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Décisions

CA Lyon, 8e ch., 18 février 2014, n° 13-06751

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cyclobalade (SAS), Cycloville (SARL), Cycloville Lyon (SARL)

Défendeur :

Cyclopolitain (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vencent

Conseillers :

Mmes Defrasne, Clement

Avocat :

Me Douin

T. com Lyon, du 23 juill. 2013

23 juillet 2013

EXPOSE DU LITIGE

La SAS Cyclopolitain, créée en 2003, exploite à Lyon une flotte de cyclo-taxis avec trois activités : le transport de personnes en centre-ville, l'affichage publicitaire apposé sur la coque des véhicules et des opérations de "street marketing".

Outre ces activités, elle commercialise des véhicules bi-porteurs à assistance électrique.

Elle a déposé la marque "Cyclopolitain" auprès de l'INPI le 21 mars 2002.

Implantée initialement dans la ville de Lyon, elle a créé plusieurs agences, notamment à Paris, Nice et Nantes.

En 2006, Monsieur Duthoit, qui s'était rapproché antérieurement de la société Cyclopolitain en vue de créer une franchise, a décidé de fonder lui-même à Lille la société Cycloville avec une activité de transport et d'affichage publicitaire similaire à celle de la société Cyclopolitain.

La société Cycloville a développé un réseau de franchises dans plusieurs villes parmi lesquelles Lyon, Nice, Bordeaux, Rennes, Clermont-Ferrand.

La société Cyclopolitain, considérant qu'elle était victime de concurrence déloyale et de parasitisme de la part de la société Cycloville, notamment par le démarchage de l'un de ses principaux clients "Monoprix" a mis en demeure la société Cycloville, le 14 novembre 2012, de cesser ses agissements.

N'obtenant pas satisfaction, par actes d'huissier des 17 et 19 avril 2013, elle a fait assigner les sociétés Cycloville, Cycloville Lyon et Cyclobalade de Nice devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Lyon pour les voir contraindre, sous astreinte, de cesser l'utilisation du nom Cycloville dans leur activité concurrente, d'utiliser les cartes de réservation et les termes publicitaires identiques aux siens avec publication de la décision à intervenir et pour avoir paiement d'une provision de 30 000 euro en réparation de son préjudice.

Par ordonnance du 23 juillet 2013, le juge des référés a :

- ordonné sous astreinte de 1 000 euro par jour et par infraction constatée aux sociétés Cycloville, Cycloville Lyon et Cyclobalade, dans un délai de 10 jours à compter de signification de la décision :

* de cesser d'utiliser le nom de Cycloville dans l'exercice d'une activité concurrente à celle de la société Cyclopolitain partout où cette dernière est implantée et notamment sur les sites de Lyon et Nice,

* de cesser d'utiliser des cartes de réservation mettant en œuvre une structure "quand", "où, "comment", "combien",

* de cesser d'utiliser le terme "points de ralliement" pour désigner les stations,

* de cesser d'apposer au dos des tripoteurs la formule "montez, je vous emmène",

* de cesser de diffuser par quelque moyen que ce soit, directement ou indirectement, toute publicité comparative illicite du type de celle résultant de la plaquette "comparer pour mieux choisir",

- ordonné à la société Cycloville de publier durant 15 jours, sur la page d'accueil de son site Internet www.cycloville.com, le dispositif de la présente décision, dans un format identique à celle-ci, dans un délai de 10 jours à compter de la signification de la décision, sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard,

- ordonné aux sociétés Cycloville, Cycloville Lyon et Cyclobalade de faire publier à leurs frais dans les quotidiens "Le Progrès", "Nice Matin" et "La Voix du Nord" le dispositif de la décision, dans un format identique à celle-ci dans un délai de 10 jours à compter de la signification de la décision, sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard,

- dit que le juge des référés se réservait la faculté de liquider les astreintes ainsi prononcées,

- condamné solidairement, à titre provisionnel, les sociétés Cycloville, Cycloville Lyon et Cyclobalade à payer à la société Cyclopolitain la somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts résultant du trouble commercial,

- condamné solidairement les sociétés Cycloville, Cycloville Lyon et Cyclobalade à payer à la société Cyclopolitain la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.

La SARL Cycloville, la SARL Cycloville Lyon et la SAS Cyclobalade ont interjeté appel de cette décision le 7 août 2013.

Les appelantes demandent à la cour :

- d'infirmer l'ordonnance querellée et de débouter la société Cyclopolitain de l'intégralité de ses prétentions,

- de la condamner aux dépens ainsi qu'au paiement de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elles font valoir :

- que les dirigeants des deux sociétés qui se connaissaient de longue date ont entretenu des relations amicales pendant plus de 6 ans et exercé une activité commune dans plusieurs villes, sans que cette coexistence ne soit critiquée par la société Cyclopolitain,

- que la société Cyclopolitain, contrairement à ses dires, n'est pas la première entreprise à exploiter le concept de vélo-taxis en France, car une société allemande, la société Velomobil, avait exercé cette activité à Bordeaux avant elle,

- qu'en réalité, les activités respectives de Cycloville et de Cyclopolitain sont distinctes, la première étant concentrée exclusivement sur le transport de personnes et les campagnes publicitaires et la deuxième se consacrant, pour la moitié de son chiffre d'affaires, à la fabrication et la commercialisation de vélo-taxis,

- que les vélo-taxis utilisés par les deux sociétés sont différents, en ce qui concerne l'emplacement du moteur, les roues et le poids de charge, les freins, la position du pilote, l'emplacement de la transmission,

- que les deux noms commerciaux, Cycloville et Cyclopolitain, ne peuvent être considérés comme ayant une sonorité et une orthographe proches, l'attaque "Cyclo", qui décrit seulement l'activité, n'étant pas déterminante,

- que les modèles de carte utilisées sont également différente, les informations mentionnées n'étant pas les mêmes,

- que la formule apposée sur les véhicules "montez, je vous emmène" n'est pas une marque déposée et est utilisée par Cycloville depuis plusieurs années,

- que plusieurs témoignages attestent que la clientèle est bien en mesure de distinguer les deux entreprises,

- que la diffusion d'un document comparatif entre les deux réseaux par Cycloville, auprès du seul groupe Monoprix, ne suffit pas à caractériser le dénigrement qui lui est reproché, étant noté par ailleurs que les informations mentionnées sont toutes vérifiables.

Elles concluent qu'il n'est pas rapporté la preuve d'une concurrence déloyale ni de parasitisme.

Elles font valoir par ailleurs que la société Cyclopolitain ne rapporte pas la preuve d'un quelconque préjudice en l'absence de tout événement objectif vérifiable et de tout élément chiffré.

La société intimée demande de son côté à la cour :

- de confirmer l'ordonnance querellée sauf sur le montant de la provision allouée,

- de condamner les sociétés Cycloville, Cycloville Lyon et Cyclobalade solidairement au paiement de la somme provisionnelle de 30 000 euro sur le montant de son préjudice,

- de les condamner aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir :

- que les deux sociétés sont bien en état de concurrence sur les deux activités de transport de personnes et d'opérations publicitaires, l'activité complémentaire de vente de la société Cyclopolitain étant à cet égard inopérante, de même que la différence d'organisation des activités, en exploitation directe en agence par Cyclopolitain et en franchise par Cycloville,

- que la société Cycloville a délibérément choisi une dénomination proche de celle de la société Cyclopolitain en utilisant le même préfixe et une deuxième partie avec la même signification (ville=polis), susceptible de créer une confusion entre les deux activités,

- que la société Cycloville utilise des outils de communication et de marketing similaires, voire identiques à ceux de Cyclopolitain : cartes de réservation identiques graphiquement et comportant les termes identiques "point de ralliement", même expression "montez, je vous emmène" sur les vélo-taxis et que d'ailleurs, le risque de confusion s'est effectivement réalisé auprès de la mutuelle Andrea et de l'Etablissement Français du Sang,

- que la société Cycloville, qui a ainsi profité des efforts de la société Cyclopolitain, a bien commis des actes de parasitisme,

- qu'en outre, elle a diffusé un document intitulé "comparer pour mieux choisir" auprès d'un du client "Monoprix" qui compare les deux réseaux et les services avec une présentation erronée et incomplète de l'implantation de chacune des sociétés, des informations fausses et tendant à démontrer que le réseau Cycloville est plus important que le réseau Cyclopolitain, alors que c'est l'inverse,

- que le même document compare, photos à l'appui, l'un des véhicules récents de Cycloville avec un véhicule de Cyclopolitain datant de 2003, qui paraît de ce fait obsolète, ce qui caractérise non seulement un comportement déloyal mais aussi des actes de dénigrement,

- de tous ces agissements de la société Cycloville sont générateur d'un trouble commercial et d'un préjudice moral indiscutables et que les mesures d'interdiction sollicitées pour faire cesser ce trouble manifestement illicite doivent être assorties de la publication de la décision judiciaire.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Attendu que l'article 873 du Code de procédure civile permet au juge des référés, même en présence d'une contestation sérieuse, de prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite et dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, d'accorder une provision au créancier ;

Attendu qu'il y a lieu d'abord de constater que les sociétés Cycloville, Cycloville Lyon et Cyclobalade exercent une activité de transport de personnes et de campagne publicitaire identique à celle de la société Cyclopolitain, ce que reconnaît le gérant de la société Cycloville, Monsieur Duthoit, en termes de concept et de communication, dans son courrier du 29 novembre 2012 en réponse à la mise en demeure de la société Cyclopolitain ;

Que depuis 2012, les sociétés Cycloville Lyon et Cyclobalade sont implantées à Lyon et Nice, comme la société Cyclopolitain ;

Que les sociétés appelantes et la société Cyclopolitain sont bien en état de situation de concurrence sur les mêmes zones de chalandise, peu important la forme d'exploitation en franchise ou en agence et le fait que la société Cyclopolitain ait une activité complémentaire de commercialisation de véhicules, puisque cette activité, qui n'est pas son activité principale, est totalement indépendante de l'activité concurrentielle ;

Attendu en second lieu que la dénomination choisie par la société Cycloville est extrêmement proche de la dénomination Cyclopolitain, car le préfixe est identique et la seconde partie du nom a la même signification puisque que "politain" est issu du grec "polis" qui veut dire "ville" ;

Que la dénomination Cycloville, tant par cette proximité de signification que par l'identité des activités exercées, est de nature à créer une confusion entre les deux sociétés ;

Attendu par ailleurs qu'il résulte des pièces versées aux débats que le réseau Cycloville a utilisé des outils de communication et de marketing similaires ou identiques à ceux de la société Cyclopolitain ;

Qu'il en est ainsi de ses cartes de réservation comportant sur la partie gauche des informations divisées en 3 sections "quand '', "comment'', "combien'' imitant les cartes de réservation de la société Cyclopolitain et qu'il a fait figurer sur ses vélo-taxis l'expression "montez, je vous emmène" comme celle apposée sur les cyclo-taxis de la société Cyclopolitain ;

Que ces éléments caractérisent un parasitisme et contribuent à la concurrence déloyale qui lui est reprochée ;

Que le risque de confusion entre la société Cycloville et la société Cyclopolitain s'est effectivement réalisé au vu de plusieurs courriels produits par la société Cyclopolitain et qu'il en ressort que deux de ses clientes, la Mutuelle Andrea en juillet 2012 et l'agence de communication Ibiza en septembre 2012, ont purement et simplement confondu les deux sociétés ;

Que les témoignages recueillis par les sociétés appelantes afin de démontrer l'absence de risque de confusion ne peuvent qu'être examinés avec la plus grande circonspection car, comme le fait justement remarquer la société Cyclopolitain, la confusion s'apprécie dans la pratique, par rapport à un client moyen non averti ;

Que les différences qui ont existé entre les modèles de véhicules utilisés par chacune des sociétés sont inopérantes au regard des faits reprochés à la société Cycloville en ce qui concerne sa dénomination sociale et ses moyens de communication publicitaire ;

Que les sociétés appelantes affirment qu'elles n'utilisent plus les cartes de réservation incriminées depuis la fin de l'année 2011 mais qu'il apparaît que leurs nouvelles cartes de réservation ont été imprimées seulement en septembre 2012, sans qu'il soit possible d'affirmer que le risque de confusion a totalement cessé depuis lors ;

Attendu en troisième lieu que les sociétés du réseau de la société Cycloville ont diffusé, auprès de l'un des principaux clients de la société Cyclopolitain, le groupe Monoprix, une plaquette intitulée "comparer pour mieux choisir" comportant une comparaison des réseaux et des services de la société Cycloville et la société Cyclopolitain en défaveur de cette dernière ;

Qu'il résulte des explications non contestées de la société Cyclopolitain que les cartes matérialisant les sites d'implantation, tant du réseau Cycloville que du réseau Cyclopolitain, sont erronées, soit en raison de fermetures intervenues pour un certain nombre de sites, soit en raison du défaut de mention de sites existants, et que les véhicules cyclo-taxis représentés sur la plaquette sont ceux qu'utilisait la société Cyclopolitain en 2003 et non pas ceux en service à la date d'édition de la publicité comparative, en sous-tendant l'inconvénient de tels véhicules en terme de design et d'optimisation de support publicitaire ;

Qu'au vu de ces éléments, le premier juge a justement relevé que si la publicité comparative n'était pas en soi interdite, elle devenait illicite lorsque les comparaisons opérées étaient basées sur des informations fausses ou obsolètes et que tel est le cas en l'espèce de la comparaison présentée par les sociétés du réseau Cycloville dans leur plaquette qui doit être qualifiée de trompeuse et dénigrante ;

Attendu en conséquence que la société Cyclopolitain justifie d'un trouble manifestement illicite au sens de l'article 873 alinéa 1er du Code de procédure civile, généré par des agissements de concurrence déloyale et parasitaires des sociétés du réseau Cycloville et qu'il y a lieu de confirmer les six mesures d'interdiction sous astreinte prononcées par le juge des référés dans l'ordonnance querellée ;

Attendu, par ailleurs, que les agissements ci-dessus décrits des sociétés du réseau Cycloville sont par leur nature générateurs d'un trouble commercial, nécessairement préjudiciable à la société Cyclopolitain et que la cour, à l'instar du premier juge, estime devoir condamner les trois sociétés appelantes à payer à la société Cyclopolitain la somme provisionnelle de 20 000 euro en réparation de ce préjudice ;

Attendu en revanche que les circonstances de l'espèce ne justifient pas les mesures de publicité ordonnées par le premier juge à la demande de la société Cyclopolitain et que l'ordonnance de référé doit être réformée de ce chef ;

Attendu que les sociétés appelantes supporteront les entiers dépens ; qu'il convient d'allouer en cause d'appel à la société Cyclopolitain la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, en sus de l'indemnité allouée sur le même fondement par le premier juge ;

Attendu que les condamnations pécuniaires à l'encontre des sociétés Cycloville, Cycloville Lyon et Cyclobalade doivent être prononcées in solidum et non pas solidairement, les règles de la solidarité légale et conventionnelle n'étant pas applicables au cas de l'espèce ;

Par ces motifs Confirme l'ordonnance querellée, sauf sur les mesures de publicité de la décision de justice et sur la solidarité des condamnations pécuniaires, Statuant à nouveau, Dit n'y avoir lieu à publicité de la décision de justice sur Internet et dans des journaux quotidiens telle que demandée par la société Cyclopolitain, Dit que les sociétés SARL Cycloville, SARL Cycloville Lyon et SAS Cyclobalade seront tenues in solidum des condamnations pécuniaires prononcées par le juge des référés et confirmées par la cour, Y ajoutant, Condamne in solidum les sociétés SARL Cycloville, SARL Cycloville Lyon et SAS Cyclobalade à payer en cause d'appel à la société Cyclopolitain SAS la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne in solidum les sociétés SARL Cycloville, SARL Cycloville Lyon et SAS Cyclobalade aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile par ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande.