Livv
Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 19 février 2014, n° 12-01367

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Société Chausson Matériaux (SA).

Défendeur :

Pole Bois du Comminges (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cousteaux

Conseillers :

Mme Pellarin, M. Delmotte

Avocats :

Mes Bernard, Boyadjian

T. com Toulouse, du 27 févr. 2012

27 février 2012

FAITS et PROCÉDURE

La S.A.R.L. Pole Bois du Comminges ayant embauché M. Stéphane Cinqfraix qui avait donné sa démission de la S.A. Chausson Materiaux, alors qu'il était soumis à une clause de non-concurrence, cette dernière a, par acte du 16 juin 2011, fait assigner la S.A.R.L. Pole Bois du Comminges en paiement de la somme principale de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en soutenant un acte de concurrence déloyale résultant de cette embauche.

Concomitamment, M. Stéphane Cinqfraix a saisi le conseil des prud'hommes de Saint-Gaudens en nullité de ladite clause.

Par jugement du 27 février 2012, le Tribunal de commerce de Toulouse a :

- rejeté la demande de sursis à statuer,

- dit la clause de non concurrence illicite,

- débouté la S.A. Chausson Materiaux de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamné La S.A. Chausson Materiaux à payer à la S.A.R.L. Pole Bois du Comminges la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La S.A. Chausson Materiaux a interjeté appel le 22 mars 2012.

La S.A. Chausson Materiaux a déposé des écritures le 12 juin 2012.

La S.A.R.L. Pole Bois du Comminges a déposé des écritures le 27 juillet 2012.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 septembre 2013.

MOYENS et PRÉTENTIONS des PARTIES

Dans ses écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'énoncé du détail de l'argumentation, au visa de l'article 1382 du Code civil, La S.A. Chausson Materiaux demande à la cour de :

- infirmer la décision de première instance,

- juger que la clause de non-concurrence qui lie la S.A. Chausson Materiaux à M. Stéphane Cinqfraix est valable et opposable à la S.A.R.L. Pole Bois du Comminges,

- constater la matérialité de la violation de la clause de non-concurrence,

- juger que la S.A.R.L. Pole Bois du Comminges s'est livrée au détriment de la S.A. Chausson Materiaux à un acte de concurrence déloyale en employant M. Stéphane Cinqfraix en violation d'une clause de non concurrence licite,

- condamner la S.A.R.L. Pole Bois du Comminges à lui payer :

- la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'appelante fait essentiellement valoir que :

- le conseil des prud'hommes de Saint-Gaudens a jugé, le 9 mars 2012, que le montant de la contrepartie financière de 15 % (2 746,92 euros) était de nature à compenser les conséquences de la clause de non-concurrence,

- la responsabilité de la S.A.R.L. Pole Bois du Comminges, qui exerce sur le même marché économique, avec des structures de taille similaire, est engagée pour avoir sciemment employé un de ses anciens salariés en violation d'une clause de concurrence dont la validité a été reconnue par le conseil des prud'hommes,

- M. Stéphane Cinqfraix, qui est l'interlocuteur principal de la clientèle de la S.A.R.L. Pole Bois du Comminges et a pour mission de la fidéliser, est informé de la politique tarifaire de la S.A. Chausson Materiaux et de diverses informations commerciales et techniques que la S.A.R.L. Pole Bois du Comminges utilise nécessairement à son profit, alors même que cette dernière avait déjà débauché un autre salarié qui exerçait les fonctions de chef de dépôt.

Dans ses écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'énoncé du détail de l'argumentation, au visa des articles 378 du Code de procédure civile et 1382 du Code civil, la S.A.R.L. Pole Bois du Comminges demande à la cour d'appel de :

- confirmer le jugement attaqué,

- constater sur la clause de non-concurrence est illicite en raison d'une part des fonctions même du salarié, embauché par la S.A. Chausson Materiaux comme magasinier cariste, exerçant par la suite les fonctions de commercial magasin spécialisé dans la menuiserie, qui ne pouvaient lui donner accès à des procédés, à des savoir-faire techniques, commerciaux, financiers dont la divulgation ou l'utilisation porteraient préjudice à son ancien employeur et d'autre part en raison du caractère dérisoire de la contrepartie financière de la clause (228 euros par mois correspondant à 15% de son salaire brut mensuel moyen pendant 12 mois - appel ayant été interjeté de la décision du conseil des prud'hommes de Saint-Gaudens),

- juger que la clause de non-concurrence étant nulle, l'action en concurrence déloyale menée par la S.A. Chausson Materiaux ne saurait prospérer,

- condamner la S.A. Chausson Materiaux à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

MOTIFS de la DÉCISION

Monsieur Stéphane Cinqfraix a été embauché par la société Adoue Materiaux devenue Chausson Trialis puis Chausson Materiaux, par contrat à durée indéterminée le 22 janvier 2003, en qualité de magasinier cariste. Par avenant du 1er octobre 2005, il était promu aux fonctions de "commercial magasin" et sa rémunération mensuelle était fixée à 1 520 euros bruts. Cet avenant comportait une clause de non-concurrence.

Le 29 octobre 2010, Monsieur Cinqfraix a démissionné de ses fonctions. La relation contractuelle a pris fin le 30 novembre 2010. M. Stéphane Cinqfraix a été embauché par la S.A.R.L. Pole Bois du Comminges à compter du 1er décembre 2010, en qualité de "technicien conseil".

L'avenant du 1er octobre 2005 stipule :

"Compte tenu de la nature de ses fonctions qui l'amènent, entre autres, à avoir une connaissance globale de la clientèle, Monsieur Stéphane Cinqfraix s'engage, en cas de rupture du contrat de travail, pour quelque cause que ce soit et quelle que soit la partie qui en aura pris l'initiative, à n'occuper aucune fonction, pendant 12 mois après la date de sortie des effectifs, dans une société ou établissement commercialisant ou diffusant des produits similaires ou concurrents de ceux de Chausson Trialis et ce, dans les limites du secteur géographique où s'exerce l'activité de l'établissement au sein duquel Monsieur Stéphane Cinqfraix aura travaillé, à savoir le département d'implantation ainsi que les départements limitrophes.

En contrepartie de cette obligation de non-concurrence, Monsieur Stéphane Cinqfraix percevra pendant toute la durée de l'interdiction une indemnité mensuelle égale à 15 % du salaire brut mensuel moyen de ses douze derniers mois d'appartenance à la société. (...)

Toute infraction aux dispositions de la présente clause donnera lieu au profit de l'employeur au versement de dommages-intérêts dont le montant est fixé forfaitairement, à titre de clause pénale, à 6 mois de salaire net moyen des 12 derniers mois d'appartenance à la société de Monsieur Stéphane Cinqfraix, sans préjudice du droit de l'entreprise de poursuivre en justice le remboursement du préjudice effectivement causé et constaté".

Cette clause qui apporte une restriction à la liberté de travail de Monsieur Cinqfraix et qui lui interdit d'exercer une activité concurrente à celle de son ancien employeur, est une clause de non concurrence.

En application du principe fondamental du libre exercice d'une activité professionnelle et les dispositions de l'article L. 1121-1 du Code du travail, une clause de non concurrence n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière sérieuse, ces conditions étant cumulatives.

Monsieur Cinqfraix qui, aux termes de la convention collective applicable avait la qualification d'employé, était chargé de l'accueil des clients, l'établissement des devis, enregistrement des commandes, de la mise à jour des fichiers clients. Il était également responsable de l'approvisionnement et du suivi des stocks de certaines marchandises. Il est précisé qu'il était spécialisé dans les produits de menuiseries.

Il n'est pas contesté qu'il a démissionné à effet au 30 novembre 2010 pour aller travailler au sein de la S.A.R.L. Pole Bois du Comminges à compter du 1er décembre 2010, en qualité de "technicien conseil".

Il est également établi par les pièces du dossier que la S.A.R.L. Pole Bois du Comminges exerce également une activité de négoce de matériaux de construction, concurrente de celle de la S.A. Chausson Materiaux , à Clarac soit à dix kilomètres de l'agence de Saint Gaudens.

Il est donc constant que Monsieur Cinqfraix n'a pas respecté le clause de non concurrence stipulée dans son contrat de travail.

En raison de la nature des fonctions de Monsieur Cinqfraix qui était en contact direct avec la clientèle et les fournisseurs dans une agence comptant cinq salariés dans une petite ville de province, et qui avait connaissance des pratiques tarifaires et commerciales de la société Chausson Materiaux, la clause de non-concurrence litigieuse était justifiée par l'intérêt légitime de cette société.

Il n'est pas contesté qu'elle est limitée dans le temps (douze mois) et dans l'espace (le département de la Haute-Garonne et les départements limitrophes).

Pour être valable, une clause de non concurrence doit permettre au salarié d'exercer une activité conforme à sa formation et à son expérience professionnelle. Monsieur Cinqfraix a une formation et une expérience professionnelle de magasinier cariste et de vendeur de matériaux de construction et plus spécialement de produits de menuiserie. En lui interdisant de travailler à quelque titre que ce soit dans une entreprise commercialisant des produits similaires, dans une zone géographique étendue, la clause litigieuse apportait une restriction importante à son droit de retrouver un emploi.

Une forte atteinte à la liberté du travail doit être compensée par une contrepartie pécuniaire significative.

En l'espèce, cette contrepartie était fixée à 15 % du salaire brut du salarié. En raison du faible salaire perçu par Monsieur Cinqfraix (1 673 euros bruts auxquels s'ajoutaient une prime d'ancienneté et éventuellement des heures supplémentaires soit 1 472,36 euros nets) cette contrepartie s'élevait à 228 euros par mois pendant un an, soit environ deux mois de salaire. Cette indemnité était manifestement insuffisante pour permettre à ce salarié d'aller travailler à plus de deux cents kilomètres de chez lui ou de déménager avec sa famille et se réinstaller dans un lieu éloigné de son domicile actuel.

Une contrepartie financière dérisoire équivaut à son absence et dès lors rend la clause illicite.

Dès lors, comme l'a jugé le Tribunal de commerce, l'unique fondement de l'action en concurrence déloyale diligentée par la S.A. Chaussons Materiaux étant la clause de non-concurrence de son ancien salarié embauché par la S.A.R.L. Pole Bois du Comminges, clause jugée illicite, l'appelante doit être déboutée de ses demandes et le jugement entrepris confirmé.

Enfin, la S.A. Chaussons Materiaux qui succombe sera condamnée aux dépens d'appel.

Par ces motifs Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Toulouse, Y ajoutant, Vu l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute la S.A. Chaussons Materiaux de sa demande de ce chef, Condamne la S.A. Chaussons Materiaux à payer à la S.A.R.L. Pole Bois du Comminges la somme de 1 000 euros, Condamne la S.A. Chaussons Materiaux aux dépens d'appel dont distraction par application de l'article 699 du Code de procédure civile.