Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 6 ch. 12, 13 février 2014, n° 11-04179

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Jade Conseil Paris Est (SARL)

Défendeur :

Urssaf 75 Paris-Région parisienne, CPAM 75, CPAM 93, CPAM 92, CPAM 77

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Van Ruymbeke

Conseillers :

M. Leblanc, Mme Sentucq

Avocats :

Mes Lezy, Lefebvre

TASS Créteil, du 8 avr. 2011

8 avril 2011

LA COUR statue sur l'appel régulièrement interjeté par la société Jade Conseil Paris Est d'un jugement rendu le 8 avril 2011 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de Créteil dans un litige l'opposant à l'Urssaf de Paris région parisienne, aux droits de laquelle vient l'Urssaf d'Ile-de-France, en présence des personnes dont la qualité de travailleurs indépendants est contestée et des caisses susceptibles de les affilier ;

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard ;

Il suffit de rappeler que la société Jade Conseil Paris Est est spécialisée dans la commercialisation de produits immobiliers et de placements financiers ; qu'estimant que plusieurs agents commerciaux auxquels elle avait recours pour démarcher les particuliers n'exerçaient pas leur activité de façon indépendante, l'Urssaf a considéré qu'il s'agissait d'un travail dissimulé et a réintégré dans l'assiette des cotisations dues par cette société les commissions versées à ces agents commerciaux durant la période contrôlée ; qu'il en a résulté un redressement de cotisations d'un montant total de 157 483 euro au titre de la période du 1er janvier 2005 au 30 septembre 2007 ; que le paiement de cette somme ainsi que le règlement des majorations de retard d'un montant de 24 978 euro ont été réclamés par l'Urssaf dans une mise en demeure en date du 27 mai 2008 ; que la société Jade Conseil a contesté ce redressement devant la commission de recours amiable, puis a saisi la juridiction des affaires de sécurité sociale.

Par jugement du 8 avril 2011, le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Créteil a débouté la société Jade Conseil Paris Est de son recours et l'a condamnée à verser à l'Urssaf la somme de 182 471 euro représentant 157 483 euro de cotisations et 24 978 euro de majorations de retard.

La société Jade Conseil Paris Est fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions tendant à infirmer le jugement attaqué ou subsidiairement à retrancher des causes du redressement les cotisations afférentes à l'activité de M. X avec lequel l'existence d'un lien de subordination a été écartée par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du du 24 juin 2010.

Au soutien de son appel, elle conteste l'appréciation faite par l'Urssaf des relations contractuelles l'unissant aux agents commerciaux. Selon elle il ne s'agit pas de rapports de travail exécutés dans un lien de subordination mais de relations d'affaires s'inscrivant dans le cadre de véritables mandats de prospection confiés aux intéressés en vue de la promotion et de la vente de produits financiers.

Elle se prévaut, d'abord, d'une décision du 17 janvier 2011 l'ayant relaxée du chef de la prévention de travail dissimulé pour les mêmes faits que ceux retenus par l'Urssaf et de plusieurs décisions prud'homales ayant rejeté toutes les demandes de requalification en contrat de travail des contrats l'unissant aux agents commerciaux et notamment celle de M. X dont les commissions ont été réintégrées dans le redressement.

Elle en déduit que la chose jugée au pénal s'oppose aux demandes de l'Urssaf dès lors que le redressement est fondé sur une infraction de travail dissimulée qui n'existe pas.

Elle estime que la situation de M. X ne diffère pas des autres agents commerciaux.

Si la cour devait considérer que la relaxe ne suffit pas à écarter le redressement, elle reproche à l'Urssaf de retenir l'existence d'un travail salarié du seul fait du défaut d'inscription de ces personnes au registre spécial des agents commerciaux alors même que leur activité professionnelle est identique à celle des autres agents régulièrement immatriculés pour lesquels la relation contractuelle n'est pas remise en cause.

Elle précise d'ailleurs, que le bénéfice du statut d'agent commercial n'est pas subordonné à l'inscription au registre spécial mais dépend de la réunion des conditions définies à l'article L. 134-1 du Code de commerce.

En l'espèce, elle estime, contrairement aux énonciations de la lettre d'observations, que les agents auxquels elle confie un mandat disposent d'un véritable pouvoir de négociation qu'ils exercent leur métier de manière indépendante.

Elle fait observer qu'ils sont libres d'avoir une autre activité et de faire des actes de commerce pour leur propre compte.

Elle ajoute qu'aucun contrôle n'est exercé sur la façon dont ils s'organisent pour accomplir leur mandat et que les frais liés à l'exercice de leur activité restent à leur charge.

Elle relève que l'Urssaf n'établit pas la subordination juridique des agents à son égard. Au contraire, elle fait observer que les agents ne sont tenus à aucun objectif de vente, qu'ils ne reçoivent aucune rémunération fixe, qu'ils n'ont aucune obligation de se rendre dans les bureaux de la société et que le temps passé à l'accomplissement de leur mandat n'est pas contrôlé.

Elle soutient que la fourniture de moyens matériels, la mise à disposition d'une liste de clients et l'établissement de compte-rendu inhérent au contrat de mandat ne suffisent pas à caractériser un lien de subordination.

Elle indique aussi que l'interdiction de concurrence figurant au contrat n'est pas propre au contrat de travail et est même prévue pour les agents commerciaux par l'article L. 134-3 du Code de commerce.

Enfin, elle précise que si les agents commerciaux étaient tenus de respecter les conditions générales de vente de la société, il leur était toujours possible de pratiquer des remises sur leurs propres commissions.

L'Urssaf d'Ile-de-France reprend ses conclusions de première instance aux termes desquelles elle demandait le rejet du recours de la société Jade Conseil Paris Est et sa condamnation au paiement des causes du redressement.

Elle fait d'abord observer que plusieurs personnes figurant en qualité d'agents commerciaux dans les documents de la société Jade Conseil n'étaient pas inscrites sur le registre spécial des agents commerciaux, sans que cela suscite une réaction de la part de la société.

Elle ajoute que les auditions de ces personnes et celle du gérant de la société ont révélé que leurs activités s'exerçaient dans les conditions d'un travail subordonné.

Elle relève en effet que ces personnes disposent de moyens matériels fournis par la société, que les conditions d'exercice de leur activité sont fixées unilatéralement par leur cocontractant, qu'ils doivent se rendre régulièrement dans les locaux de l'entreprise, qu'ils n'ont pas la possibilité d'accorder de remises à la clientèle et sont soumis au contrôle de la société.

Enfin, elle considère que les décisions prud'homales et correctionnelles alléguées par l'appelante n'ont pas d'incidence sur la solution du litige.

Les Caisses Primaires d'Assurance Maladie de Paris et de la Seine Saint-Denis concluent à ce qu'il soit statué ce que de droit sur les mérites de l'appel interjeté par la société Jade Conseil.

La Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Seine et Marne conclut à la confirmation du jugement attaqué en s'associant aux conclusions de l'Urssaf.

Elle indique avoir procédé à l'affiliation des deux personnes domiciliées en Seine et Marne.

Bien que régulièrement convoquées, les autres personnes intéressées par la procédure ainsi que les caisses susceptibles de les affilier n'ont pas comparu et ne se sont pas fait représenter. Les parties sont d'accord pour qu'il soit statué immédiatement sur le litige sans nouvelle convocation des personnes auxquelles les lettres recommandées n'ont pu être remises.

Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions ;

Sur quoi, LA COUR

Sur l'effet des décisions correctionnelles et prud'homales rendues en faveur de la société Jade Conseil Paris Est

Considérant qu'aux termes de l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 17 janvier 2011, la société Jade Conseil Paris Est a été relaxée du chef de prévention de travail dissimulé pour avoir, à compter du 28 septembre 2005 recouru, sous couvert de contrats d'agents commerciaux, aux services de salariés sans procéder de leur chef aux déclarations obligatoires aux organismes de sécurité sociale et sans leur remettre de bulletins de paie d'une part et pour les avoir employé sans avoir effectué de déclaration préalable à l'embauche d'autre part ;

Considérant que, dans ses motifs, l'arrêt écarte l'existence d'un lien de subordination entre la société Jade Conseil Paris Est et M. X et retient que l'absence d'immatriculation spécifique aux agents commerciaux ne saurait être retenue comme élément matériel constitutif de l'infraction de travail dissimulé par dissimulation d'activité ;

Considérant que la constatation par le juge pénal de l'absence de lien de subordination entre M. X et la société Jade Conseil Paris Est empêche l'Urssaf de soumettre aux cotisations de sécurité sociale les sommes versées à cette personne par la société Jade Conseil au titre du contrat litigieux ;

Considérant qu'en revanche, la chose jugée au pénal concernant les autres agents commerciaux ne fait pas obstacle à l'action de l'Urssaf en recouvrement de cotisations de sécurité sociale dès lors que la chambre des appels correctionnels n'a examiné ici que la question de leur immatriculation au registre spécial des agents commerciaux mais ne s'est pas prononcée sur l'existence d'un lien de subordination juridique entre ces personnes et la société ;

Considérant que, de même, les décisions prud'homales rendues sur des demandes ayant une cause et un objet différents, dans des instances auxquelles l'Urssaf n'était pas partie, n'interdisent pas à cet organisme d'agir à l'encontre de la société Jade Conseil Paris Est ;

Qu'indépendamment de la situation déjà jugée de M. X dont l'activité professionnelle ne peut donner lieu à aucun redressement de cotisations, il convient donc de rechercher quelle a été la nature juridique des rapports contractuels entre la société Jade Conseil et les autres agents commerciaux ;

Sur l'existence d'un travail subordonné

Considérant qu'en application de l'article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale, sont soumises à cotisations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion d'un travail accompli dans un lien de subordination ; que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail ;

Considérant que l'existence d'une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donné à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs ;

Considérant que l'existence d'un lien de subordination ne peut pas non plus se déduire du seul défaut d'immatriculation au registre des agents commerciaux et de l'absence d'affiliation au régime des travailleurs indépendants ;

Considérant qu'en l'espèce, la lettre d'observations du 27 décembre 2007 relève ce défaut d'inscription et d'affiliation et le fait que ces personnes sont astreintes à des passages fréquents dans les locaux de l'entreprise pour utiliser un logiciel et prendre des rendez-vous, participent à des réunions d'information et des formations, reçoivent une liste de clients avec un quota de rendez-vous par mois, remplissent des comptes rendus, ont la société Jade Conseil comme employeur unique et ne sont pas habilitées à discuter d'une baisse de tarif sur les produits vendus ;

Considération cependant que les déclarations des agents commerciaux recueillies au cours de la procédure de redressement de l'Urssaf évoquaient un nombre variable et approximatif de rendez-vous tous les mois, sans faire état de leur caractère obligatoire ni d'un contrôle effectif de la part de la société Jade ; qu'il n'est donc pas justifié que ces personnes aient été tenues d'atteindre des objectifs professionnels imposés unilatéralement par leur cocontractant ;

Considérant que le fait que les intéressés se rendent dans les locaux de l'entreprise pour utiliser un logiciel et prendre des rendez-vous ne suffit pas à caractériser des contraintes relevant d'un travail salarié ; qu'il n'existe pas d'horaires de travail imposés, ni d'obligation particulière en matière d'organisation de leur activité professionnelle ; qu'il n'est justifié d'aucun élément empêchant cette activité de s'exercer librement ;

Considérant que, de même, la mise à disposition de matériels informatiques et la fourniture d'une liste de clientèle ne signifient pas que cette activité est nécessairement salariée, de tels moyens pouvant favoriser l'exécution du mandat de prospection et de négociation sans pour autant en transformer la nature juridique ; que pareillement, en l'absence d'information sur leur caractère obligatoire, la participation des agents commerciaux à des réunions d'information ou des séances de formation ne suffit pas à caractériser une relation de travail ;

Considérant que la société Jade Conseil Paris Est fait aussi observer que l'établissement de comptes-rendus résulte de l'obligation du mandataire de rendre compte de son activité à son mandant ; que les éléments recueillis par l'Urssaf ne font pas apparaître une surveillance par la société Jade Conseil des conditions de travail mais seulement un échange régulier entre les deux parties sur les résultats obtenus ;

Considérant par ailleurs que les inspecteurs du recouvrement ont noté que les agents commerciaux étaient rémunérés uniquement au pourcentage sur les ventes réussies sans aucun forfait ni minimum garanti ; qu'il est également relevé que les agents prennent à leur charge leurs frais professionnels ; que le règlement à la commission uniquement et l'obligation aux frais sont caractéristiques d'une activité indépendante qui expose le professionnel aux risques du marché ;

Considérant que la présence d'une clause de non-concurrence dans les contrats d'agents commerciaux n'implique pas non plus l'existence d'une relation subordonnée puisque de telles interdictions de concurrence sont prévues par l'article L. 134-3 du Code de commerce pour les mandats d'agents commerciaux ;

Considérant ensuite que l'Urssaf invoque aussi le fait que les personnes en cause n'ont pas d'autres employeurs que la société Jade Conseil et qu'ils sont sous sa dépendance économique ;

Considérant toutefois que les contrats litigieux ne leur imposent nullement de consacrer tout leur temps à la représentation des produits de la société Jade Conseil et il ne leur est pas d'interdit de pratiquer des actes de commerce pour leur propre compte ; qu'il n'est même pas justifié que les sommes versées par la société jade soient leur unique source de revenus d'activité ;

Considérant qu'il est soutenu également que les agents commerciaux ne pourraient pas consentir de baisse de tarif sur les produits vendus ;

Considérant cependant que les contrats font seulement référence au respect des tarifs et conditions générales de vente et l'interdiction de pratiquer des réductions sur les commissions revenant aux agents n'est étayée par aucun élément justificatif ;

Considérant qu'enfin, l'Urssaf indique qu'elle n'a pas trouvé de différence entre le travail accompli par les salariés de la société Jade Conseil et l'activité des agents commerciaux à part la commission ;

Considérant qu'il n'est pourtant pas établi que les intéressés aient reçu des instructions précises relatives aux transactions à réaliser, aient été tenus de rendre compte de la façon dont ils accomplissaient en pratique leur activité ou aient été sanctionnés pour un manquement quelconque dans l'exercice de cette activité ;

Considérant que, dans ces conditions, c'est à tort que les premiers juges ont retenu que les commissions versées aux agents commerciaux devaient être soumises aux cotisations de sécurité sociale des travailleurs salariés ;

Que le jugement sera donc infirmé et le redressement opéré par l'Urssaf sera annulé ;

Par ces motifs, Déclare la société Jade Conseil Paris Est recevable et bien fondée en son appel ; Infirme le jugement entrepris ; Statuant de nouveau : Déclare l'Urssaf d'Ile-de-France irrecevable à recouvrer des cotisations sur les sommes versées par la société Jade Conseil Paris Est à M. X à titre de commissions ; Déclare non fondé le redressement opéré par cet organisme du chef des commissions versées aux six autres agents commerciaux ; Annule en conséquence le redressement opéré à l'encontre de la société Jade Conseil Paris Est au titre des commissions versées à ses agents commerciaux.