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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 26 février 2014, n° 11-20829

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pacific Création (Sté)

Défendeur :

Sophia's Beauty LLC (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rajbaut

Conseillers :

Mmes Chokron, Gaber

Avocats :

Mes Peytavi, Larrieu, Guyot

TGI Paris, du 4 mars 2011

4 mars 2011

Vu l'appel interjeté le 28 octobre 2011 par la société Pacific Création (SAS), du jugement réputé contradictoire rendu par le Tribunal de grande instance de Paris le 4 mars 2011 (n° RG : 10-04894) ;

Vu les conclusions déposées au greffe de la cour le 26 janvier 2012 par la société appelante ;

Vu l'assignation devant la Cour d'appel de Paris avec dénonciation de déclaration d'appel et signification de conclusions délivrée en date du 18 juin 2012 selon les modalités prévues aux articles 684 à 687 du Code de procédure civile et à la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 à la société Sophia's Beauty LLC ayant son siège aux Etats-Unis d'Amérique, intimée défaillante ;

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 10 décembre 2013 ;

Sur ce, LA COUR :

Considérant que la société Pacific Création, exerçant sous le nom commercial Parfums Lolita Lempicka une activité de création et de commercialisation de parfums, indique être titulaire de diverses marques françaises, communautaires et internationales en classe 3 ainsi que de dessins et modèles français et communautaires ;

Qu'elle expose avoir découvert au mois de janvier 2010 que de nombreux parfums marqués Lolita Lempicka étaient exposés à la vente, sans son autorisation, à des prix bradés, sur le site Internet de langue française et accessible depuis la France à l'adresse www.bonparfum.com ;

Qu'elle devait apprendre à la faveur du constat qu'elle a fait établir les 12 et 13 janvier 2010 et 2 février 2010 par le Centre d'Expertise des Logiciels (CELOG), que le site était édité par la société Sophia's Beauty LLC, laquelle assurait la commercialisation des produits qui y étaient offerts en vente ;

Considérant que dans ce contexte, et après une sommation en date du 8 mars 2010 demeurée infructueuse, la société Pacific Création a assigné, suivant acte d'huissier de justice du 6 mai 2010, la société Sophia's Beauty devant le Tribunal de grande instance de Paris aux griefs de :

- participation illicite à la violation de son réseau de distribution sélective,

- contrefaçon de ses marques et modèles,

- concurrence déloyale,

- pratiques commerciales trompeuses ;

Considérant que le tribunal, par jugement réputé contradictoire dont appel, l'a déboutée de ses demandes aux motifs qu'elle ne démontrait pas l'existence d'un réseau de distribution sélective et, par conséquent, d'actes de concurrence déloyale, qu'elle ne justifiait pas de ses droits pour partie des marques revendiquées outre qu'elle ne procédait à aucune comparaison des signes en présence susceptibles de caractériser des actes de contrefaçon de marques et de dessins ou modèles, qu'elle ne démontrait pas davantage le caractère trompeur des agissements de la société défenderesse ;

Considérant qu'en cause d'appel, la société Pacific Création prie la cour, aux termes de ses uniques conclusions dénoncées à la société Sophia's Beauty LLC, intimée défaillante, d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

- dire et juger qu'en reproduisant sur le site www.bonparfum.com les marques de la société Pacific Création n° 96 638 376, n° 000473983, n° 001564889, n° 10 3 789 061, n° 009583956, n° 07 3 525 792, n° 006673867, n° 08 3 604 950, n° 007 315 971, n° 08 3 614 724, n° 0077599707, n° 05 3 363 860, n° 05 3 365 871, n° 875 790, n° 08 3 550 351, n° 007 056 468, n° 09 3 700 899 et n° 009 9177593, en important, en offrant à la vente et en vendant des produits revêtus de ces marques, sans autorisation, la société Sophia's Beauty s'est rendue coupable de contrefaçon,

- dire et juger qu'en reproduisant sur le site www.bonparfum.com les modèles de la société Pacific Création n° 964743-001, n° 964743-002, n° 964743-003, n° 974481-001, n° 995825-001, n° 995825-003, n° 001021398, n° 000357488-001, n° 000357488-002, n° 001790940-0001, en important, en offrant à la vente, en vendant des produits reproduisant ces modèles sans autorisation, la société Sophia's Beauty s'est rendue coupable de contrefaçon,

- dire et juger qu'en vendant des parfums reproduisant les marques et les modèles de la société Pacific Création, sans agrément, la société Sophia's Beauty LLC a porté atteinte au réseau de distribution sélective de la société Pacific Création et a commis des actes de publicité trompeuse,

- dire et juger qu'en commercialisant des parfums reproduisant ses marques et ses modèles dans des conditions dévalorisantes, à des prix bradés, la société Sophia's Beauty a porté atteinte à l'image et au prestige des marques et des produits Lolita Lempicka ;

Que la société Pacific Création poursuit en conséquence la condamnation de la société intimée à lui payer à titre de dommages-intérêts les somme de 50 000 euros au titre de la contrefaçon de ses marques et modèles, 50 000 euros au titre de la violation de son réseau de distribution sélective et des actes de publicité trompeuse, 10 000 euros au titre de l'atteinte portée à l'image de luxe et au prestige attachés à ses produits, demande en outre des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication et enfin 10 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

Considérant que la cour observe que la société appelante abandonne en cause d'appel sa demande en concurrence déloyale ;

Qu'elle renonce également à invoquer un certain nombre de marques qu'elle opposait en première instance au fondement de ses demandes en contrefaçon ;

Qu'elle oppose en revanche, nouvellement devant la cour, au grief de contrefaçon, des marques et des modèles qu'elle n'avait pas soumis aux premiers juges ;

Qu'ainsi les marques n° 10 3 789 061, n° 009583956, n° 07 3 525 792, n° 006673867, n° 08 3 604 950, n° 007 315 971, n° 08 3 614 724, n° 0077599707, n° 05 3 363 860, n° 05 3 365 871, n° 875 790, n° 08 3 550 351, n° 007 056 468, n° 09 3 700 899 et n° 009 9177593, et les modèles n° 964743-002, n° 974481-001, n° 995825-001, n° 995825-003, n° 001021398, n° 000357488-001, n° 000357488-002, n° 001790940-0001, invoqués devant la cour, n'étaient pas opposés en première instance ;

Considérant que la société Pacific Création indique à cet égard avoir été appelée à préciser qu'elle était également titulaire des marques et des modèles précités en raison de nouvelles infractions dont elle a fait faire le constat par huissier de justice le 18 janvier 2012 ;

Mais considérant que selon les dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ;

Considérant qu'en l'espèce, les demandes tendant à voir juger pour la première fois devant la cour des atteintes à des droits de marques et à des droits de modèles qui n'étaient pas soulevées devant les premiers juges, constituent des prétentions nouvelles au sens des dispositions précitées, et sont irrecevables ;

Considérant que les demandes en contrefaçon sont dès lors circonscrites aux marques n° 96 638 376, n° 000473983, n° 001564889 et aux modèles n° 964743-001, n° 964743-003 et n° 974481-001 qui avaient été revendiqués en première instance ;

Sur les demandes en contrefaçon,

Considérant que la société Pacific Création justifie de ses droits sur les marques françaises tridimensionnelles n° 96 638 376 déposée le 12 août 1996 et régulièrement renouvelées, internationales tridimensionnelles n° 000473983 déposée le 11 février 1997 et régulièrement renouvelées, communautaires tridimensionnelles n° 001564889 déposée le 20 mars 2000 et régulièrement renouvelées, les trois ayant été déposées pour désigner des produits de la classe 3 et notamment les produits de "parfumerie" et étant constituées de la représentation d'un flacon de parfum ;

Qu'elle justifie également être titulaire des modèles n° 964743-001 et n° 974481-001, représentant un flacon de parfum, ainsi que du modèle n° 964743-003, constitué d'un étui de flacon ;

Considérant que la marque française tridimensionnelle n° 96 638 376 et le modèle français de flacon n° 964743-001 se caractérisent par un flacon de parfum de couleur bleu mauve dont la forme stylisée est celle d'une pomme sur laquelle sont apposées des feuilles de lierre de couleur or, le bouchon vaporisateur figurant la tige d'une pomme de couleur or est revêtu à sa base d'un cœur gravé percé par une flèche ;

Que le rapport établi par le CELOG en janvier et février 2010 montre que l'ensemble des caractéristiques de la marque et du modèle ont été reproduites à l'identique sur le site exploité par la société intimée pour désigner et représenter un flacon de parfum ;

Considérant que la marque tridimensionnelle communautaire n° 001564889 et le modèle français n° 974481-001 donnent à voir un flacon de forme trapézoïdale de couleur bleue mauve décoré par un dessin en relief illustrant une écorce et des feuilles de lierre ;

Que le rapport du CELOG révèle que la société Sophia's a reproduit à l'identique les caractéristiques de la marque pour un flacon de parfum offert à la vente produisant une impression d'ensemble identique à la marque tridimensionnelle et au modèle ;

Considérant que le modèle d'étui de flacon n° 964743-003 représente un rectangle jaune sur lequel figure un motif en forme de nuage de couleur blanche dont les contours sont constitués de neuf volutes ;

Que le rapport du CELOG montre que ces caractéristiques ont été reproduites pour un emballage de parfum présenté à la vente sur le site exploité par la société Sophia's Beauty et qu'il se dégage de cet emballage une impression d'ensemble identique au modèle protégé ;

Considérant qu'il s'infère des observations qui précèdent que la société intimée, qui ne justifie pas que les produits incriminés sont des produits authentiques mis sur le marché de l'Espace économique européen avec l'accord de la société Pacific Création, a commis des actes de contrefaçon des marques et modèles sus-visés ;

Sur l'atteinte portée au réseau de distribution sélective,

Considérant que la société Pacific Création justifie, à l'aide des 20 contrats qu'elle verse aux débats, avoir mis en place un réseau de distribution sélective lequel regroupe selon l'attestation de son expert-comptable 2 121 distributeurs agréés ;

Qu'elle fait valoir que son réseau est licite dans la mesure où ses parts de marché ne dépassent pas 30 % du marché des cosmétiques de sorte qu'elle bénéficie du Règlement n° 330-2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101 paragraphe 3 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées, lequel présume la conformité aux droits des ententes des accords verticaux ;

Qu'elle précise que les 20 contrats versés aux débats établissent que les distributeurs agréés sont rigoureusement et objectivement sélectionnés sur la base de critères objectifs de caractère qualitatif qui sont fixés de manière uniforme pour les revendeurs et appliqués de façon non discriminatoire ;

Considérant que dès lors qu'ils préservent l'existence d'une concurrence sur le marché, les réseaux de distribution sélective ne sont pas illicites si les critères de choix ont un caractère objectif, n'ont pas pour effet ou pour objet d'exclure certaines formes déterminées de distribution, et ne sont pas appliquées de manière discriminatoire ;

Qu'en l'espèce, en l'absence de contestation sur ce point, la société Pacific Création est fondée à reprocher à la société Sophia's Beauty de commercialiser, ainsi que celle-ci le revendique elle-même sur son site Internet, "des parfums Lolita Lempicka à prix discount", dans des conditions qu'elle n'a pas agréées et qui ne correspondent pas aux critères et conditions de vente qu'elle impose à son réseau de distribution sélective ;

Sur l'atteinte à l'image,

Considérant que la société Pacific Création fait également grief à la société intimée d'avoir commercialisé les produits incriminés dans des conditions dévalorisantes, portant atteinte à l'image de luxe et au prestige attachés à ses marques et à ses produits ;

Considérant qu'il ressort des constatations du CELOG que les produits incriminés sont présentés à la vente sur un site dont la charte graphique est très sommaire, à des prix bradés accusant une réduction de plus de 50 % sur les prix pratiqués par les revendeurs agréés, parfois dépourvus de tout emballage ;

Considérant que la société appelante est fondée à soutenir que de telles conditions de commercialisation sont nuisibles à l'image et au prestige de ses marques et de ses produits qu'elle s'efforce de préserver dans le cadre d'un réseau de distribution sélective de qualité et caractérisent à son préjudice une faute au sens des dispositions de l'article 1382 du Code civil ouvrant droit à réparation ;

Sur les actes de publicité trompeuse,

Considérant que la société appelante se borne à cet égard à procéder par affirmation et faute de développer la moindre démonstration de nature à caractériser l'existence en l'espèce de pratiques commerciales trompeuses telles que définies à l'article L. 121-1 du Code de la consommation, sa demande de ce chef ne peut qu'être rejetée ;

Sur les mesures réparatrices,

Considérant que la société appelante ne produisant aux débats aucun document susceptible de justifier du préjudice patrimonial causé par les actes de contrefaçon, seul sera réparé le préjudice moral souffert de ce chef à concurrence de l'allocation d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Considérant que la commercialisation de produits marqués Lolita Lempicka en dehors du réseau de distribution sélective mis en place par la société Pacific Création a généré pour cette dernière un préjudice résultant d'un détournement inéluctable de la clientèle au détriment de ses distributeurs agréés et de la désorganisation du réseau qui s'ensuit nécessairement ;

Considérant enfin que l'offre en vente de produits revêtus de ses marques dans des conditions dégradantes, porte une atteinte à l'image de luxe et au prestige de ses marques et de ses produits, atteinte de nature à susciter une désaffection de la clientèle et à dévaloriser par voie de conséquence la valeur patrimoniale de ses marques et de ses produits ;

Considérant que la cour trouve en la cause des éléments suffisants d'appréciation pour allouer à titre de dommages-intérêts, en réparation de ces chefs de préjudice respectifs, les sommes de 30 000 euros et 10 000 euros, sans qu'il y ait lieu d'organiser à titre complémentaire une mesure de publication aux frais de la société intimée ;

Considérant qu'une mesure d'interdiction sera en revanche ordonnée dans les termes du dispositif ci-après ;

Considérant que l'équité commande de faire droit à la demande formée au titre des frais irrépétibles et d'octroyer de ce chef à la société appelante une indemnité de 10 000 euros ;

Par ces motifs : Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Statuant à nouveau par arrêt de défaut à l'égard de la société Sophia's Beauty LLC, Déclare irrecevables les demandes nouvelles formées en cause d'appel au fondement des marques n° 10 3 789 061, n° 009583956, n° 07 3 525 792, n° 006673867, n° 08 3 604 950, n° 007 315 971, n° 08 3 614 724, n° 0077599707, n° 05 3 363 860, n° 05 3 365 871, n° 875 790, n° 08 3 550 351, n° 007 056 468, n° 09 3 700 899 et n° 009 9177593 et des modèles n° 964743-002, n° 974481-001, n° 995825-001, n° 995825-003, n° 001021398, n° 000357488-001, n° 000357488-002, n° 001790940-0001, Dit qu'en offrant à la vente sur le site www.bonparfum.com des parfums reproduisant les marques et les modèles ci-après cités sans autorisation du titulaire de ces marques et modèles, la société Sophia's Beauty a commis des actes de contrefaçon au préjudice de la société Pacific Création : - marques n° 96 638 376 et n° 001564889, -modèles n° 964743-001, n° 964743-003 et n° 974481-001, Dit qu'en vendant sans son agrément des produits reproduisant les marques et modèles précités, la société Sophia's Beauty a porté atteinte au réseau de distribution sélective de la société Pacific Création, Dit que la société Sophia's Beauty a porté atteinte à l'image de luxe et au prestige des marques et des produits de la société Pacific Création, Condamne la société Sophia's Beauty à payer à la société Pacific Création à titre de dommages-intérêts : - 10 000 euros au titre du préjudice de contrefaçon, - 30 000 euros au titre de l'atteinte au réseau de distribution sélective, - 10 000 euros au titre de l'atteinte à l'image de luxe et au prestige de ses marques et produits, Interdit à la société Sophia's Beauty de reproduire les marques et modèles précités ainsi que de commercialiser des produits reproduisant ces marques et modèles sur le site Internet www.bonparfum.com ou sur tout autre site qu'elle exploiterait, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification du présent arrêt, Rejette toutes demandes contraires aux motifs de l'arrêt, Condamne la société Sophia's Beauty aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés, pour les dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et à payer à la société Pacific Création une indemnité de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles.