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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 18 février 2014, n° 12-07318

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Andros (SNC)

Défendeur :

Pepsico France (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

Mmes Calort, Orsini

Avocats :

Mes Jullien, Boespflug, Guttin, De Brosses

T. com. Nanterre, ch. 6, du 23 oct. 2012

23 octobre 2012

Vu l'appel interjeté le 25 octobre 2012, par la société Andros d'un jugement rendu le 23 octobre 2012 par le Tribunal de commerce de Nanterre qui :

* l'a déboutée de ses demandes,

* l'a condamnée à payer à la société Pepsico France la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens;

Vu les dernières écritures en date du 29 avril 2013, par lesquelles la société Andros, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, demande à la cour de:

* dire qu'en utilisant l'idée publicitaire consistant à promouvoir un produit à base de fruits au moyen d'un fruit revêtu d'une étiquette reproduisant la marque du fabricant de ce produit, la société Pepsico France a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à ses dépens,

* interdire à la société Pepsico France d'utiliser un visuel publicitaire représentant un fruit sur lequel est apposée une étiquette reproduisant la marque Tropicana pour promouvoir des jus de fruits sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir,

* se réserver la liquidation de l'astreinte,

* condamner la société Pepsico France au paiement de la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts,

* ordonner la publication de la décision à intervenir dans cinq supports de son choix et aux frais de la société Pepsico France dans la limite de 50 000 euros hors taxes,

* condamner la société Pepsico France au paiement de la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens;

Vu les dernières écritures en date du 11 mars 2013, aux termes desquelles la société Pepsico France prie la cour de:

* confirmer le jugement entrepris,

* débouter la société Andros de toutes ses demandes,

* condamner la société Andros au versement de la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de la procédure;

SUR CE, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il convient de rappeler que :

* la société Andros, qui produit des desserts fruitiers et des jus de fruits, en fait la promotion depuis 1988 au moyen d'un visuel publicitaire représentant un fruit en gros plan sur lequel est apposée une étiquette comportant la marque Andros,

* ce visuel est régulièrement utilisé sur des affiches, dans des films et sur les véhicules de la société Andros,

* la société Andros qui occupe la deuxième place sur le marché français des jus de fruits a pour principal concurrent la société Pepsico France qui domine celui-ci avec les jus de fruits vendus sous la marque Tropicana,

* au mois de mars 2012, la société Pepsico France a fait diffuser un film publicitaire représentant un homme en train de ramasser des oranges dans une plantation, servant ensuite du jus de fruit Tropicana à sa famille, le dernier plan du film montre une orange sur laquelle est apposée la marque Tropicana,

* c'est dans ces circonstances, que le 13 avril 2012, la société Andros a assigné la société Pepsico France devant le Tribunal de commerce de Nanterre en concurrence déloyale et parasitisme;

Sur la concurrence déloyale et le parasitisme:

Considérant que la société Andros reproche à la société Pepsico France , sur le fondement de l'article 1382 du Code civil , des actes de concurrence déloyale et parasitaire constitués par la diffusion d'un film publicitaire à la télévision au mois de mars 2012, promouvant les jus de fruits Tropicana, qui s'achève par un gros plan sur une orange revêtue d'une étiquette comportant la marque Tropicana;

Qu'elle rappelle faire la promotion de ses desserts fruitiers et de ses jus de fruits depuis 1988, au moyen d'un visuel publicitaire représentant un fruit en gros plan sur lequel est apposée une étiquette comportant sa marque Andros et que ce fruit est une orange dans les publicités pour le jus d'orange;

Qu'elle fait valoir :

- que son idée publicitaire n'est pas usuelle mais distinctive à l'égard des produits concernés, notamment pas son usage qui lui confère un monopole sur celle-ci ;

- qu'une idée publicitaire est appropriable dès lors qu'elle présente un caractère arbitraire à l'égard du produit ou du service promu, qu'elle permet de distinguer des produits ou services concurrents et qu'il en est d'autant plus que l'ancienneté et l'importance de l'usage qu'elle a fait de cette idée publicitaire en ont accru le caractère distinctif ;

Qu'elle expose que si les visuels de fruits sont souvent revêtus d'étiquettes identifiant leurs producteurs, ils ne comportent jamais d'étiquettes reproduisant les marques des fabricants de jus ou de desserts ;

Qu'elle allègue :

- qu'en reprenant cette idée pour promouvoir un jus de fruits la société Pepsico France a créé un risque de confusion entre les produits en cause, la présence de marques différentes sur les étiquettes ne conjurant pas ce risque ;

- que le consommateur, dans l'esprit duquel la représentation d'un fruit sur lequel est apposée une étiquette comportant la marque d'un producteur de jus de fruits est liée aux jus de fruits de marque Andros depuis près de 25 ans, sera conduit à y associer les jus de fruits de marque Tropicana en voyant le dernier plan du film de la société Pepsico France ;

Qu'elle souligne qu'il s'agit de la même idée publicitaire consistant à promouvoir un produit à base de fruits au moyen d'un fruit revêtu d'une étiquette reproduisant la marque du fabricant du produit et que le simple fait de reprendre cette idée publicitaire distinctive exploitée par un concurrent est fautif et source de confusion ;

Qu'elle ajoute à supposer l'absence de risque de confusion, qu'en reprenant son idée publicitaire, la société Pepsico France s'est placée dans son sillage afin de profiter du réflexe favorable suscité par cette idée chez les consommateurs grâce à ses efforts; que la reprise d'une idée publicitaire doit être sanctionnée si elle est à l'origine de la banalisation de cette idée indépendamment de tout risque de confusion ;

Considérant que la société Pepsico, invoquant les dispositions de l'article L. 713-1 du Code de la propriété intellectuelle, réplique que l'action de la société Andros vise à interdire son droit de faire usage de la marque Tropicana et qu'en apposant cette marque sur les oranges de ses jus de fruits, elle n'a en fait qu'un usage paisible et légitime qui ne peut lui être interdit ;

Mais considérant que force est de constater que la société Andros ne met pas en cause les droit de la société Pepsico France sur la marque verbale Tropicana dont elle serait licenciée ;

Que l'action de la société Andros reposants sur l'article 1382 du Code civil, ne vise pas à empêcher la société Pepsico France de faire usage de la marque Tropicana pour désigner ses produits et est étrangère au droit des marques, ce que la société Pepsico France ne saurait ignorer puisqu'elle n'a pas soulevé l'incompétence matérielle du tribunal de commerce de Nanterre ;

Que dès lors, le moyen tiré du droit des marques est inopérant ;

Considérant que la société Pepsico France soutient également qu'une idée publicitaire n'est pas protégée en tant que telle et est de libre parcours ;

Qu'elle allègue que la protection de l'idée publicitaire suppose qu'elle soit suffisamment originale pour bénéficier de la protection par le droit d'auteur, au sens de l'article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle et qu'en l'espèce, la société Andros ne démontre pas que son idée relève d'une création au sens du droit d'auteur ;

Considérant toutefois, que la société Andros ne prétend nullement à la protection de son idée publicitaire au titre du droit d'auteur, de sorte qu'il est indifférent qu'elle ne soit pas une création originale ;

Considérant en revanche, que la reprise d'une idée publicitaire d'un concurrent, arbitraire et distinctive à l'égard de ses produits, peut constituer un acte de concurrence déloyale, si est caractérisé, au regard des dispositions de l'article 1382 du Code civil, un comportement fautif par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine des produits, préjudiciable à l'exercice paisible et loyal du commerce ;

Considérant en l'espèce, en ce qui concerne la concurrence déloyale, qu'il n'est pas démenti que la société Andros fait usage depuis 1988, pour la promotion de ses produits (jus de fruits, desserts fruitiers) d'un visuel publicitaire représentant un fruit en gros plan sur lequel est apposée une étiquette comportant sa marque Andros ;

Que n'est pas contestée par la société Andros la banalité d'apposer sur un fruit une étiquette comportant le nom du fruit ou la marque de son producteur (pomme Gala, pamplemousse Jaffa, melon Vauclusien, banane l'Ivoire, banane Chiquita, agrumes Cypria, pastèque Bouquet, pêche Nectavigne, pomme Pink Lady) ;

Que la société Andros souligne qu'en revanche l'idée publicitaire d'associer un fruit et la marque d'un fabricant de jus de fruits ou desserts fruitiers, est distinctive et arbitraire ;

Que la société Pepsico France réplique qu'au-delà de producteurs de fruits, de nombreux industriels de l'alimentation feraient figurer leur marque sur un des ingrédients composant le produit fini qu'ils commercialisent, de sorte que cette idée serait d'un usage courant ;

Mais considérant que les usages invoqués par la société Pepsico France sont inopérants dès lors que certains concernant des produits à base de fruits ne font pas apparaître, apposée sur le fruit, l'étiquette du fabricant du produit (Danone, Saint Mamet) et que d'autres ne concernent pas des produits à base de fruits (Primevere, Milka, Bonduelle, Seven Up, M&Ms, Haagen Dazs) ;

Qu'en tout état de cause, il n'est nullement démontré que les usages invoqués soient antérieurs à celui de la société Andros qui remonte à 1988 ;

Que le seul usage pertinent concerne les jus de fruits vendus sous la marque Pampryl dont la société Pepsico France fait état en cause d'appel; que cependant, il n'est pas contesté que cet usage est récent, la société Andros indiquant se réserver de l'incriminer également ;

Qu'il en résulte que l'idée publicitaire d'associer un fruit et la marque d'un fabricant du produit fini pour désigner des jus de fruits ou des desserts fruitiers n'est pas usuelle mais au contraire distinctive des produits de la société Andros par son usage ininterrompu depuis 1988 ;

Considérant que le film publicitaire de la société Pepsico France, promouvant un jus d'orange Tropicana au mois de mars 2012, s'achève par un gros plan sur une orange revêtue d'une étiquette comportant la marque Tropicana ;

Que la société Pepsico France, qui ne dément pas que dans le visuel de la société Andros et dans ce film publicitaire, la marque du fabricant du produit est pareillement apposée sur un fruit, soutient que les idées sur lesquelles reposent les communications publicitaires sont différentes, le thème de la force du fruit, l'entièreté du fruit d'une part, la traçabilité du produit et de ses ingrédients, la sélection de la production d'autre part ;

Mais considérant que l'idée publicitaire en cause peut évoquer tant l'origine du produit que le fait qu'il soit constitué du seul fruit sans autre ingrédient aussi bien lorsqu'elle est utilisée par la société Andros que par la société Pepsico France ;

Que la société Andros relève pertinemment qu'il importe peu que l'idée publicitaire ne soit mise en œuvre qu'à la fin du film de la société Pepsico France, dès lors que cette circonstance ne lui fait nullement perdre son caractère distinctif et qu'au contraire cette idée joue un rôle essentiel de signature et marquera la mémoire du consommateur ;

Considérant que, contrairement à ce que prétend la société Pepsico France, le fait que les marques apposées sur le fruit soient différentes, Andros d'une part, Tropicana d'autre part, ne conjure pas le risque de confusion produit par les ressemblances des visuels dans l'esprit du consommateur raisonnablement attentif et avisé ;

Considérant que par le risque de confusion ainsi créé, la société Pepsico France a indûment repris et banalisé l'idée publicitaire distinctive dont la société Andros fait un usage ininterrompu pour distinguer ses produits depuis 1988; que cet acte traduit un comportement fautif au sens de l'article 1382 du Code civil ;

Considérant dès lors, qu'infirmant la décision déférée, les actes de concurrence déloyale sont caractérisés ;

Considérant que la société Andros reproche également à la société Pepsico France un comportement parasitaire ;

Considérant que constitue, au sens de l'article 1382 du Code civil, une faute caractérisant un comportement parasitaire la circonstance selon laquelle une personne, à titre lucratif et de façon injustifiée, s'inspire ou copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage économique, concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements ;

Considérant en l'espèce, que la société Andros d'une part, ne communique pas aux débats d'information circonstanciée ni sur les investissements, qu'ils soient financiers ou intellectuels, qu'elle consacre précisément à l'idée et au visuel publicitaires concernés, d'autre part, n'apporte aucune preuve d'un quelconque bénéfice que sa concurrente aurait indûment perçu ;

Que le grief de parasitisme sera rejeté ;

Sur la réparation du préjudice :

Considérant que la société Andros sollicite l'octroi d'une indemnité de 500 000 euros compte tenu tant de la valeur et de la banalisation de son idée publicitaire que de l'impact du film litigieux qui a été largement diffusé à la télévision ;

Considérant que la société Pepsico France relève l'absence de tout préjudice démontré ;

Considérant qu'il s'infère nécessairement des actes déloyaux constatés l'existence d'un préjudice commercial pour la société Andros, lequel sera réparé par l'allocation de la somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Considérant que pour mettre un terme aux agissements litigieux, il sera fait droit aux mesures de publication et d'interdiction sans qu'il soit besoin de prononcer une astreinte ;

Sur les autres demandes :

Considérant que la décision déférée sera infirmée sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Considérant qu'il résulte du sens de l'arrêt que la société Pepsico France ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile; qu'en revanche, l'équité commande de la condamner, sur ce même fondement, à verser la société Andros une indemnité de 20 000 euros;

Que la société Pepsico France supportera la charge des dépens de la procédure, tant de première instance que d'appel ;

Par ces motifs, Statuant par décision contradictoire, Infirme le jugement déféré, Statuant à nouveau : Dit qu'en utilisant l'idée publicitaire consistant à promouvoir un produit à base de fruits au moyen d'un fruit revêtu d'une étiquette reproduisant la marque du fabricant de ce produit, la société Pepsico France a commis des actes de concurrence déloyale au détriment de la société Andros, Interdit à la société Pepsico France d'utiliser un visuel publicitaire représentant un fruit sur lequel est apposée une étiquette reproduisant la marque Tropicana pour promouvoir des jus de fruits, Condamne la société Pepsico France à verser à la société Andros la somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, Autorise la société Andros à publier le présent arrêt dans trois supports de son choix, aux frais de la société Pepsico France, dans la limite globale de la somme de 15 000 euros hors taxes, Condamne la société Pepsico France à payer à la société Andros la somme de 20 000 euros au titre des frais irrépétibles, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Pepsico France aux dépens de première instance et d'appel et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.