot 2), renouvelant à l'identique la situation telle qu'elle était lors de l'appel d'offres précédent en 2005 ; à l'occasion de la nouvelle procédure d'appel d'offres lancée en 2010 pour les mêmes prestations cette fois ci regroupées en un seul lot, la présentation d'une seule candidature d'un groupement X-W, sans concurrence en dépit de l'augmentation significative des prix proposés.

Si chacun des éléments produits, envisagé séparément, paraît insignifiant, leur appréciation d'ensemble permet de relever certaines anomalies dans le fonctionnement du marché permettant de présumer de l'existence d'ententes prohibées.

Dès lors le recours aux visites domiciliaires et saisies sollicitées et ordonnées, permettant soit d'établir soit d'écarter les pratiques irrégulières soupçonnées, se trouve justifié, et l'ordonnance sera en conséquence confirmée.

Sur la validité de la saisie sur certains documents

Pour contester la validité de la saisie des trois premiers documents listés, X fait essentiellement valoir qu'ils sont exclus du champ de l'autorisation donnée par l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, nécessairement limitée par les présomptions de l'Administration telles qu'exposées à la requête, circonscrites à des marchés lancés par le conseil général du Loiret et la ville d'Orléans, et concernant donc exclusivement le département du Loiret, alors que ces trois documents concernent des appels d'offres lancés par les "CG 18" pour l'organisation de transports dans le département du Cher, par le "CG 41" pour l'organisation de transports dans le département du Loir et Cher, et des descriptifs de circuits pour des services de transport concernant le département du Cher.

L'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 11 janvier 2011, qui n'a fait l'objet d'aucun recours de ce chef, autorise les visites domiciliaires et saisies afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par l'article L. 420-1, 2 et 4 du Code de commerce relevées dans le secteur des transports scolaires et transports routiers de voyageurs ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée, sans définir dans son dispositif de limitation géographique. Les présomptions sont certes motivées par référence à certains appels d'offres passés exclusivement par le département du Loiret et la ville d'Orléans, mais il est également fait mention de ce qu'il peut être présumé que d'autres marchés passés avec les entreprises en cause dans le même secteur d'activité ont pu faire l'objet d'ententes, les marchés mentionnés n'étant que des illustrations des pratiques dont la preuve est recherchée ; l'ordonnance a autorisé les visites domiciliaires et saisies, en vue de rechercher les éléments permettant d'établir l'existence de pratiques concertées, de la part de certaines entreprises de transport de la région Centre précisément identifiées en vue de se répartir les marchés du transport, en prévoyant également la délivrance de commissions rogatoires aux juges des libertés et de la détention des Tribunal de grande instance de Montargis et Blois, certaines opérations devant avoir lieu hors du ressort du Tribunal de grande instance d'Orléans.

Dès lors les documents saisis, se rapportant à des activités dans le secteur du transport, exercées par ces mêmes entreprises dans les départements limitrophes du Loiret, constituant leur zone d'influence à l'intérieur de laquelle ces entreprises sont soupçonnées d'agissements entrant dans le champ des pratiques prohibées par l'article L. 420-1, 2 et 4 du Code de commerce, entrent bien dans le champ de l'autorisation accordée, et leur saisie ne peut en conséquence être annulée.

La prescription de 5 ans prévue par l'article L. 462-7 du Code de commerce dont X revendique le bénéfice pour solliciter la nullité de la saisie du dernier document listé s'applique à des faits, et non à des documents en tant que tels.

Alors que selon X la prescription serait acquise pour les faits antérieurs au 20 décembre 2005, par référence à la demande d'enquête du ministre de l'Economie des Finances et de l'Industrie en date du 20 décembre 2010, le courrier litigieux est daté du 3 juin 2005 ; mais seule circonstance qu'un document comporte une date se situant dans une période couverte par la prescription ne suffit pas à interdire qu'il soit saisi, alors que les éléments auxquels il se rapporte peuvent permettre la compréhension de pratiques postérieures non affectées par la prescription.

Dans ces conditions il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes de nullité de la société X.

La société X supportera les entiers dépens incluant ceux de la procédure suivie devant la Cour d'appel d'Orléans.

Par ces motifs Statuant par ordonnance contradictoire, sur renvoi après cassation, par arrêt en date du 27 février 2013, de l'ordonnance rendue le 8 novembre 2011 par le premier président de la Cour d'appel d'Orléans, Ordonnons la jonction, sous le numéro RG 13-02581, des deux procédures enrôlées sous les numéros RG 13-02581 et RG 13-02580 ; Confirmons en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention d'Orléans le 11 janvier 2011 ; Déboutons la société X de l'ensemble de ses prétentions ; Condamnons la société X aux entiers dépens incluant ceux de la procédure suivie devant la Cour d'appel d'Orléans.